Auteur/autrice : Angele Paoli

  • Jean-Baptiste Pedini / Un monde à nu

                                                                                                 << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

    La beauté

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " Nous jouissons dos à dos."

    Photo: G.AdC 

     

     

    Je te regarde    danser   dans une nuit   en
    ruine.   Il ne reste d’ici que des débris  de
    peaux. On se mouille le doigt pour mieux
    les ramasser :   goûter   encore  la chaleur
    d’un sexe.   La bestialité   de la vie.  Je te
    regarde    danser    sous un éclairage    nu.

    Finalement,   le matin   a perdu      ses
    couleurs  de matin.    La fenêtre   les a
    bues.    Ou seulement  effrayées si des
    monstres  ont grandi au  voisinage des
    corps.   Finalement   le matin  n’a rien
    dans le ventre et l’univers songe creux.
    Nous jouissons dos à dos.

    ….

    Il n’y a plus de ciel.  Seulement ce linge
    tendu sur nos corps,  comme  un appel à
    la pudeur. Il n’y a plus de ciel mais tu dis
    ressentir encore   la rondeur des collines,
    le velours   d’un lac de montagne.    Les
    lèvres qui soudain se frôlent en cadence.

    La beauté    de l’orage dans tes yeux est
    ce rêve   que le petit jour   n’altère   pas.
    Je   t’observe   à la dérobée et le trouble
    sillonne   le long   d’une crête.   Les
    éclairs creusent l’isolement.  Nos corps
    lentement   s’étirent   sur un fond     de
    blancheur.

    Je cherche   un peu de rose dans le ciel
    automnal. La douceur des matins où tu
    somnoles    sur la terrasse.   Les épaules
    chaudes de soleil. Les seins en relevant
    la courbe.   Je cherche   un peu    la vie
    d’avant dans le plat de nos ombres.

     

     

    Pedini

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jean-Badiste Pedini, Un monde à nu, Collection verte, Cheyne éditeur 2024, pp. 42,43,46,47,48.

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    JEAN-BAPTISTE   PEDINI

     

    Pedini 2

     

    ■ Sur Terres de femmes▼

     

    Le Ciel déposé là, L’Arrière-Pays, 2016
    Suivre l’océan, Œuvres de l’artiste Maria Desmée, L’Ail des ours / n° 17, Collection Grand ours 2022

     


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Ce Qui Reste) une page sur Jean-Baptiste Pedini
     Prendre part, le site de Jean-Baptiste Pedini
    → une lecture du Ciel déposé là de Jean-Baptiste Pedini, par Marie-Josée Desvignes

     

     

  • Robert Ganzo / Lespugue

                                                                                           << Poésie d'un jour

     

     

    DANS LES FLAMMES

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    "Au bout du rêve ouvre les yeux"

    Photo: G.AdC

     

     

     

     

     

    À Léona Jeanne.

    L’ultime pas, le dernier feu,
    tout signe, le chaos l’efface.
    Rien que des vents pleins de froid bleu
    entre des mâchoires de glace.
    Dans l’ombre de ton lourd sommeil,
    parmi les neiges et les pierres,
    un premier rêve éclot, pareil
    au gel qui brule les paupières.

    Ton souffle, comme une eau s’élève
    vers quel fleuve encore incertain ?
    Ouvre les yeux au bout du rêve ;
    voici l’aube et le ciel s’éteint.
    C’est donc ici ? Faims, soifs, saccages,
    Tumultes : nous fûmes conduits.
    Seules tes mains, comme des cages
    gardent ce qui reste des nuits.

    Comme les dents d’une morsure,
    te levant quand je me levais,
    tu me suivais, esclave sûre,
    et peut-être, je te suivais,
    esclave sans effroi, moi-même.
    Ainsi, mornes, indifférents,
    accouplés, deux signes errants
    dans l’hostilité d’un ciel blême.

    Bois immobiles sans poussière ;
    lacs noirs où rien n’avait baigné ;
    chemins de sang ; haltes de pierre ;
    au gré du troupeau résigné
    nous fûmes conduits. Tout s’efface.
    Au bout du rêve ouvre les yeux ;
    rien que ton corps chaud et frileux ;
    rien que mes yeux de bête lasse.

    Le jour. Regarde. Une colline
    répand jusqu’à nous des oiseaux,
    des arbres en fleurs et des eaux
    dans l’herbe verte qui s’incline.
    Toi, femme enfin – chair embrasée –
    comme moi tendue, arc d’extase,
    tu révèles soudain ta grâce
    et tes mains soûles de rosée.

    Tes yeux appris aux paysages
    je les apprends en ce matin
    immuable à travers les âges
    et sans doute jamais atteint.
    Déjà les mots faits de lumière
    se préparent au fond de nous ;
    et je sépare tes genoux,
    tremblant de tendresse première.

    Ganzo livre

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Robert Ganzo, « Lespugue » in L’œuvre Poétique, Éditions Gallimard, 1997, pp. 25,26,27.

     

    Voir aussi  sur Robert Ganzo  =>  TdF 

     

     

     

  • Esther Tellermann / Selon les sources

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Un MAILLOL aux Tuileries                                                                                         

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " On attesta le dessin de la lèvre l’épaule découverte
    un peu de peau  qui brille." 

    photo : G.AdC 

     

    Selon les sources
    ils apprirent
    s’enveloppaient
          de nuages
    de carrefours.
    Plaines ombreuses
    les dispersent
          avec les cimes
    et les passages.
    On attesta
    le dessin de la lèvre
    l’épaule découverte
           un peu de peau
           qui brille.

    Nous recommencerons
    un soir de
           semaine
    reporterons
           les icônes et
    l’aube
    serons     sur
    le point d’être
    croirons à nouveau
    aux mains ouvertes
            sur le feu.

    Aurons-nous
    encore
    volcans de mousse
        lacs
    où s’endormir ?
    Ophélie votre
             caresse
    Ariane     votre
             bord ?
    Lui gouverné
    d’un temps enfoui ?
    Aurons-nous
    la paille repliée
        le chanvre
    et la coquille ?
             Morceau
            de vous ?

     

    Aurons-nous
    l’arche et le saule
    l’épitaphe et
        les orgues ?
    Saurons-nous
    qui te chante     qui
        te    supplie ?
    Entre vous
    qui     me
             sépare ?

     

    Tellermann

     

     

     

     

     

     

     

     

    Esther Tellermann, Selon les sources, poésie, Éditions Flammarion 2024, pp.56,57,58,59.

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    ESTHER   TELLERMANN

    Esther Tellermann

    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes ▼

     

    →Nos racines se ressemblent, Traduction et Reflets de Michael Bishop,
       Éditions VVV Editions, 2022
    Corps rassemblé (lecture d’AP)
    Corps rassemblé, éditions Unes, 2020, pp. 91-94. Vignette de couverture de Claude Garache.
    [Jours firent de toi ma teinture] (poème extrait d'Afin qu’advienne)

    → Carnets à bruire in Europe, revue littéraire mensuelle, juin-juillet 2011, n° 986-987
    → Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
    → Éternité à coudre (lecture d’AP)
    → [Un écho    un roman] (poème extrait d’Éternité à coudre)
    → Voix à rayures (poème extrait du Poème Meschonnic)
    → Première version du monde (lecture d’AP)
    → Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    → [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    → Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    → [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    → [Puis se ferme | la porte] (poème extrait d’Un versant l’autre)
    → [Onde] (poème extrait de Voix à rayures)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau RecueilL'indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net) François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
    → (sur Recours au poèmeune lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP

  • Denise Le Dantec / Aussi bas que les fleurs

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    LE DANTEC PAR G.AdC

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portait par G.AdC 

     

    Rien à dire sur les ruisseaux
    les roseaux qui blanchissent……………………….

    Je ramasse les feuilles d’érables tombées de l’autre côté
    de la rue une main ou un pied

    Les volants de ma jupe font des vagues océaniques…………..

    …………………………………………………….

    Disons Le Colosse par Sylvia Plath, la statue sculptée par
    le Bernin
    les lunes brillantes de Jupiter

    une bouteille de plastique, une poubelle, un sandwich
    garde-à-vue, un rakakat

    +

     

    Des anges dans le brouillard
    la viande coupée à la feuille
    la paruline des ruisseaux
    un bruit d’avion

    +

     

    Un soap-opéra, une danse zouk love, un alisier blanc
    argenté……………

    Quand je pense à une chose, je pense à autre chose

                         alouette, gentille al___________

                         al alou e tttttttttttttttttttttttttt TE

    Les poires sont coiffées d’un pompadour

    Mes lèvres sont des escargots rouges

    voix perdue…………..voix d’automne…………….

    1000 chansons

    Je lève la main, j’envoie un texto

    Mon père a les cheveux couleur de corbeau

    Le visage de ma mère se reflète sur tous les miroirs
    un trèfle porte-bonheur autour de ses pieds

    Je vois les arbres, le collier sucré au thé vert
    le petit poney trempé dans du caramel

    la nuit X le ciel X la nuit X le ciel X la nuit X
    La nuit X le ciel X la nuit X le ciel X la nuit X

    avec des fleurs pour vous, se si belles fleurs,
    j’ai à peine les mots

    un cheval hurle sur la plage
    l’homme a le bras armé
    des bandes de guerriers s’assemblent
    les statues sont couchées
    une femme aux cheveux noirs est assise
    la maison est brûlée
    le terrain abandonné
    mon père ouvre le chemin de la nuit
    la table est mise au bord de la mer
    240 couverts 240 otages
    la nappe rouge incendiée
    des cailloux blancs
    c’est un banquet fantôme
               j’ouvre les fenêtres
              je ferme les portes
             les sirènes hurlent
            la pièce est pleine de gens
           il fait noir
    nous attendons dans la chambre-forte
    la mort frappe au carreau
    c’est un combattant
    les ombres se mélangent
    j’avance entre deux murs
    le sol est rouge
    la chambre est envahie
    les tombes explosent
               les alphabets
              les livres
              les tableaux
    un chien traverse la rue
    les façades disparaissent
              les rideaux se retirent
              les couloirs se renversent
              le balcon s’effondre
              un enfant sur sa chaise
             le plancher est noir
             les affiches incarnat
            le drap pâle
    l’arbre se met à pleuvoir
    les brancardiers ferment les yeux
    un oiseau chute
    les murs sont sans voix
    des fumées
    des ossements gris
    rien

    BEERI, 7 octobre 2023

     

    LE DANTEC

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Denise Le Dantec, Aussi bas que les fleurs, éditions unicité, Collection «Brumes et Lanternes» 2924, pp. 80,81,82,83.

     

    Denise Le Dantec sur  => TdF 

     

     

  • Jacques Réda / Mort du poète

     

     

     

    Photo-Collage

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le poète Jacques Réda est décédé à Hyères, le 30 septembre 2024.

    Il était âgé de 95 ans.

     

    CRÉPUSCULE

    On ne voit pas les gens dont en entend la voix
    Et ceux qu’on voit ont l’air d’illustrer le silence
    Tandis que circulairement l’orage lance
    De longs éclairs muets qui tremblent sur les toits.

    On attendait un sourd roulement de tonnerre,
    Mais rien. La dame, en face, arrose sans un bruit
    Ses fleurs pâles déjà recloses pour la nuit
    Et partout règne un silence extraordinaire.

    Peut-être le moteur de la terre s’est-il
    Arrêté brusquement malgré la loi physique
    Et ne perçoit-on pas encore la musique
    Des sphères à travers ce silence d’exil.

    Eh bien qu’elle rugisse ou file son murmure
    À l’infini sans nous qui sommes exilés
    Entre l’aube stridente et les cieux constellés,
    Dans le soir insonore avant la nuit obscure.

    Jacques Réda, « Crépuscule », L’Adoption du système métrique, Gallimard, Collection blanche, 2004, page 107.

     

    Réda

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jacques Réda
    Sète, festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée
    31 juillet 2015
    Ph. ©Pierre Kobel

     

    ■ Jacques Réda
    sur Terres de femmes

    → L’aurore hésite
    → La course
    → L’homme et le caillou
    → Testament (poème extrait du Testament de Borée)
    → 4 mars 1970 | Jacques Réda, Il s’est mis à neiger (hommage à Jean-Philippe Salabreuil)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → un site consacré à Jacques Réda
    → (sur Terres de femmesBernadette Engel-Roux | Le nom des choses [Une lecture de Jacques Réda, extrait]
    → la conférence en ligne de Jacques Réda (dimanche 9 novembre 2003. Université de tous les savoirs) : "Jacques Réda : Écrire Paris")

     

  • Isabelle Lévesque / Michèle Destarac / Passer outre / Lecture de Pierre Dhainaut

    Isabelle Lévesque, Michèle Destarac,
    Passer outre, L’herbe qui tremble,
    collection Papiers d’art
    Lecture de Pierre Dhainaut

     

     

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    Peinture de Michèle Destarac 

     

     

     

    Voici un livre merveilleux, Passer outre, il ressuscite l’esprit ludique de l’enfance. Jouons le jeu. Ce serait difficile, du reste, de faire autrement, tant sa vivacité est grande, côté peintures, côté poèmes, indissociables. Quel jeu ? Nous n’en savons ni le nom ni les règles. N’ayons en tête que le goût de l’aventure et de la découverte permanente ; fions-nous au titre qui commande de transgresser les définitions, les cadres, les formes fixes, les résultats qui rassurent. En toute circonstance, passons outre.

    Isabelle Lévesque mise en présence des peintures de Michèle Destarac a dû être la première étonnée : elle apercevait des taches plus ou moins déchiquetées, plus ou moins mêlées, de couleurs franches pour la plupart, du noir, beaucoup de noir, du rouge, du bleu, du jaune, du vert, et des lignes çà et là intensément tracées qui s’interdisent tout recours à l’implacable géométrie. Aucun souci de figurer précisément quoi que ce soit, objets, lieux, personnages. Et cependant ces images occupent avec force la surface de chaque feuille selon une structure à la fois évidente et précaire, notre attention est sans cesse relancée, renouvelée. C’est bien ce qu’Isabelle Lévesque a tenu à exprimer. Comment le faire avec des mots ?

    Michèle Destarac s’est bien gardée d’expliquer sa démarche. Elle se sert de moyens strictement picturaux, ceux que les gestes valorisent quand ils ne sont pas guidés par le seul intellect. L’élan pense. La main guide lorsqu’elle n’est pas entravée : Michèle Destarac fait tout pour la rendre libre. Le pastel qu’elle emploie volontiers, souple, va vite. C’était la belle leçon de Cobra dont elle a toujours été proche. La peinture cesse alors d’être illustrative. Les œuvres reproduites dans Passer outre, à deux exceptions près (il s’agit de toiles), n’ont pas de titres, ce sont des « compositions » : aux spectateurs de dégager sinon un motif, du moins une perspective, à condition qu’elle ne soit pas réductrice. Michèle Destarac les a conduits face à ce qui n’avait jamais été vu, ils doivent, s’ils ne se contentent pas de la contemplation pure, silencieuse, poursuivre l’action du peintre par d’autres moyens.

    Tel est le défi qu’Isabelle Lévesque n’a pas manqué de relever. De quelle manière être fidèle à l’exemple des peintures sinon en étant aussi libre et aussi exigeant, aussi efficace ? L’unique solution, Isabelle Lévesque la présente à l’aide d’un verbe qui à lui seul occupe tout un vers dans un poème intitulé justement « La chance » : « Réinventer. » Ce poème qui se trouve dans les dernières pages est programmatique, il résume un comportement qui s’est manifesté à travers tout le livre. Isabelle Lévesque n’a pas à nous dire vraiment pourquoi elle écrit, puisqu’elle nous dit comment elle le fait.

    « Jouer », par exemple, « au pendu sans lettres. / Faire une maison sans murs. / Utiliser le toit comme un bouclier. » Écrire, c’est jouer, c’est refuser dans tous les domaines la logique. D’où le privilège accordé aux genres poétiques qui la subvertissent, la fatrasie et la comptine. Le non-sense l’emporte, ou « l’insensé », sur tout autre critère. Cette question, « le triangle entre-t-il dans un rectangle trop petit ? », n’est-ce pas un koan du zen destiné à nous désorienter ? Isabelle Lévesque insiste : « Il faut apprendre à dompter / les lignes de la géométrie » qui symbolisent l’ordre. En cela elle est parfaitement fidèle aux refus de Michèle Destarac : non à l’angle droit, non au linéaire de l’espace et du temps. Non à ce que l’école nous a contraints de respecter. Nos règlements sont trompeurs et stériles.

    24 peintures, 24 poèmes. Chaque fois, un titre particulier choisi par Isabelle Lévesque. Elle prélève dans une image un détail qui la frappe, parfois infime, qui concerne une couleur ou une forme, et aussitôt elle se laisse entraîner par ce qu’elle imagine, le vide, un pont, des yeux, la mort, tout et rien… Elle n’obéit qu’à la magie des contes. L’écriture se réinvente en se fiant aux sonorités plus qu’au sens, en prenant à la lettre des tournures familières pour les rendre incongrues. Adopter un point de vue et s’y tenir afin d’élaborer un récit chronologique, une description systématique, ce serait contraire à ce qu’Isabelle Lévesque, tous ses livres en témoignent, entend par poésie, qui la saisit jusqu’au vertige. S’il y a une trame, elle est secrète. Quelle est la partie qui se déroule dans Passer outre ? Dans le labyrinthe de l’espace et du temps, nous allons et revenons de case en case, nous allons encore, nous sautons. Nous n’avons pas de repères, nous ignorons s’il existe un progrès dans cette marelle inédite. Tout s’effondre et tout recommence. Faisons tout néanmoins « pour ne pas être condamné / à jouer Sisyphe », selon les derniers vers du livre.

    Dans Passer outre Isabelle Lévesque se dégage totalement des conventions, c’en est fini de la sacro-sainte unité du style comme du ton. Elle n’hésite pas à user de tournures familières (enfantines) : « quand ça cogne, ça compte pour du mordu », et de vers qui ne se cachent pas d’être des alexandrins (désuets) : « Sur son destrier noir chevauche le soleil. » Toute licence, Isabelle Lévesque s’en donne à cœur-joie dans cet art de l’alliage, mais à vrai dire ce que l’on pourrait qualifier de fantaisie n’est jamais loin du tragique, l’allégresse et l’angoisse sont voisines. « On joue et on ne joue pas. »

    Le lecteur d’abord décontenancé de Passer outre retrouve l’auteure de Je souffle, et rien., ses expressions de toujours qui vont droit à l’essentiel grâce aux ellipses, ses hantises, ses images violentes que l’humour – noir – n’atténue pas, notamment dans « L’entomologiste » : « Un corps coupé en deux flotte-t-il / entre deux eaux bercé par le pire ? » Le pire, la perte du père parmi les noyés que le fleuve emporte, autant d’échos de Je souffle, et rien.

