Confins d’empire

Le billet de Nestor

Le billet hebdomadaire de Nestor (10)


sachant que tu as troqué cette fois-ci, peut-être pour la toute première fois, [...] les refuges pour une demeure...
Ph., G.AdC





CONFINS D’EMPIRE



SEVENTIES




* Tu dormais impérieusement, la houle à ton flanc, dans l’apparence lacérée. Ta paume, ouverte à cette intimité où vacille le sable, semblait attendre.
J’enviais ton achèvement, ton autonomie, cette intransigeance qui déjà te mettait loin, le dehors où je me cogne à tes plaies, à l’heure close, à tout…
Car si tu souriais, c’était à la solitude de ton rite, à rien d’autre, pas même aux sévices du voyage, à celle qui te traverse, que tu rachètes, presque, d’être seul en elle.
Combien de fois, pourtant, ai-je respiré la fissure, entrevu la dérive, dans la lumière de cuivre brûlé, accrue obstinément, et pauvre, où nulle demeure n’osait te rejoindre ?
Combien de fois me suis-je couché là moi aussi, sans partage ni dégoût, à espérer la fin des simulacres, du mouvement qui mutile, des dispersions sans lieu ?
Mais aujourd’hui, trop tard venu, ou trop tôt – à tant me perdre dans d’autres inexorables fêtes – j’ai accepté d’être là, là où indéfiniment, je te regarde, et t’envie…
Je ne sais toujours pas lequel de nous a frôlé la loi, s’est joué de la nuit, s’est reconnu dans sa morsure…
Car tout est sans détours dans l’inondation muette qui à l’orée de moi, insensée, me lie au risque de t’aborder de face, où le bris sans fin se remplit, où je te ressemble, oui, te ressemble.



* Ton heure de vol
Par-delà la chaleur béante
Des villes

         Cette guerre que tu arraches
         Comme une arcade de doigts noyés

         Pour voir la moitié sûre



      SUTURES


    * Bien avant la distance et le repli, quelque chose qui aurait pu être la vie guettait
    pour toi : des voyages, une maladie secrète et presque oubliée, des ébauches, des refus,
    des projets…
           Lentes bouteilles, lourdes mers, miroirs enfin face à face coagulant les reflets
    comme pour eux seuls, grand saule près du clos ne rassemblant que ce qui EST pour peu
    à peu l’affermir, heure d’à côté, refuge où de toi tout se joue, la frêle clef qu’un geste
    ou un saut donneraient, les soutes, les venins, les tourments, la ferme corruption
    que tu nommas mémoire et qui te fit combler, à force de maux, l’abîme vivace…



    * Tu aimes te souvenir des choses autant que les vivre, les vivre comme en sachant
    qu’elles ne sont jamais perdues, comme si les morts pouvaient arrêter un autre temps que le leur…


    * Dans la nuit qui couve, par ces rues disjointes, siamoises, incernables, que ceux
    qui furent un et qui s’éloignent jamais n’éprouvent cet effacement comme la
    blessure qu’ils se seraient infligés l’un à l’autre…


    * Ô silence des longs navires sans pavois, des cartes où seul demeure ton lent
    voyage à contre-mort…
    Je sais que cela t’attristait de te sentir en marge, de regarder tous ces gens du
    dehors, en patient, obscur entomologue. Mais qu’y faire, c’est toujours la même
    chose, tu as même fini par apprivoiser cette aptitude de ne jamais te compromettre
    jusqu’au fond en quoi que ce soit. Du moins jusqu’à hier…
    Comment puis-je te faire offense en affirmant ou en niant, alors que j’ignore quand
    et comment tu l’as décidé : pourquoi pas dès l’enfance ? Au nom de ces liens que
    années ne parvinrent ni à rompre ni à éclairer, du limpide besoin de parcours éclos
    en ces lointains printemps, je consens enfin à la gaucherie des rumeurs, au vil
    effondrement des preuves, à tant de déserts lucides, sachant que tu as troqué cette
    fois-ci, peut-être pour la toute première fois, les ruissellements pour un seuil, les
    envols pour un mot qui ne soit pas de passe, les refuges pour une demeure…


    * Comme tu les envies, lapidaires, comme indifférentes à ce qui n’est pas la substance
     des choses, hors, non pas du Temps, mais des temps privés et contingents… Ainsi
    de la littérature, de ce fleuve emportant les fléaux et les voix qui l’ourdissent, dont
    la tienne si tant est que, sans exhibition, il en est une que tu reconnaisses telle…
    Une sorte de classicisme si tu osais, non pas nouveau car rien ne l’est vraiment, mais
    charriant l’écho des singuliers et inclassables de toute époque, relevé par tant de noms
    incommensurables, tel celui de l’aveugle qui aurait moqué le terme sans le renier…


    * Pourquoi le sujet aurait-il à se nommer et à se dire autrement qu’à sa façon,
    brouillant les pistes, effaçant les traces, changeant les poteaux indicateurs,
    laissant le chasseur à ses doutes et son néant, en ces forêts sans recours, en cet
    enfer qui, étant de tous, n’est plus rien ni à personne…


    * Qui n’est pas avec toi, dans ta séparation et dans ta nuit, ne t’est rien.



André Rougier
D.R. Texte André Rougier



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Commentaires

  1. Avatar de Christiane
    Christiane

    Je ne cherche plus à comprendre les « billets de Nestor », je me coule dans la musique de cette écriture et suis son mouvement ample, sa respiration, sa fluidité. Nomade il est, nomade il nous fait. Caravane dodelinante, sensations amorties d’ondulations de sable, mirages, fugue. Monde fragile des roses des sables, horizon intérieur. De ses failles et ébranlements du langage à nos failles, le Simoun efface les traces et nous trouble. Trouverons-nous le passage ? Douceur et dissolution…

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