Jean- Marc Sourdillon / N’est pas là

<<Poésie d'un jour

 

 

 

 

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"  L’un d’eux, leur chef… " 

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                                              X

La voix qui va devant, qui tout ensemble suffit et ne suffit pas,
voix qui donne tout et plus que tout. A la fois ma voix et la voix
d’un autre que moi

Ma voix avec ma vie, ma vie en moi, plus vaste que moi, sa
tessiture, tout son élan

Voix qui ouvre, qui souffre, c’est toi dedans

Voix qui tout à la fois conduit et éconduit

Voix du plus profond de soi, en avant de soi, étrave et geste du
doigt

Voix quia douceur dit non, avec ardeur dit oui, dont le non
mène au oui

Voix amoureuse dans le fond de ma nuit

Quand la pureté se fait déchirante et dans la nuit jour, quand la
voix se fait innocente et en même temps incompréhensiblement
violente, cri qu’un appel surmonte

Voix de tout ce qui en soi appelle, et hors de soi ; de tout ce qui en
soi répond. Et n’est pas soi

Voix où j’aspire dans le même temps que j’expire, où suivant ma
vie j’adviens me traverse. Le visage et sa surprise

 

 

                                            10

Un jour,    tu avais six ans,      des hommes en armes ont encer-
clé ta maison,    celle où tu vivais avec les tiens, sœur, parents,
grands-parents,    en Corrèze,    loin de chez vous,     pour vous
protéger.    Ces hommes  ne nous voulaient pas    du bien.    Ils
portaient l’uniforme des occupants,    de ceux    qui vous  pour-
suivaient sans répit     et voulaient    votre disparition.       L’un
d’eux, leur chef, est entré dans la cuisine où tu dessinais. C’est
tout ce que tu avais trouvé     pour écarter   le danger : dessiner
des chevaux,  des cavaliers, des danseuses, des amoureuses, ce
qu’il y avait    dans ta vision d’enfant.   Il s’est approché de toi,
la lumière    passait à travers la fenêtre    et tu n’as pas  bien vu
son visage sous la visière. Il t’a prise sur ses genoux, a regardé
tes dessins, a pensé    à sa fille    qui avait ton âge   et dessinait
là-bas elle aussi à Berlin,    et ils sont repartis,      vous laissant
saufs et sans voix.  Tu les avais chassés, peut-être convertis, tu
savais désormais  quelle force il y a dans ceci : être vulnérable
et continuer à rêver,    ne pas cesser    de rêver,   laisser agir en
soi par la blessure   ouverte le souffle    qui nous ouvre et nous
porte, qui passe   à travers nous    et se poursuit   d’être en être
tant que nous serons vivants,   tant que nous serons   blessés et
ouverts,   jusqu’à ce qu’il nous ait tous    fait naître, chacun de
nous,    intégralement,    jusqu’à ce qu’il nous ait   transformés
et offerts.

De là vient    la voix qu’on entend en soi    et hors de soi, de là
vient la voix qu’on entend dans le poème.

 

SOURDILLON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Marc Sourdillon, « L'Aspiration » in N'est pas là, Poésie, Éditions Gallimard 2025, pp.77, 78, 79, 80.

 

 

SOURDILLON-Jean-Marc

 

 

♦ Voir  aussi, Jean-Marc Sourdillon  sur→ TdF 

 

 

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