Auteur/autrice : Angele Paoli

  • Nohad Salameh : Saïda / Sidon et Baalbek / Héliopolis, Une adolescence levantine

     

                                                                                                                                         Lecture

     

    Extrait 1 : « Jours tranquilles à Sidon »

    Sidon-chateau-liban-1170x450

     

     

     

     

    Source 

     

         Sidon, jadis perle des mers, avait certes perdu de sa superbe en devenant Saïda, mais elle brûlait toujours à la façon du Phénix, emblème de la Phénicie. Cette espèce d’intériorisation physique de l’émotion celée dans les pierres allait marquer au fer rouge sa mémoire, naturellement en osmose avec les choses et les espaces. Plus tard, ayant mûri, le souvenir des années vécues dans cette cité portuaire se traduira par quantité de rêves récurrents, creusant ses nuits, les ponctuant, mourant à l’aube après avoir restitué une sorte de nostalgie douloureuse. Au petit matin, les rêves nocturnes conservaient la substance lumineuse et épaisse de la prophétie. Que de fois, en songe, elle parcourait sans reprendre souffle les quartiers intérieurs, s’engouffrant dans le tournoiement des souks, comme au cœur d’un enfer délectable ! Souks aux ruelles exigües et sinueuses, fraîches et ombreuses, voûtées par endroits jusqu’à forcer le passant à se courber. Marché vertigineux aux couloirs communicants mais dont elle connaissait la moindre issue. Cependant, il lui arrivait d’éprouver un sentiment de peur au milieu de ces impasses pavées de galets recueillis jadis sur les rivages par les Phéniciens ? Festonnés d’échoppes odorantes, il fuse de ces ruelles anguleuses des parfums d’épices mêlés à celui du traditionnel chawarma1. À noter que chacune de ces ruelles débouche sur une placette laquelle, à son tour, se prolonge par une grande place ponctuée de bistrots. C’est sur les terrasses de ces cafés – connus pour leur succulente citronnade parfumée de fleur d’oranger ou de menthe – que les Sidoniens s’offrent une pause en jouant au trictrac ou en fumant un narghileh2.
          Mais la récurrence des rêves nocturnes de l’adulte ne prolonge-t-elle pas le vécu de l’adolescente ? Vécu dont elle ressuscitait la poésie à chacune de ses déambulations sous les arcades de la vieille ville alors qu’elle était encore la fillette en retrait, prisonnière de ses manuels scolaires : minarets consumés de prières, terrasses dentelées de rayons solaires, moucharabiehs quadrillés d’interdits. C’est à cette période qu’elle déchiffrait ces espèces d’antres d’où naissent dans tous les sens d’autres bifurcations et cul-de -sac fourmillant d’une humanité joyeuse, sereine et pacifique, constituant à elles seules un étrange village inséré dans l’ordonnancement des maisons.

    1: Viande de forme pyramidale qui se grille en tournoyant au-dessus d'un feu de bois.
    2: L'usage remonte, dit-on, au XIVe siècle. en Orient, sa datation correspond à l'approvisionnement de la région en tabac vers le XVIe siècle.

     

    Extrait 2 : « Un verger sur l’Acropole »

    Baalbek-Jupiter-Temple

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

    Étrange Baalbek qui perdure de siècle en siècle grâce au souffle immatériel de ses divinités, qui s’enfle de tous les assauts de ses vents de neige, se nourrit du contraste de la mort et de la vie ! Ville à dominante chiite, jadis elle partageait avec quelques milliers de chrétiens, retranchés au sein de l’extra-muros ou disséminés sur les hauteurs, un miracle de coexistence pacifique jusqu’au conflit armé de 1975. Les massacres et exactions perpétrés un peu partout sur le sol libanais, la main mise des khomeynistes sur la cité, eurent pour conséquence le repli quasi-total des chrétiens vers les localités avoisinantes. Depuis, leur nombre se réduisit à une dizaine de résidents dont l’âge et la neutralité ne pouvaient exercer quelque ascendant politique. Ainsi, au profil antérieur d’une cité paisible et rêveuse se superposera dans l’imaginaire de Myriam une farouche réalité. Cependant, sa mémoire continuait de puiser, même dans la première enfance, de réminiscences délectables : les après-midis de dimanche consacrés aux promenades en carrosse, aux côtés de ses parents, vers la source de Ras-el-Aïn1, d’où partent de multiples canaux irrigant la ville et ses jardins. Prématurément, elle ne tarda pas à saisir l’étymologie du lieu d’agrément vers lequel s’orientait la calèche : « Ba’al Nebecq ou Baalbek signifie seigneur des sources », ne cessait de lui préciser son père qui, installé sur le siège avant, près du cocher, donnait le signal d’emprunter la rue principale en traversant le centre-ville vers le secteur des restaurants. En moins d’une demi-heure, on atteignait le fameux havre, à travers le boulevard de huit cents mètres au sud-est des temples, bordé de part et d’autres de saules. La promenade à pied, à pas lents et mesurés, le long de ce boulevard ombragé par les arbres était la prédilection des quêteurs de félicité et de paradis perdu.

                           1.En français: tête de la source.

     

                        Nohad Baalbek

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Nohad Salameh, Saïda /Sidon et Baalbek/ Héliopolis, Une adolescence levantine, Éditions du Cygne 2024, pp. 13,14,15/100,101.

     


    NOHAD SALAMEH

    Nohad Salameh

    ■ Nohad Salameh
    sur Terres de femmes ▼

    L’écoute intérieure
    → L’envol immobile
    → L’intervalle (+ notice bio-bibliographique)
    → Les nudités premières
    → Plus neuve que la mort (poème extrait du Livre de Lilith)
    Marcheuses au bord du gouffre, Onze figures tragiques des lettres féminines, éditions de La Lettre volée, collection Essais, 2017

    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Nohad Salameh
    → (sur exhibitionsinternational.org) « Le féminin singulier », avant-propos de Marcheuses au bord du gouffre de Nohad Salameh [PDF]

     

  • Caroline Sagot-Duvauroux / Canto Rodado

                      Poésie d'un jour

     

     

    Nuages

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo: G.AdC 

     

     

     

     

     

    In memoriam

     

    Un lézard, une salamandre, un masque d’idiot, la gazelle. Tiens ! la bave de limnée, c’est en liant ça, une agglutinant, une colle ! Et puis ca recommence. C’est une colle, penser. Quand les mains touchent encore aux copeaux légers de l’histoire rabotée par les hommes.
    En l’honneur sorti d’espèce, cuit à point, dit je suis un homme sans savoir ce qu’il dit.
    Alors l’œil attelle ses mains soc ou sep et mancherons et l’âge.
    Tout ! du dental au misérable.
    Araires fronts et dos sursautent parmi les cantos.
    Tout retentit, là sous la main qui sillonne.
    De l’informe à l’informe en passant par la chose.
    Et l’insolite ? Ce qui arrive.
    Quand l’œil veut.

