Ronny Someck, Le Piano ardent

par Marie-Hélène Prouteau

Ronny Someck, Le Piano ardent,
Éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2017.
Traduit de l’hébreu par Michel Eckhard Elial.



Lecture de Marie-Hélène Prouteau


Ronny Someck est un poète israélien, né en 1951 à Bagdad dans une famille juive d’Irak. Son œuvre reconnue par différents prix (Prix Yehuda-Amichaï pour la poésie hébraïque [2005], Prix de poésie Hans-Berghhuis 2006 dans le cadre du Festival international « Les Nuits de la Poésie » de Maastricht, Pays-Bas), traduite en plusieurs langues, fait de lui l’une des grandes voix de la poésie israélienne d’aujourd’hui. Il nous offre dans le recueil bilingue (hébreu et français) Le Piano ardent, une suite de soixante poèmes courts.

Le titre est celui du quatrième poème, écrit à la mémoire du jeune pianiste Matiah Eckhard, le fils disparu (à l’âge de dix-neuf ans, en janvier 2014) de son traducteur français. Malgré cet arrière-plan douloureux, ce poème donne le ton à l’ensemble du recueil qui partout suit un chemin onirique, libératoire :

« Éloignez les nuages

dirigez le projecteur du soleil

sur le moment de la rencontre entre

les doigts de Matiah

et les touches du clavier ardent

en haut des marches du jardin d’Eden. »

Ce pouvoir du rêve et de l’imaginaire d’alléger le réel se nourrit de la diversité des thèmes, tels l’enfance, celle de sa fille comme celle du poète, la paternité, la femme aimée, la culture populaire, le jazz, l’amitié.

Ancrée dans le réel — les attentats, la guerre, le racisme pointent à l’horizon du vers, sans que le poète s’y appesantisse —, sa poésie reste pourtant infiniment ouverte au rêve, à la fantaisie, à l’humour. Ainsi, ce « Poème du bonheur » :

« Nous sommes posés sur le gâteau

comme des figurines de mariés

quand le couteau tranchera

essayons de rester sur la même tranche ».

Il y a dans cette écriture de l’allant et de l’énergie vitale qui donnent au lecteur le plaisir de voir s’élargir le monde : on surprend le poète à écrire une lettre à Marcel Proust ou à la poétesse Léa Goldberg. Pour cadeau à sa fille, il rêve d’acheter des terres sur la Lune plutôt que dans les territoires occupés. Il fait se croiser dans ses vers Marilyn Monroe, la chanteuse Oum Kalsoum, Don Quichotte et le joueur de football Lionel Messi.

Autant de rencontres d’apparence incongrue qui ont ce pouvoir d’abolir les murs, qu’ils soient d’espace, de temps ou de langue, si présents dans ce Moyen-Orient d’aujourd’hui. À l’image de ce traité de paix merveilleux, conclu en toute innocence par des gamins, dont la petite-fille du poète, qui jouent avec les enfants des écrivains arabes invités à un séminaire de poésie.

Comment ne pas être frappé par l’héritage universel qui est celui du poète ? L’Orient est là avec les grands legs, ceux de la Bible, ceux de la Perse, où vient brutalement cogner le vif du présent :

« à cause de Bagdad je suis de la tribu de ceux qui sont nés

dans la ville des Mille et Une nuits,

et, à cause d’une nuit d’octobre 73 je suis parfois

suspendu à la tribu du trait d’union qui existe

entre les mots « choc » et « bombe ».

Familier conjointement d’autres rivages de l’imagination, Ronny Someck se décrit ainsi dans une interview : « Je suis un soldat dans l’armée de Rimbaud, un oiseau dans le ciel de Prévert, je salue René Char, mais le poète avec qui je communique par l’écriture, c’est Max Jacob ». Héritage, alliage singulièrement croisés.

Le poème a ainsi la capacité de se faire lieu d’échanges où, par les mots, se tissent des passerelles avec des poètes tels que le poète juif Bialik, le Syrien Adonis, les Palestiniens Mahmoud Darwich, Samih al-Qâssim et Mohammed Hamza Ghanayem. Il s’agit de dire, sans fioritures ni grande déclaration, ces petites choses qui créent un terreau commun entre les êtres. Là, une parole de fraternité, ici, le salut amical aux couleurs du drapeau de Palestine qui, sur un mode faussement léger, déjoue les pesanteurs du monde :

« Allons-y, qu’ils aient enfin leur État

et rendez le vert à la terre

le blanc à la chemise des fêtes,

le noir au café

et le rouge du désir aux lèvres des jolies filles,

venues à Ramallah pour le concours de Miss Palestine

qui a été annulé »

Le parti-pris de cette poésie empreinte d’humour et de générosité fait pièce à la violence, tant dans ses images d’aujourd’hui que dans celles de ce passé qu’évoque le magnifique poème « Buchenwald : Un mot s’est échappé ». Ronny Someck est le poète en situation, facétieux et curieux de tout ce qui fait l’humain, à la manière du poète Prévert qu’il admire. Celui qui se définit comme « un cow-boy de la poésie » regarde le monde, la main posée sur le revolver du poème. La fantaisie comme arme suprême.

C’est la force d’écriture de ce poète que de nous emporter dans l’espace décalé de son imaginaire, de nous y faire découvrir un monde redevenu habitable par son insolite beauté.



Marie-Hélène Prouteau
D.R. Marie-Hélène Prouteau
pour Terres de femmes







Ronny Someck  Le Piano ardent






RONNY SOMECK


Ronny_someck
Source




■ Ronny Sonneck
sur Terres de femmes

Beaucoup de don Quichotte (extrait du Piano ardent)




■ Voir aussi ▼

→ (sur le site des éditions Bruno Doucey)
la fiche de l’éditeur sur Le Piano ardent
→ (sur le site agonia.net)
un entretien avec Ronny Someck




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