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  • François Jacqmin / Un ciel unique suivi de Le Livre du MOI

    <<Poésie d’un jour

     

    LA NUIT

      » le sort
    que je réserve à la nuit !  »

    Photo: G.AdC 

    10

    peu de temps pour le poème !
    peu de temps pour vivre aussi !
    et me voici
    cherchant le train verbal
    entre les mots !
    o il me faudrait aujourd’hui
    vivre mille possibilités
    accéder à trop d’existence
    pour vivre !
    il faut que je fasse ce poème
    vital
    cet inaccessible marché
    où tout est enfin résolu
    selon mon angoisse !

    15

    j’ai vu trop de poèmes
    j’ai peu vécu !
    tout a été vu selon un ordre
    qui ne pouvait me convenir !
    ce soir
    alors que les démons du verbe
    s’affairent autour de moi
    je n’ai plus rien à dire !
    il faut ainsi
    parler plus haut que le mot !
    o tout est défait ce soir !
    le soleil
    les autres astres vitaux
    je ne puis plus leur dire
    le sort
    que je réserve à la nuit !

     

    Jacqmin-un-ciel-unique

     

    François Jacqmin, « Le livre du moi » in Un ciel unique suivi de Le livre du moi, Édition et préface de Gérald Purnelle, Le taillis Pré /Collection Ha ! 2025, pp.122,127.

    Jacqmin

    « Dans ces deux recueils jumeaux de François Jacqmin, méditation et fulgurance forment un alliage dont la dynamique toujours tendue traduit l’intensité psychologique du lyrisme métaphysique, à travers ses questionnements existentiels et poétiques : comment être dans le temps ? Comment être dans le monde en dehors du temps et malgré lui ?
    En disant l’instant d’extase du sujet dans ce monde et dans ce temps : le passage de l’oiseau, un arbre à l’horizon, les bouleaux sous la pluie, l’herbe tendre et pâle, le première étoile… »

    Extrait de la préface de Gérald Purnelle.

  • Béatrice Bonhomme / Murmurations des oiseaux / Lecture de Philippe Lekeuche

     

    Béatrice Bonhomme
    Murmurations des oiseaux
    Lecture de Philippe Lekeuche

     

    BeatricePar cette longue et vivante méditation parcourant son récent livre, Murmurations des oiseaux, Béatrice Bonhomme nous rend sensible « la chair du monde », ou plutôt d’un monde dans lequel les mots que parlent les humains, les animaux, les arbres, les paysages résonnent au sein d’une symbiose où (sur)vit toujours l’enfant qui est en nous. L’étonnement, l’émerveillement, la grande bonté qui baignent la Nature, son grand corps pluriel, y sont pour nous ravivés :

    J’appelle murmuration
    Cet envol orienté des oiseaux
    Vers un ballet d’aurores et de plumes
    Un frémissement multiple
    Un essaim de fleurs
    Un arbre charrué d’oiseaux
    J’appelle murmuration
    Cette danse que l’enfant donne au monde
    Avec son corps de lumière.

     

    Et même, il arrive que son poème nous dise combien nos mots humains « traînent la patte », si je puis dire, à côté du chant universel qui nous englobe, tant nos dires ne sont que les mots gauches et maladroits/De nos pattes de mouche existentielles. Ces mots qui, pourtant, privilège humain sans doute, savent nos blessures, sont frappés des failles, des fractures, des séparations, ces (…) quelques mots/Mal joints (…) laissant passer (…) / Les liquides vivants / Des plaies infectées de notre monde. Car ce monde-ci où nous sommes, monde déchiqueté dont les bords sont de plaies, nos mots et nos poèmes arrivent mal à le rapiécer, à le réparer :

    La couture des bords d’un monde
    Suturant plaies et incisions
    Nous rassemblons par fil et aiguille
    Les pièces de drap d’un monde déchiqueté
    Comme les ravaudeuses raccommodant
    Leurs vieilles loques.

    Et pourtant … Certains de ces poèmes, de ces Murmurations des oiseaux, nous viennent comme des moments de grâce salvatrice, à l’unisson de la beauté, de la bonté, d’une vérité innocente reflétée par les souvenirs d’enfance de la petite fille de sept ans que fut jadis la poète et qui réapparaît dans l’un des poèmes du livre, toujours bien vivante.

    Cela, malgré la conscience des ravages, des restes d’un monde perdu, abîmé, car, avec pudeur, il y a chez Béatrice Bonhomme un sens tempéré du tragique, discret mais bien présent, je songe à certains des poèmes qui m’ont fort ému, concerné personnellement, au plus intime. La poésie, qui a conscience de la perte, espère encore et toujours en regardant vers le ciel, comme Hölderlin nous le dit dans son lumineux poème, En bleu adorable.

    Il y en Béatrice Bonhomme une femme-poète mais aussi une femme-peintre, certains de ses poèmes rayonnant comme des peintures, je pense notamment à ce fragment presque japonais dans sa délicatesse, à ce merveilleux passage :

    Montagne, légèreté de plume
    Duvet de gris et de blanc
    Dans l’envergure de son envol
    Porté par la neige.

    Je parlais plus haut, concernant ce livre, de la chair du monde qu’il nous rendait si sensible (l’expression est de Maurice Merleau-Ponty), et je pense que, dans son ensemble, il nous offre une source possible de renouvellement de notre présence au monde, ce monde hyper-technicisé, étouffant sous les calculs de tous ordres, où nous perdons peu à peu, sans nous en apercevoir, la capacité d’admirer avec amour un petit moineau, les oiseaux que les poèmes chantent, les arbres qui nous parlent, d’un murmure secret. Hélas, nous ne savons plus ni voir, ni entendre, enserrés dans les vanités de ce monde fabriqué ! Les Murmurations des oiseaux de Béatrice Bonhomme nous disent que le monde véritable est toujours là, le monde vivant, celui de la nature naturante. Il faut la poésie, le langage si incarné d’une femme-poète, pour nous reconduire à l’essence de la vie. Grâce en soit rendue à Béatrice Bonhomme.

     

    ♦ Voir aussi sur → TdF 

     

  • Emma Filao / survivances fossiles

    <<Poésie d'un jour

     

     

    Copie 3(2)

     

     

     

     

     

     

    Collage : G.AdC 

     

    je t’aime
    dans la connivence
    des yeux qui se savent
    de ce silence chargé
    de l’évidence

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    dans l’inédit
    de nos intonations
    dans le poids de l’histoire
    squi nous lie
    sans raison

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    d’une gravité terrestre
    au soubresaut
    du satellite
    le soleil dans l’âme
    pour cette vie en transit

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    dans tout ce que tu m’as appris
    de la possibilité du destin
    à la force de la vie
    de la rencontre de l’humain
    et de l’immensité de son oubli

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    dans la pudeur
    de tes énigmes
    dans la prudence
    de ta mémoire
    et dans la déchirure de ton espoir

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    dans mon miroir
    qui est ta descendance
    dans ta foi
    qui s’avoue
    au plus profond de ma conscience

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    dans tes valeurs
    que tu as semées
    au hasard
    dans le bastion de mes souvenirs
    comme un ultime rempart

    à bas la mort !
    !vive la vie

    je t’aime
    dans ta douleur
    dans ton combat
    que j’entends
    fébrile et émue
    et pour garder
    des bouts de toi
    je collectionne les traces
    de l’émotion
    sur tes mains nues

    à bas la mort !
    !vive la vie

     

    Filao livre

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Emma Filao, survivances fossiles, poésie, Rosa canina éditions, 2025, pp.37, 38, 39, 40.

     

    Emma Filao

    Rond-emma

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Note de l'éditeur : Grisée de grands espaces, de ciels découverts et de roche à nu, Emma Filao tente d’harmoniser sa voix poétique avec celles des personnes rencontrées au cours de ses voyages.
    De la peau, de la couleur de l’autre, d’autres types de paysages se font jour. Autant que les arbres et les montagnes lui parlent, les humains ne cessent d’être pour elle une interrogation.
    De là un parcours dans le mime, à la recherche du mouvement, puis une formation d’anthropologie, à la recherche d’une multitude de voix et d’expériences.

