Auteur/autrice : Angele Paoli

  • Angèle Paoli / Peut-être / Po dassi

     << Mon poème du samedi 
     
     
     
    Po_dassi
    Ph., G.AdC

    PEUT-ÊTRE

    Tout à l’heure
    dans une demi-attente
    ou peut-être
    dans un semi-sommeil
    bercée dans l’entre-deux des jours
    dans un halo en demi-teinte
    ou peut-être en demi-soupir
    à mi-voix entrebue
    entre veille et trêve
    à mi-contrée
    de la terre et de l’eau
    dans l’entre-deux du ciel
    à demi-mots
    à demi-nue

    peut-être

    Angèle Paoli, Noir écrin, poésie cap-corsaire, éditions A Fior di Carta, 20228 Barrettali (Haute-Corse), 2008, page 17.

    PO DASSI

    Dopu
    in un' attesa à mità
    o soca
    in un mezu sonnu
    azzicata in u tramizanu 'lli ghjorna
    in un chjarori in mità tinta
    o soca            à mità suspìriu
    suttivoci       meza imbuccata
    tra svighja è treva
    à mità locu
    di a tarra è di l'acqua
    in u tramizanu 'llu celi
    meza parola
    meza nuda

    po dassi

    Traduction en corse de Stefanu Cesari
    D.R. Stefanu Cesari pour la traduction

  • Paul Louis Rossi / Les Horizons égarés / Lecture de Marie-Hélène Prouteau

     Paul Louis Rossi / Les Horizons égarés
    dessins de l’auteur 
    coll. Le Carré des lombes, Obsidiane, 2025

    Lecture de Marie-Hélène Prouteau

     

    Les-Horizons-egares

     

    Dessin de l'auteurCe recueil, Les Horizons égarés, prend une couleur particulière du fait de la disparition récente de Paul Louis Rossi, le 6 février 2025. Prévu de son vivant, mais publié après sa mort, il rassemble deux minces recueils parus il y a une dizaine d’années aux éditions de la Canopée, dans une édition de luxe à tirage limité, illustrée par Thierry Le Saëc, Les Horizons égarés, suivi de Les Brûleuses d’algues. S’y rajoutent aujourd’hui deux textes, Méditations et Rivages, des dessins de l’auteur et un portrait de Marie Étienne.

    L’ensemble se place sous le signe hautement signifiant de l’égarement. S’égarer, c’est perdre son chemin, se désorienter. C’est aussi perdre le contrôle de soi. Peut-être aller loin de soi, au-delà d’autres horizons, pour se trouver, se retrouver. C’est dire si, dans cette image des « horizons égarés », se joue le déroulé aléatoire de l’imaginaire analogique propre à Paul Louis Rossi.
    La première partie du recueil, mettant en scène plusieurs voyageurs audacieux du XIXe, s’ouvre sur les îles aléoutiennes, au large de la Colombie-Britannique avec le théâtre aléoutien qui fascina tant Paul Louis Rossi. Puis, comme chez Borges, le chemin bifurque vers la Sibérie des Iakoutes. Une mosaïque se construit sous nos yeux qui déploie l’insolite, l’ailleurs, l’inconnu :

    « Les cavaliers Iakoutes
    arrachent les crins
    de leurs montures »

    La seconde partie, « Les Brûleuses d’algues », illustre la façon dont la matière bretonne récurrente dans son œuvre est retravaillée par la rêverie labyrinthique. L’écrivain nous emmène au Japon lors d’une séquence de Nô, s’arrime ensuite aux confins d’Armorique dans la fumée des algues brûlées. Il pratique un art de la connexion – remarquable « étoilement », pour reprendre l’expression de Jean-Christophe Bailly. Il fait fi des frontières de genres, poésie, proses, trace et croise des voies, pages de botanique sur les algues, aphorismes philosophiques, tels :

    « le vent
    de l’impermanence
    ne choisit pas l’instant »

    Mêlant le poème et le récit en une poésie singulière, le poète cultive la sortie des limites, s’égare, s’élance hors des sentiers battus en mettant en scène des figures singulières de personnages originaux, picaresques, comme il aime à en peupler ses livres, tel le fameux botaniste et écrivain Adelbert de Chamisso aux énigmatiques dessins et auteur de Peter Schlemihl.