    Isabelle Lévesque aime la collaboration avec les peintres, ils l’accompagnent. Ici, les rôles sont renversés, mais ce nouveau livre a sa place dans une œuvre en perpétuel mouvement, qui interroge les couleurs et que les couleurs revigorent, matière et verbe unis dans un même feu.

     

    Isab

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


          ISABELLE LÉVESQUE

         Isabelle Lévesque
          Source

         ■ Isabelle Lévesque
         sur Terres de femmes 

    → C’est tout c’est blanc
    → [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    → Le Fil de givre (lecture d’AP)
    → Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    → [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    → Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    → Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    → [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l'oubli)
    → Nous le temps l’oubli (lecture d’AP)
    → [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    → Ossature du silence (lecture d’AP)
    → [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    → Ravin des Nuits que tout bouscule (lecture d’AP)
    → [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    → Va-tout (lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    → Voltige ! (lecture d’AP)
    → Isabelle Lévesque | Pierre Dhainaut, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un autre poème extrait de Va-tout)

     

  • Luigi Martellini / Polvere Di Mare (Poesie scelte 1964-1987)

     

     

     

                                                                   

    Luigi Martellini, Polvere di mare
    Poésies choisies (1964-1987)
    Traduction inédite de Anna Lo Giudice

    Sur une proposition de Jean Nimis, Université de Toulouse.

                                                                  

     

    Notturni

     

    1.

    Si spacca la stanza al respiro che sale
    dai vicoli col rumore del mare:
    un delirio che i miei Angeli
    scorgono ogni notte.
    Ricompongo sensazioni disperse
    nei locali e fuori a ridosso
    degli orti riconosco voci di operai
    che giocano a carte e mio padre
    nell’umidità della spiaggia.
    Il terrore smarrisce con la brezza
    che sbatte alle finestre.
    Rientro negli spettri della notte
    e sento i miei sassi in lontananza
    frangersi sulla risacca.

    2.

    Un arenile stamane pieno
    di rami arbusti tronchi
    gettati dal mare…
    si potrebbe accendere un fuoco
    accanto ai morti.
    Giungono brividi
    dal fiato notturno.
    Cerco tra festuche rinsecchite
    cespugli intrecciati arabeschi
    …solo una scheggia di legno
    gonfia di sale.

    3.

    La gente trascorre la notte
    per le strade: paese di mare
    simile ad altri.
    Negli orti illuminati
    si racconta di anni a venire
    ogni sera è la conclusione
    di un rito che non muta.
    La pioggia degli astri
    ammanta l’ultimo cielo d’agosto
    sagome di barche
    nelle ombre del litorale
    sussurrano al vento
    leggende straordinarie
    di vecchi lupi di mare.

    4.

    Non c’è più spazio all’orizzonte
    nemmeno per lo sguardo
    in un paesaggio spazzato dalla bora
    ultima Thule* delle nostre suggestioni.
    Miliardi di stelle a portata di mano
    restringono l’universo.
    Addirittura udivamo il suono
    di una conchiglia gigante.

    5.

    Chi mi toglierà dall’animo
    la pena che percorre le logorate
    sembianze del rito straniero?
    Già conosciamo la distanza
    del vecchio porto
    dove giungemmo
    con l’odore di salmastro
    nelle notti stellate.
    Sappiamo già
    della farsa che ci attende.

    6.

    Gli ultimi alberi
    di un ciclo antichissimo
    respirano l’atmosfera
    immobile della fine.
    Dalla memoria si dileguano
    le parvenze della sorte
    piene di eroi smarriti:
    potremo dunque ritrovare
    nel buio il nostro paese?

    Epigrafe

    Ho restituito la morte al destino
    preferisco la condizione di allora
    quando conversavo col mare
    raccoglievo pezzetti di vetro
    levigati dalla salsedine
    inventavo pupazzi d’argilla.

    Luigi Martellini, Polvere di mare, (Poesie scelte 1964-1987)

     

    NOTA:

    Le poesie qui raccolte (e per la prima volta tradotte in francese con varianti) sono state scelte e riordinate cronologicamente dalle seguenti raccolte, le quali invece erano state datate secondo criteri interni:

    Quasar (1959-1975), Manduria, Lacaita, 1977, con l’introduzione di Mario Petrucciani.

    Infiniti sassi (1976), Fermo, Edizioni del Girfalco, 1977, con la presentazione di Giorgio Caproni.

    Mistificato enigma (1964-1980), Caltanisetta-Roma, Salvatore Sciascia Editore, 1982, con una lettera di Mario Luzi.

    Poseidonis (1985), Fermo, Edizioni del Girfalco, 1986, con una nota critica di Emerico Giachery (poi in Eídola).