    Alors la pâte lève, drue. Les ingrédients prennent au rêve et l’homme en teste longuement l’efficacité, la solidité, la souplesse. La chair. Longuement. Comme longuement Van Gogh méticuleux questionne l’épaisseur pour qu’une matière survive au désir. Et elle dure. Son éclat dure !
    Honnêteté d’un métier dans les marges des gains de productivité.
    Et le cœur désire désirer encore. Bien final, immatériel, né de fabrique et de glaise. D’une survivance de la matière, naît sans cesse et le désir. Poiein. Paradis dont le cercle rampant s’écarte.
    Loin du mufflisme des colons, financiers et docteurs.

    Alors l’homme pose sur le support de bois, sur le format de penser ce jour-là, la pâte qui tient son rôle. Et la matière livre sa rugosité d’écorce et sa délicatesse de peau.
    Pendant que l’œil veut.
    Une forme naît.

    Et l’homme fabrique l’arbre en l’épousant. Pour que l’arbre ne meure pas. Pour que l’arbre ne meure que d’un crime non pas d’être. Pour que l’arbre totem survive à l’œil et aux mains dans
    l’œil du prochain clampin qui abordera de l’œil, l’arbre.
    Et l’homme accroche son visage à l’arbre. Non pour nommer l’arbre à son visage mais pour que visage d’homme, n’importe quel ce visage d’homme, continue d’envisager le monde.

    Les nuages ? Les nuages. La physionomie du monde.

     

    Canto Rodado

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Caroline Sagot Duvauroux, Canto Rodado, « Le Refuge en Méditerranée », CIPM/ Spectres Familiers 2014, s.f.


    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX

    Caroline Sagot Duvauroux 2

    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes ▼

    Canto rodado, Centre international de poésie Marseille, Collection ‘‘‘Le Refuge en Méditerranée’’’, 2014, s.f.
    → 
    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    → 
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    → 
    Mais avant (extrait du Buffre)
    → 
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    → 
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    → 
    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    → 
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes) 
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    → 
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    → 
    Le Vent chaule (lecture d’AP)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur remue.net) « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
    → (sur Ta résonance
    Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux (par Serge Martin)

     

  • Pause estivale 2024

     

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                                      Plage de Nonza-Cap Corse, photographiée par Angèle Paoli

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    Angèle cap corse

    Ph. : G.AdC

     

  • Colette Klein / Après la fin du monde, nuages / Requiem / Lecture de Michel Diaz

    Colette Klein , Après la fin du monde, nuages/
    Requiem, Éditions Henry (2023)
    Lecture de Michel Diaz

     

     

     

    La Shoah

     

     

     

     

     

     

             Photo: Googol 

     

     

           Dans ce livre, comme dans un tombeau collectif ou une nécropole intime, Colette Klein élève comme autant de stèles à la mémoire de ceux qu’elle a connus et habitent toujours dans sa tête, ombres des morts qui l’accompagnent, fantômes de voix, de visages et d’images. Ces parents, « que la vie, comme l’écrit Sylvestre Clancier, ne nous a pas permis de mieux connaître », celles et ceux « qui par les liens du sang auraient dû être nos proches », et ces amis qu’elle conserve aussi en sa mémoire et en son cœur, « comme au plus profond de son âme ». Ce recueil mérite donc parfaitement son sous-titre de Requiem, chant profond qui se donne pour devoir de conserver les traces de ceux qui sont passés, ce Troupeau de morts (…) qui dérivent / en ignorant que l’horizon / est tout aussi éphémère qu’une goutte de pluie / prisonnière du soleil, mais qui pourtant demeurent et la hantent, et qu’il lui est toujours possible d’invoquer puisque Il est au-delà des nuages / une forteresse invisible /où les morts / se confondent avec la lumière. Serait-il donc possible, en contemplant le ciel et « ses nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques », pour reprendre les mots de Baudelaire cités par l’auteure en exergue au recueil, d’adresser quelque signe à tous nos disparus, d’en recevoir un de leur part ?…
               

            Ces disparus, ce sont l’ami cher de l’auteure, sa meilleure amie, le meilleur ami de (son) père, mais aussi des poètes et quelques autres, comme cet artiste peintre et graveur… Les proches et parents, au plus près de la vie de l’auteure, ce sont le père, la mère, la sœur, les grands-parents… Nous devinons, au fil des textes, sans que Colette Klein, pudiquement, s’y attarde beaucoup, que les relations familiales, comme en toute famille, ne furent pas toujours aisées, quelquefois même distendues, alourdies de non-dits, émaillées de secrets. Aussi écrit-elle, à propos de son grand-père maternel, Nous aurions pu nous parler, si tu n’avais été tout à la fois de la famille et hors de la famille (…) Si ton second foyer ne t’avait pas exilé sur des terres que je ne pouvais pas arpenter. Ou de sa grand-mère maternelle, Ma mère, entre toi et moi, n’avait pas construit de pont / mais un rempart / que je n’ai jamais eu l’idée de contourner. Ou de ce demi-frère de sa mère, Nous n’avons fait connaissance que très tard / quand le temps eut décousu les rivalités et les rancœurs. Ou encore à propos de sa mère, Il m’a fallu plusieurs années / pour sentir le poids de mon ingratitude // Mais il est bien tard pour que j’obtienne / ton pardon / et que je sourie à tes élans de tendresse. Nous avons là quelques allusions à ces relations souvent contrariées, sinon empêchées par les aléas de la vie et les embûches qu’elle nous tend, contre nos attentes et nos volontés, et qui, après coup, quand il est trop tard pour infléchir notre destin, nous laissent pauvres de regrets et tout à fait désemparés.

          Face à ce qui n’est plus que perte irréparable, ces sommes de vies disparues, Colette Klein convoque ses souvenirs, rassemble dans ses vers ces instants abîmés, essayant de les arracher par lambeaux aux strates du passé, les mettant en correspondance, comme s’il lui était possible encore de recoudre ce que les affaires humaines et le temps cruel ont défait. Mais sans trop d’illusion : je cherche en vain les mots / qui pourraient vous consoler / d’être nés. C’est donc là un recueil, écrit aussi Jean-Louis Bernard, « qui nous permet de nous recueillir devant un monde passé, et qui, même s’il rend hommage aux parents et amis partis, va plus loin, dans le non-oubli des ancêtres dont les pierres tombales sont devenues illisibles, avant que le retour d’entre les morts prenne forme, sous le signe de la voyance, d’un nouveau rapport, orphique, au monde ». Et il souligne avec raison l’emploi par l’auteure de « ce petit mot de trois lettres qui revient toutes les trois pages, entêtant, obsessionnel : cri. » Comme dans ces vers : Le cri se transmet par héritage. / L’insomnie permet de suivre à la trace / les pulsations qui le recomposent / en une symphonie spectrale / qui brutalise tout autant / les corps / les esprits / et qui se propage / à la pointe des nerfs.

               Et c’est par là, ce cri obsessionnel, que le recueil de Colette Klein acquiert toute sa dimension, au-delà de la tragédie personnelle qu’est notre relation à l’existence. Une dimension où les mots prennent une valeur cathartique, qui laissent entrevoir le silence absolu de ce vide qu’est le sentiment de l’absence, mais un vide qui n’a de sens que s’il est potentiellement le lieu qui, en se remplissant du souvenir, nous permet, en nous retournant, de réactiver le regard vers ce que les ombres enfuies nous laissent saisir d’elles. Certes, Orphée se retournant lors de sa remontée des Enfers, va perdre à jamais Eurydice, mais c’est ce geste-là qui, seul, va lui permettre d’entrevoir ce qu’est le vrai visage de la Mort, non celui du néant, mais celui de l’indéchiffrable et de l’innommé. Celui qui donne au monde la vraie mesure du tragique, c’est-à-dire la mort de tous, celle des innocents, des victimes, de siècle en siècle, des massacres, carnages, tueries, pogroms et génocides, tout ce que la folie des hommes perpétue sans qu’on en voie jamais la fin. La provisoire résilience offerte par la
    poésie, et l’art en général, ne sont peut-être, en vérité, que d’un piètre secours. Et ces mots nous en avertissent : Les souvenirs s’encombrent / de squelettes entassés, / vivants et morts. / Non loin des monticules : / les cheveux / les chaussures / les valises. / Éclairs foudroyant le cerveau / par ce qui ne peut être regardé.

               Il nous faut chercher la réponse à ce ton de révolte imprégné de douleur impuissante (mais non de résignation ou de renoncement) dans un texte de l’auteure, intitulé Héritage (revue Apulée N° 5, 2020) et dans lequel nous puiserons de larges citations :

    « Ma mère m’avait prévenue : ça va recommencer.
    J’avais vingt-cinq ans ou un peu plus. Je venais apprendre, par hasard, que ses
    morts étaient partis en fumée, là-bas, dans un camp de concentration, et cela, parce
    qu’ils étaient juifs. Enfant, on m’avait expliqué que, non, le patronyme de mon
    père n’était pas juif. Elle avait précisé que je ne devais pas en parler, parce
    que cela allait recommencer !
    Comme si ce silence n’allait pas peser sur moi, s’ajouter au non-dit.
    Des années plus tard, j’aurais enfin compris que je devais à ce silence, à ce non-dit,
    d’avoir vécu pendant des décennies avec l’obsession quotidienne du suicide, avec
    le refus d’avoir une descendance. Cette chose-là avait amputé ma vie, l’avait
    d’avance condamnée. J’étais, comme je l’ai déjà écrit : morte avant d’être née, et
    tenue au secret.
    Pourtant, je ne la croyais pas. Je savais que les massacres n’avaient jamais cessé dans le monde, que le mal prenait des formes les plus diverses, mais je pensais que
    la shoah ne pourrait pas revenir, que la mémoire collective retiendrait pour des
    siècles les pogroms, les ghettos, les chambres à gaz, l’extermination systématique.
    Je pensais que cette mémoire-là nous protégeait. Plus personne ne pourrait agir, ou
    même voter, en connaissance de cause. »

    Et Colette Klein ajoute, quelques paragraphes plus loin :

    « Ma mère avait raison : cette chose a recommencé. Les insultes, les inscriptions
    antisémites, les cimetières saccagés, profanés, l’appel à la haine, et même les
    meurtres.

    Mon engagement au Pen Club français m’encourage à résister, tout à la fois me
    rassure et m’effraye. Car si j’y suis en communion avec tous ceux qui aspirent à
    dénoncer l’ignominie – qui va bien au-delà de l’antisémitisme, qui gangrène la
    plupart des États par la misère ou des actes de violence, de torture physique ou
    morale, des actes qui nient aux hommes leur droit à l’humanité […].
    Comment vivre dans un monde qui se fissure de pays en pays, qui s’épuise sous le
    fouet des dictatures ?
    Au moins, je n’aurai pas donné naissance à des enfants menacés de mort. Je
    mourrai délivrée de l’angoisse.
    Ma mère avait raison : ça recommence. Jusqu’où cela ira-t-il ? »
    Pourtant, loin de céder au découragement stérile, Colette Klein fait de son
    art poétique un outil de résistance contre le désespoir pour oser affronter le
    silence définitif qui avale le temps et les vies, et cette atmosphère crépusculaire
    qui recouvre le monde, tandis que La liste des morts, / guerre après guerre, /
    encombre les cathédrales du crime, / pierres gravées / à l’encre indélébile, /
    couleur sang, / alphabet de la mémoire. Tandis encore que Les enfants naissent
    avec des armes en guise de bras / et des grenades dans le ventre. Il nous semble
    assez difficile de ne pas rappeler ici cette phrase de Theodor Adorno (Prismes, 1955) :

    « Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et de ce fait affecte
    même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire
    aujourd’hui des poèmes ». En effet, dans le contexte de l’après-guerre, l’effroi
    suscité par la découverte de la barbarie nazie rendait inacceptable la réactivation
    de l’activité culturelle et artistique antérieure, laquelle n’avait pu empêcher quoi
    que ce soit. Et Colette Klein n’est pas dupe, qui ne prétendrait certainement pas,
    ainsi qu’a pu l’écrire Jean-Pierre Siméon, que « la poésie peut sauver le
    monde ». Mais il faut compléter cette citation d’Adorno par celle-ci : « Les
    artistes authentiques du présent sont ceux dont les œuvres font écho à l’horreur
    extrême ». Cet écho, Colette Klein nous le fait bien entendre à sa manière en
    évoquant la bombe qui a détruit Hiroshima, et aussi ces maisons aux épaules
    brisée / (qui) dérivent sous les missiles / fleuves de ruines, / scories d’un monde
    hanté / qui ruisselle de la boue obscure des guerres. Et nous ne pouvons que
    penser à ces guerres proches (dans l’espace et le temps) dont les médias nous
    rendent compte chaque jour, avec leurs lots de morts, de « déplacés » contre leur
    gré, de camps de réfugiés, de villes, d’hôpitaux et d’écoles détruites. Et voici
    que ces crimes, comme toujours, ont pour effet d’engendrer avec acuité (le
    public étant informé quasi en direct) des réactions analogues : sidération muette,
    choc émotif, colère, indignation, protestations, recours à des formules
    stéréotypées (« sauvagerie », « barbarie », « folie meurtrière », « cruauté »),
    honte envers les victimes et les rescapés, sentiment de culpabilité… Mais devant
    des dévoiements aussi terrifiants, que peuvent les mots du poète ? Tel est le
    questionnement auquel nous confronte le recueil de Colette Klein. Vaut-il mieux
    se résoudre au silence ? La défaite est entière s’il s’agit de dire l’indicible
    génocidaire ou les massacres quotidiennement perpétrés. Mais tel est le défi
    qu’un tel livre doit relever, si l’on s’en tient à la réflexion d’Adorno : la poésie
    est-elle possible, est-elle décente dans un monde en sang et en larmes ? Elle est
    en tout cas nécessaire face aux affres de la violence qui meurtrissent
    continument le monde. Le travail du poète est aussi de dire, tenter de mettre en
    mots la part d’inhumain qui se cache dans l’humain, l’abasourdissante réversibilité de l’état civilisé : Les spectateurs ne parviennent plus / à comprendre ce qui s’écrit sur la scène / Les pages raturées succèdent / aux pages blanches / […] Les charniers restent derrière les rideaux / invisibles, / hors champ. / Les miroirs ne reflètent plus que / notre impuissance.

    Mais le recueil de Colette Klein va peut-être un pas plus loin. C’est le
    « je » même du lecteur qui, au creux le plus obscur et le plus archaïque de sa
    personnalité, est atteint par la déflagration, cette boue de soi-même à ravaler, ce
    soi-même si peu habitable peut-être, cette imposture d’être qui, toujours,
    cherche à se donner bonne conscience. Nous voyons bien que, face à cet état des
    choses, la poète endure un ébranlement personnel profond, une perte de repères,
    une sorte de contamination intime par l’innommable. Et cette contamination, s’il
    le lit bien ne peut qu’atteindre celui qui lit ce livre. Et l’on peut se prendre à
    rêver que Si l’homme devenait humain / il pourrait marcher hors frontière, /
    poursuive le soleil, / sans craindre les balles ni la torture. C’est en cela que
    Après la fin du monde, nuages, est un de ces livres utiles dont on souhaite,
    luttant contre la folie, et cherchant à nous élever un peu plus loin que nous-mêmes, qu’il éclaire un moment au moins notre présence au monde sans que l’horizon / ne vienne saccager / le rêve / ni l’étreinte du vent. Et si, comme l’écrit encore Colette Klein, Les poètes qui construisent l’impossible / ne savent pas qu’ils laissent derrière eux un sillon / plus profond que celui qui blesse la mer / dans le sillage des cargos, elle est de ceux dont il ne faut pas hésiter à suivre la trace ouverte à vif dans la chair des mots. Cette trace dans laquelle le mot « homme » peut encore se lire à voix haute, et sans honte.

    Michel Diaz, 14/07/2024

     

                                                     

    Klein

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     COLETTE    KLEIN 

    Colette Klein

    ■ Sur Terres de femmes
    Mémoire tuméfiée, suivi de Lettres de Narcisse à l’ange, Éditions Éditinter, 2013

    Après la fin du monde, nuagesRequiem, Préface d’Antoine Spire, Photographie de couverture prise par l’artiste, Les Écrits du Nord, Éditions Henry,

    ■ Voir aussi ▼
    → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Colette Klein

     

    _____________________________________________________________________________________________________________

    M I C H E L    D I A Z

    Michel Diaz
    Source

    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes ▼

    → Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    → clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    → [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    → Le Verger abandonné (lecture d’AP ) 
    → Michel Diaz | Sous l’étoile du jour  (Lecture d’Alain Freixe) 

    ■ Voir aussi ▼)

    → (sur le site de L’Amourier éditions) la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre
    → le site de Michel Diaz

    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes ▼

    → Jeanne Bastide, La nuit déborde
    → Alain Freixe, Contre le désert
    → Françoise Oriot, À un jour de la source
    Colette Klein, Après la fin du monde, nuages / Requiem

  • Ariane Dreyfus / Le double été

     <<Poésie d'un jour

     

     

    Fenetre-bis_Fotor

     

     

                     

     

     

     

     

     

     " L’air de la chambre par la fenêtre ouverte"

    Photo : G.AdC 

     

     

     

                                                         

                          Au Parc Montsouris (Avril)

     

    Anders aime cet arbre et rester devant lui

    Ramure plus belle des ombres que le soleil creuse
    Deux branches inclinées ensemble vers le sol
    La troisième presque lourde de son tohu-bohu de feuilles

    Je me levais et déjà, parfois avant toi,
    L’air de la chambre par la fenêtre ouverte
    Je m’étirais debout, ce geste d’arbre et bouge en moi
    Le corps que j’ai le mieux connu et donc il n’a pas disparu

    Sur le banc où il est assis pour se regarder dans l’arbre
    Ne pas tourner la tête vers Sasha
    Elle n’y est pas, et la main,
    Ne pas l’allonger jusqu’à sa place habituelle
    À côté de lui
    Ce ne serait, à la seconde même, que gisants,
    tremblements de feuilles mortes
    dans la gorge
    Les autres peuvent dire : elle n’est plus là, ne pas leur dire
    Si, mais autrement
    Depuis les racines jusqu’à la pointe des feuilles
    Tout le bien qu’elle m’a fait et qui perdure

    Pas une feuille qui ne soit de ce printemps
    Si je reste tranquille,
    Notre histoire se posera, même sur la plus petite des branches,
    elle osera
    Elle n’a plus que moi à porter, et toi si légère

     

    Double été

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ariane Dreyfus, « II  ZOE, 2017-2018 » in Le double été, Le Castor Astral I POÉSIE 2024, pp.73,74.

