Denise Desautels | La dernière rivière

« Poésie d’un jour »



Stations_Bill_Viola_1994-730
« monochromie
amoureuse des nageurs […]
maladroitement nos corps plongent
comme s’ils tombaient
et replongent
en désespoir de cause »
Bill Viola, Stations
Source







LA DERNIÈRE RIVIÈRE, extrait




je reconnais la rivière
à gauche, elle coule
sur un rectangle de vitres
au simple toucher
la bague d’une autre à ton annulaire
l’acharnement de ton os de ta joue
tout près, ailleurs


on ne discerne plus ni qui ni quoi
entre et sort
dans ce jour maigre
tandis qu’un jet de rayons touche
tes derniers draps


la rivière coule ― linceul déjà
enveloppe mobile


même sans avenir
cette chambre n’est pas encore verte
malgré son authentique indifférence


est-ce encore nous, toi
l’inconnu au bout de mes doigts
de l’autre côté


si peu
ici, autrefois, tout de suite
c’est sans mesure
entre rivière et chambre


du fond vers la surface
je nous ramène
et recense les pièces de l’étreinte


la scène s’étend
nous occupons mur et sol
droite couchée, droite debout
monochromie
amoureuse des nageurs
jeunes, si jeunes
sur la tapisserie d’angle
cinq bassins d’eau, cinq plaques de granit
Stations de Bill Viola


maladroitement nos corps plongent
comme s’ils tombaient
et replongent
en désespoir de cause
jusqu’au bout leur installation de silence


puisqu’au final tout meurt
devant
la vie déjà se souvient
une île et l’univers


nulle part l’éternité
[…]



Denise Desautels, « La dernière rivière » in L’Angle noir de la joie, Éditions Arfuyen, Paris-Orbey | Éditions Le Noroît, Québec, 2011, pp. 41-42-43.



________________________________________
NOTE d’AP : dans le cadre des 6es Rencontres européennes de littérature de Strasbourg, L’Angle noir de la joie a reçu le Prix de Littérature Francophone Jean-Arp 2010.






Denise Desautels  L'Angle noir de la joie





DENISE DESAUTELS


Denise-desautels
Ph. Rémy Boily
Source





■ Denise Desautels
sur Terres de femmes

[ça dit grand] (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)
D’où surgit parfois un bras d’horizon (lecture d’AP)
Pour dire nous voici (extrait de D’où surgit parfois un bras d’horizon)



■ Voir aussi ▼

→ (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
→ (sur Mediapart)
« Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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Commentaires

  1. Avatar de christiane
    christiane

    Ce poème est d’abord graphique. L’évocation de Stations de Bill Viola donne aux mots un noir électrique, un rythme, un reflet. Cette double chute interminable de celui qui part, de celui qui reste. Lequel tombe ? Miroirs… Il faut du temps pour se séparer d’un mort qui faisait la vie jamais seule. Ça pèse de toute une folie d’amour dévasté. Magnifique. Douloureux. Ça fait mal aux yeux ce poème de Denise Desautels comme le passé.

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