Emmanuel Moses | La fleur « Shortia »



LA FLEUR « SHORTIA »




Une fleur rare comme un poème : « Shortia », aux pétales blancs. Combien d’heures de marche dans les montagnes ? Combien d’espoirs et de déceptions ? Se lever aux premières lueurs du jour et préparer son sac avec les provisions pour le chemin : la miche de pain et la fiasque de vin. Prendre alors la route qui semble droite, de prime abord, et en réalité tourne insensiblement, ce dont on ne se rend compte qu’en s’arrêtant et en regardant en arrière.

On a monté et descendu les pentes herbeuses, on s’est appuyé aux derniers arbres de la forêt, des espèces de supplétifs malingres à l’orée de l’armée régulière des mélèzes et des sapins. On avait consulté de vieilles cartes dans le sac à provisions qui n’ont pourtant rien donné, rien appris. Une fleur rare comme un poème.

On a lu qu’elle pousse à l’ombre de rochers, dans une sorte de jardin naturel, un jardin sans beaucoup d’imagination ni de richesse, qui consiste en une large étendue d’herbe piquée ici et là de trèfles, de pissenlits et peut-être, cachées comme elles savent l’être, de quelques violettes. On l’a lu dans les vieux récits d’expéditions, fourrés, eux aussi, au fond du sac qu’emplit maintenant une odeur de farine et de chrome. La fiasque n’est pas neuve non plus et a dû autrefois être protégée par une enveloppe en cuir qu’une main — celle du temps ou d’un enfant — a pris plaisir à arracher.
Combien d’horizons ? Combien de battements de cœur ? Il y a un enchantement du cœur solitaire à s’avancer parmi les éboulis, sur une terre mince et stérile que caresse de loin en loin l’ombre bleue d’un aigle ou d’un épervier à mi-distance du ciel, ou en tout cas telle est l’impression qu’en reçoit l’œil qu’un rien allume, qu’un rien éteint.

On a raconté de nombreuses anecdotes à propos de ce long voyage à pied en quête de la fleur rare « Shortia ». Même ses préparatifs furent auréolés de légende. S’il ne s’était pas soldé par un échec, qu’en serait-il resté dans les mémoires ? On peut se le demander. Et si les poèmes avait été monnaie courante, marchandise profuse, étalée au grand jour, que serait-il resté ?



Emmanuel Moses, Polonaise et autres textes, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2017, pp. 72-73.






Emmanuel Moses  Polonaise





EMMANUEL  MOSES


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Ph. © Didier Pruvot/Flammarion
Source





■ Emmanuel Moses
sur Terres de femmes


Dona (lecture d’AP)
[La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
[Derniers feux](extrait d’Ivresse)
Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
[Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
[Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
[Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
[La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
Quatuor (lecture d’AP)
[Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
[Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
[Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




■ Voir aussi ▼


→ (sur le site des éditions Galaade)
une notice bio-bibliographique consacrée à Emmanuel Moses





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