Jacques Ancet | Je reviens

« Poésie d’un jour »


C'est un ordre que je cherche, un fil pour réunir tous ces éclats épars
Ph., G.AdC






JE REVIENS


Je reviens, mais qui revient dans ce revenir, les portes se ferment, les crépuscules ressemblent aux aurores & qu’est-ce que je cherche à dire de ce dire impossible

dans ce souffle qui me traverse, m’ôtant les mots de la bouche, me les dictant, & ce qui parle en moi, ça n’est pas moi

c’est la voix sans voix, & je voudrais l’entendre, & je n’entends que le silence têtu qu’il en reste, cette sorte de stupeur

comme une réponse avant la question, comme des mots articulés avant que je les prononce & qui m’emportent dans leur désordre refusé

car c’est un ordre que je cherche, un fil pour réunir tous ces éclats épars, quelque chose où je me reconnaîtrais mais comment me reconnaître dans ces vagues une à une poussées par quel vent, quel obscur courant &  je veux me taire et leur écume vient me blanchir la bouche

je dégorge, oui, je dégorge, chêne visage tank clôture araignée sirènes avenues nébuleuses éponge silo journal primevère tour à genoux tarmac nombril muraille cellule volcan

je vois ce que j’entends, le langage est mes yeux, je serre les dents, je dis trop, arrêtez, mais je continue, je laisse filer muraille volcan abysses fourmi

je suis une énumération muette & son grouillement de syllabes, je bafouille, des cris me déchirent, je fouille une décharge de mots usés, de bribes de phrases que je ne comprends plus

de mes yeux sortent des soleils & des nuits, de ma bouche des vols serrés d’oies sauvages, mes doigts touchent un horizon de flammes, mes pieds pataugent dans le sang

je suis trop loin pour moi, je me défais, je me dilue, ma parole est un fleuve sale où moussent les rhétoriques, où s’effilochent les taches huileuses de proses filandreuses, les poèmes morts ventre en l’air, une pollution de discours, une entropie de langues tournoyantes


Jacques Ancet, Ode au recommencement (extrait), Autre Sud, Cahiers trimestriels, n° 47, décembre 2009, pp. 18-19.




JACQUES ANCET


Jacques Ancet
Source




■ Jacques Ancet
sur Terres de femmes


[Le chant du même oiseau n’a pas cessé de me poursuivre] (extrait de Huit fois le jour)
Dans l’indéfini (extrait de Chronique d’un égarement)
L’égarement
L’identité obscure (extrait du chant 9 de L’Identité obscure)
[Je cherche] (extrait de L’Âge du fragment)
Image et récit de l’arbre et des saisons (lecture d’AP)
[On dit quelqu’un] (extrait des Travaux de l’infime)
On voit toujours (extrait de Puesto que él es este silencio)
Oublier l’heure (extrait de Chronique d’un égarement)
L’âge du fragment (extrait de La Vie, malgré)
[Mais c’est parce qu’il est tard] (extrait de Voir venir Laisser dire)
14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
10 décembre 2001 | Jacques Ancet, Un morceau de lumière
4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]




■ Voir aussi ▼


→ (sur Esprits Nomades)
une page Jacques Ancet
Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet



Retour au répertoire du numéro de mai 2010
Retour à l’ index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes

Commentaires

  1. Avatar de christiane
    christiane

    Sans le numéro 37 de la revue NU(e), sans Terres de femmes et sans la page si riche d’Esprits nomades, j’aurais pu continuer mon chemin sans connaître l’écriture et l’humaine présence de Jacques Ancet.
    De tous ces textes qui nous parlent de lui, je retiens, dans celui d’Yves Charnet (« Brûlure du réel perdu : l’expérience Ancet »), ces quelques lignes, p. 109 (revue NU(e)):
    « De cette oeuvre je dois à la loyauté de dire que je ne sais comment en parler. Les poèmes de Jacques Ancet – certains ont le pouvoir de me bouleverser au plus profond de mon être – font partie de ceux qui me laissent muets. Qui provoquent en moi cette commotion sidérée, cette stupéfaction radieuse sans lesquelles il n’est peut-être pas d’émotion poétique authentique. Pas de ravissement véritable. Comme ceux de Pierre Reverdy et d’André du Bouchet, les poèmes de Jacques Ancet me hantent et me fuient du même mouvement. Je les relis périodiquement. De plus en plus souvent au fur et à mesure que, dans ma vie, les années passent. Comme le vent. Je les relis à voix haute. La plupart du temps en marchant […] Je participe à cette lecture de tout mon corps. Par le plus incarné de ma pensée. Le plus charnel de ma compréhension […] Je deviens les mots que je lis. Ils deviennent la chair de ma pensée. Le monde s’élargit. S’éclaircit… »

  2. Avatar de Mathilde
    Mathilde

    Pour moi également, Jacques Ancet est une découverte récente et j’apprivoise doucement : « Ces poèmes qui sont la cendre encore chaude d’une incandescence minuscule et fabuleuse. Quand dire c’est vivre » (Yves Charnet, pour Corps et pensée)
    J’ai commandé ce numéro d’Autre Sud qui se glissera dans ma boite aux lettres ce midi, peut-être.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *