Sylvie-E. Saliceti | Les pierres sauvages

« Poésie d’un jour »



Après la falaise 5
Ph. angèlepaoli








LES PIERRES SAUVAGES (extrait)



I


Près des pierres sauvages le temps, visage entre les mains,
Fermait les yeux
Puis son mendiant au souffle riche



II

Au pied de la façade romane
Les corps impatients brûlaient
Pierres indomptées, fauves d’onyx et de jaspe
Debout contre la muraille à vif
Corps lourds, immobiles, à vif
Lenteur d’un caracal de Barbarie
Ventre qui tremble contre ventre qui tremble
Fossiles enchâssés sous le grain du mur
Te souviens-tu
De cet instant où les yeux disent aux lèvres qu’ils vont inventer et défaire ?



III

Aux pierres sauvages s’est scarifiée l’écorce de la roche grise, turquoise sanguine, en creux dans le fourneau de la panthère, du jaguar aux écailles rousses. Le long du chemin gît la mue du serpent, abandonnée parmi les ombres du marbre et les cailloux de sang



IV

Aux pierres sauvages… il y a ta peau douce enrochée sous le vent étésien, seul lieu jamais où je m’établirai, mordrai, implorant que le ciseau au moins fende nos bouches comme une seule



V

Façade nue, dure, tendre, mouvance du récif, veinure de la vague,
écorche
Écorche les griffes rugissantes du vent, cloue L’Harmattan dans la montagne jusqu’à ce qu’elle coule de la langueur des lents rubans de lave le long des pentes du Vesuvio



VI

Aux pierres sauvages
L’écho
Le silence, silence



VII

Dans le haut du ciel s’est creusée une vallée où s’assoiffent deux torrents libres qu’un cri de hyène secoue si d’aventure quelqu’un cherche à les séparer. Il y a les mains de l’Hurricane qui ne se rendront pas, ni à la nuit, ni à son étoile, à personne jamais, ni même au roc qui nous pétrifie dit-on quand vient l’éternité



VIII

Cramoisi le fronton de l’abbaye, cramé d’humanité entre la cendre et l’or, clocher foudroyé à la proue encapée sur l’écume lapis, fendant les ambres crépusculaires
Qu’y a-t-il à Boscodon ?



IX

Aux pierres sauvages
Il y a les corps farouches, toujours à bout de caresses, muscles saillants, luisants des chevaux crinière rubis, les tarpans, les bisons qui se flairent, se tournent autour



X

Quel est le nom de la terre où les pierres baladent leurs velours félins, se roulent dans l’herbe fraîche, se battent comme les lynx des sables ?



XI

L’origine coulerait-elle dans une prairie d’émeraude plutôt qu’entre-les-fleuves, vers l’Orient où le soleil et le rien se lèvent au creux des reins du Tigre et de l’Euphrate… ?



XII

Où est le lit de la rivière, sa gorge, sa bouche, la chair chaude enveloppant l’obsidienne blanche ? Je veux la vague d’albâtre léchant les pieds du monastère des contreforts alpins avant d’accoucher, je veux le ventre rouge de la colline, je veux la source du trouble



XIII

Après la falaise
Il y a le désert
Enfin la plaine… la plaine…


[…]




Sylvie Saliceti, Les pierres sauvages in Phœnix, cahiers littéraires internationaux, n° 3, « Partage des voix », juillet 2011, pp. 66-67.






SYLVIE-E. SALICETI





■ Sylvie-E. Saliceti
sur Terres de femmes

Le batelier
[Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
Couteau de lumière (lecture d’AP)
Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
La danse de Sakuntala
[Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
→ (dans l’anthologie Terres de femmes)
La grenade
Pépé l’Anguille de Sebastianu Dalzeto (café littéraire à Aix-en-Provence)
Un chemin voilà tout (Chronique de Sylvie E. Saliceti sur Marguerite Porete)





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Commentaires

  1. Avatar de christiane
    christiane

    Près d’un lac, dans les Hautes-Alpes, un lieu d’une beauté muette : Boscodon. C’est dans cette lumière frémissante que la mémoire éblouie de Sylvie Saliceti s’abandonne au mouvement de feu d’une écriture. Chant majestueux. Quête spirituelle et sensuelle étourdie d’été. Mots répandus dans le vent, les deux torrents, les forêts. Pulvérisés dans la douceur d’un paysage originel.
    J’en retiens la plénitude, les ondoiements insaisissables. Bloc de lumière très pure. Ecriture intense, fracassée née de l’autre côté du silence, instinctive, déchirante mais aussi palpitante d’une joie vertigineuse, celle de la nomination amoureuse du monde.

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