1er novembre 1903 | Naissance de Jean Tardieu

Éphéméride culturelle à rebours



Jean Tardieu Guidu
Image, G.AdC







Le 1er novembre 1903 naît Jean Tardieu à Saint-Germain-de-Joux, dans l’Ain, le « pays des fleuves cachés ». Il est le fils de Victor Tardieu, artiste peintre issu d’une famille de soyeux lyonnais, et de Caroline Luigini, harpiste issue d’une famille de musiciens de Modène, élève de Saint-Saëns. Alexandre Luigini, le père de Caroline et le grand-père de Jean Tardieu, a été compositeur et chef d’orchestre à l’Opéra de Lyon avant de devenir directeur de la musique à l’Opéra-Comique.






DISPARUUUUUUU !



Tenez, Monsieur : regardez-moi bien. Vous me voyez encore, vous croyez que je suis Monsieur Untel ? Né à tel endroit ? Qui a tel âge ? Tel métier ? … Eh bien, regardez-moi attentivement, Monsieur : je suis en train de devenir personne, même pas un numéro, une idée, une abstraction, une petite vapeur, un pfouh, un pouh-pouh ! un pfuit ! un zzzzzzz !… J’étais un « individu », un « citoyen », je m’appelais : Monsieur… heu… heu… Ah ! … Monsieur comment ? Comment donc !… […] Vous voyez, je ne peux même plus retrouver mon nom, le nom de ce quidam ! Je, tu, il, moi, lui, vous, untel ! … Oh, oh, c’est le symptôme ! C’est ça ! Voilà la crise ! la crise finale ! Je vais disparaître, je vous le dis, je vais disparaître ! … Je vais dis-pa-raî-tre dans la foule !… Regardez-moi encore une fois : dans un instant, pfuitttt ! … j’aurai disparu dans la foule, entendez-vous ? […] Dis-pa-ru… disparuuuuuuu !…



Jean Tardieu, Poèmes à jouer, 1960, in Œuvres, Éditions Gallimard, Collection Quarto, 2003, page 851.





    En décembre 1927, Jean Tardieu rejoignait son père au Tonkin afin d’y remplir ses obligations militaires. Jean Tardieu écrivit alors son premier texte sur la peinture, « Wang Wei* ou la disparition bienheureuse ».





Wang_wei
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WANG WEI OU LA DISPARITION BIENHEUREUSE



Lorsque au sud de la Chine, sur les pentes des montagnes qui bordent l’antique province du Yunnan, s’avancent les écrans de brouillard où joue et meurt tour à tour le soleil, ta pensée n’est pas loin, ô Wang Wei, voué à l’espace et aux profondeurs qui donnent le vertige.

Près d’ici, sur la plaine des rizières inondées, au-dessus des champs où la maison d’automne laisse à nu la multitude moutonnante des tombeaux, s’érige à contre-jour, sombre et cerné d’un trait d’or, un pagodon dédié au génie du village. Gracile. Immense. Non loin de là se tasse en frissonnant un rideau de bambous.

Toi seul saurais, ô peintre, ennemi de l’Ignorance et de l’Illusion, tracer légèrement, pour fond de cet appui solide, l’insaisissable dégradation des brumes jusqu’aux limites imaginaires de l’horizon, jusqu’aux confins des siècles sans mémoire et de l’azur infini.

Toi seul pourrais d’un pinceau effilé, propre à la fois au dessin et à l’écriture, accompagner jusqu’au seuil bienheureux de l’Exil, l’insensible disparition de tant de lourdeur, de tant de masse et de tant de souffrance, au fond des fluidités, au fond des vapeurs de
ce qui n’est pas.

* Wang Wei, poète et peintre chinois du VIIIe siècle.


Jean Tardieu, Le Fleuve caché, 1928-1933, in Œuvres, Éditions Gallimard, Collection Quarto, 2003, page 74.




JEAN TARDIEU



Jean tardieu 2
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■ Jean Tardieu
sur Terres de femmes


Complainte du verbe être (poème extrait d’Un monde ignoré)
Feindre de fuir…
Le voyage





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Commentaires

  1. Avatar de Christiane
    Christiane

    Pourquoi mes amis accueillent-ils les mêmes poètes, en ce même automne ?
    Quel lieu, quel grand mystère relient, ici,
    Jalel et Angèle
    Michèle et Feuilly …
    jalelelgharbipoesie.blogspot.com (jeudi 16 octobre – Les trains Tardieu)
    J’aime que ce soit la naissance d’un verbe que l’on fête en ce jour des morts…
    « Quel est ce lieu où j’ai vécu ?
    Je ne sais où – c’était un lieu mobile dans le temps – j’ai traversé de grands espaces…
    J’étais dans la clarté, dans les ténèbres. Je marchais. Je voyais. J’entendais. J’interrogeais ce monde inconnu et fragile, traversé de prodiges, de points brillants accrochés au silence, de grondements obscurs…. »
    Jean Tardieu, La Part de l’ombre

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