Auteur/autrice : Angele Paoli

  • Gilles Jallet / Les Utopiques 2

     << Poésie d'un jour

     

     

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    Miklos Bokor

    Dans le Lot, péril sur la chapelle "testament" d'un peintre hanté par la Shoah ©

     

     

    DEUX FIGURES

    figure n’est pas humaine
    mais elle ressemble
    à une femme un homme un enfant
    figure n’a pas de visage
    telle est l’incertitude qui demeure
    entre l’apparition et la disparition
    de la personne humaine

    fig.I est folie meurtrière
    déployant amplement son bras droit
    qui tient un poignard
    sa main gauche fait tournoyer
    un large cimeterre blanc et luisant

    fig.2 a la tête et le buste
    rejetés en arrière
    et lève la main au ciel
    le sang jaillit autour de son cou
    tel un collier de perles

    figure n’a pas de visage
    figure signifie l’impossibilité
    de retourner en arrière
    l’impossibilité de croire
    l’impossibilité de l’être

     

    TROIS FIGURES

    il n’y a pas de paysage
    il souffle une tempête de sable
    qui les tire en arrière
    dans l’air brun irrespirable
    elles descendent
    au royaume des morts

    dans la spirale de l’enfer
    centaure à deux bras
    et quatre jambes
    mais ce sont des figures non des corps
    ces branchages blancs
    pareils à des ossements
    et non des visages
    ces têtes sphériques
    mais des casques de guerriers

    figures transparentes
    sans aucune consistance
    de chair et d’os
    bras et jambes
    inextricablement mêlés
    dans l’impossibilité
    d’enrayer la machine-à-tuer

     

    JE NE SAIS PAS

    figure affalée
    sur un fauteuil d’eau morte
    la tête repliée
    croise le bras
    pendule
    parmi des cruches vides

    sous l’œil de l’ombre
    transparaît
    sa solitude infinie
    il est cet homme énigmatique
    infiniment moins
    & infiniment plus ressemblant
    qu’un ange déchu

    dans l’impossible attente
    ce qui lui est arrivé
    recommence sans fin
    ce qui a déjà eu lieu
    se précède et se suit
    au même instant
    où il prononce « je-ne-sais-pas »

     

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    Gilles Jallet, XXV-XXVI in Les Utopiques, 2, La Spirale de l’histoire, En couverture : Miklos Bokor, Chapelle de Maraden (détail),
    Éditions La rumeur libre 2024, pp. 48,49,50.

     

     

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    ■ Gilles Jallet 

       sur Terres de femmes▼

    Les Utopiques, I,→ La Rumeur Libre Éditions, 2023

     

    Gilles Jallet est né en 1956. Enfance à Rocamadour et Cahors, études de lettres et de philosophie à Toulouse, puis à Paris.
    Ses livres de poésie furent publiés tout d'abord aux éditions Seghers en 1985 et 1988, puis par les éditions Comp'Act en 2004-2006,
    et La Rumeur Libre éditeur en 2014.

     

     

     

  • Fabienne Raphoz / Infini présent / l’insecte

    << Poésie d'un jour 

     

     

     

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    Source 

     

     

    COLÉOPTÈRES
    Dascillidae

    Le dascille de mon-t- Fuji

    c’est un hasard orienté de trouver l’espèce recherchée sur l’écran
    c’est une coïncidence de découvrir une espèce qu’on ignorait chercher
    parfois ça s’appelle un souvenir
    c’est un Dascille montagnard sur une ombellifère inconnue
    au pied d’un sapin dont le faîte se prolonge dans le moucheté tendu
    d’un pipit
    Pipit des arbres – si l’on aime la précision
    le sapin faseye légèrement nous fait imaginer qu’il fasèye au rythme
    de son chant

    l’ensemble ombellifère-dascille-sapin-pipit forme un tout qui n’est pas
    encore une image car l’oreille peut garder le chant de l’oiseau en voix de
    tête tandis que l’œil fait loupe et que le soleil commence à
    chauffer les reins

    mais rien n’empêche de reculer d’un pas et d’avoir tout le panorama
    devant soi
    l’ensemble ombellifère-dascille-sapin-pipit se relièfe alors face à
    l’éblouissant blanc – encore entièrement blanc du Mont –Blanc

    on apprendrait plus tard que les neiges ne sont plus éternelles et que
    le Dascille montagnard est un enfant unique ou plutôt séparé de ses
    parents par un océan
    on apprendrait encore que c’est un privilège d’atteindre l’âge des
    souvenirs sélectifs
    on prendrait un Dascille pour le talisman mémoriel de
    l’instant du poème

    [Dascillus cervinus ( Linnaeus, 1758)

     

     

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    Fabienne Raphoz, « Coleoptères »in Infini présent / l’insecte,  En couverture dessin de : Anna Andréadis, Éditions Héros-Limite,2024, pp.69-70

     

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    FABIENNE  RAPHOZ

    PORTRAIT DE FABIENNE RAPHOZ
    Image, G.AdC

       Fabienne Raphoz dirige, avec Bertrand Fillaudeau, les éditions José Corti.
    Elle a notamment publié : Les Femmes de Barbe-bleue, une histoire de curieuse, Métropolis, Genève, 1995 ; 
    Poussière du ciel, édition Filigranes, 1997 ; Des belles et des bêtes, Corti, 2003 ; Pendant 1-62, éditions Héros-Limite, Genève, 2005, 
    L’Aile bleue des contes : l’oiseau, Corti, 2009, Blanche baleine, éditions Héros-Limite, 2017 et Parce que l'oiseau, Corti, 2018.

    ■ Fabienne Raphoz
    sur Terres de femmes ▼

    «Migrations» in La Saison des moussesBiophilia, José Corti, 2023
    Géologie (extrait de Blanche baleine)
    → « Leçons semblables aux oiseaux » (note de lecture d'AP sur Jeux d’oiseaux dans un ciel vide)
    → Parce que l’oiseau(note de lecture d’AP)
    → 
    Terre sentinelle (note de lecture d’AP)

    → [Qui voit ?] (extrait de Terre sentinelle)
    Ce qui reste de nous, En couverture : dessin de Ianna Andréadis, Éditions Héros-Limite

     

     

  • Catherine Weinzaepflen / D’Ailleurs

                                                                                   <<Poésie d'un jour

     

     

    Merit-Menthol

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     "je fume des Merit"

     

     

     

     

    sur la route vers la mer
    un groupe de maisons en construction
    ont été abandonnées
    et dans mon rêve
    elles reviennent
    avec le chat roux
    de chez moi
    posé sur un rebord
    de fenêtre

                                                          ***

    l’antiquité m’est donnée
    sur cette terre insulaire
    chapelle byzantine
    en forme de croix
    c’est Giuseppina qui
    m’emmène marcher dans
    la campagne
    champs d’oliviers
    figuiers de barbarie
    leurs oreilles de Mickey
    et le myrte
    et les lentisques

    chiasetta avec
    puits romain sacré
    fait corps avec le sol de l’île
    au loin le bleu de la mer
    ici la ligne horizontale
    du volcan arasé

    j’aurais voulu
    naître dans le sud

    ***

    j’ai perdu Vroum
                           alias Fria
    mais dans la nuit
    la chouette plisse l’air
    du jardin
    ailes déployées

    c’est la nuit de San Lorenzo
    les étoiles pleuvent

    je fume des Merit

    ***

    toutes ces voyelles
    Traversent le citronnier
    Remuent l’olivier

    Un oiseau caquette
    Caché dans le cyprès
    Ou le figuier ?

    Leopardi hier
    a hanté la soirée
    l’a contaminée
    d’infelicità
    un père mauvais/une vie
    misérable/ un grand œuvre
    le malheur n’est pas toujours
                         où l’on croit
    caché comme les oiseaux
                       dans la haie

    allons à la montagne
    confier nos pauvres têtes au vent nouveau
    qui s’est levé

     

    D ailleurs

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Catherine Weinzaepflen, « Santadi » in D’Ailleurs, Éditions LansKine, Collection L’Instantané, 2024, pp.40,41,42.

     

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    Photo by – Bracha L. Ettinger

    Catherine Weinzaepflen sur  => TdF 

     

     

  • Jean-Pierre Chambon / Étant donné / Lecture d’Angèle Paoli

     

    Jean-Pierre Chambon / Étant donné/
    Éditions Al Manar 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

                                     
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      " Étude pour un paysage tourmenté N. 6" par Philippe Cognée 
        Galerie Templon  :  Source 

     

     

     

    La geste du ricochet poétique

     

    Étant donné……. la multiplicité des scènes et tableaux, circonstances et signes, traces et empreintes, qui peuplent la mémoire du poète, il n’est pas possible de proposer une suite unique à cette expression, laquelle ouvre sur la multitude des propositions éventualités rencontres et poèmes qui constituent le dernier recueil de Jean-Pierre Chambon. À chacun de nous, lecteur ou lectrice, de poursuivre à sa guise ou/et de prolonger à l’infini par sa propre rêverie le suspens amorcé par la locution prépositionnelle du titre. Étant donné.

    Composée de poèmes brefs introduits par un titre qui en synthétise l’objet et capte le regard, la liste des objets et situations pris dans les rets de la sensibilité du poète n’est sans doute pas close. Mais elle donne une idée de ce que sont les mille et un éclats, pépites de pensées, divagations imaginations et rêveries du poète. Les mots de Françoise Ascal, proposés en exergue par le poète, en sont un excellent résumé. Ils définissent dans le même temps l’état d’esprit ou la position exacte de la lectrice que je suis :
    « Entrer dans un espace suspendu, juste là,
    derrière la main qui écrit, à portée du souffle.»

    Dès lors, tout un arrière-pays mental émerge à portée de regard, qui dessine ses contours. Et fait émerger ses paysages. Lesquels sont accompagnés des aquarelles de Philippe Cognée qui décline fenêtres et chevelures, rideaux et vagues, sous-bois peuplés de silhouettes animales graciles, le tout dans des dominantes arborées de verts et de bruns, de bleus et de noirs. Aux aquarelles de Philippe Cognée j’associe volontiers de manière totalement subjective – sans doute à cause du « bruit rose » et de la « vapeur verte» – les derniers vers du poème I Jouvence I :

    « dans ce lit d’eau glacée et vivifiante
    qui semble s’épancher d’une source
    d’éternelle jouvence et de joie pure
    pour aller disperser dans la pente
    son bruit rose sous la vapeur verte
    exhalée de l’ombre des frondaisons »

    Le regard du poète est un regard d’observateur minutieux qui se saisit et se penche sur tout ce qui survient à sa portée. Souvent derrière la vitre d'un train, une fenêtre ou à travers un feuillage. Le ciel et la lumière, les miroirs et les reflets d’eau, nimbent les objets, les modifient, les entraînent ailleurs ; les bruits surgissent, comme un fond sonore inédit, rumeurs des villes et des champs, cris d’oiseaux et feulements de bêtes, qui peuplent les poèmes, décors et choses, moments privilégiés. Les images et les mots qui les génèrent sont d’une richesse inépuisable et d’une inépuisable beauté. Le rêveur, souvent mélancolique, se laisse happer, hypnotisé par ses pensées vagabondes.

