Auteur/autrice : Angele Paoli

  • Rosa Luxemburg / Herbier de prison / 3 mai 1917

    Éphéméride culturelle à rebours
    3 mai 1917 / Rosa Luxemburg
    À Mathilde Jacob

     

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    ROSA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Rosa Luxemburg 

    Source

     

     

    À Mathilde Jacob

                                                                                                                                       Wronke, 3 mai 1917

     

    Ma chère, chère Mathilde,

           Ce matin j’ai reçu votre brève lettre qui m’a rendue fort triste, car vous ne m’avez encore jamais écrit si sèchement et je sens bien à sa lecture à quel point vous vous êtes usée à la tâche et combien votre moral est bas. Mais l’après-midi est arrivé le paquet avec les violettes qui m’a un peu consolée. Merci pour ces fleurs et, pour vous tranquilliser, je vais donc vous envoyer quelques lignes par retour du courrier.
          Chez moi, il n’y a rien de nouveau, sinon qu’actuellement je passe beaucoup de temps dehors, assise au soleil. Et votre joli fauteuil de rotin est très pratique pour ça ; il est facile à traîner n’importe où et on y est assis royalement. Aujourd’hui sont arrivés une foule de papillons et de bourdons, mais ils n’ont pas trouvé une seule fleurette dans le jardin. Aussi ai-je posé dehors le pot de cinéraires en fleurs que Marta [Rosenbaum] m’a offert, et vous auriez vu comment les petites bêtes se sont précipitées dessus sans pouvoir se rassasier de la poudre d’or qu’elles butinaient ! J’ai vu aussi aujourd’hui pour la première fois un oiseau magnifique : le bruant. J’étais si silencieuse et si immobile qu’il est venu tout près en sautillant et que j’ai pu l’observer très bien. Que de choses j’apprends ici, à Wronke ! C’et vrai, Mathilde, je rassemble ici une masse de connaissances nouvelles, après quoi je consulte les livres et j’éprouve littéralement une impression d’enrichissement.
          Merci pour le manuscrit, mais avant de me mettre à la correction je voudrais que, par le truchement de Lene, vous demandiez au Vieux s’il a commencé et où il en est. Je ne peux pas envoyer les épreuves directement à l’éditeur : il me faut les adresser à Mehring, et il serait sans doute terriblement fâché s’il avait fait une bonne partie du travail pour rien.
             Luise [Kautsky] m’écrit aujourd’hui de Francfort-sur-le-M. qu’elle peut [venir] entre le 10 et le 15. Mais j’aimerais savoir très bientôt le jour exact de son arrivée, pour ne pas me ronger d’impatience pour rien pendant des jours et des jours. S’il vous plaît, téléphonez à Berlin chez elle (ou bien écrivez à Francfort-sur-le-M., hôpital municipal ; elle y est chez son fils) et faites-moi savoir la réponse. D’elle-même, vous le savez, Luise n’écrira pas.
           Ce jour, je vous ai envoyé trois livres de Pfemfert, que je vous prie de lui rendre avec mes remerciements (entre nous, ils ne valent pas grand-chose, je n’ai pas eu du tout envie de les lire), et un petit livret de musique pour le mari de Marta. Après votre dernier sermon, je n’ose plus mobiliser un porteur pour les livrer, aussi voudrais-je savoir quand vous avez reçu le paquet. Et maintenant j’attends avec impatience de nouveau une bonne et calme lettre de vous qui me fera du bien. Avec plus d’impatience encore je vous attends, vous. J’espère vous revoir à la Pentecôte dans cette robe légère de mousseline que j’aime tant. Ne pourriez-vous faire enlever la garniture vert et bleu mat ?
              Écoutez, ma chérie ! Sonia se plaint fort amèrement de Lene qui négligerait « le ménage de Karl [Liebknecht] » : elle devait s’occuper de ces choses-là en l’absence de Sonia. Karl serait furieux lui aussi ; s’il vous plaît, ne pourrait-on charger le Vieux de cette mission, si Lene est trop occupée ? Ne laissez pas en tout cas cette pauvre et nerveuse Sonia se débattre toute seule… Je vous embrasse mille fois vous et Mimi et je me languis beaucoup de vous.

              Votre R.

    Merci pour le papier à lettre. Malheureusement, je trouve qu’il ne se tient pas assez et, pour les enveloppes au moins, je voudrais en rester à celles qui sont rigides. Ne pourrait-on en avoir davantage ? Je veux parler d’enveloppes comme celle dans laquelle j’expédie cette lettre.

     

     

    Luxembourg bis(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Rosa Luxemburg, Herbier de prison (1915-1918), Édition établie et préfacée par Muriel Pic, Textes traduits par Claudie Weill, Gilbert Badia, Irène Petit et Muriel Pic, Héros-Limite, 2023, p.167,168.

     

     

    IMG_1914

  • France Burghelle Rey / Les Promesses du chant / Lecture de Murielle Compère-Demarcy

    France Burghelle-Rey, Les Promesses du chant,
    Préface de Jacques Ancet
    la rumeur libre Éditions, 2023
    Lecture de → Murielle-Compère-Demarcy

     

     

     

     

    BLESSURE

     " miracle de la pluie "
    Photo: G.AdC 

     

     

     

    La temporalité du Poème creuse et approfondit le cheminement vers l'horizon – qu'il soit Fleuve de l'Écrire ou sentiers d'existence-, à l'instar de celui du pèlerin en nous

    (…)
    « qui marche
    vers la lumière
    promesse de vie
    miracle de la pluie
    quand brûle
    le corps
    de ses malheurs
    mais un jour
    viendra
    l'ici »

     

    Les Promesses du chant de la poète, romancière et critique littéraire France Burghelle-Rey réitère le « voyage » initiatique de la « tisseuse de rêves » d'Ithaque dans l'attente confiante d'Ulysse, et si la tapisserie est ici souffle des mots créés dans l'urgence avant le retour, ce sont souffle des mots du Poème et souffle des mots de l'Autre – l’Alter Ego qui offrent « le mot du départ »… Mots, alluvions de ce qui a été laissé sur le bord dans la douleur, échangés avec l’amant littéraire, qui tels une Promesse de l’aube (Romain Gary), ne laissent pas l’espoir sombrer sous la ligne de flottaison mais, au contraire, aèrent et décuplent l’espace en un mille-feuilles temporel dans les battements d’un amour inconditionnel inaccompli, semé de « vide » et de « manque » mais poursuivi dans la ferveur. Si puissamment d’ailleurs que cette quête touche les sommets d’une mystique dont la foi vibre dans l’écriture habitée de France Burghelle-Rey jusqu’à remuer notre sensibilité profondément touchée par ces appels du chant sur le seuil du jour où, malgré la cendre (« la peau de mes doigts en cendres »), en dépit de la braise tarie, « reste le vertige dans nos yeux ». La médiation du Poème (allégorique du « jardin de l’espérance ») intervient, afin d’apaiser la douleur, de refermer quelque peu la blessure :

    (…)
    « ce vide
    que le poème
    panse
    comble
    et remplit
    à l’aurore
    je dirai
    la pluie
    les roses
    peut-être une prière »

    La frugalité des mots composant chaque vers traduit a contrario et avec sobriété l’intensité de la souffrance déchargée sur la détresse de la poète à cause du « manque », et l’enjambement final emboîte le pas à l’espoir qui se dessine ici, en six syllabes, la possibilité d’une île de résilience ou d’espérance, à l’horizon, à l’heure orante des « promesses ». La poète ne se résigne pas, refusant la fatalité de la fin'amor, et cet engagement dans la foi indéfectible en un amour réconciliable, constitue la principale puissance de ce livre de France Burghelle-Rey, comme il en distribue des offrandes rayonnantes de beauté poétique, d’une résonance poignante toute en retenue par l’expression d’un lyrisme d’une intensité contenu. L’amour inaccompli mais incommensurable manque, à un laps près, de s’abandonner au naufrage toujours possible mais, résistant à la noyade la poète prend résolument le parti de se tenir au bord du combat du Fleuve et de la Mer, au lieu-dit initiatique du mascaret où « s’arrache(nt) les peaux du chagrin » ; au lieu-dit initiatique de « l’adunatone » qui s’écrit à l’ombre flamboyante des « Vertiges de désir », à l’ombre d’une mémoire solaire et tisseuse de rêves à accomplir (« soleil tu brilleras moins que l’or de ma mémoire »)…

    Murielle Compère-Demarcy / DR

     

    Burghelle

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    FRANCE  BURGHELLE REY 

    France Burghelle Rey NB

    ■ France Burghelle Rey
    sur Terres de femmes ▼

    Les Promesses du chant, la rumeur libre Éditions, 2023
    → Après la foudre (lecture de Philippe Leuckx)
    → Trop (extrait du Bûcher du phénix)
    → Les Tesselles du jour (extraits)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmesLumière du poème

    ■ Voir aussi ▼

    → le blog de France Burghelle Rey
    → (sur le site des éditions Unicité) 
    la fiche de l'éditeur sur Lieu en trois temps de France Burghelle Rey

     

  • Guillaume Apollinaire / Rhénanes / Alcools

    <<Poésie d'un jour

     

     

    ALCOOLS

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait de Guillaume Apollinaire pour Alcools,
    publié en 1913. Mercure de France 
    Paris, musée national Picasso-Paris.

     

     

     

     

    Mai

    Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
    Des dames regardaient du haut de la montagne
    Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
    Qui donc a fait pleurer les saules riverains

    Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
    Les pétales tombés des cerisiers de mai
    Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
    Les pétales flétris sont comme ses paupières

    Sur le chemin du bord du fleuve lentement
    Un ours un singe un chien menés par des tziganes
    Suivaient une roulotte menée par un âne
    Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes
    Sur un fifre lointain un air de régiment

    Le mai le joli mai a paré les ruines
    De lierre de vigne vierge et de rosiers
    Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
    Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

    Guillaume Apollinaire, « Rhénanes » in Alcools, Poésie Gallimard 1920, Achevé d’imprimé le 9 septembre 1976, p. 95.

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    GUILLAUME APOLLINAIRE

    Guillaume Apollinaire Picasso

    ■ Guillaume Apollinaire
    sur Terres de femmes ▼

    Lettres à Lou, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 2004
    → 26 août 1880 | Naissance de Guillaume Apollinaire
    → 28 février 1912 | Première exposition de Marie Laurencin (+ poème « Marie » lu par Apollinaire)
    → 10 juillet 1914 | Apollinaire, Dessins d'Arthur Rimbaud
    → 8 mai 1915 | Lettre de Guillaume Apollinaire à Lou
    → 17 juin 1915 | Publication de la Case d’Armons d’Apollinaire
    → 15 avril 1918 | Publication de Calligrammes d’Apollinaire
    → 9 novembre 1918 | Mort de Guillaume Apollinaire
    → Les dicts d’amour à Linda

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur fr.calameo.com) Bibliophilie apollinarienne

     

  • TdF sommaire du mois d’Avril 2025 / N° 243


    TDF AVRIL 2025

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    SOMMAIRE DU MOIS  D'AVRIL 2025  ♦

    ♦ Cartouche du N°243 de Terres de femmes / avril  2025 ♦

     

    Antoine Graziani / Rubrica
    Magda Cârneci / Fugă pentru instrumente necunoscute
    Francis Coffinet / Je suis de la maison du songe
    Tatsuo Hori / Le vent se lève
    Marianne Desroziers / UnicA ou le morcellement
    Jean-Louis Rambour / Bleu Roi
    Friedrich Hölderlin / La Mort d'Empédocle
    Margherita Rimi / Era farsi / Entre les mains des mots /Traduction d'Irène Duboeuf
    Esther Tellermann / Selon les sources / Lecture d'Angèle Paoli
    Emmanuel Merle / Brasiers
    Louise Dupré / Armelle Mourier / Bleu cendres
    Michel Diaz / Francis Bacon / le lieu du visage
    Isabelle Alentour / Chaque jour je lie, je relie
    Germain Roesz / Lumière, chaos, couleurs / Lecture d'Angèle Paoli    
    Raphaëlle George / En écrivant la vie me quitte
    Éric Sarner / Poèmes inédits
    Ulrike Bail / point invisible / wie viele faden tief
    James Sacré / Des objets nous accompagnent (ou l'inverse)
    Frédéric Ohlen / Benjamin Bozonnet / Celles qui demeurent
    Estelle Fenzy / Lisser les pointes (Carnet de collège) / Lecture de Michel Ménaché
    Sophie Marie van der Pas / Quelque chose s'en va
    Dorian Masson/ Ils disent qu'il y a un remède
    Monique Lucchini / De votre absence
    Colette Klein / L’Ange des séparations / Lecture de Murielle Compère-Demarcy
    Maxence Amiel / Parmi eux
    TdF sommaire du mois de Mars 2025 / N° 242
    Terres de femmes n° 242 ―Mars 2025

     

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                    ♦ Tdf sommaire du mois de mars 2025 ( N°242 )
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de mars 2025 ( N° 242 )  

                          ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf

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  • Terres de femmes n° 243 ―Avril 2025

    CLIQUER SUR LA PHOTO
    pour accéder au SOMMAIRE
    du numéro du mois d'Avril  2025

     

    TDF AVRIL 2025

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca : (G. AdC ) 

     

  • Antoine Graziani / Rubrica

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    Visage de pierres

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " le fragment
    pour l’ombre " 

    Photo: G.AdC 

     

     

    Ombre étroite

    sur le pierres écliptiques
    du gué

    tourment traversé
    nuitamment

    plus grande
    la demeure liquide

    la maison
    de la descente

     

     

    Montagnes
    l’entaille entre :

    a figurare l’imagine
    di –
    sole cinque vocali
    i raggi della stella
    te lie
    rayons d’autorité
    avieo

    et celles, autres,
    qui se séparent
    géminées dans la soif

    de nuit réduite
    à N diagonale
    signant le fragment
    pour l’ombre

    claudicante dans
    le torrent

     

     

    IMG_1889

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Antoine Graziani, « II, Torrents » in Rubrica, Clivages 1989. s.f.

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    ANTOINE GRAZIANI

    Antoine Graziani  portrait
    Source

    ■ Antoine Graziani
    sur Terres de femmes ▼

    Le Jour, in Coïncidences, Éditions Clivages, 2005, s.f.
    → La lumière (poème extrait de Nuit nue)me extrait de Nuit nue)
    → La mort Jean-Baptiste (poème extrait de Saint Jean-Baptiste)
    → [L’ombre des frondaisons] (poème extrait de Fugue)
    → v e r a n o (poème extrait de Translations)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube) une rencontre-lecture avec Antoine Graziani (Versu Corti, Convergence de poètes vers Corte, 3 avril 2013)
    → (sur Wikipedia) une notice bio-bibliographique sur Antoine Graziani

  • Magda Cârneci / Fugă pentru instrumente necunoscute

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

     

    Sur les cimes

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photos: G.AdC 

     

     

    1.

    Peste vîrfuri
                apa limpede a ochiului enorm şi tăcut
    privind înapoi, contemplîndu-se
                peste vîrfuri.

    1.

    Sur les cimes
                l’eau limpide de l’œil énorme et silencieux
    regardant en arrière, se contemplant
                sur les cimes.

     

    4.

    Peste vîrfuri, privindu-se,
    creierul îşi aminteşte, îşi mănîncă din sine,
                 calde utopii, culturi carnasiere,
    v-am acoperit cu splendoare şi purpură,
                 vise monstruoase, naratiuni distrugătoare,
    v-am hrănit cu carne, sudoare şi limfă,
    scenografii incendiate, istorii în formă de cruce,
                 v-am îmbrăcat în sînge şi aur,
    divifară privindu-se, creierul, autodafeu fastuos,
                 vaierul lui negru, delirul lui sacadat.

    4.

    Sur les cimes, se regardant,
    le cerveau se souvient, se dévore lui-même,
                torrides utopies, cultures carnassières,
    je vous ai affublées de splendeur et de pourpre,
                rêves monstrueux, narrations guerrières,
    je vous ai nourries de chair, de sueur et de lymphe,
    scénographies incendiées, histoires en forme de croix,
                je vous ai couvertes de sang et de bronze,
    se regardant du dehors, le cerveau, autodafé fastueux,
                on entend ses sanglots, son délire saccadé.

     

    7.

    Aud voci, văd strigăte şuierătoare, divine comedii
    răsar şi apun, universuri identice se surpă în sine,
    paradisuri, infernuri, locuri tenebroase de trecere,
        cloporte de eter ne macerează sinapsele ;
    ascult hohotul deşucheat al bătrînei apocalipse
        ce se repetă etern, neauzită şi neînțeleasă,
    cu o ciudată tandreţe, o tandrețe distrugătoare,
        încerc să vorbesc pe cînd limbile tac,
    cuvintele au rămas departe în urmă, înalte grămezi de nisip ;
         aud doar tăcerea insuportabilă
         a unei noi frumuseți
    pe care nimeni n-o vede, deşi e orbitoare,
         aud ecoul unei corzi neatinse de nimeni
    decît de propria ei singurătate.

    7.

    J’entends des voix, j’aperçois des mots scintillants, divines comédies
    se lèvent et se couchent, des univers identiques s’effondrent sur eux-mêmes,
    des paradis, enfers, ténébreux lieux de passage,
         des cloches d’éther nous macèrent les synapses ;
    j’écoute le grondement éhonté de la vieille apocalypse
         jamais entendue, qui recommence sans cesse,
    avec une étrange tendresse, une tendresse destructrice,
         j’essaie de parler tandis que les langues se taisent,
    les mots sont restés loin derrière, de hauts tas de sable ;
         je n’entends plus que le silence insupportable
        d’une nouvelle sorte de beauté
    que personne ne voit encore, bien qu’elle vous aveugle,
        j’entends le frémissement d’une corde
    touchée par personne d’autre que son immense solitude.

     

    MAGDA CARNECI

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Magda Cărneci, Fugă pentru instrumente necunoscute, Traduit du roumain par Linda Maria Baros avec l’auteure, Carnetele apropierii / Cahiers de l’Approche, quatorzième automne, 2024.

     

     Voir aussi sur Terres de Femmes

    Anthologie poétique:   Magda CÂRNECI → Culte postmoderne

     

    Lectia-de-istorie-14

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Francis Coffinet / Je suis de la maison du songe

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Varan

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    © Gerard Lacz / Rex Featu/REX/SIPA

     

     

     

     

    Je garde dans mon rêve la mue d’un serpent.

    Je me tiens debout en guerrier immobile.

    J’ambre,

    comme le font les enfants

    qui grimpent si facilement

    dans l’arbre du sommeil.

    Je suis de la maison du songe,

    avec grande pratique de lémuriens et de varans. 

     

    **

     

    J’ai le cheminement

    lent                    lent

    lent de ces animaux

    qui ont vu croître la terre

    ceux du clan de la lave tiède

    si sûrs de leur merveille.

     

    **

    J’ai toujours avec moi quelques cônes d’enfance

    que je fais brûler contre ton corps. (p.195)

     

    **

     

    La mémoire filtre la boue des fleuves.

    Les horloges ne parviennent plus à entrer dans le temps,

    à peine se glissent-elles dans un doigt.

    On répète alors de très petits gestes :
                       un alphabet pour l’ongle

    datation du vivant par résonance
                              de l’os et de l’épine.

    On attend l’extraction physique d’un monde et d’une âme

    qui seraient contenus dans les nôtres. 

     

     

    SONGE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Francis Coffinet, Je suis de la maison du songe, Éditions Unicité 2020, pp.17, 71, 195, 203.

    Voir aussi sur   TdF 



  • Tatsuo Hori / Le vent se lève

    Lecture

     

     

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    Version originale en Japonais 

     

     

     

