Sabine Huynh, Les Colibris à reculons

par Sabine Péglion

Sabine Huynh, Les Colibris à reculons,
Éditions Voix d’encre, 2013.
Craies noires de Christine Delbecq.



Lecture de Sabine Péglion


[MOTS VOLÉS… MOTS ENVOLÉS… MOTS VAGABONDS]




Mots volés… Mots envolés… Mots vagabonds


« De haut en bas en bandes

ou en zigzags solitaires »


Ces mots en poèmes, rassemblés dans ce recueil de Sabine Huynh, ponctué des superbes et déchirantes craies noires de Christine Delbecq, « migrent », « tombent », « semant des cicatrices-ratures / de batailles amours familles », nous entraînent, nous retiennent. Ils nous parlent de l’être, ce qui le fonde, ce qui l’ancre au monde, du lien, de l’attachement, de la re / co / naissance.

Filiation dans un lien, dans un lieu, où les odeurs, les saveurs, les sons, les couleurs vont laisser leurs empreintes. Ces riens impalpables qui nous fondent « cet arôme de riz gluant », « son or entre les dents noires », ce « thé aux pétales de lotus », ces « conciliabules des ombres », un jour disparaissent.
L’exil, le déracinement, prennent place.


Mais comment construire, avancer, grandir quand la perte ronge, quand « l’oisillon se perd / les signaux s’égarent / les souvenirs s’estompent », quand la saveur de vivre vous quitte, « éventail imprimé (déchiré) », quand la seule terre que l’on porte en soi, seul bagage contre l’oubli, « ce Viêt-Nam de timbres-poste » devient mortifère ou disparaît ?


« un jour

le passé ne revient plus »

[…]

« ces images naïves

leur seul trésor celé

la tristesse même »


Il faut affronter la rupture, l’après,

« la nuit inquiète / sans repos / de l’exil », l’affronter dans « l’immensité » de la découverte, des « mots pour dire » :


« comme un colibri

je vole dans tous les sens

sans répit

portée par le souffle

de nouveaux chants »


Répondre dès lors à l’appel du monde, l’ailleurs pour un ici perdu, trouver l’ouverture pour combler les blessures.


« avec abandon tendons les bras

vers les heures assoiffées de l’été »


L’oiseau peut retrouver un souffle, « vite, un arbre, pour me dire où je suis », apaiser son vol, se poser sur la terre d’une page, explorer le territoire des mots, « voler sous terre et creuser les cieux ». L’écriture apparaît, dès lors, comme une terre à défricher, à désirer, à conquérir. Explorer le désert, la « zone à part ».


« Perdant pied dans ton ombre

j’écris

comme si ma vie en dépendait »


Il faudra traverser encore la nuit, sortir du gouffre,


« Avaler le passé

de ce vieux tableau

pendu dans le salon sombre »


pour parvenir au jour.


Le futur peut s’installer dans langue,


« demain

écrit après demain ».


L’assonance en [i] domine le dernier poème,

« Rien sauf le temps

à lire ce soir

hier à grains

lisse aujourd’hui

écrit après-demain


Rien sauf le vent

à dire ce soir

hier en fuite

aujourd’hui dévidé

demain tissé

dans le temps liquide


Rien que le vent

et mon cœur qui bat. »


En elle s’inscrit « le cri » d’une vie nouvelle, celle donnée, celle d’une « renaissance ». Le recueil de Sabine Huynh, plus qu’une « topologie de l’exil », nous offre un chant d’espoir.



Sabine Péglion
9 octobre 2013
D.R. Texte Sabine Péglion
pour Terres de femmes







Sabine Huynh, Les Colibris à reculons





SABINE HUYNH


Sabine Huynh 2
Ph. Anne Collongues
Source



■ Sabine Huynh
sur Terres de femmes

Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
Kvar lo (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
Kvar lo (lecture d’AP)
[Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
La Mer et l’Enfant (lecture d’AP) [+ Notice bio-bibliographique sur Sabine Huynh]
[Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les mots)
Parler peau (lecture d’AP)
[sans attaches] (extrait de Parler peau)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
Là où elle naît
Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)



■ Voir aussi ▼

la fiche des éditions Voix d’encre sur Les Colibris à reculons
→ (sur le site de CCP)
une recension des Colibris à reculons par Ludovic Degroote
presque dire (le site de Sabine Huynh)





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