Bernard Desportes | La pierre la nuit (extrait)

« Poésie d’un jour »


LA PIERRE LA NUIT



à Khalil El Ghrib



[…]


mon pays a sombré / mon pays peut-être / englouti par la mémoire que la nuit recouvre

les noms tels des arbres un à un abattus / sur la route où je marche tandis que le ciel penche / tandis que le ciel fend la terre / le ciel en feu que mes lèvres ont fendu / la route où je marche emporte mon pas / sur la terre où je ne marche plus

m’emporte

la route dressée à flanc de ciel / ouvre la nuit / le vent chasse emporte

paroles lancées du bord de la route / paroles pierres noires contre la nuit

mes mots sont des pierres qui éclatent

contre la paroi du ciel


mon pays n’existe pas / il est inclus dans la pierre que je tiens dans la main / mon pays est la route sur laquelle je marche / la route où je suis marché


j’ai jeté la route contre la paroi abrupte de la nuit

à présent je marche dans les débris d’une mémoire morte

mes pas ouvrent le ciel

sur la blanche étendue hostile

alors


*


j’ai lancé des pierres contre

le glacier

la foudre

le vent

la face noire de la terre

la face essoufflée du ciel

la parole interrompue

l’oubli le froid

la cendre

dans ma course / j’ai fendu l’inhabité

j’ai perdu mon livre

j’ai perdu le mot de passe le chemin

entre les ronces les fissures de la terre

la nuit rejetée colle à mon pied / s’imprime dans la terre

la terre retournée / sa face noire contre le jour naissant


l’immobilité apparente du monde retient en son souffle le tumulte de ses bouleversements


je lance mes pierres dans le soulèvement du jour où vibre mon pas

où vibre le vent dans mes jambes / entre mes bras tendus / ma bouche fendue / mes lèvres sèches

où le soleil neuf avale les réminiscences de lendemains


dans l’infini du jour ouvert par les pierres / les mots éclatés

lancés par ma main


sur la route

dressée à flanc de ciel


soleil en crachin lumineux, voile de brume à travers la lumière / l’espace d’un instant la vie légère s’enfuit revient, vibre

autour de moi

éperdue

2012-2013




Bernard Desportes, Irréparable quant à moi | André du Bouchet, Éditions Obsidiane, 2014, pp. 38-39-40.






Bernard Desportes, Irréparable quant à moi





BERNARD DESPORTES


Bernard Desportes




■ Voir aussi ▼

→ (sur Mediapart)
une recension d’Irréparable quant à moi, de Bernard Desportes, par Bernard Demandre (11 décembre 2014) [+ une notice bio-bibliographique]
→ (sur libr-critique)
un entretien de Bernard Desportes avec Fabrice Thumerel






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