     

     

     

  • Gerald Vizenor / Champ libre

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

     

     

    81-1_Cayol_livre_lithographie_Le_Fou_d_Amerique_1_GF

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

     

     

     

    spider webs
    woven on the porch
    signature traces
    catch the overnight rain
    sunrise shimmer

    toiles d’araignée
    tissée sous le porche
    traces de signatures
    attrapant la pluie nocturne
    scintillement du soleil levant

     

    canoe country
    whine of mosquitoes
    outside the tent
    tease of a sumer opera
    bloody arias

    pays de canoës
    jérémiades des moustiques
    au dehors de la tente
    taquinerie d’un opéra d’été
    arias sanglants

    morning footprints
    children and sand castles
    traces of creation stories
    erased overnight
    swish of tidal waves

    empreintes de pas matinales
    enfants et châteaux de sable
    traces de récits de création
    effacées pendant la nuit
    bruissement de jusant

     

    202502145902eres---gérald-vizenor---champ-libre-(couv1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gerald VIZENOR, Champ libre, poèmes imagistes inspirés des « chants de rêve » anishinaabe, traduits de l’anglais (E.U.) par Marie Cayol, dessins de Pierre Cayol, érès PO&PSY 2024,pp. 44,46,47.

     

     

  • Isabelle Alentour/ Comme elle, je frissonnne

    <<Poésie d'un jour

     

     

    ALENTOUR

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Maintenant maintenant
    viens

    viens venant à toucher
    le vent
    comme le cri
    au loin
    bifurque

    voix flambée de rire
    c’est dur à croire            tant de regard

    par là la lumière
    séchée sur le sol
    blanchit tour à tour
    le cœur                    / la nuit         /le cœur

       Lentement
    tu continues
           à me fixer

     

    c’est plutôt
    un nuage
    que tu aspires

    moi je bois à ta photo
    me confonds cannibale avec
    ta présence
    arrachée

     

    Comme elle frissonne

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Isabelle Alentour Ι comme elle,
                                   je frissonne

    photographies de Yohann Teyssier Verger, &D éditions 2025

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    ISABELLE  ALENTOUR [PELLEGRINI]

    Isabelle Pellegrini

    ■ Isabelle Alentour
    sur Terres de femmes ▼

    Chaque jour je lie, je relie, Collection Jour & Nuit, Les Lieux-Dits, 2025
    « V – Comme dans un rêve », Ainsi ne tombe pas la nuit, Éditions iXe, Collection racine de iXe, 2019
    → [Lac étal comme un épuisement] (extrait de Je t’écris fenêtres ouvertes)
    → [Heures douces d’un après-midi d’été] (extrait de Louise)
    → Louise (lecture d’AP)
    → Makapansgat (lecture de Philippe Leuckx)
    → [Je me sens vieillir] (extrait de Makapansgat)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) [Pour ne pas perdre la pluie] (poème inédit, 2013)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions iXe) la fiche de l’éditeur sur Ainsi ne tombe pas la nuit d’Isabelle Alentour
    → (sur Terre à ciel) une page sur Isabelle Alentour [+ mini-entretien avec Roselyne Sibille]
    → (sur Ce Qui Reste) une page sur Isabelle Alentour

  • Jean-Pierre Chambon / La remontée des eaux

    Lecture

     

     

    Unnamed

     

     

     

     

     

     

     

     

     