    Eídola (1960-1987), Milano, Marzorati, 1987, con la prefazione di Carlo Bo

     

    ***

     

    Bio-bibliographie de Luigi Martellini :

    Luigi Martellini vive nelle Marche (Fermo).

    Già docente all’Università di Urbino e poi professore di Letteratura italiana moderna e contemporanea all’Università della Tuscia, ha scritto su D’Annunzio (Ateneo 1975 poi Carabba 2005), Malaparte (Mursia 1977), Matacotta (La Nuova Italia 1981 poi Carabba 2007), la Poesia delle Marche (Forum 1982), Cardarelli (ESI 2003) e su Pasolini (Cappelli 1979, Le Monnier 1983, Laterza 1989 ) fino al Ritratto di Pasolini (Laterza 2006, tradotto in spagnolo dall’Università di Valencia). Ha curato per Mondadori e Leonardo varie opere di Malaparte (Maledetti toscani, Tecnica del colpo di Stato, Il meglio dei racconti, Io, in Russia e in Cina, Mamma marcia, Il sole è cieco) e poi le Opere scelte per “I Meridiani” e per le Edizioni Scientifiche Italiane le opere inedite (Il Cristo proibito e Lotta con l’angelo) e i due volumi: Comete di ghiaccio e Le “Prospettive” di Malaparte.

    Altri saggi su Malaparte sono anche in “Chroniques Italiennes” (Parigi), in “Cuadernos de Filologia Italiana” (Madrid), in Atti di convegni dedicati allo scrittore ed ha collaborato al volume Malaparte (Parigi, Edizioni de L’Herne 2018).

    Inoltre un commento alla Coscienza di Zeno di Svevo è uscito da Carocci e studi su Petrarca, Monti, Leopardi, Ungaretti, Pavese, Tecchi, G. Stuparich, Calvino, P. Levi, Alvaro… sono in Atti di congressi e nei quattro libri saggistici: Modelli, strutture, simboli (Bulzoni 1986), in Nel labirinto delle scritture (Salerno 1996), in Novecento segreto (Studium 2001) e in Altri labirinti (Sette Città 2015).

    Ha collaborato alla terza pagina de “L’Osservatore Romano”, alla Letteratura Italiana di Lucarini, Marzorati, Einaudi Scuola, alla “Rassegna della letteratura italiana” e a “Otto/Novecento”.

    Si segnala anche la sua attività poetica, accolta con favore dalla critica e sulla quale si veda il link ((https: // bombacarta . com  / wp – content /t / uploads / 2022 / 01 / LiV – n.- 49 -Martellini. pdf ? x 40999).

     

    Nocturnes

    1.

    Se brise la chambre au soupir qui monte
    des véhicules avec le bruit de la mer:
    un délire perçu chaque nuit
    par mes Anges.
    Je recompose des sensations éparpillées
    dans les cafés et dehors à l’abri
    des potagers je reconnais les voix des ouvriers
    qui jouent aux cartes et sur la plage humide
    mon père.
    La terreur s’égare à la brise
    battant aux fenêtres.
    Je rentre dans les spectres de la nuit
    et entends mes cailloux au loin
    se briser sur le ressac.

    2.

    Ce matin une plage de sable est comble
    de branches arbustes troncs
    jetés par la mer
    on pourrait allumer un feu
    près des morts.
    Frissons lancés
    par l’haleine nocturne.
    Je cherche parmi les fétuques sèches
    buissons entrecroisés arabesques
    … mais il n’y a qu’une écharde de bois
    bouffie de sel.

    3.

    Les gens passent la nuit
    dans la rue: village marin
    comme les autres.
    Dans les jardins éclairés
    on suppose le futur
    chaque soir est la conclusion
    d’un immuable rite.
    La pluie des astres
    recouvre le dernier ciel d’août
    les silhouettes des bateaux
    dans les ombres du littoral
    murmurent au vent
    leurs légendes extraordinaires
    de vieux loups de mer.

    4.

    Il n’y a plus d’espace à l’horizon
    même pas pour le regard
    dans un paysage balayé par la bora
    dernière Thulé* de nos suggestions.
    À pleines mains centaines d’étoiles
    resserrent l’univers.
    On entendait même le son
    d’une coquille gigantesque.

    5.

    Qui pourra arracher de mon âme
    la peine sur les traits
    fanés du rite étranger?
    On connaît déjà la distance
    du vieux port
    où l’on arrive
    avec une odeur saumâtre
    pendant une nuit d’été.
    On connaît déjà
    la force qui nous attend.

    6.

    Les derniers arbres
    d’un très vieux cycle
    respirent l’atmosphère
    immobile de la fin.
    Dans la mémoire s’effacent
    les apparences du sort
    pleines de héros égarés:
    on pourrait donc retrouver
    dans l’obscurité notre pays?

