Gérard Cartier, Tristran

Chroniques de femmes – EDITO/SOMMAIRE

Gérard Cartier, Tristran,
éditions Obsidiane, 1er trimestre 2010


PORTRAIT DE GERARD CARTIER
Image, G.AdC






UN RÉCIT SAUVAGE TRACÉ À LA POINTE SÈCHE

Lecture de Nathalie Riera

«… la nécessité d’une poésie (…) à savoir un état fidèle à l’impact de la réalité extérieure et sensible aux lois intérieures du poète. »

Seamus Heaney (Discours du Nobel, éditions La Part Commune, 2003, page 53)

    Après de nombreux livres de poésie, dont Le Petit Séminaire (Poésie/Flammarion, 2008), Gérard Cartier fait paraître Tristran, un nouveau recueil publié aux éditions Obsidiane.

    Tout au long de ce récit sauvage tracé à la pointe sèche, le poète nous met en garde : On ne doit pas/des passions/faire littérature. Le projet poétique de Gérard Cartier : tenir un chemin d’écriture où, comme le « poète de l’Ulster » et ami Seamus Heaney, croire en la poésie, non pour se détourner de la violence du monde, mais parce qu’on doit croire en elle à notre époque et en toute époque, en raison de sa fidélité à la vie.

    Retrouver dans le poème le viatique de la langue, quand la langue est substance de la pensée, la seule chose qui peut encore demeurer au cœur de l’aube ravagée et ses rhapsodes meurtris. Le livre devient alors un jardin de célébration aux vertus primitives. Le livre est voyage, quand il revient au poète de célébrer les noms sortis de la mémoire : nom puissant que celui de Tristran, et le chant léger de deux voyelles que celui d’Ysé. Reconvoquer l’origine du conte celtique, depuis un néant de tourbe et de brume. Lettres effacées, pages maculées, début arraché, le poète est habité de l’éclat et de l’écharde. Dès le commencement du récit, en l’été d’un autre siècle, le corps du poète est le corps du livre, où il n’est pas seulement question de pages et de mots, mais d’argile et de chair tremblantes.

    À ma naissance/Un ange amer a présidé.

    Écrire Tristran dans la joie déchirante, sans la promesse d’un soulagement. La lumière n’a pas le pouvoir de la fulmination, sans secours dans un monde de tombeaux et de stèles. L’amour une faute et un châtiment… Mais rien ne sépare les amants, leur folle passion aux lettres immortelles… ils célèbrent/Dans l’indigence leur épiphanie. Toujours ce qu’il reste de feu contre le froid de l’épreuve, et ce que l’on peut percevoir de floraisons futures.

     Embrasser la faute, la chérir. Toute la force de ce recueil : laisser/Aux amants des siècles futurs une louange sans flétrissure. L’écriture est longue pérégrination. Tristran est l’hiver du poète, un climat de lecture qui met le lecteur à l’épreuve : ce qui descend vers les tombes profondes, ce qui remonte vers les roses éclatantes. Calligraphie des métamorphoses, bibliothèque des formes et des couleurs, sous le ciel des amants périssent les palabres, les éblouissances du langage. Ne demeurent que les herbes les plus pauvres.

    Ils s’aiment, c’est-à-dire, rien à vaincre mais tout à surmonter. Chante le monde à l’Ange écrit R.M. Rilke, et dans Le Livre d’Heures : On sent l’éclat d’une nouvelle page/où tout encore peut devenir.

Ils se sont tus dans un hoquet                      et le chagrin nous saisit                      à genoux dans un marais acide               qui dissout les passions                 et conserve les corps                 pour l’édification                 des générations à venir              tourbe épaisse où tout revient                                     et le poison qui coulait dans leurs veines
              passe aux fleurs éclatantes                     aux épines                     aspiré par les racines noires                           colorant les baies des fossés                              les mousses
             et les pierres…


(Gérard Cartier, Tristran, extrait de la séquence 5 – La mort – .VII, page 113)


Nathalie Riera
D.R. Texte Nathalie Riera, avril 2010





    Gérard Cartier est ingénieur (le tunnel sous la Manche, le Lyon-Turin) et poète. Ses premiers livres tirent leur motif de l’Histoire : la déportation de Robert Desnos (Alecto !, Obsidiane, 1994) et la résistance en Vercors (Introduction au désert, Obsidiane, 1996 ; Le Désert et le Monde, Flammarion, 1997 – Prix Tristan-Tzara). Ses recueils récents composent une autobiographie fantasque (Méridien de Greenwich, Obsidiane, 2000 – Prix Max Jacob), imaginaire (Le Hasard, Obsidiane, 2004) ou peut-être véritable (Le Petit Séminaire, Flammarion, 2008).
     Gérard Cartier a traduit le poète irlandais Seamus Heaney (La Lanterne de l’aubépine, Le Temps des Cerises, 1996). Il est par ailleurs, avec Francis Combes, l’initiateur de l’affichage de poèmes dans le métro parisien qui se poursuit depuis 1993.





■ Gérard Cartier
sur Terres de femmes

.La duplicité. (poème extrait des Métamorphoses)
Les Métamorphoses (lecture de Maëlle Levacher)
Le philtre (extrait de Tristran)
Tristran (lecture de Nathalie Riera)
[Terra nullius] (extrait de L’Ultime Thulé)
Le Voyage de Bougainville (lecture d’AP)
.Par moi on va dans la cité dolente… (poème extrait du Voyage de Bougainville)
Le Voyage de Bougainville (lecture de Marie-Claire Bancquart)
Le philtre (extrait de Tristran)



■ Voir | écouter aussi ▼

→ (dans la sonothèque de la revue Secousse)
des extraits d’une première version du Voyage de Bougainville, lus par l’auteur



■ Nathalie Riera
sur Terres de femmes

Là où fleurs où flèches
page aphone où tout est voix (anthologie poétique de Terres de femmes)
Carnet de campagne II (extrait de Puisque beauté il y a)


■ Voir aussi ▼

Les Carnets d’Eucharis (le site de Nathalie Riera)



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