    Paul Louis Rossi n’est jamais là où on l’attend. Usant à merveille de tours de passe-passe successifs, passant d’un tableau nocturne du théâtre japonais avec le Waki, son récitant, il évoque, quelques pages plus loin, la Place de la Petite Hollande, lieu de Nantes, sa ville natale, ou, Recouvrance, vieux quartier de Brest, ensuite les marais salants de Batz-sur-mer, pour prendre un nouvel embranchement avec « Les Contes d’Ise » et le souvenir des cerisiers en fleurs au Japon. Ce faisant, l’écriture se tient au diapason du « divers ». N’est-ce pas là, dans ce tressage du multiple, que se joue la recherche constante de nouvelles formes ? La création d’une écriture éminemment ductile et mouvante tout à la fois ?

    Ces brûleuses d’algues sont-elles bretonnes ? Sont-elles japonaises ? Pour moi qui, dans mon enfance bretonne, ai vu ces femmes astreintes à leur pénible besogne, je ne peux qu’immédiatement les rapprocher des Pêcheuses de goémon, de Paul Gauguin. Magistrale toile où le peintre accole littéralement aux vagues bretonnes du Pouldu la grande vague de Kanagawa d’Hokusaï . Paul Louis Rossi ne fait pas autre chose quand il pose ainsi un « regard éloigné », japonisant, sur le proche et le familier.
    Jamais à sa place, toujours dans la mouvance d’un horizon qui, sans cesse, se dérobe, Paul Louis Rossi ne serait-il pas un « écrivain de fuite » qui prend la tangente, se défie des frontières, s’égare dans la contemplation de son monde analogique ? Là où l’emportent ses rêves laminaires, ses contemplations lapidaires :

    « un silex parfait
    étincelant supérieur
    et méditatif »

    Dans Méditations et Rivages, poèmes consacrés à des hauts lieux du Moyen-Âge, Sénanque et Tintagel, le poète poursuit sa traversée onirique. Cette qualité contemplative de Paul Louis Rossi, Marie Étienne la saisit avec une extrême sensibilité dans le dessin qu’elle a réalisé, un portrait de profil où le regard du poète semble d’échapper et s’ouvrir à la divagation.

    Paul Louis Rossi, toujours en quête de formes nouvelles ouvrant un autre chemin d’écriture, réussit dans ce recueil la visée quasi métamorphique qu’il pointait dans Les Ardoises du ciel : « Mon idéal est une sorte d’idéogramme en prose, forme qui contiendrait à la fois le dessin, la pensée originelle, le geste, ainsi que l’ensemble des sensations, émotions, images suscitées par le récit ».

     

     

    6a00d8345167db69e201bb09bcdceb970d-800wi(1)

     

     

     PAUL LOUIS ROSSI sur →  TdF 

     

     

    Source 

     

    MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU

    Marie-helene-prouteau
    Source

    ■ Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes ▼

    La petite plage, Éditions La part Commune, 2015 (lecture d'A.P)
    → Chambre d’enfant gris tristesse
    → 
    La croisière immobile
    → 
    Le cœur est une place forte (lecture d’AP)
    → 
    L’Enfant des vagues (lecture d’AP)
    → 
    Nostalgie blanche. Livre d’artiste avec Michel Remaud
    → 
    Voir Pont-Aven (extrait de Madeleine Bernard, La Songeuse de l’invisible)
    → 
    La Ville aux maisons qui penchent (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → le site d’Isthme

    ■ Lectures de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes ▼

    → Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    → 
    Jean-Claude Caër, Alaska
    → 
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    → 
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    → 
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    → 
    Guénane, Atacama
    → 
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    → 
    Denis Heudré, sèmes semés
    → 
    Jacques Josse, Liscorno
    → 
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    → 
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    → 
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    → 
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    → 
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    → 
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    → 
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    → 
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    → 
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    → 
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    → 
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    → 
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    → 
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    → 
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même

    ■ Voir encore ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Marie-Hélène Prouteau

     

     

  • Pierre Cendors / Les Harmoniques originels

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    419605

     

     

     

     

     

     

     

     

                     "   un grand corbeau "
                     photo : ©S. Wroza / INPN

     

     

     

    Maumean
    Ben Gorm
    Knocklaur
    Culog

    leurs cambrures crustales
    faites aux ruissellements
    emmottées dans la terre noire
    en immobiles scellées de pierre
    disent mieux qu’un poème
    l’inépuisable force irrévélée
                 de la poésie

     

    Le vent vorace
    régurgite l’espace -océan
    erre au bord
    extrême de son errance
    pille les cavités perdues
    de l’air où là-haut
    un grand corbeau
    entre les spires de ses ailes
    hypnotise lentement
    une profondeur

     

    Des versants rocailleux
    les sources déterrent
    une eau matricielle
    articulée de clarté
    au goût d’immatériel

    On voit contre le roc
    leur dévalade blanche
    désaccélerer de loin
    à une vitesse méditable

    La réalité y déréalise son empire

     

    Ben Gorm
    d’une seule crachée
    vouée à l’abrupte

    les harmoniques aériens
    s’engouffrent dans les hachées
    sombres de la paroi
    ébranlent par à-coups
    un tambour de silence
    qui tonne bas sous le pas

    seul

                   à l’écoute
    dans l’entente charnelle
    du sol et du corps
                  d’un respir originel

     

    IMG_2229

     

     

     

     

     

     

     

    Pierre Cendors, « L’âge du ciel » in Les Harmoniques originels, Poèmes & photographies de Pierre Cendors, L’Atelier Contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur en 2025, pp. 14,15,16,17.

     

    ____________________________________________________________________________________________________________________________

    ____________________________________________________________________________________________________________________________

     

    PIERRE CENDORS

    Pierre Cendors
    Source

    ■ Pierre Cendors
    sur Terres de femmes ▼

    → Les Hauts Bois, Isolato, 2013
    → [Ici est le seuil] (extrait de Chant runique du vide)
    → L’intime du large (autre extrait de Chant runique du vide)
    → Les Fragments Solander (note de lecture d’AP)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net) L'appel du large, un dialogue entre Pierre Cendors et Cécile Wajsbrot (3 mai 2008)
    → (sur le site de Cadex Éditions) une fiche bio-bibliographique sur Pierre Cendors
    → Endsen, le blog de Pierre Cendors

  • Robert Walser / Poèmes

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

    566826

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

     

     

     

    Beschaulichkeit

    Die Bücher waren alle schon geschrieben,
    die Taten alle scheinbar schon getan.
    Alles, was seine schönen Augen sahn,
    stammte aus früherer Bemühung her.
    Die Häuser, Brücken und die Eisenbahn
    hatten etwas durchaus Bermerkenswertes.
    Er dachte an den stürmischen Laertes,
    an Lohengrin und seinen sanƒten Schwan,
    und üb’ rall war das Hohe schon getan,
    stammte aus längstvergangnen Zeiten.
    Man sah ihn einsam über Felder reiten.
    Das Leben lag am Uƒer wie ein Kahn,
    der nicht mehr Ċhig ist zum Schaukeln, Gleiten.

     

     

    Contemplation

    Tous les livres étaient déjà écrits,
    tous les exploits, semble-t-il, accomplis.
    Tout ce que voyaient ses beaux yeux
    était le fruit d’efforts très vieux.
    Maisons, ponts, et chemins de fer
    avaient vraiment quelque chose d’insigne.
    Il songeait au bouillant Laertes,
    à Lohengrin et son doux cygne,
    Partout, déjà, le sublime était accompli,
    Remontait à des temps reculés.
    On le voyait chevaucher dans les champs, solitaire.
    La vie était échouée sur la grève
    Comme un canot qui ne peut plus tanguer, glisser.

     

    Zoé

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Robert Walser, « III Berne 1924-1933 » in POÈMES/ GEDICHTE, Choisis et traduits par Marion Graf, Postface de Jochen Greven, Éditions Zoé 2008, pp. 80, 81.
    Illustration: Fernand Hodler, La Forêt de hêtres, 1885.

     

     

    Robert Walser Né à Bienne en 1878, mort à Herisau en 1956, Robert Walser est un poète à découvrir. Il publie ses premiers poèmes, âgé de vingt ans à peine, dans les plus prestigieuses revues de son temps, puis revient assidûment à la poésie dans les années bernoises, qui précèdent son silence définitif en 1933. Publiés jusqu’à Prague ou à Berlin pour certains, restés esquissés dans le territoire secret des microgrammes pour d’autres, ces poèmes tardifs vibrent d’une liberté et d’une audace à la fois souriante, fragile et souveraine.
    Voici, en cinquante poèmes, une première approche d’une œuvre poétique tout en contrastes : autant de textes qui émeuvent et amusent, surprennent, déroutent, envoûtent.

     

     

  • Marie Tavera / Dépaysage(s) / suite lacunaire

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

    Eau verte

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " je cueille une eau prise dans les herbes"
    Photo : G.AdC

     

     

     

     

     

     

    II.

     

    je suis le fond ouvert d’une mémoire

    neuve et verte

    croissant

    où remue le halo des tiges

                                                   le buisson de mes mains

    percées dessous le front nos branches

    contiguës

                                                                              *

    contre-jour d’herbes

                                    je cueille mon jardin plus loin

                                    je cueille une eau prise dans les herbes

     

    toujours ailleurs et d’un jardin à l’autre aujourd’hui le verger

    j’accroupis ma hauteur aux tempes

    visage de l’herbe

     

     
                                                                                                      l’argent de ces figures

                                                                                                                               baigne

                                                                                                                    sans la parole
                                                                                                                    
                                                                      je cherche l’écriture ouverte de mon temps

                                                                     je cherche sous l’argent le bois de ce verger

                                                                                                                                 son os

                                                                                                                     comme argent

    ce qui nous remémore à l’avant de nous-mêmes

    ce lien                                                                    comme transit

    force de notre dos

    force d’être venus à l’avant exaucer la trame de nos draps

    traces ou centre

    l’oubli

     

    peut-être l’autre espace depuis cet espace même

    avec

    ce qu’il y a

    ou même justement

    l’autre moyen

    l’herbe neuve

    comme de l’intérieur des choses la limite où se poursuit le centre

     

                      où nous passons plus loin que le corps des lignées cet axe nous le sommes

                                                                                                                                plus loin

                                                                                                                        à notre marge
               

                                              où surgir apparaît ici comme de là dans ce jus à nos paumes

     

     

    De-paysage-s-marie-tavera

     

     

     

     

     

     

     

    Marie Tavera, « Je cueille mon jardin plus loin » in Dépaysage(s), suite lacunaire,
    Couverture et illustrations, dessins©Marie Tavera, Poésie, Éditions Musimot 2025, pp.48, 49, 50, 51.

     

    Marie-tavera(1)(1)

     

     

     

    MarieTavera sur →  TdF 

     

     

  • E.E. Cummings / New York

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

          Collage portrait(1)(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait-collage par G.AdC 

     

     

     

    11.            plato told

           him:he couldn’t
           believe it (jesus

           told him; he
           wouldn’t believe
           it) lao

           tsze
           certainly told
           him, and general
           (yes

                     mam)
                     sherman ;
                     and even
                     (believe it
                     or

                     not) you
                     told him:i told
                     him ; we told him
                     (he didn’t believe it, no

                     sir)it took
                     a nipponized bit of
                     the old sixth

                     avenue
                     el;in the top of his head: to tell

                     him

                                                       1×1,XIII,1944.

    Le-pont-de-Brooklyn-Enjambe-le-matin-calme

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    11.              platon le lui

                       a dit:il pouvait pas
                           le croire (le christ

                                           le lui a dit;il
                                           voulait pas le
                                           croire) lao

                                                tseu
                                                    le lui a dit
                                           bien sûr, et le général
                                           (oui

                                                                 m’dame)
                                                      sherman;
                                                                 et même
                                                     (croyez-le
                                                                 ou

                                                                 pas) tu
                                                                 lui as dit : et moi
                                                      aussi ; nous lui avons dit
                                                      (il ne l’a pas cru, non

                                                      m’sieur) il a fallu
                                                      un bout nipponisé du
                                                      vieux métro aérien

                                                      de la sixième
                                                      avenue ; planté dans son crâne : pour lui

                                                     dire

     

    Cumm

    Photo: Angèle Paoli et photos de NYC : G.AdC 

    E.E. Cummings, « Greenwich et ses villageois » in New York, AnthologieÉdition bilingue,
    Traduit de l'anglais et présenté par Jacques Demarcq, 2025, pp.60, 61.