     

    Épigraphe

    J’ai rendu la mort au destin
    préférant ma condition d’antan
    lors des conversations avec la mer
    je ramassais de petits bouts de verre
    polis par la salure
    j’inventais des pantins en argile.

    Poussière de mer, Poèmes traduits par Anna Lo Giudice.

    *Thulé: N.d.t. Nom latin fabuleux d’une région nordique non précisée, considérée pour être la limite septentrionale extrême du monde.

     

    Nota:

    Les poèmes ici rassemblés (et traduits pour la première fois en français avec des variantes) ont été choisis et réorganisés selon un ordre chronologique à partir des recueils suivants, lesquels avaient été datés selon des critères internes.

     

     

     

  • Gérard Cartier / Le Méridien de Greenwich

      <<Poésie d'un jour

     

                         I. Les Docks

                              .X.

    Penché dans l’hiver sous la lucarne embuée
    D’interminables pluies depuis le Jubilee
    Je m’applique à oublier celui que je fus
    Le Collins & Robert aux genoux et The Saint
    Brendan Secouant le stylo où l’encre peine
    Cherchant sous le fouet de l’orage les mots
    Qui vont aviver la plaie et manifester
    Le sens de cet exil La Tamise déborde
    Emportant la barque colorée que le moine
    Guide en priant Qu’il rejoigne la mer et dérivant
    Dans le vent et les marées qu’il gagne enfin
    L’Île promise… et je rêve à sa suite
    Dans une coque ovale emportée par le courant
    Au-delà des cartes une terre oubliée
    Où tu m’attends.

     

     

    Saint_brendan_german_manuscript

    source: Wikipedia

                                 

                                         .XVII.

    Au bord du fleuve en crue Un chant avec deux doigts
    Sur un couvercle de zinc et le bourdon du vent
    Dans les hangars abandonnés Murailles redoublées
    D’invocations sauvages Rien ne s’efface rien
    Malgré le ciel acide et les mots inconnus
    Retrouver un instant les passions de l’enfance
    La terre et ses secrets un quai bosselé
    Pousser du pied un caillou coloré et courir
    Sur une ligne étroite entre deux précipices
    Les années devant soi leur flèche qui vole
    Sans effort vers l’horizon Jusqu’à ce point
    Où derrière et devant la distance est égale
    Où la nuit dans le jour prend une égale part
    Si peu chargé de souvenirs pourtant
    Que je n’ai pas dix ans …

     

     

                            II. Les Hautes Terres

     

                                          .XIV.

    Paysage du nord trop de ciel Une fable
    Inachevée un âne dans un marécage
    Et un corbeau fuyant la mer L’ombre
    Secoue les herbes je cherche mon chemin
    Appuyé contre une borne Les îles d’Eilean
    Montent et s’enfoncent sur la ligne du bord
    M’appelant où l’on ne peut combattre le silence
    Ni accroître l’éclat de la solitude Une image
    Frugale est mon plaisir et deux livres d’une langue
    Aiguë comme un silex Lentement passe
    La flèche du soir Au creux d’une dune
    Dresser ma tente Herbes et roseaux
    Et la bénédiction d’un feu que le vent couche
    Puis dormir les dents serrées Comme mort Oubliant
    Ce qui est et ce qui fut…

     

    IMG_0827

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dessin original de Gérard Cartier

     

     

     

    Green

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gérard Cartier, I, « Les Docks » & II « Les Hautes Terres » in Le Méridien de Greenwich, Éditions Obsidiane, 2000, p.20, 27 et 46.

    PORTRAIT DE GERARD CARTIER
    Image, G.AdC

    ■ Gérard Cartier
    sur Terres de femmes ▼

    La duplicité. (poème extrait des Métamorphoses)
    Les Métamorphoses (lecture de Maëlle Levacher)
    Tristran (lecture de Nathalie Riera)
    Le philtre (extrait de Tristran)
    Le Voyage de Bougainville (lecture de Marie-Claire Bancquart)
    Le Voyage de Bougainville (lecture d’AP)
    → EX MACHINA, Journal de L’OIE, La Thébaïde, Collection Roman, 2022.
    → Gérard Cartier / Le Voyage intérieur
    → Gérard Cartier, Le voyage intérieur, Flammarion poésie, 2024 (Lecture d’Angèle Paoli)
    → « I, Les enfances de Mara » in Le Roman de Mara, Tarabuste éditeur, 2024
    → « Terra nullius », Mers Boréales .87., in L’Ultime Thulé  Jeu de l’oie, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2018 


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Flammarion) d’autres extraits de L’Ultime Thulé [PDF]
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Gérard Cartier

     

     

     

  • Gabriela Mistral / Essart

                                                                                                                      

    <<Poésie d'un jour

     

     

    Bleue

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " mer italienne, mer italienne !" 

