Sanda Voïca | Les Maîtres et les Autres

« Poésie d’un jour



[2011.12.12. Sanda Voïca en 11e poème]




LES MAÎTRES ET LES AUTRES





Il y a Maître Sol, Maître Breb, Maître Popol, Maître Sam,
Et il y a les Autres.
Je ne suis pas riche, je ne suis pas à Paris,
Je suis une des Autres.
Ni apprentie, ni esclave : je suis ici, dans mon Poème.
Je ne veux plus tourner autour du pot ou du poteau — rose ou noir, ou vert.
Lierre, disait une poète roumaine*, est le poète : la nature agrippante de l’écrivain.
À chacun son entêtement vertical — et à chacun son tuteur. Mais pas de Maître Tuteur.
Le moteur de mes épopopoèmés ?
Un tsunami dans les plis — les plis de mes matins,
Les plis de mes nuits.
Les jours avec des rides.
Passé-je de la tristesse domestique, à la Tzara, à la tristesse sauvage, à la Voïca ?
Le séisme doit être là — dans un pli, du matin ou du soir.
L’écriture — faire l’amour au texte, après un viol : telle Ryoko Sekiguchi qui parle de sa Tokyo violée,
Mais aussi ce poète symboliste roumain, Macedonski, qui, dans son Calvaire du feu, écrit directement en français et publié en France en 1906, viole son langage.
Pour lui, contrairement à Simona Popescu, l’artiste en Roumanie, à son époque, « lotus ou mimosa, végète lentement. »
Sa volubilité reste encore à découvrir.
Je suis encore dans mon roman de la poire — ou le viol de la poire.
Je m’enfonce dans mon viol — la victime est la poire.
Mais je ne suis pas encore dans la poire. Je ne suis pas non plus la poire.
Je suis moi aussi une poire.
Je fais toujours ma poire — ah oui, ça oui, hohohoho !
Une poire en lutte avec elle-même.
Au fond de la poire.
Ou : à fond, la poire !
Je suis ici, dans mon poème-poire.
Ni esclave, ni apprentie — une sorcière, peut-être.
Et surtout une poire.
Poire qui poire,
Ici, aux dernières portes de l’Occident— face à l’Atlantique.
Je n’entends pas crier ou chuchoter VOÏCA.
Je ris et je le sais, moi. Que moi.
Ni moi, ni toi, je suis un tiers attentif aux Autres.
Et une des Autres.
Je suis mon propre chat sans l’être.
Je fais sortir la neige de la fin du film For ever Mozart de Godard
Et je la mets dans mon jardin— le fort soleil ne la fond pas.
Moi et une Autre. Jeu.
Maître Sol, Maître Breb, Maître Popol et Maître Sam se voilent la face — eux entre eux, à la bonne franquette.
Je ris toute seule — encore une fois je fais la poire.
Face to face.
Une double vie — et pour sortie : la folie.
Petite tête, de plus en plus petite, sur un gros cou, de plus en plus gros — une poire.
Victime de cette maladie littéraire théorisée par Émile Faguet, l’innutrition littéraire.
En le citant ici, je le prouve encore une fois : mes livres regorgent de références — sans que je me montre personnelle.
Nue, mais pas assez !
Sans imiter personne, je ne m’imite pas assez moi-même :
Je reste… une petite poire, tombée devant moi. Et blette : bonne à croquer.



Sanda Voïca, Épopopoèmémés, Éditions Impeccables, 2015, pp. 57-58-59.




* Simona Popescu.






Sanda Voïca, Épopopoèmémés




SANDA VOÏCA


Sanda-bio
Source




■ Sanda Voïca
sur Terres de femmes

une lecture d’Épopopoèmémés par AP
La rose inerme (poème extrait d’Exils de mon exil)
Trajectoire déroutée (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
[Que faire de la fille partie ?] (poème extrait de Trajectoire déroutée)



■ Voir aussi ▼

→ (sur Encres Vagabondes)
une lecture d’Épopopoèmémés, par Geneviève Huttin
→ (sur Libr-critique)
une lecture d’Épopopoèmémés, par Jean-Paul Gavard-Perret
→ (sur La Cause Littéraire)
une lecture d’Épopopoèmémés, par Didier Ayres
→ (sur Levure Littéraire)
une notice bio-bibliographique sur Sanda Voïca
Paysages écrits, le site de la revue numérique de Sanda Voïca & Samuel Dudouit
le blog des impeccables





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