21 septembre 1910 | Lettre de Colette à Missy

Éphéméride culturelle à rebours



GRAND HOTEL LA CLOCHE DIJON
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Grand Hôtel de la Cloche
Dijon

[21 septembre 1910]



Ma Missy chérie, je rentre, je trouve ta lettre, et je suis bien contente, avec un peu gros cœur de n’être pas là-bas, et avec toi. Je suis dans ma chambre avec… un petit chat perdu, que je viens de ramasser sur les rails d’un tramway. Il est déjà gros mais d’une si impossible maigreur qu’on croit tenir une dépouille d’oiseau. Que faire ? Je l’ai trouvé faible de faim et tout vacillant sur ses pattes, Kerf et Wague en étaient émus. Personne n’en veut. Si tu ne veux pas que je le rapporte, je tâcherai de le donner ici pourvu que je trouve quelqu’un. C’est un gris rayé chat sauvage, mieux marqué que Minne. Il a bu du lait chaud mais il ne veut pas manger, il n’a pas de maladie de peau. Il est sur mes genoux et se colle à moi quand je veux me lever. Voilà. Ça me fait un petit compagnon de solitude.

Ma chérie aimée, que je te raconte. Hier en répétant j’ai conduit l’orchestre, et ça allait bien. Le soir ça a été un désastre, non seulement pour nous, mais pour tous les numéros du spectacle, et c’était un concert de hurlements et de malédictions dans les coulisses ! Cela s’explique tout simplement : nous avons appris que le chef d’orchestre n’a jamais été chef d’orchestre, il est marchand de vin, et c’est la 1re fois qu’il conduisait !!! La direction vient de le remercier, mais il reste jusqu’au 9 octobre, on ne peut pas le renvoyer avant. Wague, au tomber du rideau, l’a traité d’assassin ; — au fond, j’avais terriblement envie de rire. Le public a pris fait et cause pour nous et a hué le chef d’orchestre-braque. C’était vraiment intéressant. Nous avons répété de nouveau tout à l’heure pendant 1h 1/2, j’ai demandé aux musiciens leur aide, ils sont très gentils et feront de leur mieux ce soir. Et puis… je m’en f.

Il y a une jolie Place d’Armes, ici. Mais ça ne vaut pas Rozven. Comment, tant de réparations que ça* ? C’est effrayant, mon pauvre amour. Que de crevettes, de pommes de terre, et de poisson il va falloir vendre ! Et que de lignes écrire ! Et que de Chair jouer !

Le vent est très froid ici, as-tu froid ? Dijon s’emplit aujourd’hui d’une infâme foule. Je t’embrasse, chérie, je t’embrasse-brasse-brasse, comme dit Minette. Sept jours demain matin, — c’est interminable. Je t’aime de tout mon cœur, mon petit Seigneur de Rozven.


Ta Colette


Amitiés à Paul, Kerf et Wague t’envoient les leurs.






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Colette, Lettres à Missy, Éditions Flammarion, 2009, pp. 132-133. Texte établi et présenté par Samia Bordji et Frédéric Magret.




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* Missy passa de longs mois à rénover Rozven, à l’aménager et à le meubler.







Lettres-a-missy-09





COLETTE


Colette 2




■ Colette
sur Terres de femmes

28 janvier 1873 | Naissance de Colette
27 avril 1907 | Colette publie sa première nouvelle
10 décembre 1908 | Colette, Lettre à Missy
29 juillet 1922 | Début de la parution du Blé en herbe de Colette dans Le Matin
3 février 1923 | La Vagabonde
21 janvier 1934 | Colette, La Jumelle noire
Colette au Crotoy
Femme j’étais et femelle je me retrouve
→ (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
Portrait de Colette



■ Voir aussi ▼

→ le
Site de La Société des amis de Colette
le site du Centre d’études Colette





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