    Photo: G.AdC 

     

     

     

     

                               

                              III

                              Eau

    Il est des pays dont je me souviens
    comme je me souviens de mes enfances.
    Ce sont pays de mer ou fleuve,
    de pâturages, prés et eaux.
    Bourgade mienne sur le Rhône,
    rendue en fleuve et en cigales ;
    Antille en palmes vert-noires
    qui est à mi-mer et m’appelle ;
    roche ligure de Portofino,
    mer italienne, mer italienne !

    On m’a portée en pays sans fleuve,
    terres-Agar, terres sans eau ;
    Sarahs blanches et Sarahs rouges,
    où d’autres races ont péché
    du péché rouge d’atrides
    qui content des glaises entaillées ;
    qui ne naquirent pas comme un enfant
    avec de bonnes chairs bien grasses,
    quand je les entends, sans sifflement,
    quand je les traverse, sans regard.

    Je veux retourner à des terres en enfance ;
    menez-moi en un mol pays d’eaux,
    qu’en de grandes prairies je vieillisse
    et fasse au fleuve fable et fable.
    Que ma mère y soit une source
    qu’à la sieste je sors chercher,
    et qu’en jarres descende d’un roc
    une eau douce, aiguë et âpre.

    Qu’elle me vainque et me coupe les souffles
    cette eau forte, âcre et glacée.
    Qu’elle rompe mon verre et que la boire
    redonne enfance à mes entrailles !

     

     

    ESSART

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gabriela Mistral, Essart, Traduit de l’espagnol (Chili) et présenté par Irène Gayraud, La vignette de couverture est de Jean-Michel Marchetti, Éditions Unes, 2021, pp. 73,74.

     

     

    MISTRAL

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait par G.AdC

    Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature. Son immense talent pour la poésie a donné à l’Amérique latine son  premier prix Nobel de littérature, en 1945.

     

    Gabriela Mistral sur    =>   TdF 

     

  • Emmanuel Moses / Le Dictionnaire des sérénités

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    Poesie collage

         

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo-collage by G.AdC

     

     

     

     

     

    À la mémoire de Joseph Jousselin.

     

    Une nuit j’ai rêvé d’un titre : « Le dictionnaire des sérénités »
    Pourtant j’étais tout sauf serein à ce moment-là
    Je n’arrivais pas à dissiper une sorte de nuit intérieure
    Qui s’appesantissait de plus en plus au fond de moi
    C’était pendant une des semaines de forte chaleur
    Je ne sortais que pour acheter de l’eau minérale et des œufs
    J’ai vécu ainsi, terré, avec des litres d’eau et des douzaines d’œufs
    En moi il y avait comme deux personnes qui luttaient à la mort
    du matin au soir
    Ce rêve m’a un peu apaisé, j’ai dû sourire en me réveillant
    Il faudra peut-être en faire un jour quelque chose
    Comme un sculpteur qui trouve une branche et la rapporte
    dans son atelier
    en se disant qu’elle pourra lui servir ultérieurement.

     

    J’ai rêvé que je me regardais en train de me regarder
    Je savais que cet acte contenait une profonde sagesse
    Si profonde d’ailleurs qu’elle m’échappait
    Un souvenir m’est alors revenu
    Je poursuivais un papillon blanc qui en poursuivait un autre
    et celui-ci un troisième
    Cette scène contenait pareillement une profonde sagesse
    qui m’échappait
    « Tout est une question de perspective » me suis-je dit
    « Il suffit parfois d’inverser les termes pour trouver la solution ;
    Ce que tu prends pour de la sagesse est peut-être de la stupidité
    Une stupidité elle aussi si profonde
    Qu’elle ne peut, de même, t’échapper. »

    Avec les quelques mots qui lui restaient
    Il construisait des châteaux roses sur fond de neige
    Il établissait des réseaux qui clignotaient dans la nuit sidérale
    Il organisait des cérémonies aux millions de participants
    qui duraient des éons
    Les mots, serrés dans un tiroir secret
    Étaient protégés par du papier de riz japonais
    Ou une pièce de soie couleur de crépuscule.

     

    Le-Dictionnaire-des-serenites

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Emmanuel Moses, Le Dictionnaire des sérénités, la rumeur libre Éditions, 2024, pp.28, 29, 30.

     

     


    EMMANUEL   MOSES

    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini

    Source

    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes ▼

    → Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    → [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    → [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    → [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    → Dona (lecture d’AP)
    → [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    → Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    → [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    → [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    → La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    → Quatuor  (lecture d’AP)
    → [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    → [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    → [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)
    Étude d’éloignement, poèmes, Éditions Gallimard 2023

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar) la fiche de l’éditeur sur Tout le monde est tout le temps en voyage