    « Dans une trouée entre des saules
    dont la rousseur infuse l’eau
    deux canards de leur sillage
    décomposent en paillettes d’or
    l’étincellement de la lumière… » I Au fil de l’eau I

    Ce qui fascine dans ces poèmes, c’est leur facture. Et donc leur déroulement. Brèves mais tout d’une pièce, les scènes se déroulent d’un seul tenant sans aucune ponctuation. À partir d’une amorce temporelle ou spatiale, parfois par le biais de personnes entrant en action, elles se déploient grâce à un enchaînement discret, quasi imperceptible si l’on n’y prend garde, participes présents et subordonnées infléchissent subtilement le parcours. Jusqu’ à ce que survienne une première modification puis une seconde ainsi de suite jusqu’au dénouement ou à la chute. Ou au contraire, au rétablissement du point initial. Ainsi le poète, tout en observant la scène de l’enfant au ricochet, adopte-t-il dans son écriture, la geste du ricochet poétique. Ou comment, à partir de l’impact d’une image qui se répercute sur une autre et rebondit sur une troisième, la phrase se modifie-t-elle, modifiant à son tour l’esprit du poème. Du sourire de l’eau au rictus du crapaud, « sa ritournelle sardonique ».

    Jouant sur les contrastes et les oppositions – temporelles, césure, choc brutal dans la durée, des identités, verticalité/horizontalité, heurt des forces contraires, passage du vaste au minuscule ou l’inverse, de l’individu à l’humanité – le poète joue aussi avec les variations de focales. Muni de sa lunette télescopique, il zoome sur le ciel et sur l’espace pour retomber, à travers le regard filtrant qui est le sien sur le détail des « herbes froissées » et du « papillon bleu ». Du plan d’ensemble à l’insert. Mais aussi dans le mouvement inverse. Il arrive qu’à partir d’une couleur dominante – la rousseur par exemple – laquelle fait le lien entre une « jeune femme » et son chien, entraîne un élargissement de la vision jusqu’à « une madone de Cranach », puis soudain, par resserrement de focale, la scène revienne à la similitude initiale qui a engendré la vision. Dans sa perfection, ce tableau – dont le poète se trouve être un acteur involontaire et discret – n’est pas sans évoquer le très beau poème de Baudelaire, « À une passante ».

    Chacun des poèmes de ce recueil est un bijou minutieusement ciselé alors même que les scènes présentées par le regard du poète sont très souvent empruntées à des situations quotidiennes. Le plus souvent transfigurées par l’âme vagabonde du poète, son sens aigu des correspondances, sa grande sensibilité et son goût artiste. Ainsi, par la structure même du poème – déroulement enroulement – le phrasé du poème entraîne-t-il le poète dans un univers mouvant, en perpétuelle transformation, mais aussi bien la lectrice qui se laisse porter jusqu’à perdre le fil, comme le poète lui-même qui l’accompagne au gré des vers et des images, non seulement de sa lecture mais d’elle-même, difractée et éblouie.

    Parmi les poèmes de ce recueil, il en est un dans lequel Jean-Pierre Chambon donne sa définition du poème, précise quel est l’objet de son travail et définit son écriture. Et résume ma pensée.  Le voici, pour vous, lectrices futures et lecteurs de ce recueil admirable :

    « Bribes de menus événements relégués
    dans l’enchaînement des circonstances
    et dont la rêverie a rogné les contours
    choses vues d’apparence dérisoire
    mémorisées on ne sait trop pourquoi
    impressions jamais vraiment stabilisées
    usées par tant de retours à la conscience
    qu’il n’en persiste que l’empreinte fossile
    c’est de ces traces d’images gardées
    suffisamment vivaces et rayonnantes
    que le poème souhaite transfuser
    dans les mots la lumière résiduelle
    et rendre à la langue la saveur évanouie
    par le tournoiement tourmenté de sa phrase
    et le cliquètement sec de ses syllabes » in I Le poème I

     

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    Voir également sur TdF 

     

     

    Etant-donné

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jean-Pierre Chambon / Étant donné/ Éditions Al Manar 2004

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    JEAN-PIERRE CHAMBON

    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source

    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes ▼

    →Je ne vois pas l’oiseau, Encres de Carmelo Zagari, Al Manar2022
    La montagne lumineuse, Peintures Mad, Voix d’encre 2022.

    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d'AP)
    [Fleurs dans la fleur]
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    → L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    → Des lecteurs (lecture d’AP)
    → Des lecteurs (extrait)
    → Noir de mouches (extrait)
    → Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    → Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    → [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    → Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    → Un écart de conscience, II (extrait)
    → Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)

     

     

     

     

  • Guy Goffette / Chanson pour Robert Ganzo

    << Poésie d'un jour

     

     

    ROBERT GANZO

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait de Robert Ganzo : Source 

                                                                                                                   

    CHANSON POUR ROBERT GANZO

                                               Prosopopée

     

    Tout a commencé comme toujours
    Par le commencement : j’étais seul
    En mon enfance, comme en exil.
    Ébloui de rien, transfiguré
    Ce jour-là par le ruissellement
    De la pluie sur la vitre et l’affiche
    D’un film, je regardais à l’envers
    Délirer les flammes de l’enfer
    Dans la nuit de Maracaībo.

    Maracaïbo, ce mot longtemps
    M’a servi à réchauffer mes jours
    Avec les couleurs de ses voyelles
    Et ses airs de danseur de tango.
    Longtemps sans rien savoir de toi, rien
    Que ce nom inconnu et qui chante,
    Je t’ai attendu comme un vent neuf
    Dans mes voiles, cher Robert Ganzo,
    Et le jour sur Maracaībo.

