Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux

par Gérard Cartier

Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux,
éditions Henry, Collection La main aux poètes, 2013.



Lecture de Gérard Cartier



Charrue
Des hommes, dont la vie a le poids de la charrue
Photo © Yann Arthus-Bertrand
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DONNER VIE




En dépit de son format réduit (celui de la collection noire La main aux poètes qui, à côté d’auteurs chevronnés, poursuit un travail méritoire d’exploration de la jeune poésie), et de la brièveté des poèmes (rarement plus de huit vers, d’un mètre court, avec une prédilection pour l’hémistiche), voilà un vrai livre. Non pas une liasse d’instantanés arbitrairement nouée par un titre, mais un ensemble construit en vue d’un projet : arracher à la blancheur de leurs morts répétitives les lignées de paysans et de travailleurs dont l’auteure est issue.

Cécile Guivarch a fouillé les archives, remonté les filiations, parcouru les lieux où ils vivaient. De la plupart, dans le grand arbre des générations à la cime duquel elle écrit, il ne reste rien, occupés qu’ils étaient « à vivre tout simplement » — ce ne sont plus que « des morceaux de ciel ». Quand ils en ont laissé, les traces de leur passage sont rares et discrètes : des triplets de prénoms (souvent les mêmes, quatre ou cinq, en une litanie dont l’ordre seul distingue les individus, au bout de quoi celui de Cécile semble d’un autre monde), un acte de naissance ou de dot (« trente blouse  /  quatre caraco  /  douze chemises… »), quelques photographies, une adresse, un nom de métier, et les tombes où ils dorment les pieds tournés vers le ciel. Cécile Guivarch s’empare de ces bribes, seuls témoins de toute une existence, pour redonner vie aux êtres et les faire fulgurer un instant. Des hommes, dont la vie a le poids de la charrue, qui ont aimé sans savoir le dire, « plein la bouche du travail du vin », sinon qu’ils s’effondraient quand leur compagne mourait en couches. Des femmes surtout, absorbées par les tâches ménagères, les jardins légumiers et les petits métiers :


cantinière d’eau de vie

vos lèvres devaient trembler

autant que vos mains

à verser autant de vie

dans la coupe des hommes


S’il n’y a pas de poésie féminine, si le sexe ne régit pas le travail des formes, il colore nécessairement images et sentiments. Beaucoup de mères ici, pleurant les enfants morts, pressant sur leur sein ceux qu’effraie la tempête, accouchant dans la terreur, en ces temps où les gestes de l’amour engendraient si souvent la mort :


mon enfant me pousse vers la terre

sors vite mon petit

prends tes ailes et traverse la pierre


L’expérience de la maternité (Te visite le monde, éd. Les Carnets du Dessert de Lune, 2009), qui inscrit si fortement les femmes dans la continuité des générations, semble à l’origine du désir de Cécile Guivarch de retrouver ceux qui vivent dans [son] corps  /  circulent dans [son] sang. Mais, au lieu de prétendre accoucher de ses aïeux sur la page, comme l’aurait fait tout homme, ce sont eux, écrit-elle, qui souffrent et enfantent dans chaque parturiente : « dans chaque naissance  /  ce sont vos cris que l’on ressent » ; les chairs nouvelles émergent « du profond de vos entrailles ». Les morts nous mettent au monde. Par nous renaissent leurs mots pétrifiés.


Gérard Cartier
D.R. Texte Gérard Cartier







Cécile Guivarch, Vous êtes mes aieux



CÉCILE GUIVARCH


Cécile Guivarch portrait
Ph. : Michel Durigneux
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■ Cécile Guivarch
sur Terres de femmes


Cent ans au printemps (lecture d’AP)
Cent ans au printemps (lecture de Philippe Leuckx)
[Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
[c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
[des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
[J’ai marché sur les morts]
[Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
Renée, en elle (lecture d’AP)
→ (dans l’anthologie Terres de femmes)
[ma grand-mère avait beaucoup de clés]




■ Voir aussi ▼

J’écriture(s)[le blog de Cécile Guivarch]
→ (sur le site des éditions Henry)
la fiche de l’éditeur sur Vous êtes mes aïeux
le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui




■ Autres lectures de Gérard Cartier
sur Terres de femmes


Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante
Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II
Alain Guillard, Quête du nom
Emmanuel Moses, Ivresse
Muriel Pic, Élégies documentaires





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