    Au mois d’avril Setsuko parut entrer dans une phase prolongée de convalescence. Plus l’amélioration était graduelle et lente, plus elle nous paraissait assurée, et plus nous reprenions, sans nous l’avouer, confiance.
            Sur ces entrefaites, un après-midi, alors que je venais de rendre visite à Setsuko, je la trouvai seule dans sa chambre, son père s’étant absenté. Ce jour-là, au lieu des vêtements de nuit qu’elle ne quittait presque jamais, elle avait mis une blouse bleue. Quand je la vis dans cet état, je m’employai de toutes mes forces à l’attirer dans le jardin. Une petite brise soufflait, mais elle était si douce qu’elle ne faisait que rendre l’air plus agréable. Souriant avec timidité, Setsuko finit par se laisser convaincre. S’appuyant contre mon épaule, elle s’avança d’un pas précautionneux à travers la porte vitrée et s’aventura sur la pelouse. Nous nous dirigeâmes vers les massifs d’arbustes qui longeaient la haie et où, dans un désordre foisonnant, entrecroisant leurs branches au point qu’on ne pouvait les distinguer l’une de l’autre, se mêlaient les espèces les plus variées, dont certaines étaient étrangères. Ici ou là dans ces fourrés, des bourgeons blancs, jaunes, mauve pâle semblaient maintenant sur le point d’éclore. Je m’arrêtai devant l’un de ces arbustes, me rappelant soudain que, l’automne dernier sans doute, Setsuko m’en avait appris les noms.
          « Ceci, c’est du lilas, n’est-ce pas ? lui dis-je, mi- affirmatif mi-interrogateur, en me tournant vers elle.
            -Je crois bien que non, dit-elle un peu ennuyée, posant légèrement sa main sur mon épaule.
            -Ah bon ? Alors, ce que tu m’as appris n’est pas exact ?
           -Je ne savais pas, j’ai répété ce qu’on m’avait dit. De toute façon, je ne trouve pas ces fleurs particulièrement belles.
           -Comment ! C’est au moment où elles s’apprêtent à fleurir que tu dis ça ! Mais alors, celles-là non plus… »
           Je montrai du doigt l’arbuste voisin.
           « Comment s’appellent-elles déjà ?
          -Les cytises ? demanda-telle à son tour.
    Nous étions maintenant devant cet autre arbuste.
        « Ce sont de vrais cytises. Tu vois, il y a deux sortes de boutons : les blancs et les jaunes. La variété blanche est, paraît-il, très rare. Mon père en est très fier. »
          Tandis que nous échangions ces enfantillages, Setsuko avait gardé sa main sur mon épaule et s’appuyait toujours contre moi, moins par fatigue que sous l’effet d’une sorte d’ivresse.
         Nous restâmes longtemps silencieux…comme s’il était possible de prolonger ainsi, même un instant, cette vie remplie de couleurs et de parfums des fleurs. De temps à autre, une douce brise s’échappait, telle une expiration contenue, à travers la haie. Elle venait, tout près de nous, soulever légèrement les feuilles des massifs et passait son chemin, nous laissant dans une solitude absolue.

     

    Le vent se lève

     

       

     

     

     

     

     

     

     

     

        Tatsuo Hori, Le vent se lève, Traduit du japonais par Daniel Struve, L'ARPENTEUR, ©Éditions  Gallimard 1993, pp. 23, 24, 25, 26.

     

     

  • Marianne Desroziers / UnicA ou le morcellement

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    LA VRAIE UNICA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Unica Zurn (1916-1970)
    autrice et dessinatrice allemande,
    compagne de Hans Bellmer, schizophrène et suicidée.
    Source 

     

     

      UnicA : elle n’a   que ce mot-là à la bouche,   un mot
    simple en apparence   – 5 lettres, 3 syllabes – pourtant
    le mot s’échappe,   s’étire en volutes de fumée, le mot
    volette en papillon
       I : le corps du papillon
       Un et Ca : les ailes
       C’est un papillon jaune, un citron de Provence, le
    plus beau.

      Le papillon cherche un endroit où aller, il aimerait se
    poser sur la bouche   d’une petite fille,  dans un dessin
    de H., genoux écorchés, elle sent la fraise et la vanille,
    une odeur    de bonbon     colle     à ses vêtements, une
    fragrance    plus épicée grandit en son milieu, mélange
    de sous-bois et d’étang.

      Le papillon jaune     aime   les petites filles effrontées
    car elles seules   ont la grâce et la pureté,    elles seules
    expérimentent   la liberté du jeu,  ribambelle de petites
    filles sans l’esprit de l’Homme-Jasmin,   elles font des
    bêtises,  prennent des risques,    parlent à des inconnus
    croisés dans la rue, certains leur montrent   leur SEXE,
    elles s’en fichent, se moquent d’eux et de leurs  petites
    limaces, elles les font pleurer, elles en rient encore plus
    fort.

      Les petites filles    sont cruelles,    grimpent    partout,
    mettent   tout     à la bouche    même    si     ça   semble
    dégoûtant,    elles crachent    si nécessaire. Quand elles
    jouent à la VIE,   elles oublient   le jour et l’heure, tout
    occupées     à leurs jeux,    elles cuisinent     des festins
    pour    des amies imaginaires     avec  pour ingrédients
    terre/  cailloux/   feuilles/ fruits du tilleul/ vers de terre.
    Elles servent     les plats     dans leur plus belle dînette,
    mettant    les petits plats    dans les grands pour
    impressionner l’adulte invité.   Les petites filles savent
    y faire,   elles ne sont pas innocentes,   déployant    des
    trésors    d’imagination     pour charmer      les adultes,
    surtout    les adultes mâles.     Les petites filles veulent
    qu’on les aime – comme tout le monde.  Elles utilisent
    ce qu’elles ont :    leurs sourires enjôleurs,  leurs petits
    corps mignons,    leurs mots doux.   Elles imitent leurs
    mères. Les petites filles mènent le monde à la baguette,
    elles apprennent tôt   à manipuler,    à être capricieuses,
    coquettes, colériques.   La société les formate      dès le
    jardin d’enfants […]

       unicA s’appelle NorA
       unicA est le personnage construit par norA, son
    double artiste, son double écrivain
       norA est celle qui subit
       unicA est celle qui agit
       unicA a réussi
       unicA a effacé norA
       unicA veut la gloire
       unicA veut l’argent
       unicA : femme-oiseau, long cou gracile, flamant
    rose /héron/cygne
      unicA : femme-poisson aux mille reflets impossible à
    pêcher
      unicA : le silence
      unicA : un message crypté
      unicA : femme-arbre aux larges ramures pour mieux
    se cacher
      unicA : femme-serpent ondulante, aies confiance,
    dit-elle
      unicA : femme-nombre, 99
      unicA : femme lettre, M
      unicA : femme-enfant, nostalgie pour la contrée des
    vertes amours enfantines
      unicA : femme-miroir brisée en petits morceaux –
    dans chacun, un œil nous regarde

      unicA se souvient     de ce qu’elle a vécu,   invente ce
    qu’elle voudrait    vivre. Elle puise   dans ses lectures /
    observations/ conversations. Comme le facteur Cheval,
    elle récupère   de la vieille vaisselle. De ces rebuts elle
    fait un PALAIS.   Elle fouille dans les poubelles. Va de
    maison   en maison    récupérer      des vieilles choses :
    meubles/  bibelots/    vêtements,   drames personnels/
    secrets de famille,    violence     conjugale/    inceste,
    maladies honteuses/   filles perdues/      avortement/
    internement.    Elle écoute,    regarde, elle a  appris à
    décrypter les signes, elle sait décoder les attitudes, les
    larmes retenues,   la colère prête à sauter au visage du
    premier venu, les regrets    qui plombent le corps, les
    remords qui rongent l’âme, le désespoir qui fragilise,
    la résignation qui immobilise la volonté.

    Elle récupère     tout ça    dans un grand sac,    rentre
    chez elle,    s’installe  sur la table de cuisine, déballe
    tout, aux matériaux de seconde main, elle ajoute des
    souvenirs/ fantasmes personnels, commence le travail
    d’anagrammes/ patchwork/   mosaïque avec tous ces
    morceaux de vie épars.

     

     

     

    IMG_1857

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marianne Desroziers, poésie, UnicA ou le morcellement, Préface Philippe Labaune, illustration Armelle Le Golvan,
    Éditions Sans Crispation, 2025, pp.71, 72, 73, 74.

     

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    UnicA ou le morcellement est un hommage rendu à l’artiste-poète Unica Zurn dont l’œuvre graphique et littéraire a séduit les surréalistes. Compagne de Hans Bellmer, elle fut internée à plusieurs reprises et mit fin à ses jours à Paris en 1970. Marianne Desroziers prend ici le parti d’en écrire un livre, ou disons-le, un poème, voire un récit où « tout serait inventé et où tout serait vrai »… « Quelque chose d’écrit qui serait comme la trace » qu’Unica aura laissé sur nos âmes, mais aussi nos corps. Un livre « sororal » qui, comme dans « Sylvia, ou la fille dans le miroir » (un hommage cette fois rendu à Sylvia Plath) nous fait pénétrer l’univers hors norme d’une femme fragmentée…

     ALCA ( → Agence  Livre  Cinema et Audiovisuel )

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