    Et c’est par un seul de tes Tracts, nets,
    Fraternels et révolutionnaires,
    Que tu m’emportas. Ca tombait pile,
    J’avais vingt ans, je m’ennuyais ferme
    Toi, au même âge, touchais à tout :
    Théâtre, misère, poésie
    Pour rester digne, libre et tonique
    A Montmartre en ces temps héroïques
    Loin, très loin de Maracaïbo.

    Bouquiniste sur les quais de la Seine,
    Robert voyait danser l’Orénoque
    Et Ganzo le chantait sur huit pieds.
    Fargue, Larbaud, touchés en plein cœur
    Le baptisèrent poète unique
    Avec son nom, sa voix et le sel
    De la langue et la terre nouvelle
    Où, du fond des siècles, l’attendait
    La splendide Vénus de Lespugue.

    N’importe la guerre qui s’avance,
    La poésie entre en résistance :
    Ganzo dédie Rivière à ses filles.
    Il écrit Domaine en quatre mois.
    Puis lance ses Chansons et ses Tracts
    Pour remettre Paris dans Paris.
    La Gestapo l’arrête, il s’envole
    Moitié colibri et s’en va peindre
    Le bonheur d’être au cœur du miracle.

    Miracle d’être dans l’univers
    Cette goutte d’eau qui tient la mer
    Par la mer, et qui la fait monter
    Au ciel avec des mots éperdus.
    C’est ceux-là mêmes que tu nous laisses :
    Sept opus pour une symphonie,
    Tous plus vifs et verts que l’Orénoque
    Plus forts que la joie et plus limpides
    Que mes yeux d’enfant cherchant Ganzo

    Dans la nuit de Maracaïbo.

     

                                      Follain

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                Guy Goffette, « Chanson pour Robert Ganzo » in Europe Septembre-Octobre 2024, pp.176,177

     

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    GUY GOFFETTE

    Guy Goffette
    Ph. D.R. Source

    ■ Guy Goffette
    sur Terres de femmes ▼

    →  La Déchirure du ciel, in Éloge pour une cuisine de province, Gallimard, Collection Poésie, 2000
    Jalousie
    → Je me disais aussi…

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes) 23 janvier 1947 | Mort de Pierre Bonnard

  • Michel Diaz / Traverser l’obscur

    <<Poésie d'un jour

     

                                                   

                                                                                   

     

     

     

     

    Pizarnik

                                                                           

                                                                                     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait de Alejandra Pizarnik par  => Guidu Antonietti di Cinarca 

     

     

     

      À Alejandra Pizarnik

     

    Tu es née sur un signe de la lumière qui partage
    toujours avec nous tes moissons, une lumière de feu
    triste où le jour se consume, celle-là qui furtivement
    s’apitoie, au pied des murs blessés, sur les pauvres
    herbes qui s’opiniâtrent

    parfois ton corps s’éclaire de l’intérieur et souvent
    s’obscurcit comme fume une lampe, sans cesser de
    parler la langue silencieuse en mots qui viennent de
    si loin, patiemment tracés à la craie sur le tableau
    noir de tes veilles

    chuchotant toujours la question : où trouver le lieu du
    passage, le cœur même de ton désir, ce désir dont
    personne n’a la couleur ?

                                      *

    Tu ne fus qu’illicite incursion, ailée de vents contraires
    mais sans supplications adressées aux dieux sourds qui
    hantent la pénombre, une aveugle incursion qui ne
    fut rien que vilain temps aux vitres froides de l‘enfance

    depuis lors, tu ne sus jamais regarder le soleil fixe-
    ment, chaque nuit s’achevant en lagune dans les
    radoubs de l’aube

    Tu luttais pourtant à lèvres blessées contre la fatalité
    des bourrasques, les portes qui battaient au vent, et la
    caravane indigente des rêves t’enseigna peu à peu à
    pétrir le pain de ta parole – qui avait goût de cendre,
    la soupe de tes soirs la lenteur du silence et des
    larmes, et souvent tes mains frissonnaient dans l’eau
    grise du temps

                                            *

    Il ne suffisait pourtant pas d’épeler son feuillage pour
    sentir le vent vert féconder l’olivier, ni d’emprunter
    leurs bracelets aux pluies pour mûrir dans la chair
    des saisons

    Un seul fil d’amitié te rattachait au monde, un fil ténu,
    ténu mais opiniâtre que la soif séchait à tes joues…

     

    IMG_0758

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Michel Diaz, Traverser l’obscur, Poésie, Préface de Jean-Louis Bernard, Couverture &illustrations : photographies© Marie-Pierre Forrat,

    Éditions Musimot, 2024


     

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    M I C H E L       D I A Z

    Michel Diaz portrait
    Source

    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes ▼

    Sous l’étoile du jour, Préface d’Alain Freixe, Rosa canina éditions,2023
    → Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    → clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    → [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    → Le Verger abandonné (lecture d’AP ) 
    → Michel Diaz | Sous l’étoile du jour  (Lecture d’Alain Freixe) 

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions) la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre
    → le site de Michel Diaz

    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes ▼

    → Jeanne Bastide, La nuit déborde
    → Alain Freixe, Contre le désert
    → Françoise Oriot, À un jour de la source

     

     

     

  • Jeanne Bastide / Je ne cours plus après mon ombre / Roman

    <<Lecture

     

     

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    Il y a les jours où j’ouvre la main et je les sens. La paume vers le
    ciel, je soupèse leur présence. Ce n’est pas lourd – pas léger non
    plus. C’est là, à mes côtés.   Une énergie qui prend appui dans la
    chair. Ce qui circule en moi et que je ne connais pas.  Je sais que
    je les porte.
    Sans pouvoir les nommer. Ne pas leur donner forme.
    C’est là.
    Une présence emmagasinée,   un élan…     que je ne possède pas.

    Parfois je les appelle. Toutes.
    J’ouvre la main et je les sens.    La paume vers le ciel, je soupèse
    leur présence. Les jours   où le vide a pris trop de place.     Je les
    appelle. Elles sont là.
    Sans qualificatif. Sans verbe d’action.
    Pure présence.

    Celle qui a travaillé la terre   pour les propriétaires,    qui a cousu
    pour les riches et qui n’a pleuré que pour elle
    Celle qui est restée emmurée    dans sa chambre     pendant vingt-
    trois ans quatre mois et douze jours
    Celle qui a davantage aimé son mari mort que vivant
    Celle qui pose pour la photo    – raide et empesée – son nouveau-
    né sans les bras
    Celle qui a osé se peindre les ongles en rouge sang
    Celle qui raconte    pour le plaisir d’ouvrir      ses cicatrices et de
    raviver ses blessures
    Celle qui rêve sa vie plutôt   que de la vivre de peur   de salir ses
    pensées
    Celle qui n’a pas le temps d’éplucher ses sentiments,  ni le loisir
    d’aller au vif de sa brûlure
    Celle qui parle sans s’arrêter pour ne pas se poser  la question de
    ce qu’elle a à dire
    Celle qui aimant trop les hommes a oublié qu’elle en a un
    Celle qui,   consciente de l’urgence de la tâche,   les bras chargés
    d’enfant, de lessive et de pot-au-feu   – a dérobé    le droit     à la
    souffrance
    Celle qui enveloppe sa peine dans du papier journal  comme des
    pelures de pommes de terre.

    Je me souviens d’elle. J’étais encore enfant.
    Suzanne. La voisine d’en face. Maman et mes tantes.   Germaine
    et Adélaïde. Oui, c’était leurs noms.
    Chacune me serrait dans ses bras,   me caressait   ou me chantait
    une comptine. Je devenais femme dans leur ombre odorante.
    Particulièrement quand Suzanne me prenait contre elle et que ma
    tête se retrouvait entre ses seins. Souples. Soyeux. Parfumés.
    Emilia, ma cousine, ça la dégoûtait.   Moi,      je devenais vivante.
    J’existais. J’aurais pu rester une éternité dans cette paix tranquille.
    Il y avait de la beauté avec quelque chose de déroutant à vivre dans
    cette compagnie féminine.     Les mains    s’affairaient,      les rires
    fusaient et la pluie sur le carreau ne faisait que renforcer  l’intimité.
    Depuis, quand arrive la crainte ou l’intranquillité,    c’est vers elles
    que je me tourne. Je les appelle. Les convoque.       Magie du nom !
    Elles arrivent.    Elles sont là.     Et m’entourent     d’une tendresse
    renouvelée.
    Le sol de la chambre est froid.    Froid    pour mes pieds nus.
    Ici le sol est froid même quand il fait chaud dehors. Le sol de la
    chambre est en pierres – de larges pierres fraîches.
    Ce sol froid a quelque chose de rassurant –     pas très agréable,
    mais rassurant. Je le sens épais sous mes pieds. Ce n’est pas ma
    propre masse – c’est le poids du monde qui me soutient,   large
    et stable.
    Il y a dans ces grandes pierres l’irruption du dehors.   L’intimité
    repose sur la nature remodelée par l’homme.

     

    Bastide

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L'ouvrage de Jeanne Bastide photographié par Angèle Paoli 

    Jeanne Bastide, Je ne cours plus après mon ombre, Roman, Dessin de Phi, Éditions Domens, 2024, pp.39,40,41.

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    JEANNE BASTIDE

    Jeanne Bastide
    Source

    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes ▼

    L’âpre beauté du paysage, Œuvres de l’artiste Roselyne Sibille, → Collection Grand Ours, L’Ail des ours/ n° 16
    → Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    → [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    → Intimité de la lumière (extrait)
    → La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    → La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    → La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    → Lucarnes (lecture d’AP)
    → Rouge enfance (lecture d’AP)
    → [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    → Un silence ordinaire (lecture d’AP)

     

  • Angèle Paoli / Au fil des jours / Editions Musimot

     

     

     

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    Couverture et illustrations : photographies © Marie-Pierre Forrat
    Au fil des jours — © Coll. Textes Courts, Éditions Musimot / 2024 
    13 cm X 21 cm / 16 pages — ISBN 979-10-90536-59-3 — Prix : 10 € 

     

    Parution le 10 octobre 2024,  Éditons Musimot.  Précommande = > ICI

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli
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  • Isabelle Lévesque / Michèle Destarac / Passer outre

                                                                                                                         << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    Destarac

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Peinture de Michèle Destarac 

     

    SOUSTRACTIONS

     

    Apprendre est vain.
    Dessine un bureau, poses-y une couleur.
    Il manque deux pieds, il boîte sans fin.

    Ajoute aux points des virgules
    pour structurer la phrase spectrale
    de la dissidence.

    Assume la tenue de ta robe,
    enfance défaite, à vif.
    Ton corps droit sur ses jambes
    a perdu ses pieds lui aussi.
    C’est une addition de soustractions,
    un grabuge bleu de constantes déplacées.

    Une vérité à vérifier.

     

    Isab

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Isabelle Lévesque / Michèle Destarac, Passer outre, L’herbe qui tremble,2024, pp.32,33.

     

    ISABELLE  LÉVESQUE

    Isabelle Lévesque
    Source

    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes ▼

    → [Oh, ce désordre de disparaître !] (extrait de Nous le temps l’oubli)
    → C’est tout c’est blanc
    → [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    → Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    → Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    → Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    → [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    → [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    → [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l'oubli)
    → Nous le temps l’oubli (note de lecture d’AP)
    → Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    → [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    → Le Fil de givre (lecture d’AP)
    → Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    → [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    → Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    → [Les serments] (poème extrait de&#0
    160;Le tue braccia saranno)

    → Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    → Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    → Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)

    → Je souffle, et rien. Peintures de Fabrice Rebeyrolle ; postface de Jean-Marc Sourdillon. L’Herbe qui tremble 2022.

    La troisième voix, Isabelle Lévesque/Pierre Dhainaut, Peintures de Fabrice Rebeyrolle, L’Herbe qui tremble 2023

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Textureune recension de Voltige ! par Jean-François Mathé
    → (sur le site de la revue Terre à cielune recension de Voltige ! par Claudine Bohi
    → (sur La Pierre et le SelIsabelle Lévesque, de la terre à la lumière, par Pierre Kobel
    → (sur Recours au Poèmeune notice bio-bibliographique sur Isabelle Lévesque
    → (sur Recours au Poèmetrois lectures de Voltige !, par Hervé Martin, Marie-Hélène Prouteau et Lucien Wasselin

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    ■ Notes de lecture (55) d’Isabelle Lévesque  sur Terres de femmes ▼

     

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    Portrait par G.AdC 

    → Max Alhau, Les Mots en blanc
    → Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    → Gabrielle Althen, Soleil patient
    → Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    → Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    → Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    → Mathieu Bénézet, Premier crayon
    → Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    → Claudine Bohi, Mère la seule
    → Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    → Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    → Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    → Fabrice Caravaca, La Falaise
    → Jean-Pierre Chambon, Zélia
    → Françoise Clédat, A ore, Oradour
    → Colette Deblé, La même aussi
    → Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    → Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    → Pierre Dhainaut, Après
    → Pierre Dhainaut, Ici
    → Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    → Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    → Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    → Armand Dupuy, Mieux taire
    → Armand Dupuy, Présent faible
    → Estelle Fenzy, Rouge vive
    → Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    → Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    → Aurélie Foglia, Gens de peine
    → Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    → Laure Gauthier, kaspar de pierre
    → Raphaële George, Double intérieur
    → Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    → Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    → Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    → Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    → Sabine Huynh, Kvar lo
    → Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    → Mélanie Leblanc, Des falaises
    → Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    → Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    → Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    → Dominique Maurizi, Fly
    → Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    → Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    → Nathalie Michel, Veille
    → Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    → Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    → Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    → Hervé Planquois, Ô futur
    → Sofia Queiros, Normale saisonnière
    → Jacques Roman, Proférations
    → Pauline Von Aesch, Nu compris

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  • Ariane Dreyfus / Le double été / Lecture d’Angèle Paoli

     

    Ariane Dreyfus, Le Double Été,
    Le Castor Astral I POÉSIE 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

    Dreyfus

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    A  R  I  A  N  E      D  R  E  Y  F  U  S

    Source 

     

     

     

    De l’élan infini dans Le Double Été

    La vie/ la poésie. La poésie / la mort. La mort / l’Amor / la vie. Dans Le Double été comme dans nombre de ses recueils, Ariane Dreyfus mêle vie et poésie. Poésie et amour. Ensemble ces points dessinent et tracent une constellation lumineuse de sens. La vie est là, présente, ardente ou tout simplement sage, sous toutes ses facettes, celles de tous les jours auxquelles se nouent celles que traverse une foule d’images, composées de souvenirs, de lectures, de films ou de spectacles de danse, de références littéraires et artistiques. La poésie d’Ariane Dreyfus est poésie vivante, vibrante, constituée de fragments que la poète assemble de manière subtile, lesquels l’accompagnent de longue date et façonnent son écriture, entre toutes reconnaissable. Le tout s’impose très naturellement au cœur du recueil Le Double été, avec son phrasé et ses rythmes ; ses trouvailles inattendues – comme dans les deux vers suivants :

    « Dès qu’ils arrivent à l’herbe
    Anders quitte son vélo et son passé tombe par terre avec lui… » –

     L’écriture d'Ariane Dreyfus se nourrit des écritures autres, prenant appui, comme sur de solides étais choisis avec soin, sur les ouvrages qui comptent, car ces fragments habitent la poète en profondeur, qui la traversent continument. Ici, peut-être davantage qu’ailleurs, la mort se glisse entre les pages. Elle accompagne l’amour et la vie, l’amour de la vie. L’amour qui perdure au-delà (et malgré) la mort, car, comme le confie la poète dans son « Poème sage » :

    « Le corps qu’on a connu est entré dans les pensées
    Assez souvent pour que la mélodie monte encore »

    Deux œuvres en particulier ont guidé la sensibilité de la poète dans l’écriture de Le Double été. Deux œuvres marquées par le deuil : Ce sentiment de l’été, film de Mikhaël Hers et Une autre Aurélia, œuvre bouleversante du sinologue suisse, Jean-François Billeter. L’un et l’autre, le film et le récit-journal, « abordent la mort d’une compagne, et cette nécessité de continuer à vivre… »:

    « J’étais dans un malheur qui voulait être heureux
    Un malheur qui fait des efforts, heureux
    De faire des efforts, si rare de vivre »,

    pense Anders dans « Rêve (du 3 juillet au 4 juillet) ».

    Et, plus loin, dans le poème intitulé « L’Hésitation », le même Anders s’interroge :

    « Est-ce qu’il veut vivre encore ?
    Il soulève son bras, mais c’est tout le corps
    Qui veut
    Et le lui demande »

    Poésie narrative sans doute que celle de Le Double été, puisqu’il y a une histoire. Mais aussi poésie. Une histoire en trois temps avec trois personnes, trois femmes. Et un axe temporel qui s’étire de 2015 à 2019. Une histoire d’amour de deuil de mort. Mais une histoire qui reprend vie, inattendue, toujours recommencée. Et, au centre, qui fait le lien entre Sasha, Zoé, Lisa, – amante, sœur de l’amante, nouvelle amante – un jeune homme, Anders, que vient ébranler le deuil.

