Mireille Fargier-Caruso, Comme une promesse abandonnée

par Michel Ménaché

Mireille Fargier-Caruso, Comme une promesse abandonnée,
Éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2019.



Lecture de Michel Ménaché




Dans son dernier recueil au titre nostalgique, Comme une promesse abandonnée, Mireille Fargier-Caruso s’interroge sur les désillusions et le désenchantement d’une génération habitée par « le désir fou de vivre » qui s’opposait à toutes les oppressions, qu’elles fussent exercées au nom du socialisme totalitaire ou dans la sphère du libéralisme déshumanisé. Si sa poésie se défend de tout didactisme, l’auteure ne se tient pas à l’écart et pose un regard inquiet sur « l’avenir ceinturé » de « notre espèce en débâcle ». Après avoir rêvé de s’accorder au monde, elle tente de goûter encore le chant du « merle moqueur », de combler le manque en recueillant toujours précieusement « le pollen d’une histoire perdue ».

Si la foi de l’auteure en l’homme s’obstine à perdurer afin que vivre ait encore un sens, elle admet que pour elle « le ciel s’est tu depuis longtemps ». Elle oppose au pessimisme ambiant l’optimisme gramscien de la volonté et de l’action : « la vie se gagne ». Surtout, la vigueur régénératrice de l’amour la porte encore :

« tous les soupirs des lits défaits

de la tendresse à nos genoux

cela nous rend plus fort ».

Sans nier les fragilités du corps vieillissant qui rendent plus vulnérable, épuisent l’énergie vitale. L’écriture à la fois nerveuse, elliptique, rend compte de cette tension physique et morale qui s’exacerbe :

« un jour le corps

trahit notre confiance

l’innommé nous déborde ».

Le couperet de l’âge n’épargne personne. L’urgence du poème le crie sans épanchement, presque froidement :

« pas de compte à rebours de sursis

au bout de l’allée si courte

quelques pelletées dessus

définitif ».

Jusqu’au vertige du néant, rendu perceptible par le raccourci d’une antithèse abrupte : « le rien est là si plein ». La poésie de Mireille Fargier-Caruso est d’autant plus expressive qu’elle ne dilue ni l’émotion ni l’angoisse existentielle, elle cristallise le sens, avec une économie d’images volontiers paradoxales, sans intention rhétorique :

« très tôt on entend le silence

comme réponse à nos questions

on sait l’horizon troué ».

La violence du monde, « les massacres à côté de nous », la multiplication des laissés-pour-compte, les cadavres d’enfants rejetés sur les plages, l’injustice grandissante, tous les saccages indignes résonnent dans le poème comme le gong d’une défaite des idéaux perdus ou dévoyés :

« les écrasés

les enlisés

les en retrait

les minuscules

l’insensibilité indispensable qui dissout l’inacceptable

ranger ses émotions

ravage ».

Mais l’auteure se refuse au renoncement, l’espérance du poème frémit encore :

« vomir toute la souffrance

un jour il faudra bien

pour pouvoir dire ensemble

la vie est à nous ».

Les utopies évanouies cependant reviennent en mémoire. Elles étaient tellement fortes, tellement fédératrices :

« on avait cru que le Nord et le Sud

se partageraient le soleil

on avait chassé l’au-delà

par plus tard

on voulait tellement croire

l’espoir rebondit toujours ».

Le consumérisme orchestré, le formatage des esprits continuent de nous déshumaniser : « devenir n’est pas l’avenir ». Une dérision inquiète traverse la fin du recueil ponctuée d’un vers récurrent résumant le décervelage de masse : « du pain des jeux et stéréo ». Et demain ?

Loin de tout nihilisme, Mireille Fargier-Caruso continue de porter haut « l’émotion / des foules solidaires ». Sa poésie élague le passé des « jours abîmés / tous les chemins où Poucet s’est perdu ». Et de l’enfance retrouvée aux « lendemains qui déchantent », l’auteure garde les yeux ouverts, sans illusion :

bien sûr on veut y croire

l’étoile du berger en repère

on en oublierait presque

on vit moins longtemps que nos rêves

[…]

resteront ‘‘les voix écrites’’

des étoiles dans les yeux des enfants ».

Et de citer Nietzsche à la toute fin du recueil : « Nous avons l’art pour ne point mourir de la vérité. »



Michel Ménaché
pour Terres de femmes
D.R. Texte Michel Ménaché






Mireille Fargier-Caruso  Comme une promesse abandonnée




MIREILLE FARGIER-CARUSO


Mireille Fargier-Caruso  portrait NB
Source





■ Mireille Fargier-Caruso
sur Terres de femmes


[D’un coup de dent soudain] [L’hiver avance] (extraits de Comme une promesse abandonnée)
L’arôme du silence
[Tu avances] (poème extrait du recueil Ce lointain inachevé)
Entendre
Gorgée d’eau pour les lèvres sèches
Presque rien… l’eau du poème où se désaltérer (article sur le recueil Ces gestes en écho)
[S’arracher] (poème extrait d’Un lent dépaysage)
silence d’avant le souvenir (poème extrait du recueil Ces gestes en écho)
[sur la plage] (extrait de Couleur coquelicot)
→ (dans l’Anthologie poétique Terres de femmes)
On a vingt ans (poème extrait du recueil Un peu de jour aux lèvres)




■ Voir aussi ▼


→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
une fiche bio-bibliographique sur Mireille Fargier-Caruso




■ Autres lectures de Michel Ménaché
sur Terres de femmes


Anne-Lise Blanchard, Les jours suffisent à son émerveillement
Maram al-Masri, Métropoèmes
Paola Pigani, Le Cœur des mortels
Florentine Rey, Le bûcher sera doux





Retour au répertoire du numéro de mai 2019
Retour à l’ index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *