Jean Daive | [Le monde est maintenant visible]

« Poésie d’un jour »



Je compte les mâts penchés près du rivage.
Ph., G.AdC






[LE MONDE EST MAINTENANT VISIBLE]



Le monde est maintenant visible
entre mers et montagnes.


Je marche entre les transparences
parmi les années
les fantômes
et le matricule de chacun.


Les pierres
les herbes sont enchantées.


Tout se couvre
jusqu’au néant
de pétroglyphes.


Je compte les mâts
penchés près du rivage.


À perte de vue, la prairie des cormorans
car chaque maison est un navire
qui se balance.


Plutôt le crime ou plutôt
la mort des amants ou
plutôt l’inceste du frère
et de la sœur ou ―


je prends le temps
de manger une orange.


Dans ces moitiés d’assiettes et
autres fragments trouvés
avec pierres taillées, dessinées ou peintes
masse de cailloux, graviers avec sable
mesurent un site
une ville que j’explore
avec l’énergie d’un oiseau.





Jean Daive, L’Énonciateur des extrêmes, Nous, 2012, pp. 39-40.






Daive, L'Enonciateur des extrêmes





    NOTE : dans L’Énonciateur des extrêmes, Jean Daive aborde la question de la grande amitié qui lia les deux poètes américains Charles Olson (1910-1970) et Robert Creeley (1926-2005), dans ce qu’elle pouvait avoir d’éclairée, d’énigmatique et/ou d’éphémère. Une amitié qui donna lieu à une riche correspondance, depuis lors éditée en 10 volumes. Dans cet ouvrage, Jean Daive tente de tramer un contrepoint les sujets qui préoccupent le plus les deux amis — la civilisation de l’Indien pour le premier, la civilisation de l’animal pour le second.
    Quant au terme énonciateur utilisé dans le titre, il s’agit d’un hapax que Jean Daive a retrouvé dans un hommage posthume que rendit Mallarmé à son ami Villiers de l’Isle-Adam, une conférence prononcée en février-mars 1890 dans laquelle Mallarmé qualifie son ami d’énonciateur de merveilleux discours.
    Une première version de L’Énonciateur des extrêmes a paru dans le CCP n° 20 (Cahier Critique de Poésie du cipM [centre international de poésie Marseille], octobre 2010) consacré à Charles Olson et au Black Mountain College.





JEAN DAIVE


Jean Daive
Source



■ Voir aussi ▼

→ (sur le site du cipM)
une bio-bibliographie de Jean Daive
→ (sur le site d’Éric Pesty Éditeur)
une autre bio-bibliographie de Jean Daive
→ (sur Terres de femmes)
Charles Olson | Maximus, to himself | Traductions croisées Danièle Robert/Angèle Paoli/Auxeméry






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Commentaires

  1. Avatar de Guidu di Cinarca

    J’adore ce poème ! Il y figure tout ce que j’aime photographier…
    Amicizia
    Guidu ___

  2. Avatar de christiane
    christiane

    Ce petit grain de mort violente entre tirets comme une énigme dans l’écriture de Jean Daive, l’homme-oiseau, qui traverse les terres et les mers. Transparence des signes gravés à même la pierre, à même l’écume. Un fruit pour unir ces éléments comme une halte savoureuse.
    (Je comprends la joie de Guidu lui qui couvre cette revue de signes mystérieux entre lesquels les mots des poètes se glissent pour témoigner d’un réel fragmentaire encore inconnu.)
    Par tout le corps mais surtout par les pieds qui foulent la terre et les mains pour la caresser, le monde se dit autrement. Des histoires enlacées comme la mort comme l’amour, l’archaïque et le quotidien. Une danse venue du fond des mémoires pleine de forces obscures. Une conscience à l’écoute des murmures de ce jardin d’eau, de pierres -gravées- d’herbes qu’est aussi notre terre informe et chaotique.
    Le monde est maintenant visible / entre mers et montagnes.
    Se perpétuer en s’attachant aux pas du calme voyageur pour repeupler ce monde de sens mystérieux, tendu vers l’infini des formes primitives.

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