15 mars 1918 | Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit

Éphéméride culturelle à rebours


     Le 15 mars 1918 est achevée d’imprimer, chez Paul Birault, à Paris, l’édition originale du recueil de Pierre Reverdy, Les Ardoises sur le toit. Avec deux dessins hors texte pleine page de Georges Braque.






Georges Braque. Reverdy.2
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FAÇADE


Par la fenêtre
                     La nouvelle
Entre
                 Vous n’êtes pas pressé
Et la voix douce qui t’appelle
Indique où il faut regarder
                  Rappelle-toi
                                            Le jour se lève
                   Les signes que faisait ta main
Derrière un rideau
                                            Le matin
A fait une grimace brève
Le soleil crève sa prunelle
         Nous sommes deux sur le chemin


Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, 1918, in Plupart du temps, I, 1915-1922, Gallimard, Collection Poésie, 1969, page 164.





ORAGE



La fenêtre
                     Un trou vivant où l’éclair bat
Plein d’impatience
                             Le bruit a percé le silence
On ne sait plus si c’est la nuit
                  La maison tremble
Quel mystère
La voix qui chante va se taire
Nous étions plus près
                                            Au-dessous
Celui qui cherche
                   Plus grand que ce qu’il cherche
Et c’est tout
                        Soi
Sous le ciel ouvert
                                      Fendu
Un éclat où le souffle est resté
                                                  Suspendu


Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, 1918, in Plupart du temps, I, 1915-1922, Gallimard, Collection Poésie, 1969, page 188.





Pierre Reverdy sortant du bureau de la revue Minotaure par Brassai (1932)
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La difficulté du soleil

Pierre Reverdy


     « Le poème est une attente, mais « la vie est la seule source ». Il faut écarter scories et gravats, ce que la sensation et la pensée n’ont pas saisi et possédé, comme le battement d’un nœud de sang dans les artères. Vertige de la proximité, intime raccourci. Tout se passe en effet à la surface des choses, dans la rue, sur le toit, contre « la peau de l’homme ». Et à l’instant précis qui nous empoigne et nous rejette. Et qui ne livre jamais quelqu’un ni personne. Mais un fugitif, sans visage et sans nom, dont ne subsistent qu’un geste, un élan, une trace. Cette fenêtre, toujours là, ne découpe de l’autre qu’un profil, perdu, et ne lui donne en pâture qu’une ombre, transparente. Ce qui se passe, à chaque instant, à la fois excède nos limites et ne suffit pas à notre désir. Nous échappe et nous déborde à la fois. En dresser le constat, à tout moment, c’est préciser les traits d’une blessure, la maintenir ouverte, attiser son secret. Le poème est l’accomplissement d’une attente, l’attente d’une attente, ― et son scintillement. Il est toujours le trait sans fin qu’on tire contre le centre vide de la cible. »


Jacques Dupin, « La difficulté du soleil. Pierre Reverdy », M’introduire dans ton histoire, P.O.L, éditeur, 2007, page 42.





■ Pierre Reverdy
sur Terres de femmes

Les Ardoises du toit (deux poèmes extraits du recueil)
Le bonheur des mots
Ciel étoilé (poème extrait des Ardoises du toit)
Heure
Sur la mer le lever du jour (poème extrait de Sources du vent)
11 septembre 1889 | Naissance de Pierre Reverdy (poème + notice bio-bibliographique)
17 juin 1960 | Mort de Pierre Reverdy (poème + notice bio-bibliographique)



■ Voir aussi ▼

→ (sur le site du cipM, centre international de poésie Marseille) la
fiche bio-bibliographique consacrée à Pierre Reverdy
→ la page Pierre Reverdy du blog
La Lucarne




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Commentaires

  1. Avatar de Christiane
    Christiane

    Juan Gris, Braque… les peintres cubistes si proches de ce poète. Comme eux, il annexe l’espace de son poème comme on pose sur une toile les visages éparpillés et simultanés du bonheur et de la solitude.
    Un rideau qui bouge, une ombre qui s’éloigne, un reflet dans une vitre, un souvenir qui vient comme une transparence, un éclat fugitif de soleil, une main qui trace un signe… Il faut relier.
    Pudiquement, il inscrit une douceur teintée de chagrin sur toute chose, sur les blessures de l’absence et de l’attente.

  2. Avatar de Guidu

    Vous dites bien les choses Christiane… vous tutoyez la mélancolie comme une fidèle compagne des poètes… cela a dû vous jouer des tours… même si quand on aime on ne compte pas… dire c’est déjà faire un peu… c’est ce que font les artistes… mais c’est trop peu dans ce monde malheureux… mais heureusement qu’ils existent…

    Amicizia
    Guidu ___

  3. Avatar de Christiane
    Christiane

    La trompette de Miles Davis pourrait être réponse, Guidu, mais je vais essayer avec quelques mots…
    La plus longue partie de la vie, c’est l’attente, épuisante et douce qui nous rend absents au monde, suspendus, enchantés… comme un peu de sable qui fuit entre les doigts, la promesse d’un retour…
    Coïncidence entre cette errance mélancolique et la grâce de ces deux poèmes épurés… fugace effleurement d’une présence… dévoilement pudique et velouté…
    Amitiés
    Christiane

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