22 mai 1966 | Journal d’Alejandra Pizarnik

Éphéméride culturelle à rebours




Alejandra Pizarnik
Image, G.AdC





22/V


    P. m’a proposé d’écrire un conte d’« anticipation ». L’idée m’a tentée, hier, et j’ai immédiatement commencé un conte. Aujourd’hui, je me suis réveillée avec la certitude que c’est une chose impossible pour moi. Me référer au futur, le nommer est déjà en soi un motif d’horreur. Qu’en serait-il s’il fallait représenter un futur articulé, dans une fiction littéraire ? Ça impliquerait de le situer dans un lieu privilégié alors que mon désespoir n’aspire, au contraire, qu’à le désigner par des termes négatifs ou mieux, à ne pas le désigner du tout, puisque mon futur est un mur, une muraille. […]


    Angoisse des jours qui passent sans que j’écrive quoi que ce soit. D’un côté, il y a mes poèmes-objets que je construis si lentement ― rigoureuse architecture de l’absurde. Ensuite, il y a mes notes bibliographiques que j’écris sans désir. Ensuite ― et de ça je ne devrais pas parler ― il y a les articles journalistiques.

    Problème des lectures ; il ne sera jamais résolu. Les années passent et je veux écrire une œuvre étendue au lieu de fragments. Mais j’écris peu. Il faudrait que j’écrive six ou sept heures par jour.

    Ma mère, jalouse de ma solitude habitée (au moins en apparence), fait tout pour m’ennuyer et me blesser. Vivre avec elle est vraiment une malédiction. Si les péchés existent et que leur châtiment existe, le mien est de vivre seule, à trente ans, avec ma mère.

    Est-ce que j’aime ma mère ? Je ne sais pas, avant la mort de papa, je l’aimais davantage ou bien elle me fascinait, d’une certaine façon. Je crois que je n’aime personne, puisque je suis malade (malade parce que personne ne m’a aimée et que personne ne m’aime). Et puis le souvenir de M.L., insupportable, car elle aurait pu me sauver.



Alejandra Pizarnik, Journaux 1959-1971, José Corti, Collection Ibériques, 2010, pp. 262-263-264. Édition établie et présentée par Silvia Baron Supervielle. Traduction de l’espagnol (Argentine) par Anne Picard.





■ Alejandra Pizarnik
sur Terres de femmes

Œuvre poétique (note de lecture d’AP)
Cahier jaune et L’Enfer musical (note de lecture d’AP)
El olvido (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
Fiesta (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
Invocations (poème extrait de Les Travaux et les Nuits)
La lumière tombée de la nuit (poème extrait des Aventures perdues)
Les Aventures perdues (extraits)
La parole du désir
Presencia de sombra (extrait de L’Autre Rive)
Quelqu’un tombe dans sa première tombée (extraits de Textes d’Ombre)
25 septembre 1972 | Mort d’Alejandra Pizarnik



■ Voir | écouter aussi ▼

→ (sur Terres de femmes)
7 août 1560 | Naissance d’Erzsébet Báthory (extrait d’À propos de la comtesse sanglante d’Alejandra Pizarnik)
→ (sur le site de France Culture)
Choix de poèmes et d’extraits du Journal d’Alejandra Pizarnik (fiction diffusée la première fois le 19 septembre 2012)
→ (sur Esprits Nomades)
une page sur Alejandra Pizarnik
→ (dans Libération du 13 mai 2010) Pizarnik en son palais des mots, par Philippe Lançon [Document Word]
→ (sur books.google.fr)
Alejandra Pizarnik de Cesar Aira







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Commentaires

  1. Avatar de Pascale Arguedas
    Pascale Arguedas

    Celui-ci aussi, bientôt fini. Sombre et beau.

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