8 septembre 1898 | Lettre de Pierre Louÿs à Georges Louis

Éphéméride culturelle à rebours





Marie de Régnier
Jean-Louis Forain, Madame Henri de Régnier

[Marie de Régnier], 1907

Craie, fusain et sépia sur papier gris, 35,5 x 28,5 cm

Paris, Musée Carnavalet, D 14629

Source :

Marie de Régnier, Muse et poète de la Belle Époque

(Catalogue de la BnF, 2004, page 36)







    Jeudi [8 septembre 1898]


     C’est un fils *.
    Et c’est le mien, tu sais, je n’ai pas de doute. Je ne l’ai pas vu, mais je sais déjà qu’il a une tête « énorme et longue ». Tu me connais et tu connais Stick [Régnier]. C’est un signe frappant que cette conformation de tête.
    La pauvre Mouche [Marie de Régnier] aurait sans doute mieux aimé une autre sorte de ressemblance, car, à cause de cela, on l’a accouchée avec des fers, la malheureuse. Je l’ai appris par la concierge, ce matin, et j’avais de tels battements de cœur en montant l’escalier que je me suis arrêté cinq minutes devant la porte, pour ne pas avoir l’air trop ému en entrant. — Mais on m’a dit qu’elle allait bien. Le chloroforme a parfaitement réussi. On ne craint aucune complication.
    Tu devines qu’Agenda [Heredia] a dû dire un mot typique en contemplant son petit-fils : « Il a vraiment un beau torse ! » — le plus sérieusement du monde.
    C’est bien lui, n’est-ce pas ?
    En rentrant, j’ai trouvé un petit bleu qu’il venait de m’envoyer : « Cher ami, Tigre est né à deux heures du matin avec les fers. Il est très gros, vigoureux et très laid. Etc. etc. » —
    Enfin, puisqu’il a un « beau torse », ce petit, c’est déjà très bien, pour son âge.
    Je suis un peu triste de ne pas t’avoir à moi ; mais n’importe, voilà une histoire qui pouvait finir plus mal. Sans doute tout est pour le mieux.
    Je t’embrasse plusieurs fois.

Pierre.



Jean-Paul Goujon, Dossier secret Pierre Louÿs-Marie de Régnier, Christian Bourgois Éditeur, 2002, page 62.



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* Note d’AP : Georges Louis est le frère de Pierre Louÿs. Pierre de Régnier, dit Tigre, est né le 8 septembre 1898. Sur la demande d’Henri de Régnier, la déclaration de naissance a été faite par Pierre Louÿs. Sur l’acte de naissance, Pierre Louÿs figure donc en qualité de témoin. Pour information, l’adaptation musicale par Claude Debussy de trois des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs (La flûte de Pan, La chevelure, Le tombeau des naïades) a été réalisée entre mai 1897 et mars 1898.






Jean-Paul Goujon
Illustration de couverture :
Marie de Régnier chez elle
par Pierre Louÿs, 1898.





■ Pierre Louÿs
sur Terres de femmes

Quelle île nous conçut… (extrait de Pervigilium Mortis)
11 mars 1888 | Pierre Louÿs, Mon Journal
21 avril 1888 | Pierre Louÿs, Mon Journal
5 mai 1888 | Pierre Louÿs, Mon Journal



■ Voir aussi ▼

→ (sur Terres de femmes)
20 décembre 1875 | Naissance de Marie de Régnier
→ (sur Terres de femmes)
12 mars 1936 | Maggie Teyte enregistre les Chansons de Bilitis de Debussy





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Commentaires

  1. Avatar de christiane
    christiane

    C’est bien de lire cette lettre en écoutant les trois chansons de Bilitis. C’est une belle et triste histoire. Deux amis Pierre Louÿs et Henri de Régnier aiment la belle Marie – fille de José de Hérédia-. Un pacte d’amitié sera trahi quand H de R, doublant son ami, demandera la main de Marie en promettant de rembourser les dettes de sa famille. Pacte d’amitié rompu. Marie et Pierre entretiendront une liaison secrète. Grand amour passionné, charnel. L’enfant, nommé Pierre (Le « Tigre »), naîtra de ces liens mystérieux. Officiellement Pierre sera le parrain…
    Une femme, deux amoureux, un seul mariage, des amours secrètes… cet enfant.
    Parfois la vie sépare deux amis pour l’amour d’une femme…

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