     


    ■ e.e. Cummings
    sur Terres de femmes ▼

    Érotiques [Erotic poems, W.W. Norton & Co, New York, 2010], Éditions Seghers, Collection Poésie d’abord, 2012, pp. 72-73-74-75.           
         Édition bilingue  Traduit de l’anglais et présenté par Jacques Demarcq.
    → Beautiful
    → [goodby Betty, don’t remember me]
    → Memorabilia

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site American Poems) une bio-bibliographie d’e.e. Cummings (+ un choix de 153 poèmes)
    → (sur scribd.com) l'intégralité des poèmes d’e.e. Cummings

  • Angèle Paoli / Et toi

         << Mon poème du samedi

     

    Et toi

    Les_leons_de_gomtrie_transcendante_3
     " La spirale géométrique du temps "
    Ph, G.AdC

    Et toi
    toi qui buvais dans l’or bleu du matin
    toi qui parlais à l’eau vive du ruisseau
    toi qui courais en sirène après les vagues
    toi qui collectionnais les rubans d’herbe folle
    toi qui croyais que la vie ne serait
    que ce lent écoulement des jours
    je t’avais dit pourtant
    tu n’as pas voulu écouter ni entendre
    que les ans se divisent en mois
    les mois en jours
    les heures en minutes
    les minutes en instances encore plus brèves que la vie
    la vie longitude
    latitude et fractions
    fuseaux horaires
    tu ne voulais pas des échelles
    sinon pour passer ta journée dans les arbres
    maintenant tu es là sans arbre
    le crayon à la main
    et il ne reste plus rien
    de l’or des matins bleus

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

     

    Angle en bleu

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ph, G.AdC

     

  • Fanny Taillandier / Delta

    Lecture (Extrait)

     

     

     

    IMG_2124 I : princes

     

    Reprenons. En Camargue, il faut toujours reprendre le fil de l’eau. Des millénaires durant, le Rhône ne passait pas ici : le grand Rhône, descendant d’Arles, bifurquait vers l’ouest dans un dernier et long méandre, appelé le « Bras-de-Fer », qui se jetait dans la mer là où se trouve aujourd’hui la plage de Beauduc.
        À l’est du Bras-de-Fer, il y avait des prairies inondables qui s’appellent ici des sansouïres, et beaucoup d’étangs salés – la terre, à ce degré méridional, est comme déposée sur la mer qui la précède : elle est composée d’alluvions millénaires par-dessus le sel immémorial, et n’existe que depuis le XVIIe siècle et le petit âge glaciaire qui a vu baisser le niveau des mers du globe (voir première partie, « Avenue de Camargue »). Les fonds des étangs dégorgent de sel sous les crues du Rhône ; en été, lorsque l’eau s’évapore, le sel décore les rives de couronnes blanches et cristallines. Depuis les débuts de la présence humaine en Camargue, il en est l’une des ressources les plus communes et le plus précieuses.
         Mais ce cristal va prendre une immense importance politique dans la France classique. La gabelle, cet impôt mis en place d’abord à titre exceptionnel au Moyen Âge, puis systématisé à mesure que se constitue l’État central du royaume de France, a tout d’un bon impôt pour les princes : le sel, nécessaire à la conservation des aliments, est indispensable à tous, ce qui fait qu’on peut prévoir et garantir ce bénéfice aussi nombreux que les contribuables d’une année sur l’autre. Il devient monopole d’État et l’un des revenus principaux sous Louis XIV : la gabelle représente un tiers des recettes de la Ferme générale mise en place par Colbert, l’ancêtre du Trésor public. Évidemment, cet impôt, dont sont exemptés les nobles et le clergé, est une injustice pour le tiers état. Mais c’est ce qui s’appelle une sécurité financière pour le régime.
    En tant que région productrice de sel, le comté d’Arles ne paye pas la gabelle. Mais Marseille, oui, et la forte taxation encourage le marché noir. Ici, juste derrière le they* que nous gravissons lentement, et qui n’existe pas encore, dans cette marche orientale du delta de la Camargue, loin de tout peuplement humain, les faux-sauniers viennent en douce prélever l’or blanc sur le bords des étangs, traversent par un sentier le massif du Rove, au-dessus de Fos, longent la Côte Bleue, l’Estaque, et le revendent au noir à Marseille et alentour, là où l’impôt est en vigueur.
        Les fermiers des gabelles (les percepteurs du fisc), conscients de cette contrebande, cherchent à contrôler le sel des étangs- il faut donc en contrôler l’irrigation en eau douce. Ils ouvrent un petit canal entre le début du Bras-de-Fer et ces étangs, ainsi qu’une série de roubines (c’est-à-dire des vannes) entre les étangs qui se succèdent jusqu’au littoral. Le sel est dissous, sa cristallisation sous contrôle royal. Faudrait pas non plus que les ressources naturelles soient en accès libre, non mais oh.
      À son autre extrémité, d’ailleurs, le sentier des contrebandiers voit se construire deux belles citadelles signées Vauban, qui tiennent en joue non pas le large, mais le port de Marseille. Les roubines entre les étangs témoignent, comme les meurtrières du fort Saint-Jean, de la domination de l’homme sur le territoire, mais aussi, et peut-être surtout, du roi sur le territoire. Ici comme partout, l’aménagement est à la fois assainissement, domestication, contrôle de richesses, contrôle des mouvements, et donc, en définitive, contrôle des gens. La politique, qui est une politique d’aménagement national n’est pas menée par tous mais par quelques-uns, pour quelques-uns. Le colbertisme est franchement admirable, pas franchement humaniste.
        Enfin, quoi qu’on en pense par ailleurs, les choses ne restent pas exactement telles qu’on croyait les avoir fixées. Comme l’eau, par exemple. En 1711, alors que, selon la légende, un roubinier étourdi a oublié de refermer une vanne, un fort mistral, par une nuit de février, fait déborder le Rhône de son méandre du Bras-de-Fer. Le fleuve furieux s’engouffre dans le canal, emporte les roubines, submerge les étangs, et roule droit au sud vers la mer. Le grand Rhône contemporain est né.
         Les ingénieurs du roi en stabilisent les nouvelles berges : le nouveau parcours du fleuve fait gagner  presque vingt kilomètres à la navigation entre Arles et la mer. La volonté de maîtrise, l’erreur humaine et l’aléa météorologique ont dévié le cours du fleuve. Le Bras-de-Fer s’assèche peu à peu, les salins bordent désormais le fleuve, et les alluvions rhodaniennes se regroupent désormais à l’embouchure, où les courants littoraux les répartissent de part et d’autre en deux longues plages, dont, à l’est, celle sur laquelle nous marchons : le they de la Gracieuse.

     

    « They »: nom donné à « la flèche de la pointe littorale »

     

    Fanny Taillandier, DELTA, Empires, III, SYMBIOSE, Le Pommier, 2022, pp. 75,76,77, 78,79.

     

     

    Fanny taillandierAgrégée de lettres, Fanny Taillandier écrit des textes longs et courts et propose des formes multimédias (musique, installations) sur le territoire et ses récits. Elle est l’autrice notamment, de la fiction documentaire Les États et empires du lotissement Grand Siècle (PUF, 2016). Les romans Par les écrans du monde (Seuil, 2018) et Farouches (Seuil, 2021) constituent les deux premiers titres du cycle « Empire ».

