Pierre Dhainaut, Pour voix et flûte

par Sabine Dewulf

Pierre Dhainaut, Pour voix et flûte,
éditions Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 2020.
Encres de Caroline François-Rubino.



Lecture de Sabine Dewulf


Caroline François-Rubino
Caroline-François-Rubino, Pour voix et flûte
Page d’avant-titre








Dans son dernier recueil, Pierre Dhainaut se livre tout entier à l’élan de ce souffle qu’il appelle « poésie », où l’on entend aussi le chant. Une lecture orale pourrait aisément s’accompagner ici du son de la flûte, instrument qui fascine le poète depuis longtemps, qu’il soit d’orient ou d’occident. Ce son est l’un des seuls, confiait-il récemment, à pouvoir arracher un être humain au désespoir qui l’accable. Quant au flûtiste, il s’impose comme l’image idéale du poète, à l’écoute de ce qui s’apprête à naître du mouvement même de la respiration :

« […] lui pressent l’émergence,

le devenir du premier souffle,

en se concentrant, il accorde

à la respiration l’essor, l’alliance

de l’inquiétude et de la joie

selon un ordre exigé par l’écoute ».

Cette vibration naissante, qu’elle traverse les sons ou les mots prononcés, est appelée à vaincre l’idée fausse que l’on se fait de la mort. Apanage de « l’âme inlassablement fugitive », un tel frémissement nous dit :

« Non, ce n’est pas la peine, imaginer

l’endroit et le moment de la rencontre,

de la rencontre avec la mort. Jamais

ainsi nous n’en serons les hôtes. »

Pour nous accueillir vraiment, notre trépas aura besoin que nous ayons accordé une pleine attention à la vie, dont l’importance ne se mesure pas à l’aune de nos préoccupations, ni même de nos valeurs :

« Le moindre bruit ou la moindre lueur,

ayons pour eux, longtemps d’avance,

un visage attentif. […] »

La poésie de Pierre Dhainaut recueille ainsi le sens profond de vies qui nous semblaient éparses. Par cette qualité d’écoute, inséparable d’une certaine approche du devenir, elle nous invite à prendre la mesure de ce vivant dont tous les souffles, qu’ils expirent ou reprennent, forment la trame. À ce réseau rien n’échappe, pas même la rupture éphémère de la mort. La densité des liens que tisse le poète, de livre en livre, entre parole, sons, rythme et respiration, s’incarne plus particulièrement en ce recueil qui multiplie la reprise d’un même nom : les poèmes y ressemblent à ces mantras où ce qui importe, finalement, c’est le silence reliant le mot à un autre, l’écho rappelant le vers qui précède, le mystère qui contient avant de faire éclore. L’usage réitéré des virgules bondissantes joue un rôle similaire. Qu’un corps expire, un autre prend la relève, et, entre deux, chacun de nous peut se faire le « relais » de la grande « force appelée “parole” » qui guide le poète et qui est, avant tout, « résonance ». Le sens alors est libéré, débordant chaque forme singulière :

« ce mot-là, par exemple, “corolle”,

[…]

mais que veut-il avec tant d’insistance

pour la première fois nous faire entendre

qui n’est pas plus en nous que dans la fleur ?

“corolle”, “corolle”, infatigablement redit,

à l’écho ou l’aura que nul ne dirige

nous laissons le soin de nous répondre. »

Pierre Dhainaut savait, en écrivant ce livre, que l’accompagneraient les encres de Caroline François-Rubino. Leur collaboration n’est pas due au hasard : cette artiste esquisse des paysages formés de traces dynamiques, qui se suscitent l’une l’autre dans le blanc de la page. L’image est ici couleur du souffle, « relais », elle aussi, de cette immense parole qui traverse le temps :

« Bleu, la sonorité première

à voir le jour, bleu dans le bleu […]

[…]

tu n’as jamais fini de naître. »



Sabine Dewulf
D.R. Texte Sabine Dewulf
pour Terres de femmes







Pierre Dhainaut  Pour voix et flute





PIERRE DHAINAUT


Pierre dhainaut profil 3





■ Pierre Dhainaut
sur Terres de femmes


D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
Après (lecture d’Isabelle Lévesque)
Voir de face (poème extrait d’Après)
[Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
[Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
[Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
[Ce qu’est devenue la couleur] (poème d’Isabelle extrait de Progrès d’une éclaircie)
[Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
[Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
[Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
Passerelles
Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
[Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
[Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)




■ Voir aussi ▼


le blog de Sabine Dewulf : Pierre Dhainaut, poète de la présence
le site de Caroline François-Rubino






Retour au répertoire du numéro de février 2020
Retour à l’ index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *