Michel Deguy | De l’attachement

« Poésie d’un jour »



DE L'ATTACHEMENT
Ph., G.AdC







DE L’ATTACHEMENT
(extrait)




     Attachés de toutes les manières, et à chaque fois par amour, par obligation, et par contraintes, nous sommes autres qu’à l’attache, et par l’attachement nous mesurons ce à quoi nous ne pouvons nous arracher, ce qui n’en finit pas de se révéler et de nous retenir. L’Ulysse d’Homère est nostalgique ; nous le connaissons attaché à Ithaque ; celui de Dante est sans retour, et s’il quitte tout, s’il quitte le chemin ― qui attache le lieu à un autre, nous dit le dictionnaire ― il ne quitte pas « cet amas de merveille », ni l’énigme du virement de l’être au compte du monde. Nous le préférons, ce monde, à tout autre c’est son privilège. Il nous faut y aller sans retour ; c’est la tâche. Et nous accepterions la mort pourvu qu’il nous restât un œil vivant, une vue de fantôme sur ici-bas depuis l’outre-tombe.



Michel Deguy, « De l’attachement », Poèmes en Pensée, 2002, in Comme si comme ça, Poèmes 1980-2007, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 2012, page 375.





MICHEL DEGUY


Deguy
Source



■ Michel Deguy
sur Terres de femmes

Cap sur l’agora des biens
ô folle déclaration d’amour
Pour la poésie aujourd’hui
Quand il n’y aurait…
6 novembre 2014 | Mort d’Abdelwahab Meddeb (extrait de Prose du suaire de Michel Deguy)



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→ (sur le site Université de tous les savoirs)
la conférence de Michel Deguy (L’attachement) du 31 décembre 2000





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Commentaires

  1. Avatar de Guidu

    Le portrait-vignette en clair-obscur en bas du texte de Deguy est saisissant de mystère et précision à la fois, tout comme l’extrait tout aussi « attachant » qu’un Caravage contemporain…
    Grazie mille!
    Amicizia
    Guidu ___

  2. Avatar de christiane
    christiane

    Comment poser un mot après ce texte profond et mystérieux de M. Deguy… ? Ce mythe du voyage d’Ulysse, ce retour à Ithaque nous met en demeure d’interroger nos désirs et leur ambiguë réalisation. Je relis le chapitre I de la quatrième partie : « Le retour à Ithaque » dans La pensée chatoyante de Pietro Citati (traduit de l’italien par B. Pérol, L’Arpenteur) :
    « Il laisse derrière lui l’enchantement, l’espace sans espace, le temps sans temps; et il retourne parmi nous, là où règnent les souffrances et les combats, où les dieux apparaissent masqués. Dans ce passage, il perd une part de lui-même.(…) Le voyage a lieu de nuit, tandis qu’Ulysse dort « d’un sommeil profond, continu, très doux, assez semblable à la mort » (…) car c’est seulement dans la nuit et le sommeil que l’on peut franchir la frontière invisible qui sépare le monde intermédiaire de la réalité quotidienne, à laquelle appartient Ithaque. »
    Michel Deguy dans son écriture poétique fait durer la tentation de cet « espace sans frontière » entre nos désirs et leur réalisation, immobile, dans le mouvement incertain de l’écriture qui traverse son être.
    Guidu a raison, « ce portrait-vignette en clair-obscur est saisissant de mystère » et la photographie qu’il nous propose fait lien entre l’écriture de M.D. et le coeur.

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