    « Il s’appelle Anders et elle s’appelle
    Mais pourquoi l’appeler puisqu’elle va mourir » (in « Berlin (La Chambre) »

    Ainsi s’ouvre le recueil, sur ces deux vers. ("Terrible", ai-je noté en marge, au crayon de bois, sans trop m’interroger sur le sens à donner à cette interjection).

    Les poèmes ici rassemblés, donnent sur une infinité de mondes, de lieux et de décors (villes, parcs, chambre, atelier, plages…) et de paysages, de découvertes, de voix qui prennent place dans l’espace du poème en même temps qu’elles ouvrent à l’infini sur d’autres possibles. Chaque poème est un tableau dans lequel les scènes, prises sur le vif, offrent des images où le passé vient rejoindre le présent, jusqu’à se substituer à lui, presque :

    « Quand il bouge son corps Sasha revient
    Plus facilement, elle ne prévient pas pour autant… »

    Le temps très bref d’un instant, présence et absence se superposent se rejoignent se frôlent et se fondent, jouant subtilement l’une de l’autre. L’amour la mort,

    « Comme paupières à chaque souffle tressaillent
    Feuilles aussi vivantes
    Que visages se touchent l’une contre l’autre » (in « La Reconnaissance »)

    [Lire A.D, je la lis à la Marine, entre deux baignades deux eaux, modifie l’espace et le temps. Avec elle, je suis ailleurs, rien n’est plus comme avant dans la familiarité des choses connues. C’est une sensation rare, très singulière, jusqu’à lors jamais à ce point éprouvée. De sorte que Le Double été ne me quitte pas. Il navigue avec moi, de la Marine à la plage, du matin délicieux aux après-midi chauffées à blanc.]

    Ce qu’il y a de passionnant dans ce recueil bouleversant, outre les poèmes qui sont très beaux et échappent à tout essai de préhension définitive – ils gardent ainsi leur part de mystère – c’est tout l’appareil du paratexte – exergues et notes, citations finales – qui rassemble toutes les références, page après page. Ainsi, à travers Ariane Dreyfus, lit-on tant d’autres œuvres-échos de Le Double été et ces lectures parallèles et (ou) annexes ne cessent de modifier la lecture de chacun des poèmes du présent recueil. Ainsi la poète invite-t-elle à une lecture démultipliée. Et ouvre-t-elle autant de pistes de lecture à l’ouvrage premier. Une lecture en éventail, en quelque sorte. Où l’on retrouve des fragments de poèmes et de titres de Guillevic, de Pierre Jean Jouve, de Jacques Réda, de Sandro Penna, de Colette, de K. Mansfield, d’Éric Rohmer … de Marilyn Monroe, mais surtout de vastes références au poète Mathieu Bénézet – Ceci est mon corps / Détails / L’Océan jusqu’à toi/ Premier crayon – et à Jean-François Billeter – Une autre Aurélia – dont les extraits et citations reviennent et se glissent – en italiques – entre les vers d’Ariane Dreyfus.

    L’on croise aussi Germaine Dulac, dont la définition qu’elle donne du cinéma pourrait s’appliquer à Ariane Dreyfus :

    « Le cinéma est un œil grand ouvert sur la vie, un œil plus puissant que le nôtre. Il visualise à la fois l’exactitude et l’insaisissable. »*

    Et, parmi d’autres aphorismes, celui-ci :

    « Le cinéma est l’art du mouvement et de la lumière. »**

    Lumière sur laquelle se clôt le recueil :

    « Quelque chose brille sur son dos
    Il la caresse à nouveau
    Mieux qu’une aile ».

    Ou encore, deux pages plus loin, dans ce final qui unit Lisa et Anders,

    «…. Anders ne la quitte pas des yeux,

    Laissant le soleil dire sa tendresse autant que désir
    L’écume la toucher aux genoux, leur nacre »,

    et, consolatrice et légère, cette « Chanson à l’aube » de Paul Fort :

    « Où est donc ma peine ?
    Je n’ai plus de peine.
    Ce n’est qu’un murmure
    Au bord du soleil. »

    Quant à la poésie, comme les autres arts et comme la danse aussi, elle est « mouvement » « qui reflète des impressions successives, qui oppose et relie des sensations et des états d’âme. Les mots, en littérature, peuvent être assimilés aux éléments d’un mouvement, que reconstitue la phrase. Mouvement aussi la musique qui se déroule en harmonies toujours changeantes, toujours animées… »***

    Ainsi de ce poème étrange, dont le titre même interroge – quels signes avant-coureur peuvent bien conduire à l’existence de ce « Jaune Poussin » ? Quelles images sont cachées et incluses derrière ces deux mots ? – qui glissent à l’insu de la lectrice, subrepticement, de la vie à la mort, du présent au passé récent, des suppositions aux certitudes, du mouvement extérieur au mouvement intérieur. Mouvement qui gagne l’espace et le temps, la surface familière des choses et la profondeur – histoire d’un pull qui glisse et tombe, de Sasha qui s’en empare puis glisse et tombe à son tour, de l’avant à l’après, si proches et si indissociables :

    De : « Sasha s’effondre sans un bruit et sans douleur » (in « Mariannenplatz »)
    Á : « Maintenant il est seul à bord » (in « Jaune Poussin ») ; expression empruntée à Une autre Aurélia. Et déclinée dans le recueil sous d’autres formes.
    C’est sur la métaphore de la mer que se clôt ce moment de l’histoire de Sasha et d’Anders et que se réalise la fusion amoureuse avec la mort :

    « Il recule, ramasse le pull avec le courage d’un plongeur
    Vers les grands fonds
    Ainsi je suis plus en toi qu’en moi-même. »

    Grande admiratrice de la poésie d’Éric Sautou, Ariane Dreyfus a aussi sa pratique du silence. Silence du geste et du regard, silence dans la musique et au cinéma, dans les figures corporelles de la danse. Dans la poésie. Elle possède un art personnel de ne pas tout dire. Elle laisse le suspens lever entre les mots. Ainsi de la définition qu’elle donne d’Anders dans « Une blancheur égale » :

    « Dépouillé
    Comme un jeune homme qu’aucune femme encore… »

    La phrase interrompue laisse la pensée de la poète se poursuivre ailleurs.

    De même que le silence fait partie du poème et de la musique, la chute fait partie du mouvement.

    « Le silence fragmenté, est-ce la musique ? » interroge la poète ou la danseuse Maya dans le poème intitulé « Le rythme d’une chute, répétition / Batsheva Dance Company »). La chute finale de Maya renvoie à celle, antérieure et définitive de Sasha :

    « C’est tellement bien quand on n’a pas peur du tout
    Et la gravité de la terre »

    Silence de l'indicible qui affleure entre Lisa (elle) et Anders. Sasha:

    « Elle se déchausse car on approche de la mer

    Anders la laisse y aller, voir tout son corps
    Lui entrer dans la chair à la regarder

    Elle avance son pied, marche dans l’eau si émouvante
    Sait-elle qu’elle bouge en lui,

    Sasha frémit aussi
    Puis se retourne de l’autre côté elle s’y repose… » (in « La plage grande ouverte sur la mer»)

    Qu’en est-il – dans Le Double Été – du manque dans l’amour ? Comment en résoudre l’énigme lorsque la mort a pris toute la place occupée jadis par l’amour ? Ariane Dreyfus, tout comme Jean-François Billeter, tourne autour de ce constat : ne pas enfermer l’autre, ne pas l’enserrer dans un étau ; laisser le suspens agir par surprise. Faire confiance à l’imprévu. Ainsi dans ce dialogue d’Anders avec Sasha :

    « Et c’est à nouveau
    La fraîcheur d’un chemin suspendu entre deux vides
    Mais je n’ai plus peur parce que vois-tu

    Sasha, tu viens de me surprendre
    Je n’espérais pas, je croyais que plus rien ne nous arriverait

    Tu sais comment je vais l’appeler ? Je vais l’appeler
    La sieste heureuse » (in « L’imprévu »)

    Ailleurs la poète prête à Anders les efforts conscients qui l’habitent pour ne pas transformer Sasha en gisante, la réduire à corps de marbre, immobile et froid :

    « Sur le banc où il est assis pour se regarder dans l’arbre
    Ne pas tourner la tête vers Sasha
    Elle n’y est pas, et la main,
    Ne pas l’allonger jusqu’à sa place habituelle
    Á côté de lui
    Ce ne serait, à la seconde même, que gisants,
    tremblements de feuilles mortes
    dans la gorge ****(in « Au Parc Montsouris (Avril) »

    Le plus beau poème d’amour du recueil, celui que je lis et relis chaque jour, est, me semble-t-il, celui de « L’Élan infini », qui fait surgir les images reconnues, d’un passé partagé, vécu entre enfance et érotisme floral, tendresse ludique et aveu. Tremblé d’émotion. Le voici :

    « Anders lance le drap pour qu’il retombe sur le lit

    Ses bras !
    Si légers soudain malgré le gris du jour, ses bras
    Voudraient un geste encore
    Malgré l’ombre sur le mur renversée
    En un instant

    La vie qu’ils ont eue

    Il sait comment elle bougeait sur le lit
    Et s’immobilisait, encore
    Les yeux ouverts

    C’est pour mieux te voir, comment sa bouche
    S’ouvrait, puis se faisait étroite et souple, fleur dans tous les sens,
    Ou quand, au matin si proche,
    Elle se rendormait, posant le bout de son pied sur lui

    Une seule note

    Pas de clavier dans la chambre que lui, tout maigre
    Son tee-shirt toujours trop large, elle s’y glissait
    Sa tête surgissant contre lui

    Le bonheur qu’elle a mis dans ma vie continue à couler à flots *****»

     

    *Germaine Dulac, Qu'est-ce que le cinéma? Light Cone, 2020

    **Germaine Dulac, Avez-vous peur du cinéma, Chroniques (1919-1931), Æncrages &Co 2024, p.25

    ***Germaine Dulac, Avez-vous peur du cinéma, Chroniques (1919-1931), Æncrages &Co 2024, p32

    ****Mathieu Bénézet, Premier crayon, Flammarion, 2014,p.62

    *****Jean-François Billeter, Une autre Aurélia, Allia 2023, p.16

     

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    A R I A N E   D R E Y F U S

    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC

    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes ▼

    Le double été, Le Castor Astral I POÉSIE 2024

    Nous nous attendons, précédé de Iris, c’est votre bleu, Préface de Françoise Delorme, Bibliographie commentée par Stéphane Bouquet, Poésie Gallimard, Éditions Gallimard 2023
    → En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    → Anatomie (extrait de Moi aussi)
    → Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    → L’Inhabitable (note de lecture d’AP)
    → Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    → La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    → La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)  + L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    → Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    → « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    → « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    → Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    → Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d’Ariane Dreyfus par Guidu Antonietti di Cinarca  (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube) Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d'Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture) Ariane Dreyfus dans l'émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture) Ariane Dreyfus dans l'émission Du jour au lendemain d'Alain Veinstein (19 mars 2013)