     


    A R I A N E   D R E Y F U S

    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC

    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes ▼

    Nous nous attendons, précédé de Iris, c’est votre bleu, Préface de Françoise Delorme, Bibliographie commentée par Stéphane Bouquet, Poésie Gallimard, Éditions Gallimard 2023
    → En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    → Anatomie (extrait de Moi aussi)
    → Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    → L’Inhabitable (note de lecture d’AP)
    → Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    → La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    → La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    → Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    → « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    → « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    → Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    → Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube) Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d'Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture) Ariane Dreyfus dans l'émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture) Ariane Dreyfus dans l'émission Du jour au lendemain d'Alain Veinstein (19 mars 2013)

  • Terres de femmes n° 234 ―juillet 2024

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    du numéro du mois de juillet 2024
     
     
    TDF CARTOUCHE JUILLET 2024
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     

     

     

     

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca: ( G. AdC ) 
     
     
     
     
     
  • Vignale, Le Jardin partagé / Ricochets poétiques d’Angèle et de Marie.T (Lettre n°23 )

     

     

     

    Caprier

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ph. Angèle Paoli

     

     

     

    Lettre en pointillés………, en réponse à la lettre n° 22       ( 4 Juin 2024 ) 

     

    Ma chère Grande,

    Je cherche à rebondir sur ton choix de poèmes et je tombe sur James Sacré. Merci de me ramener à lui car c’est un poète qui m’émeut beaucoup, pour toutes sortes de raisons, intimes, personnelles et /ou poétiques. J’extirpe de ma bibliothèque une autre anthologie dont je lis ou relis souvent des passages. Alors voici :

    Geste parlé
    Le mot rien dans le mot vivant

    Quand je ne serai presque plus rien (déjà
    Me voilà pas grand-chose),
    Quand le corps ni l’esprit n’auront plus de désir
    De porter (de brandir) en de grands gestes insensés,
    Je connaîtrai quelque chose de plus intensément nu :
    Le rien de l’amitié. Drôle de pensée. (237)

    Geste parlé
    Comme une couture du temps

    Écrire passe par des choses qu’on voit :
    La porte de cet hôtel d’où je sortais ;
    Ta lettre écrite au café d’en face, maintenant
    Mon poème qui la regarde longtemps.

    Les mots comme une couture du temps. (295)

    « Un paradis de poussière » in Une fin d’après-midi continuée, trois livres marocains, Tarabuste Editeur 2023.

    ***

    Aujourd’hui j’ai le ciel chagrin, davantage encore qu’hier. Françoise Hardy n’est plus. Plus d’ici, de ce monde dont elle craignait le charivari. Elle, la discrète, la timide dont la mélancolie, la grâce et le talent ont aussi bercé mon insouciante jeunesse. Elle n’est plus et déjà elle me manque, même si je ne pensais pas à elle tous les jours. Mais elle me ramène à Yves qui la croisait régulièrement sur le chemin de son travail, quittant son appartement de la rue Hallé dans le 14ème, tenant son bout de chou par la main pour le conduire à l’école. Au moment où je me lance dans l’écriture de cette lettre, je me rends compte que nous sommes le 12 juin et que demain matin, le 13, à la même heure, Yves rendra son dernier souffle. C’était à La Timone, en 2021. Trois ans déjà ! D’autres ont disparu entre temps, amis et parents. Les vies passent et se succèdent et ce que nous écrivons à l’instant finira dans l’effacement, comme tant de choses autour de nous et avec nous. Mais l’effacement est nécessaire, et sans doute aussi, bienfaisant.

    ……..

    Je ne me souviens plus de ma « merveilleuse lettre » qui remonte à l’hiver et j’ai du mal à revenir sur ce que j’ai écrit (lettres ou notes de lecture). J’avance, un peu à l’aveugle, en mettant mes pas dans les tiens, une façon d’aller l’amble quand tout dérape, dévie et que mon pied fourche, sur la route même. Ce que je résous en partie en m’appuyant sur des bâtons de marche. Mais depuis quelques temps il fait très lourd, le temps est instable, souvent grisouille et encombré de particules jaunes qui se déposent sur les voitures comme autant de cloques variqueuses et ce n’est pas très exaltant. Petite consolation, qui occupe mon esprit : la stratégie des scarabées, laquelle résiste à mes essais de compréhension. Comment décortiquer ce qui pousse ce petit coléoptère, ami des jardins, à traverser la route en courant (je ne sais pas comment le dire autrement ! galopant ? filant ? traçant ? se carapatant ?…), droit devant lui, du talus de droite à celui de gauche (du moulin au village, ou l’inverse) ? et cela chaque jour depuis le début du printemps. Nul entomologiste de talent pour répondre à mes interrogations qui sont aussi celle de mon amie Danielle. La jolie cetonia aurata, d’un vert mordoré, n’en finit pas de m’étonner. Hélas pour elle, elle finit souvent sous les roues des automobilistes qui ignorent tout de sa petite existence fébrile sur le macadam. Pendant ce temps-là, Danielle me raconte ses exploits dans l’élevage de libellules. Qui remonte au temps de sa jeunesse et de son mémoire de future professeure des écoles, consacré à cet insecte, le plus doué dans l’art de la métamorphose. D’une laideur absolue à l’état larvaire il se change soudain en admirable et séduisante demoiselle, gaze légère virevoltant au-dessus du torrent. La nature est pleine de surprises dont nous commençons tout juste à prendre conscience. Et qui garde encore en elle tant de mystères.

    Pour en revenir au scarabée – peut-être y en a-t-il qui gîtent dans le superbe massif de roses rouges du Clos Fleuri – pas de poème qui vaille, à ma connaissance, sur cet insecte précieux. Pas même dans les Chantefables de Robert Desnos. Reste Edgar Poe et son Scarabée d’or :

    « Il est d’une brillante couleur d’or, – gros à
    peu près comme une grosse noix, – avec
    deux taches d’un noir de jais à une extrémité du dos, et une troisième, un peu plus allongée, à l’autre. Les antennes sont… »

    ………

    Drôle de lettre que celle-ci, faite de pointillés, de sauts de carpe dans le temps. C’est ainsi et je pense que je la reprendrai dans quelques jours, après le Marché de la poésie. Je suis sur le départ, ma valise est bouclée. Il n’est pas 10 h et il fait déjà très chaud. Il pleut à Paris. Je vais rejoindre le « poulailler », comme tu dis, sans grand enthousiasme, cette fois-ci. Serait-ce mon dernier Marché ? Je me pose sérieusement la question. J’en saurai peut-être un peu plus à mon retour.

    Depuis que je me suis lancée dans ma réponse sans pouvoir la poursuivre, j’ai subi l’intervention de la cataracte, laquelle s’est bien passée et j’y vois plus clair. Prochaine étape, le 15 juillet, pour faire le point et m’équiper de lunettes neuves.

    En attendant, mille choses nous attendent dont j’ignore comme tant d’autres quelle sera l’issue. Mais si de ton côté, tu repars dans la militance (tu m’as écrit cela dans un courriel), du mien il est clair que je n’engagerai pas ma voix pour les extrêmes. Je n’ai jamais eu confiance dans les extrêmes, de quelque côté qu’elles se trouvent. Et la violence verbale et l’antisémitisme affirmé et forcené des uns vaut bien le racisme des autres. Et je ne veux ni de l’un ni de l’autre. De fait, je ne crois pas aux revirements électoralistes de dernière minute et aux rabibochages de surface. Me voilà donc suspendue à un fil que je n’ai pas choisi et dont j’appréhende l’issue, quelle qu’elle soit. Je reçois en nombre des pétitions à signer, auxquelles je ne réponds pas. Je trouve tout de même incroyable et très désagréable d’être prise en étau dans des diktats que je refuse. Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, loin de là, mais je suis atterrée de me sentir emprisonnée dans les idéologies des autres et sommée de les rejoindre. Comme s’il était acquis ou comme allant de soi que j’obéirais aux ordres. Et c’est l’effet contraire que cela produit chez moi. Une réaction instinctive de refus et de rejet. En même temps que le droit de me sentir libre de mes choix (ou de mes non-choix). Alors, je fais ce que j’ai toujours fait, je cherche une consolation dans la marche, sur ma route. C’est là que je me vide de ma colère, de ma souffrance, de ma hargne. Hier, justement, étant confrontée dès le lever du jour à cette situation délétère, je suis partie tôt. Et j’ai marché, sur ma route.

    Surprise ! le maquis est endeuillé. Non par mes larmes mais par le désastre écologique qui a dévasté les chênes. Tout est cendreux. C’est d’une tristesse absolue. Les chenilles qui pendouillaient ces jours derniers des branches ont grillé les feuillages. Il ne reste rien. Tout est réduit à la grisaille. Et ce sera pire l’an prochain car elles ont pondu. Il va falloir attendre trois ans avant que les arbres retrouvent leurs feuilles. Et du même coup, mais j’ignore s’il y a un lien entre les chenilles (très dodues après cette goinfrerie) et les scarabées, il n’y a plus un seul scarabée au sol. C’est tout de même très étrange. Mais n’est pas Pierre-Henri Fabre qui veut et j’en suis quitte pour ressasser un étonnement sans réponse. Tu vois, on est loin de la « jubilation florale » que tu évoques sous ta plume. Encore, qu’hier, au milieu de tout ce désastre, j’ai vu un buisson de câpres en fleurs. Et c’est une merveille ! Les fleurs bicolores, violines et blanches, aux pistils si légers et si fins, m’ont retenue éblouie. Quelle beauté ! Elle m’a, un moment, apaisée. Ce sera ma photo de ce Jardin partagé.

    Étrange coïncidence, je reçois à l’instant un nouveau livre de James Sacré. Par des langues et des paysages. J’en aime la dédicace, tout en finesse et en humour. En voici un extrait, pris au hasard, dans l’ouverture du recueil. Je pense qu’il te parlera :

    « Et de quelle ferme que ne mentionne aucun livre
    Est parti ce berger qui fait passer ses moutons
    De l’autre côté de la route devant nous
    Les voilà qui filent vers l’ombre d’un arbre seul
    Puis continuent,
    Aucune clôture ni rien de fermé, toute l’étendue du paysage
    Est la cour infiniment ouverte
    Que pourrait être celle
    De la masseria du monde,
    Sans murs ni frontières fortifiées.

    Ou cet autre, encore, page de gauche en français, de droite en arabe :

    … Dans la répétition du presque même et de l’ennui mais
    c’est peut-être
    Que le désert du poème qu’on écrit : ses mots
    Qui sont du sable sur le monde, qui n’en savent rien dire :
    l’oubli par exemple à l’instant
    Du café cassé, deux fois, qu’on m’offre ce matin
    Parce que justement pas grand-chose a changé
    Ni moi ni les gens, à Sidi Slimane. Le monde est souvent
    Un désert accueillant. Le poème ? On se demande. *

    *Par des langues et des paysages (1965-2022), APIC éditions 2024, p. 66.

    James Sacré, sa poésie m’habite et me bouleverse. J’aime le phrasé du poète, son agrammalité à la fois familière et savante, sa musicalité et ses paysages qui me rappellent nos voyages au Maroc, que j’ai tant aimé.

    ***

    Masserie : de la plus modeste à celles qui sont quasi des
    Châteaux
    Ça t’explique la complexité (différence dans un jeu de
    ressemblances)
    Non pas d’une « classe » mais de la société des paysans. »

    Voilà, je l’emporte dans mes bagages.

     

    ……………….

    Le temps a passé, et me revoici devant ma lettre commencée et laissée en plan. Je n’y apporte pas de retouche. Je la laisse telle qu’elle est. Je n’ai d’ailleurs pas changé d’avis et je suis toujours aussi perplexe et inquiète. Le chaos va-t-il nous engloutir ?

    Le Marché s’est bien passé. Le « Poulailler » s'est bien tenu. Tout s’est déroulé dans le calme. J’y ai croisé pas mal de monde. Et fait de belles rencontres. Beaucoup cependant ont disparu cette année, dont les noms apparaissent accrochés dans les travées. Le cœur se pince… et la vie continue. On court un peu d’un stand à l’autre, on se perd, on s’arrête devant le podium pour écouter de nouvelles voix. On est souvent emporté par une silhouette imprévue, un échange inattendu. C’est mouvant et c’est fort. Ça passe comme un éclair.

    Á peine arrivée il me faut repartir, prendre l’avion dans l’autre sens. Retrouver l’île, si éloignée de cette énergie incroyable qui se diffuse place Saint-Sulpice. Mais j’ai tout de même eu le temps de m’octroyer une balade dans Paris avec ma fille aînée et mon fils. Ensemble nous avons fait 13 kms à pied. J’étais insatiable et je me sentais des ailes. La fatigue m’avait quittée, l’inquiétude, aussi. Tout semblait normal, les gens attablés aux cafés, les touristes déambulant dans tous les sens, la circulation infernale… Notre-Dame était resplendissante, sa flèche, dégagée, céleste à nouveau. La Capitale était belle, sensuelle, ensoleillée, vivante. La Seine un peu haute et houleuse, les bateaux-mouches pleins à craquer. La Révolution ? Le chaos ? La guerre civile à nos portes ? Ce jour-là toutes les angoisses semblaient abolies. La vie vivait sa vie normale, effrénée, haletante. Et c’était bon. Comme des retrouvailles, de vieilles connaissances. Mais depuis… ? Les murs de Bastia redoublent de slogans anti-français. Ils sont là, pourtant. Toujours plus nombreux. En ce moment sur la plage, Léa S. et sa grande famille. Et R.G. venu en coup de vent pour le week-end. Ils sont propriétaires de deux maisons dans le village. Nous nous croisons dans les épiceries. Ou au restaurant. Des noms circulent mais pas celui de RG. À suivre.

    Tu écris :

    « C’est agréable d’écrire pour ne rien vouloir de spécial, juste trouver sa propre petite musique et l’offrir sans chichis. L’art épistolaire n’est fait que de mélodies consenties. »
    Oui, c’est juste et c’est bien ce que nous faisons quand nous prend le désir de donner une suite à notre échange. Il existe pourtant tant de façons d’écrire que j’aimerais être capable de n’en oublier aucune.
    Demain matin, plage, tôt, avant que la Marine ne soit envahie et débordante de bruit et de fureur.

    Sur ces mots, je t’embrasse, ma chère Grande. Con affetto.

     

     

     

  • Erwann Rougé / Paul les oiseaux (portrait) / Lecture d’Angèle Paoli

    Erwann Rougé, Paul les oiseaux (portrait)
    Éditions Isabelle Sauvage, 2024,
    Dessin d’Ena Lindenbaur
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

     

    Abstraction pour Erwann Rougé

     

     

     

     

     

     

     

     

     " Quelque chose d’un drame mental. "

    Ph. : G.AdC

     

     

     

     

    Portrait du poète en corbeau

    Paul les oiseaux (portrait), voilà un titre qui peut intriguer. Rien, en effet, pas le moindre signe diacritique, ne vient séparer Paul des oiseaux qui le caractérisent. L’ajout entre parenthèse du mot « portrait », laisse à penser à la symbiose de l’un avec l’autre. Peut-être s’agit-il d’un récit onirique en forme de déclaration poétique ? Et sans doute d’un « portrait » du poète en « Paul les oiseaux » ? Il faut poursuivre.

    Le titre est d’autant plus singulier qu'il est accompagné en première de couverture par une bien étrange silhouette. Un être longiligne, présenté de dos, étire sa forme décharnée, bras collés le long du corps. La tête coiffée d’un oiseau. L’homme et l’oiseau regardent-ils dans la même direction ? Cela semble peu probable. Le regard de l’homme est invisible. Figé droit devant lui. L’œil rond de l’oiseau, pris dans son profil, regarde vers la gauche. Ailes repliées. Bec tendu dans le prolongement du corps. Est-ce un corbeau ? Une sterne ? Un freux ? Une mouette ? Un guillemot ? Un oiseau. Peut-être un oiseau de mer. De type alcidé. Ou alors un corvidé. Le coup de crayon est graphique, serré, minimaliste. Il se dégage de l’ensemble une impression d’« étrangeté », de presque anomalie. De désolation. Quelque chose d’un drame mental. Celui d’« un physique stratifié d’insecte ou d’idiot »*. Le dessin – un « dessin à regarder de traviole »** – est de la peintre allemande Ena Lindenbaur, les poèmes du poète Erwann Rougé. Les deux artistes, le poète et la peintre semblent attachés à la même manière. Une écriture à l’os, un graphisme constitué de traits noirs, à peine ébauchés. Qui fait de cet humain inabouti un être poignant. Inspiré du « portrait » que le poète donne de Paul : « La pointe des pieds sur le qui-vive » / « Les bras sait pas les retenir… »

    Le recueil d’Erwann Rougé est une reprise d’un précédent recueil édité en 2005 aux éditions du Dé Bleu. Le titre du recueil est emprunté à Antonin Artaud : Paul les Oiseaux ou la Place de l’Amour. Avec en exergue « tu es sang toi aussi, les oiseaux. » Chez Artaud, « Paul les Oiseaux » fait partie du recueil L’Ombilic des Limbes (1925) et renvoie au peintre florentin Paolo Uccello. Dans ce drame en prose, le spectateur assiste à une confrontation entre le sculpteur Donatello, l’architecte Brunelleschi, le peintre Uccello et son épouse la jeune Selvaggia. On voit le peintre se débattre « au milieu d’un vaste tissu mental où il a perdu toutes les routes de son âme ». De cette matière originelle complexe, démultipliée à travers des époques différentes, de Paolo Uccello à Erwann Rougé, en passant par les Vies imaginaires de Marcel Schwob et par Paul les Oiseaux d’Antonin Artaud, Erwann Rougé tire sa propre création. Mais s’il en garde l’esprit, volatil, éphémère, il resserre le propos à l’extrême :

    « les mots sont des vertèbres
    des chairs des os »

    Á partir de son personnage et à travers lui, le poète interroge l’écriture poétique. Origines et limites :

    « D’où vient que ça prend langue
    au bord de pas dire jusqu’où »

    D’Antonin Artaud, il garde quelques expressions : « la place d’amour » / « sa détresse » aussi. Ou encore, plus explicite, « la petite oreille du ventre » (écho inversé de « L’Ombilic des Limbes »). Mais aussi le combat contradictoire entre la cruauté et la charogne, les excréments et la beauté. Ainsi que cette « insoutenable légèreté de l’être » chère à Milan Kundera qui met sans cesse en balancement l’esprit et le corps. Leur incompatibilité. Légèreté et pesanteur.

    « La beauté balance mal »

    « De toute façon
    corbeau blanchit l’os »

    Le poème d’Erwann Rougé se déroule en trois temps, trois tableaux. Le plus développé est le premier temps. Celui du portrait de Paul en aliéné. Par touches sensibles, le poète fait évoluer Paul dans le monde intérieur qui est le sien. Celui d’un psychotique pris dans son décor familier d’oiseaux, de ronces, de sel, de vent, de mer et de dunes.

    « En rond
    tourne sans cesse en rond

    Ne sait pas le corps si grand
    se balance se balance mal… »

    ou encore :

    « Se tient là d’arrière en avant
    la lèvre déborde et bave
    les mains ne se touchent pas. » 

    Empêtré dans d’incompréhensibles contradictions, Paul est voué à la solitude :

    « Peux pas rester seul
    Peux pas avec les autres »

     

     

    Le second tableau, plus bref est celui de la mort de Paul.

    « Alors on prépare l’oubli on laisse venir
    on n’oublie pas au fond on ne l’oublie pas »

     

    Le dernier, cinq pages à peine, est un adieu poétique à Paul. Paul qui porte « quelque chose de nous ». Et de la poésie.

     

    Du portrait que le poète fait de « Paul les oiseaux », le lecteur retient qu’il est un grand enfant au corps mal maitrisé, aux gestes imprévisibles, aux « doigts à contresens. »

    « Il est un dedans
    le corps dedans sans dehors » 

    Il rit à contretemps, se berce dans la répétition des gestes qui sont les siens – collectes, petits rituels, frottements érotiques, répétition des mots et des formes. Il vit dans l’inadéquation du langage et des choses – « Il n’y a pas de mot pour chaque chose » – mais aussi dans l’adéquation de son être avec la nature, avec le vent. Avec les oiseaux. Peut-être la seule qu’il connaisse vraiment :

    « Paul prend tout entière l’aile
    en lui l’aile toute entière » 

    ou encore, Paul artisan de son univers :

    « Paul ramasse des plumes
    les cherche tout entières

    fait des boules
    comme un fruit sur le rebord du mur

    avec des feuilles des os
    refait l’intérieur d’oiseau

    les enduit de boue appuyée de blanc
    pareille à la rondeur
    Petit tas d’os de salive et de plumes » 

    Ce à quoi Paul aspire – ce qu’il recherche jusqu’au vertige – c’est à la douceur. Et à la chaleur qui l’accompagne. La douceur du ventre, la chaleur des plumes et de la peau.
    Le poète, lui, semble en parfaite adéquation avec Paul. Reprend et mime ses hésitations. Á partir de verbes simples : regarde/ pique/ serre/ crie… Il s’adapte à Paul à travers le langage qui est le sien. Agrammatical et répétitif. Mais un répétitif construit et très varié. Parfois immédiat, comme dans ces quatre vers:

    « Fallait pas le battement
    du sable et des abeilles

    Fallait pas ce qui se torture
    entre l’oreille et Paul »

    Parfois différé, par association d’idées ou de sons, comme dans les suivants :

    « La main à plat touche terre
    et les mots montent dedans

    les mots tiges avec la dune
    et l’usure du vent

    ses doigts arrachent
    la brindille serrée entre les dents »

    Ainsi le poète nous berce-t-il nous aussi, pris que nous sommes dans la proximité des syllabes, des allitérations et des assonances, des mots et des rimes ; dans le balancement lent des rythmes. Pourtant, derrière l’apparente douceur, se cache la cruauté et la laideur. Odeurs fétides, pourrissement, excréments, sang, énucléations, images de charognes et de mort :

    « Ne pas lâcher gratter l’os
    creuser les yeux tirer les dents

    Nettoyer chaque trou
    des vertèbres du cou… »

    Car ce que désire Paul, c’est revenir en amont du point de départ de l’existence « au commencement / "où nul retour possible" ».

    Bien en amont de l'exécrée copulation père-mère.

    En attendant ce retour improbable, Paul se coule au plus près des oiseaux, mémorisant leur être. C’est par eux qu’il existe – « avec les yeux-oiseaux » ; avec leurs histoires :

    « Le merle tisse
    l’histoire des petites choses

    Être prend la main de Paul »

    Avec la mort de Paul, se glisse un « on » qui s’affaire autour du défunt, discrètement, comme en sourdine. Qui exécute des gestes, peut-être pour leur trouver un sens ; ou pour se rapprocher de ses manières ; pour mieux en comprendre la teneur. Mais Paul échappe à la compréhension ordinaire des choses ; à leur appropriation. Aspirant à la légèreté de l’oiseau, il se heurte à sa propre pesanteur qui l’empêche de voler. Il est du côté de la paradoxale et inaccessible « insoutenable légèreté de l’être ». Du côté du mystère de la langue qui interroge. Du côté du poète pour qui « les mots sont des vertèbres
    des chairs des os ».

    Et le poète-corbeau s’accroche à la beauté du poème, au travail d’arrimage serré qu’exige la poésie pour dire peut-être quelque chose de nous, entre éphémère et infini :

    « Le vent est un pauvre fou
    qui …
    tisse l’épissure peut-être poème
    enlacement proie contre proie… »

     

               * Antonin Artaud, Paul les oiseaux ou La Place de l'amour in L'Ombilic des Limbes, Poésie  / Gallimard, Préface d'Alain Jouffroy, 1968, p.57

     

    La machine de l'être

             

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ** Dessin à regarder de traviole d'Antonin Artaud également intitulé La machine de l'être, 1946. In Artaud, Dessins et portraits, Paule Thévenin / Jacques Derrida, Gallimard 1986.

     

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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     Voir aussi  → Erwann Rougé sur Terres de femmes 

     

  • Étienne Faure / Séries parisiennes

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    TATE

     

     

     

     

     

     

     

     

    "-Ah !- devant quelque tableau,  cette  mortelle pâmoison… "

    Aquatinte numérique : G.AdC

     

     

     

     

     

    Comme on part en vitesse refaire sa vie, un soir d’été il arrive,
    à l’angle d’une rue adoucie par un bar,  qu’une rencontre avec
    des yeux complices,   présumés tels,  l’espace d’un éclair téta-
    nise le temps.
    La peau aimantée   par l’orage   offre alors cet aspect nommé
    d’un raccourci de plume chair de poule.

    Et    pour garder    la contenance –    ce menu geste en tenant
    lieu -   on prend un verre,    épousant discrètement du regard,
    compliment réversible,   une forme assez compliquée de féli-
    cité, au moindre éclair des yeux, avec leurs façons proches, à
    la fin presque amis, séduit.

    La foudre est tombée

     

    Au creux de l’heure, en plein été le geste est ralenti, mais l’œil
    éveille un  mouvement d ’un seul homme des têtes à la terrasse
    d’un bistrot   quand    la belle échappée    du bois dormant  des
    villes   un quinze août à Paris défile à bicyclette,   débouche un
    peu pincée,   princière,     dans les parages      de Saint-Antoine.
    C’était, de lavis général, la mieux roulée    depuis cinq minutes.

    séance plénière sous les platanes

    Le soir     bien exposé    à la terrasse d’un café cramois, exta-
    sié, on meurt    comme il fut de bon ton    jadis en Italie d’en
    finir, entré en religion dans la pénombre des musées, interdit
    -Ah !- devant quelque tableau,    cette      mortelle pâmoison
    continuant de sévir d’identique façon dans le désir des corps
    aimantés   par la lumière     quand déambule     la colonne de
    Juillet,   beau platane d’or et de vert-de-gris,  un mouvement
    des hanches – la vie – et qu’on en meurt.

    mortelles pâmoisons

     

    Etienne-Faure-series-parisiennes-411x600

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Étienne Faure, « Côté bar » in Séries parisiennes, Éditions Gallimard 2024, pp.70,71,72.

     

     

    ÉTIENNE   FAURE

    Photo-etienne-faure (1)
    Source

    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes ▼

    Vol en V, poèmes, Éditions Gallimard, 2022
    → [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    → Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    → Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    → Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    → sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    → Tête en bas (lecture d’AP)

    ■ Voir aussi ▼
    → (sur le site des éditions Champ Vallon) un autre extrait de La Vie bon train
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure