Marie Veluet, Cinq ans

par Emmanuel Hiriart

Marie Veluet, Cinq ans,
Éditinter, Collection poésie, septembre 2015.



Lecture d’Emmanuel Hiriart



[POUR RETROUVER UN CHEMIN]



« tu m’as posée sur le canapé.


Parce que je suis ta chose.


Ton instrument de plaisir.


Je suis comme ces meubles

apportés de ton passé qui


te suivent comme des trophées.


Je n’oppose plus de résistance.


Comme le frigo


je ronronne à vide en attendant que tu me

remplisses


le week-end ou quand tu veux. »(p. 74)

Je suis partie, nous dit Marie Veluet. La prisonnière s’est évadée du frigo pour nous offrir son chemin de libération poétique. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de s’évader dans la poésie, boudoir ou bonbonnière rose paradis pour Emma Bovary contemporaine, mais par la poésie ; de reprendre la parole pour renouer le fil de sa vie au sortir d’une passion destructrice, où elle a connu et accepté

« les ravages de la drogue

les dérives de tes pulsions morbides

les douceurs de ta perversité » (p. 95)

dans l’effondrement de toutes ses illusions. Marie Veluet utilise une langue orale, et sa poésie mérite d’être portée par la voix, mais il ne faudrait pas pourtant l’enfermer dans une spontanéité ou une fraîcheur réductrice : le texte qui nous est offert est le résultat d’un patient travail d’élagage et d’écoute musicienne (tendance rock, voire punk) qui permet à la violence des situations vécues de nous toucher dans la simplicité de la langue.

« Ça cogne

ça cogne fort

au plafond un soleil

noir des flammes

dans tes yeux immenses

des éclairs

je t’entends respirer aspirer

mon souffle je manque

d’air

tu souris. Tu

me souris

tes mains sont chaudes

Et tu appuies

Encore.

Tu es l’ange de la mort

je veux partir avec toi

viens on y va

maintenant

oui maintenant

me laisse pas comme ça

finis

moi. » (p. 78)

Éclairant la trame du récit, un travail de distanciation se fait, par exemple par la constitution d’un réseau métaphorique de l’enfer et (beaucoup plus discrètement) du salut. En effet, le livre est une traversée de l’enfer, mais aussi le récit et l’instrument de la victoire de la vie sur les forces autodestructrices.

« Et puis sentir au fond de moi

une petite chaleur

braise orpheline

rescapée et bien cachée »(p. 96)

C’est un premier recueil mais la poète n’est pas novice : on avait déjà pu la lire en revue il y a quelques années ; elle a aussi exercé des responsabilités dans l’équipe de Poésie/première. Cette fréquentation déjà ancienne de la création poétique explique sans doute la maturité dont cette auteure encore jeune fait preuve dès son premier opus. Son audace, consciente, n’en doutez pas, aussi : celle de donner à lire une poésie narrative et lyrique en temps de sécheresse verbale comme celle d’affirmer que la transgression, si utile et nécessaire qu’elle puisse être en certaines circonstances, n’est pas toujours la valeur suprême de la vie, même dans sa dimension artistique.

Prenant à contrepied les complaisances sadiennes d’une part trop importante de notre culture (de la sienne aussi, donc) et notamment de la poésie contemporaine, elle nous invite à retrouver en nous ce qui vit très obstinément, cette vraie vie qui n’est pas ailleurs mais au cœur de l’ici, d’un ici ouvert, lieu de partage et d’amitié. Le poème que nous offre Marie Veluet est une porte entr’ouverte pour nous, vers nous, les gens, les sourires, pour retrouver un chemin parmi les mots pervertis de l’amour.



Emmanuel Hiriart
D.R. Emmanuel Hiriart
pour Terres de femmes







Marie Veluet, Cinq ans



Retour au répertoire du numéro de septembre 2015
Retour à l’ index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *