Jacques Ancet | Dans l’indéfini

« Poésie d’un jour »



Fils d'un indicible désir3
D.R. Ph. angèlepaoli







DANS L’INDÉFINI (extrait)



     Je regarde mes mains comme si elles ne m’appartenaient pas. Peut-être d’ailleurs ne m’appartiennent-elles pas comme ne m’appartiennent ni mon nom ni mon visage. Je lève les yeux. Sur la fenêtre le bulldozer s’est arrêté comme pris dans un silence de fin du monde.

    Une vague invisible, mais je la vois. Elle est là, sous le scintillement de l’herbe, le balancement des feuilles, dans la danse immobile de la montagne, la transparence du bleu, l’attente d’un jour où rien ne se passe que ce qui passe. Une sorte de soulèvement vide où tout s’arrête, remuements, tournoiements, tous les mouvements, les gestes, la vitesse, la lenteur, grouillements, précipitations sans fin, comme une cataracte inverse où tout, un instant, reste dans un suspens, dans l’illusion d’un temps si vaste qu’on pourrait croire y entrer. Trous noirs, naines blanches et géantes rouges, quasars, synapses, cellules, molécules, électrons, bribes, flux et reflux, infimes éclats d’une éternelle métamorphose. Mais — table, vitre, ciel ou clôture — j’y suis, et c’est pourquoi — citrons, lampe, chêne — je suis perdu.

    Le temps dessine ses images. Entre clôture et ciel s’ouvre le vert d’un pré qu’on ne reconnaît pas. Si je pouvais, comme un oiseau rapide, je traverserais l’espace d’un seul battement d’aile vers l’obscure lisière de la montagne. Seul le regard m’y conduit, en revient, tissant du corps au jour les fils d’un indicible désir.


Jacques Ancet, Chronique d’un égarement, Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 Yeux, Castellare-di-Casinca (Haute-Corse), 2011, pp. 93-94.




JACQUES ANCET


Jacques Ancet
Source




■ Jacques Ancet
sur Terres de femmes


[Le chant du même oiseau n’a pas cessé de me poursuivre] (extrait de Huit fois le jour)
L’égarement
L’identité obscure (extrait du chant 9 de L’Identité obscure)
[Je cherche] (extrait de L’Âge du fragment)
Image et récit de l’arbre et des saisons (lecture d’AP)
Je reviens
[On dit quelqu’un] (extrait des Travaux de l’infime)
On voit toujours (extrait de Puesto que él es este silencio)
Oublier l’heure (extrait de Chronique d’un égarement)
L’âge du fragment (extrait de La Vie, malgré)
[Mais c’est parce qu’il est tard] (extrait de Voir venir Laisser dire)
14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
10 décembre 2001 | Jacques Ancet, Un morceau de lumière
4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]




■ Voir aussi ▼


→ (sur Esprits Nomades)
une page Jacques Ancet
Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet



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