             À un certain moment, il faut quitter la route pour s’enfoncer dans la tiède de pénombre d’un petit bois de pins qu’imprègne un parfum de résine entêtant. Puis, au sortir du tapis d’aiguilles rousses qui craque sous le pas, rejoindre un hypothétique sentier dont la trace mène à la rivière à travers un terrain caillouteux. La discrétion de son accès assure à l’endroit sa tranquillité et il est au demeurant peu probable qu’à ces heures chaudes de l’après-midi un promeneur veuille s’aventurer jusqu’ici.
           Arrivés sur place, nous déplions sur un emplacement sablonneux nattes, serviettes et parasols avant de nous mettre en tenue de bain. Seule Emma, qui avait dû ôter ses escarpins pour éviter de se tordre une cheville sur les pierres instables, reste vêtue de sa longue robe noire lui couvrant bars et jambes. Elle sort de son panier une bouteille de vin et des verres à pied qu’elle nous tend, tandis que Victoria a commencé à disposer dans de petites assiettes des parts du gâteau qu’elle a cuisiné pour l’occasion. Si la première – toujours habillée de sombre, les cheveux noirs et un teint blême contrastant avec un rouge à lèvres appuyé et le port permanent d’une paire de lunettes noires – se plaît à paraître sous des dehors ténébreux, la seconde s’affirme plutôt solaire par sa blondeur éclatante, son caractère avenant et sa gaieté naturelle. Ces différences ne les empêchent nullement de s’apprécier l’une l’autre, bien au contraire. Sur ces considérations, c’est à moi qu’échoit le tire-bouchon. Guerryam, elle, est déjà partie glaner alentour, parmi les galets et les touffes herbacées, des morceaux de bois flottés aux formes biscornues qu’elle rapportera à son atelier, matériau potentiel pour une œuvre future.
             La rivière est à son étiage et son niveau permet tout juste de se tremper les pieds et de s’humecter les mollets. Si l’on veut profiter d'un bon bain pleinement rafraîchissant, il faut se plonger dans l’un de ces curieux trous d’eau creusés ça et là sur le parcours de la rivière. Il s’en trouve justement un tout près, parfaitement rond, d’une profondeur et d’un diamètre respectables.
          Au moment où je m’apprête à m’y laisser glisser, après avoir tâté l’eau du bout du gros orteil, j’aperçois, lovée dans le fond, une magnifique couleuvre vipérine. Son corps immobile, tressé d’un damier d’écailles, dessine une spirale impeccable, semblable aux volutes d’un cordage abandonné. Je reste un moment, comme sidéré, penché au-dessus de l’eau à la contempler à travers la découpe de mon ombre sur le reflet aveuglant du ciel.

    Le Jabron

    La remontée des eaux

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jean-Pierre Chambon, La remontée des eaux, L’Étoile des limites, Collection PARLANT SEUL, 2025, pp.56, 57.

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    JEAN-PIERRE CHAMBON

    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Jean-Pierre Chambon

    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes ▼

    Étant donné/ Éditions Al Manar 2004, (Lecture d’AP)
    →Je ne vois pas l’oiseau, Encres de Carmelo Zagari, Al Manar2022
    →La montagne lumineuse, Peintures Mad, Voix d’encre 2022.
    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d'AP)
    → [Fleurs dans la fleur]
    → [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    → L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    → Des lecteurs (extrait)
    → Noir de mouches (extrait)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    → Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    → [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    → Un écart de conscience, II (extrait)
    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)

     

     

  • Pause estivale 2025

    Été 2025

       

    OBLIQUE ROUGE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Terres de Femmes vous souhaite de belles et heureuses vacances.

    La revue sera à l’arrêt du 2 au 31 août.

    Merci à toutes et à tous, poètes et amies-amis, éditrices et éditeurs, pour votre confiance et fidélité.

    À bientôt le plaisir de vous retrouver en mes terres insulaires. 

    Livre_au_silence_jattends

    Angèle Paoli colier

     

     

     

     

     

     

     

     

                  Angèle Paoli  / Terres de Femmes 

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     Illustration « Oblique rouge » par → G.AdC à la manière de → Bridget Railey 

     

  • De Patinir à Watson … Échange épistolaire avec Théophile Barbu

    De Patinir à Watson, Échange épistolaire avec Théophile Barbu

     

     

    Chère Angèle Paoli,

    La parution de l’article de Jean-Paul Bota en si bonne place sur votre site m’a rempli de joie et beaucoup honoré. Je vous renouvelle mes très vifs remerciements pour un soutien si précieux à ce recueil tout juste paru chez Tarabuste.

    Depuis notre précédent échange, j’ai eu le plaisir de lire Le dernier rêve de Patinir, essai poétique que j’ai beaucoup aimé et qui donne longuement à réfléchir. J’ai la chance de pouvoir m’appuyer, dans ce voyage limpide au fil de vos phrases, sur un ouvrage que j’ai retrouvé dans la bibliothèque (fournie) de ma mère : Patinir ou l’harmonie du monde – une édition de 1980 magnifiquement illustrée.

    Je suis frappé par la façon dont vous soulevez notre regard, dont vous donnez à notre regard des ailes. Et peu à peu se dessine, par la voie du texte, par votre voix, un cheminement en spiritualité.

    Avec Louise, et suivant l’engagement qui a toujours été le sien, celui d’un « optimisme par pessimisme », celui d’une volonté de toujours se garder en joie, nous nous laissions fasciner par les couleurs sublimes et les agencements des paysages, à la fois invraisemblables, vertigineux et virtuoses ! Il y avait d’horribles soldats, et toutes les épreuves de la sainteté, mais nous les laissions au second plan pour préserver notre jubilation. Jubilation qui avait dû être celle, nous pensions, du peintre à l’œuvre. En tout cas, Patinir parvenait à susciter de telles émotions par la construction de ses visions imaginaires.

    Votre interprétation des œuvres (comme on le dit d’un morceau de musique), par la quête spirituelle à laquelle elle prête toute son attention, accomplit de son côté cette prouesse de rendre intérieur le paysage ! Chaque élément du panorama devient occasion d’interroger l’âme humaine et, pour tout dire, de l’écarteler entre sa petitesse – par exemple dans Styx (p. 43) – et sa grandeur. Méditation toute traversée de doutes (Jérôme, Diptyque II (p. 36) ou Christophe, Diptyque II (p. 65).

    Louise Barbu a écrit des aphorismes, dont l’un m’accompagne quotidiennement : « Je suis tranquille parce que je doute ». Il y a dans cette affirmation paradoxale quelque chose d’un défi Dada (une des sources d’inspiration de ma mère), mais aussi une forme de sagesse. Et toujours cette volonté de se garder en joie. Dans Le dernier rêve de Patinir, le doute, si présent, habite les pensées de Jérôme, de Christophe, du peintre lui-même… Or chez ce dernier, il me semble que vous donnez au doute le sens d’une tension entre deux dévotions. Dévotion de l’artiste à son art, par l’expérience fabuleuse que lui offre la combinaison de son imaginaire et de sa maîtrise de la peinture, d’une part. Et, d’autre part, dévotion aux figures religieuses, celle du Christ, celle de Marie, celles des Saints, dont le détachement vis-à-vis des choses terrestres joue le rôle d’un contrepoint. Or ce contrepoint, frappant par son austérité, exacerbe par contraste le caractère vertigineux des paysages. Si bien que toute la beauté de la Création se trouve ainsi servie modestement mais efficacement par l’artiste… Comme un témoignage de la tension entre le Moyen-âge et la Renaissance.

    Questionnement ô combien actuel ! Et qui nous renvoie nous-mêmes à une interrogation sur notre engagement de poètes…

    Voilà, chère Angèle Paoli, les pensées et émotions que m’a suscitées la lecture de votre recueil, si original par la façon dont il éveille sans heurt notre conscience.

    En amitié,
    Théophile

     

    Crossing_the_River_Styx

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Traversée du monde souterrain : peinture mythologique de  Joachim Patinier / source 

     

     

    Chère Angèle,

    À mon retour de Paris, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres bagnolaise Le dernier rêve de Patinir et votre aimable dédicace ! Me voilà donc l’heureux détenteur de deux exemplaires, puisque les éditions « La Rumeur libre » m’en avaient envoyé un entretemps. Je garde le vôtre, avec sa dédicace, précieusement, et je vais pouvoir prêter le second autour de moi sans craindre qu’on se l’approprie…

    Un grand merci, donc, pour votre envoi. Je suis très enchanté que ma lecture vous ait intéressée et je suis bien évidemment à la fois tout à fait d’accord et très honoré que notre échange sur Le dernier rêve de Patinir puisse trouver sa place sur votre site !

    Écoutant la radio, j’ai été saisi par l’actualité de votre recueil. « Incendie » (p. 69) et « Intermède » (p. 81) – deux méditations sur « Paysage avec incendie de Sodome et Gomorrhe » et « Le repos pendant la fuite en Égypte » – nous confrontent au récit archétypal d’un « monde /à son effroi / à sa hargne vengeresse / à ses forces destructrices ». Face à quoi la beauté des paysages sublimes de Patinir opère comme une réparation, une consolation de la misère du monde.

    Voilà qui fait le lien avec Louise Barbu ! Je souhaite vous remercier très vivement pour son accueil sur votre site. Cela me touche énormément. N’hésitez pas à me solliciter si je peux être utile à cela en quoi que ce soit. La documentation sur l’œuvre de ma mère est abondante, augmentée tout récemment d’un catalogue de la galerie Fauve-Paris, à l’occasion de l’exposition de ses œuvres Place des Vosges.