     

     

    © Hermance Triay

  • Samar Chaaban / des montagnes sous la langue

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    BLAST

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ¿será que sobrevivo al río o que el río sobre-
    vive en mí ?
    permanezco sin respuesta
    ayer hoy y mañana, olas que me revuelcan
    si nado los ojos abiertos bajo tierra
    ¿los encontraré ?
    me esconderé en la sombra del único pez
    que nada contra corriente
    a mí también me gusta al sal, y también me
    gusta cómo las algas cosquillean mi cola de
    sirena incandescente

    yo no soy como lxs demás
    busco el anzuelo
    el lugar donde duele
                 donde se encaja
                 donde hay herida, o sea
                 donde hay memoria

    y si me pierdo lameré mi piel de escamas
    hasta recordar cómo pesa la lengua
    de tanto resguardar montañas

     

     

    est-ce que je survis au fleuve ou est-ce le
                             fleuve qui survit en moi ?
                              je demeure sans réponse
    hier aujourd’hui   demain  vagues qui me
                                                     renversent
    si je nage les yeux ouverts sous terre, les
                                                 trouverai-je ?
           je me distillerai dans l’ombre du seul
                               poisson à contre-courant
              moi aussi j’aime le sel et les algues
              qui chatouillent ma queue de sirène
                                                 incandescente

                     je ne suis pas comme les autres
                                     je cherche l’hameçon
                                  l’endroit où ca fait mal
                                                  où ça s’ancre
                                                    où ça blesse
                        c’est-à-dire où il y a mémoire

                   et si je perds je lécherai ma peau
                                                        d’écailles
    jusqu’à me souvenir du poids de la langue
                  à force d’y abriter des montagnes

     

     

    IMG_2125

     

     

     

     

     

     

     

     

    Samar Chaaban, des montagnes sous la langue, illustration de couverture : Samar Chaaban, yolitia, 2024, blast, Toulouse 2025, pp.44, 45.
    L'autrice et les éditions blast remercient chaleureusement Sarah Haidar pour son aide précieuse sur les traductions en arabe.

     

    Samar+Chaaban

     

     

    Née en 1993 à Paris, dans le 13e arrondissement, de parents mexicains et libanais engagés dans les luttes anti-impérialistes, Samar est poète (ou poémiste) dans les heures volées au capital, lorsqu’elle ne travaille pas dans le secteur associatif en gestion de projets. Marquée par la disparition brutale de ses deux parents ces dernières années, elle cherche à tisser une poétique de l’absence et à explorer la transmission intergénérationnelle des luttes que permet cette filiation.

     

                                               

     

  • Agnès Adda / La filature

    << Poésie d'un jour

                                 

     

     

    LE-TEMPS-

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo : G.AdC 

     

     

     

                                 Et puis s’en vont

     

    Il alignait les clefs à remonter le temps
    Celles des montres, des goussets
    Et sur un air de gigue à deux temps
    La clef des contes patinée de sang.

     

                                  *

    Quand se rompit le sceau de la nuit
    Sur le manteau de mosaïque dure
    Crut-il voir, sidérante et noire
    La clef du royaume des cieux ?
    Il s’évada par la porte des champs.

     

                                    *

     

    Codes, combinaisons.
    Posséder. Jouir ?

    L’anneau d’une clef abandonnée
    Ses galbes ourlés
    Comme refuges et nids d’oiseaux
    -Arbre de vie ?

     

                                 *

    À belle allure filait le tramway
    Comme félin des villes.
    Aux fenêtres des hautes tours
    Grisés par la vitesse
    Se pressaient les reflets.

    Dans leur cage de transit
    Il interrogea les visages
    Linottes de passage.
    Pas un qui n’eût jeté sur les rails
    Ses clefs de fer et de plastique.

    La liberté traçait son histoire.

     

    Ada

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Agnès Ada, « Odes aux passages » in LA FILATURE, Poésie, éditions unicité 2020, pp. 24, 25.

     

    Dans La Filature, le lecteur reconnaîtra la sensibilité et la recherche des précédents recueils d'Agnès Adda, sa capture au plus près de l'émotion, en détective de la beauté fugace, son lyrisme filé teinté d'ironie et d'autodérision (« Odes aux pas-sages », « L'Écume du retour »). Il retrouvera le dialogue amoureux, parfois irrévérencieux, qu'elle entretient avec les arts visuels (« L'oeuvre intime et traversante »). De la fantaisie de la poétesse, ce recueil offre une palette élargie : esthétique sèche des « Brèves de terre et d'eau », art de la controverse et du paradoxe.

    Note de l'éditeur