Martine Broda | L’aura



«Le lyrisme, même le plus moderne, est l'ultime refuge de l'aura.» - Clara-Clara, sculpture de Richard Serra au jardin des Tuileries, mars 2009
Clara-Clara,
sculpture de Richard Serra au jardin des Tuileries, mars 2009

Ph., G.AdC







LAURA | L’AURA


     « L’aura : l’être-à-la-mort éblouissant. Tissée par le temporel, elle est, mortelle, l’évanescence de la beauté et son voile, la dignité de la chose éphémère, l’éclat de la sublimité. Ou encore, la splendeur de notre condition, puisqu’être, irrévocablement, de cette terre est, en dépit de tout, splendide, comme le disait Rilke. L’homme a éternellement besoin d’aura, et si on persiste à la lui refuser, il y a danger de régression à toutes les formes du sacré même religieux, avec son cortège d’intolérances, à la valeur cultuelle de l’œuvre inaccessible et unique, reflet de l’inaccessibilité et de l’unicité du dieu. À la sauvagerie du mythe.
     À l’égal, peut-être, de la photographie, qui donne de l’être au passé, confrontant le temps fragile à l’éternité qui le ruine, le lyrisme, même le plus moderne, est l’ultime refuge de l’aura. Puisqu’il n’a d’autre fonction que de la capturer, en fixant avec des mots ses instantanés, ici et maintenant, les moments épiphaniques, même sans resacraliser. Ce qui est absolument, tragiquement moderne, c’est que l’aura ne brille jamais mieux que sur le fond de son déclin, et que l’illumination qui nous reste, déchirante et brève, est profane. En dépit des atrocités du monde moderne, le lyrisme illumine nos dernières raisons de vivre ― comme l’amour.


Martine Broda, « Lyrisme et aura » in L’Amour du nom, Essai sur le lyrisme et la lyrique amoureuse, José Corti, 1997, pp. 245-246.





■ Martine Broda
sur Terres de femmes

[j’ai mal aux mots] (extrait de Grand Jour)
à tant marcher vers la lumière (autre extrait de Grand Jour)
23 avril 2009 | Mort de Martine Broda (+ extrait de Lettre d’amour)



■ Voir aussi ▼

→ (sur Mediapart)
Un anniversaire en tête, Martine Broda, par Anne Guérin-Castell (20 mai 2011)
→ (sur Le Nouveau Recueil)
un dossier Martine Broda mis en ligne en avril-mai 2013
→ (sur le site du Printemps des poètes)
une fiche consacrée à Martine Broda





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Commentaires

  1. Avatar de Ecorce
    Ecorce

    Très bel extrait qui permet de faire sentir un autre plan de l’oeuvre tissée de Martine Broda. Au delà de ses poèmes, traductions, sa part d’analyse réflexive en déroulement, entre phénoménologie de la perception et acuité trouble dans le gouffre de l’esthesis.
    Je voulais chercher un extrait de son recueil de poèmes (Grand Jour publié aux éditions Belin en 1994), non disponible. Je ne le trouve plus dans mon désordre/ordre de ma bibliothèque du vivant…
    Merci à vous.
    E.S.

  2. Avatar de marguerite
    marguerite

    au revoir à une amie, vrai génie de sa génération, dont heureusement il reste les écrits.

  3. Avatar de Miguel Veyrat
    Miguel Veyrat

    Bonjour. Ma tristesse est la vôtre. Je suis le traducteur et introducteur en langue espagnole de la « très grande dame » Martine Broda: El amor al nombre (Losada, Madrid-Buenos Aires, 2006) Deslumbramientos (Linteo, 2009). Poète moi-même je vous offre ici le poème inédit qui paraîtra sur mon prochain livre Vida en las cosas. Désolé, la traduction n’est pas encore available.
    Signé, Miguel Veyrat.
    Elegía en Tholos
    Mas si creemos que nuestro único sujeto
    es el deseo y al mismo tiempo
    nuestra esencia, queremos ser el objeto perdido
    y olvidar todo lenguaje —dormir
    en la colina. Dormir junto a las cosas enterradas
    bajo nubes de leche negra. Disfrazados
    de chopos y cantuesos, dormir en la colina
    con las zarzas, jaras y sarmientos que un día fueron
    sujetos abrasados. Y también con los muertos
    de angustia o de una borrachera. Dormir
    bajo la arena junto a la flor de Olmedo
    o de Bagdad, crucificados de noche por el odio
    o el amor que suponen estar vivo. Dormir
    en la colina de Spoon River, tras un mausoleo
    de Montparnasse, bajo el manzano
    de un huerto o en una sima del mar. Ser
    para siempre un ser, aunque muerto
    deslumbrante de deseo y conseguir que dure
    al menos el tiempo de regreso hasta el chispazo
    inicial —y sofocarlo en la culpa de un nombre
    perdido una mala madrugada. Sólo
    un gesto. Y dormir para siempre de la mano
    de nadie —como duerme Martine Broda
    con su enjuto cuerpo entregado en la ofrenda ritual
    a sus amantes lares, Celan Jouve Juarroz
    y Lacan. Todos duermen ahora en la colina de Tholos.
    Y nosotros también muertos con ella,
    cosas húmedas entre la seca arena —este silencio.

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