Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour

par Isabelle Lévesque

Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour,
Éditions Unes, 2013.



Lecture d’Isabelle Lévesque



Magali Latil2
Il poursuit son travail, l’entomologiste poète,
dans un cocon qu’il ne détruit pas avant de naître.

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[PAS DE POSSIBLE SANS IMPOSSIBLE]


Résidence

Où l’on ne tient pas.


Cheminer, revenir vers issue pour ne pas rester. Secours ?

Le livre de Jean-Louis Giovannoni s’ouvre sur un paradoxe, Issue de retour, comme s’il s’agissait de ne fermer jamais la possible mutation de l’écriture. Métamorphose : étape, insecte naissant de chenille. Mue imaginale ? Étape à risque. Un texte court (« Chantonner contre la peur ») ouvre le livre : ce seuil nous invite à nous pencher sur la démarche de l’auteur. Avant d’écrire, il projetait de se consacrer à la beauté : Jean-Louis Giovannoni aligne en anaphores dans les premières pages le pronom « on », impersonnel auquel s’identifier d’un trait en lui associant au présent tout ce que le poète est supposé faire (« contempler des couchers de soleil », « copier [des] postures ») pour finalement affirmer une démarche qui s’est imposée, citant, quand même, Guillevic et son approche de la matière, avant d’effectuer « sa première ponte », qualifiant ainsi l’écriture d’acte organique. On veut la célébration, mais c’est le corps qui nourrit le texte :

« [L]e cadavre d’une bête ouverte qui nous fait monter dans la bouche notre première poussée de mots ». Rage, « la plaie où loger et croître », contre la nécrose, une forme de vie se nourrissant de trouée. Microscopique soustraction au pourrissement.

Plusieurs sections courtes composent le livre, chacune précédée d’un titre, lacunaire parfois lorsqu’il manque le second élément complétant une préposition (« ENTRE LE SOL ») devenue verbe au gré d’une mue elliptique. Dynamique assertion d’une tension vers l’élément manquant. Les dédicataires sont nombreux (aliments d’écriture) ; on reconnaît au passage des familiers de l’auteur (le peintre Gilbert Pastor, le photographe Marc Trivier ou Stéphanie Ferrat). Parenté affirmée en laissant sur ces pages titres les traces brunes d’un insecte reconnaissant ses semblables ou pairs, membres d’une colonie fondatrice. Il poursuit son travail, son mouvement, l’entomologiste poète, dans un cocon qu’il ne détruit pas avant de naître. Nymphe et manque inscrits dans langue.

La première partie du livre lance de nouveau le pronom indéfini (« on ») se démultipliant ensuite en infinitifs (désincarnés, extraits d’une temporalité présente ou d’une individualité ?). Aucun infinitif cependant ne cède à l’arrêt, ne rien « déposer », continuer, l’allant à perte de vue :

« Entre le sol

Et l’insistance

De son pas. »

Voici retrouvée la préposition de l’initiale, cette escale impossible. Point de vue inverse : ce n’est pas le corps qui goûte ou assimile le fruit, le fruit seul absorbe et goûte la soif. Les repères brisés obligent l’intérieur à rejoindre la terre par la projection organique des mots. Vertige à sens unique, individualité meurtrie lorsqu’elle s’envisage :

« Personne ne peut quitter son intérieur. »

Lui peut-être ouvre une représentation :

« Aucun loup ne sortit du bois sans avoir couverture de peluche et mains d’enfant », l’arrêt (« la pose ») n’échappe pas au devenir, l’enfant au visage flou est absorbé par le végétal qui l’entoure – nulle trace au demeurant, la refonte, le mouvement reprenant sans cesse. Alors issue ? Point.

Il semblerait que seul ressurgisse l’enfoui : à Stéphanie Ferrat l’adresse des minuscules du compost, les oubliés, les refoulés. À la surface se vouent. Ré-engendrent, « toutes ces vies qui cherchent à infecter ». Infecter dénomme vivre – écriture en synonymique attrait.

Alors comprendre le mouvement. Autant qu’il se retire (« Tout se tient »). Issue : vers quoi tendent mouvement et poussée même si « Couvercle dessus / Pour empêcher ». En se proférant, la langue est sectionnée, réduite à des prépositions ou adverbes invariables (intangibles) et connecteurs de mots. Elle est ramenée à ce qui originellement (ou naturellement) bouge et pourtant, à l’intérieur, les organes retenus palpitent de cet assentiment de vie (« Battements »).

Or pas d’affirmation sans négation, de possible sans impossible. Pareil revers en tout figuré par « internes et externes » :

« Les choses nourrissent toujours leurs contraires. »

« Guidant jusqu’à l’ouverture », l’aller supposant le retour, ils peuvent s’inverser. Issue de retour. Où se situer, dans la langue et ses prépositions (« Parmi » / « Entre le sol »), tenant la corde du poète en rupture d’équilibre. Arrêt rappelant qu’un passage par ce point ancre le texte (le corps, la vie). Alors floraison, en trace de trajet (un sens ou l’autre) : « Comme cicatrices / Cicatrices d’air. »

Une trace imparfaite et liée de bout en bout dans la langue qui se cherche.




Isabelle Lévesque
D.R. Texte Isabelle Lévesque
pour Terres de femmes





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NOTE : Issue de retour est composé de quatorze textes écrits entre 1993 et 2012, édités dans des livres d’artistes à faible tirage ou dans des catalogues d’exposition. La plupart ont été revisités. Le dernier texte (« Ici n’est pas tenu ») est inédit.






Giovannoni-Latil-Issue-de-retour
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NOTE d’AP : les éditions Unes, fondées en 1981 par Jean-Pierre Sintive, ont été reprises en 2013 par François Heusbourg.



JEAN-LOUIS GIOVANNONI


Giovannoni
Ph. © Fabienne Vallin
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■ Jean-Louis Giovannoni
sur Terres de femmes


Issue de retour (note de lecture d’AP)
[Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
[Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
Envisager (note de lecture de Tristan Hordé)
[Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
[Huitième voyage à Saint-Maur]
Îles circulaires
[Il faut si peu de chose]
[Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
[Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
Mère
[Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
[Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
[Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
Sous le seuil (note de lecture d’AP)
[toujours cette envie de t’ouvrir]
[Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
[Troisième voyage à Saint-Maur]
Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (note de lecture d’AP)
Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (note de lecture d’AP)




■ Voir aussi ▼

→ (sur Terres de femmes)
3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
→ (sur Secousse-08)
un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)




■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
sur Terres de femmes


Max Alhau, Les Mots en blanc
Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
Gabrielle Althen, Soleil patient
Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
Edith Azam, Décembre m’a ciguë
Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
Mathieu Bénézet, Premier crayon
Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
Claudine Bohi, Mère la seule
Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
Fabrice Caravaca, La Falaise
Jean-Pierre Chambon, Zélia
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Pierre Dhainaut, Ici
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Bruno Fern, reverbs    phrases simples
Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
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Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
Laure Gauthier, kaspar de pierre
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