    Concernant l’intelligence artificielle, je souhaiterais vous rassurer un petit peu. Cette réalité – ou irréalité ! – nouvelle se présente devant nous de façon tout aussi vaste mais moins accueillante que la mer qui comble les nageurs de ses bienfaits. Vous avez raison de dire que l’intelligence artificielle est avant tout un instrument de pouvoir. À la fois, pouvoir de dominer, mais aussi pouvoir d’agir. Exactement comme l’est toute culture : instrument de domination, instrument de libération, instrument de confrontation.
    Notre monde va se peupler d’une multitude d’intelligences artificielles. Celles que conçoivent les Chinois ne seront pas identiques à celles de la Silicon Valley. Tous ces nouveaux habitants de notre planète sont des êtres vivants, mais exactement comme le sont les cultures : actives tant que les humains les animent ; mortes dès que les humains les abandonnent.

    Voilà des défis qui se présentent aux poètes et aux artistes, défis dont j’expérimente certains possibles dans les quatre tomes d’Au Colloque Tarabuste avec Watson : chaque agent conversationnel (chat-bot), chaque intelligence artificielle étant une « culture » en soi, comment nous bataillons, au sein de ces cultures en permanente évolution, pour préserver et même augmenter (comme on le dit de la « réalité augmentée » en informatique) la part d’humanité qui nous est la plus précieuse. Part d’humanité dont les intelligences artificielles sont l’écho – à l’identique, hélas, de notre part d’inhumanité.

    Nul doute, donc, que c’est un combat ! Et je suis certain que les jeunes générations, inspirés par les livres de poésie, ces « reliques » d’un autre âge, ne manqueront pas de le mener. C’est pour cela, me dis-je pour me rassurer, que j’écris…

    En amitié,
    Théophile

     

    Barbu im Patinir

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • TdF sommaire du mois de juillet 2025 / N° 246

     

    Juillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

     

    SOMMAIRE DU MOIS  DE JUILLET 2025  ♦

     

    Cartouche du N°246 de Terres de femmes / juillet 2025 ♦

     

    Eugenio De SIGNORIBUS / ISTMI E CHIUSE / ISTHMES & ÉCLUSES
    Martine Konorski / Amazones, cavalières de l'exil
    Felip Costaglioli / La loi des astres
    Françoise Ascal / Un abri dans l'ouvert / Carnets 2018-2022
    Angèle Paoli / Le dit d'amour noir
    Théophile Barbu ǀ Au colloque TARABUSTE avec Watson I Lecture de Jean-Paul Bot
    Calou Semin / L'instant couleur d'être / Aquarelles de Caroline François-Rubino
    Paul de Brancion / Soudain nous ne sommes pas seuls
    Le prix de poésie Louise Labé 2025 décerné à Angèle Paoli pour son recueil – Voix sous les voix –
    Elena Gouro / Les Petits Chameaux du Ciel
    Myriam Watthee-Delmotte / Indemne, Où va Moby Dick? / Lecture de Béatrice Bonhomme
    Angèle Paoli / En creux sur
    Frédérique de Carvhalo / désarmée désarmante
    Théophile Barbu / Au colloque Tarabuste avec Watson

    Carole Carcillo Mesrobian / Falloir

    Arnoldo Feuer / 9 Fenêtres sur l'Infini
    Adrienne Eberhard / Marie & Marie
    Diane Régimbald / Elle voudrait l'ailleurs encore / Lecture d'Angèle Paoli
    Pascal Commère / Le vélo de saint Paul / Histoires
    Emmanuel Damon / L'ombre parlée
    8 juillet 1593 / Naissance d'Artemisia Gentileschi / par Angèle Paoli
    Antonella Anedda / Historiae / Traduit de l'italien par Marie Fabre & Sylvie Fabre G.
    María Mercedes Carranza / Un autre chemin / Otro Camino
    Philippe Brame / Un gramme de silence
    Felip Costaglioli / Garçon à l'envers
    Harry Szpilmann / La vie fragile
    Terres de femmes n° 245 ― Juin 2025

    TdF sommaire du mois de juin 2025 / N° 245

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                    ♦ Tdf sommaire du mois de mai  2025 N°244 )
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de mai 2025 ( N° 244 )  

                          ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf

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