Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »

  • Arnoldo Feuer / 9 Fenêtres sur l’Infini

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

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    Tableau de→   Erwin Heyn 

     

     

     

     

                    L’ivre de tous les infinis !

     

    Se jeter dans le feuillage nocturne du texte
    vers le chant deviné au sein de la pénombre.
    Savoir que ma langue sera toujours obscure
    sans autres promesses que gifles et griffures.

    Fou, qui nourrit l’espoir d’atteindre, au monde
    des mots inarticulés, ce que lui délivre la musique
    de Jean-Sébastien Bach, chacune de ses notes
    à sa juste place, sensible, éloquente et tempérée.

                  L’inaccessible à portée de main.

                                         

    Le mythe de Babel fait rêver d’une légendaire langue de l’origine, une et complète, où les humains parlaient l’humain, comme les merles parlent le merle. Comment en est-on arrivé à user de parlers qui n’ont pas toujours de correspondance entre eux ? Des idiomes où des termes de l’un ne peuvent se traduire dans l’autre, sinon avec les pires difficultés, au prix de contorsions d’une grande inélégance ? Faut-il s’en affliger ? Faut-il se plaindre d’une fenêtre sur l’infini ?

                                          ∞

    Quel vertige ! D’aucuns ont calculé combien de positions de pièces pouvaient apparaître sur les 64 cases de l’échiquier. Immensités effrayantes des nombres, broutilles du regard des combinaisons sonores codées dans une langue articulée.

                                           ∞

    Foule donc l’herbe innombrable d’un pas toujours neuf,
    oublieux de la répétition.
    Les brins de langue que tu piétines se redresseront
    après ton passage, et d’autres que toi
    les maltraiteront encore et encore.
    Aller son chemin
    -ce que tu crois être une unique phrase où s’enlacent
    les syllabes composant le nom de ton destin-
    passe par des redites
    dont on s’indigne tout en les commentant.
    Répète-toi et n’y pense pas. Avancer est à ce prix.

    Et puis : garde pour toi tes illusions,
    si tu as l’espoir d’être suivi sur la trace que tu laisses.
    De tous ceux traversant un même paysage,
    s’en trouvera-t-il deux à poser sur lui
    des regards semblables ?
    Le « dur désir de durer » ne garantira pas
    la survivance de ton passage,
    quand demeurera le paysage.
    Tu vois bien, à une lettre près, que
    la langue se moque de toi,
    et tu persistes.

                                      ∞

     

                                   Ma langue
                            sera toujours en retard
                       d’un mot pensé ou introuvable
               d’une lettre tracée ou retenue dans l’encre
         d’un son émis ou enfermé au fond d’une gorge aphone
                                 Trop courte
                        même pour l’acte limité
                d’écrire comme on tamise la cendre
           je suis le trieur de feuilles mortes du livre
      où j’attends indéfiniment que se dépose l’infini de la langue.
        

                                        ∞

     

    Tu navigues, comme toujours, entre deux absolus,
    sans concevoir que l’entre-deux
    est pareillement un absolu.
    Tu nommes une proie que tu voudrais pouvoir
    saisir, embrasser sans limites,
    t’incorporer dans une fusion mystique,
    la baiser sur la bouche, la malaxer
    sans devoir reprendre ton souffle,
    et tu dois convenir que ta langue à toi
    n’y suffit pas. Elle en vient pourtant.

     

                                       ∞

     

                             René Char
              abordait la Nuit talismanique
         armé d’encres et d’instruments à écrire ;
                      était-ce pour dompter la nuit
                           ou subjuguer la langue
                                d’autre manière ?
                                       Je n’ai
                              pareille ressource
                         et traverse bien plus que la nuit
                                 en rêvant de fenêtres
                                           ouvertes.

     

                                                ∞

     

    Tu courtises
    la pente raide, flattes les
    forêts dévastées, adjure l’inachevé
    de te tendre la clé : et d’où tiens-tu qu’il y a
    serrure ? Chercher ta voie est pitoyable excuse.

     Tu peux aussi quêter ta sève sous une autre écorce,
                      ou dépouiller la nuée de ses incertitudes,
                                 c’est semblable vanité qui s’offre
                                                  sans plus te rapprocher
                                                             du sombre désir.

    Le temps viendra où il te faudra bien faire silence.

     

     ∞

    L’acacia au grand vent me traduit dans une langue encore sans égale.
    Il entend que les autres, toutes les autres fabriquées de voix d’homme,
    sont insuffisantes et leurs aspirations à la totalité infiniment étroites.

    À son balancement délicat,    je sens bien       que sa traduction est fidèle et
    sensible, bien supérieure à l’original, un tracé de sismographe précis, sans
    limites autres   que sa souplesse dans les souffles atmosphériques.

    Il connaît sa part d’infini, ne tentant rien qui en excède les dimensions.
    Et quand j’essaie avec obstination de cerner l’insaisissable périmètre,
    l’acacia au grand vent me traduit en sa langue dont personne n’a idée.

    ­ 

     

     

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    Arnoldo Feuer, « L’infini de la langue» in 9 Fenêtres sur l’Infini, Avec 9 monotypes d’Erwin HEYN, L’Atelier du Grand Tétras, 2024, pp.83, 84, 85, 86, 97.

     

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    ARNOLDO   FEUER


    Arnoldo Feuer 2
    Ph: DR

       ■ Sur Terres de femmes▼

      → Sylvie Durbec| Arnoldo Feuer, « landau » in « En boîte pour l’hiver », « poules »
    in « Coque de noix », « mammouth » in « Écureuils fantômes » in Dans ma cabane à pattes de poule,
    2Rives, Les Lieux Dits Éditions, 2023
      → Chemins de forêts et de champs, septains XXXV, XXXVI, XLI et XLII, Les Lieux-Dits éditions,
    Cahiers du Loup bleu, 67000 Strasbourg, 2018

     

       ■ Voir aussi ▼
    Shurumburum, le site d’Arnoldo Feuer
    → le site d’Haleh Zahedi

     

     


  • Ariane Dreyfus | Épilogue



    Denis Chaussende.4
    Ph. Denis Chaussende
    Source






    ÉPILOGUE



    Seule.

    Fascinée, je fixe des yeux le pain qui reste.

    Cela a été.
    Passer à la boulangerie avant, les petites pièces, la gaîté,
    Car plus que quelques minutes.

    Et une baguette entière
    Pour la seule raison qu’entière.

    Comme si
    ne plus couper le temps.

    Tu es venu.
    Une part mangée, une part restée.

    Ce qui brûle le cœur c’est le morceau disparu.

    Mais je caresse les miettes qui écorchent la nappe
    Aujourd’hui.




    Ariane Dreyfus, « Épilogue », section I, Je ne le dirai plus, L’Inhabitable, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2006, page 37.






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’Inhabitable (note de lecture d’AP sur L’Inhabitable)
    La nuit commence (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur le site du CipM)
    Ariane Dreyfus lisant un extrait de Quelques branches vivantes







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  • Rose Ausländer | L’île dérive



    Je caresse des arbres dorés
    Ph. angèlepaoli






    [DIE INSEL SCHWIMMT]



    Die Insel schwimmt
    an meine Brust

    Ich streichle
    goldene Baüme


    *


    Die Harfe
    ist mein Instrument

    Ich spiele
    das Lebenslied






    [L’ÎLE DÉRIVE]



    L’île dérive
    vers ma poitrine

    Je caresse
    des arbres dorés


    *


    La harpe
    est mon instrument

    Je joue
    le chant de la vie




    Rose Ausländer, Je compte les étoiles de mes mots [Ich zähl die Sterne meiner Worte, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1985], Éditions L’Âge d’Homme, Collection Le Rameau d’Or, Lausanne, 2000 (épuisé) ; rééd. Éditions Héros-Limite, Collection feuilles d’herbe, Genève, 2011, pp. 58-59. Traduit de l’allemand par Edmond Verroul.





    Ausländer






    ROSE AUSLÄNDER


    Rose Ausländer
    Source



    ■ Rose Ausländer
    sur Terres de femmes

    Après le Carnaval
    Augenblickslicht
    Janvier (extrait de Pays maternel)
    Während ich Atem hole



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    la page consacrée à Rose Ausländer
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes dits (en allemand) par Rose Ausländer
    → (sur le site des Éditions Héros-Limite)
    une fiche de lecture sur Je compte les étoiles de mes mots
    → (sur Recours au poème)
    une note de lecture de Pascale Trück sur les deux recueils de Rose Ausländer publiés par Æncrages & Co





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  • Antonella Anedda | Avant l’heure du dîner

    «  Poésie d’un jour »



    Antonella_anedda_1
    Antonella Anedda
    Image, G.AdC







    PRIMA DI CENA


        « Prima di cena, prima che le lampade scaldino i letti e il fogliame degli alberi sia verde-buio e la notte deserta. Nel breve spazio del crepuscolo passano intere sconosciute stagioni; allora il cielo si carica di nubi, di correnti che sollevano ceppi e rovi. Contro i vetri della finestra batte l’ombra di una misteriosa bufera. L’acqua rovescia i cespugli, le bestie barcollano sulle foglie bagnate. L’ombra dei pini si abbatte sui pavimenti; l’acqua è gelata, di foresta. Il tempo sosta, dilegua. Di colpo, nella quiete solenne dei viali, nel vuoto delle fontane, nei padiglioni illuminati per tutta la notte, l’ospedale ha lo sfolgorio di una pietroburghese residenza invernale.

    Ci sarà un incubo peggiore
    socchiuso tra i fogli dei giorni
    non sbatterà nessuna porta
    e i chiodi piantati all’inizio della vita
    si piegheranno appena.
    Ci sarà un assassino disteso sul ballatoio
    il viso tra le lenzuola, l’arma posata di lato.
    Lentamente si schiuderà la cucina
    senza fragore di vetri infranti
    nel silenzio del pomeriggio invernale.
    Non sarà l’amarezza, né il rancore, solo
    – per un attimo – le stoviglie
    si faranno immense di splendore marino.

    Allora occorrerà avvicinarsi, forse salire
    là dove il futuro si restringe
    alla mensola fitta di vasi
    all’aria rovesciata del cortile
    al volo senza slargo dell’oca,
    con la malinconia del pattinatore notturno
    che a un tratto conosce
    il verso del corpo e del ghiaccio
    voltarsi appena,
    andare. »


    Antonella Anedda, « Prima di cena », Residenze invernali, Crocetti, Milano, 1992.






    TRADUCTION


        « Avant l’heure du dîner, avant de passer la bassinoire à l’intérieur des lits, avant que le feuillage des arbres ne se vert-de-grise et que la nuit soit déserte. Dans le bref mitan du crépuscule défilent inconnues des saisons tout entières ; le ciel se couvre alors de nuages, le vent se lève et balaie souches et ronces. Contre les vitres de la fenêtre bat l’ombre d’une mystérieuse bourrasque. L’eau renverse les buissons, les bêtes trébuchent sur les feuilles détrempées. L’ombre des pins s’abat sur le dallage ; l’eau, de la forêt, est glacée. Le temps se fige, se dissout. Soudain, dans la tranquille solennité des avenues, dans le creux des fontaines, dans les pavillons illuminés tout au long de la nuit, l’hôpital a la clarté fulgurante d’une résidence d’hiver de Saint-Pétersbourg.

    Il y aura un cauchemar bien pire
    tapi entre les feuilles des jours
    aucune porte ne claquera
    les clous plantés à l’orée de la vie
    se courberont à peine.
    Il y aura un assassin étendu dans la coursive
    le visage entre les draps, l’arme posée à côté.
    Lentement s’entrouvrira la cuisine
    sans fracas de vitres brisées
    dans le silence de l’après-midi d’hiver.
    Il n’y aura ni amertume ni rancœur, seulement
    – un court instant – la vaisselle
    débordera de splendeur marine.

    Alors il faudra s’approcher, sans doute grimper
    là où le futur se rétrécit
    jusqu’à la table encombrée de vases
    jusqu’à l’air chaviré de la cour
    jusqu’au vol indéployé de l’oie,
    avec la mélancolie du patineur nocturne
    qui sait au bon moment aligner son corps avec la glace
    se retourner à peine,
    s’en aller. »


    D.R. Traduction Angèle Paoli







    BIO-BIBLIOGRAPHIE


        D’origine sarde et corse (Serra de Serra-di-Scopamène par sa grand-mère), Antonella Anedda (Antonella, Amelia, Ester, Maria, Roberta Anedda-Angioy) est née le 22 décembre 1955 à Rome où elle a suivi des études d’histoire de l’art. Elle partage son temps entre la « Ville éternelle », Lugano, la Corse* et l’île sarde de La Maddalena, « un’isola nell’isola », « île d’une pensée » selon les termes d’Antonella Anedda, allégorisation d’une nécessaire condition poétique de solitude et d’insularité dont l’écho se retrouve dans le vers de Celan : « Niergends fragt es nach dir » [In nessun luogo si chiede di te].

    « Scrivo con pazienza
    all’eternità non credo
    la lentezza mi viene dal silenzio
    e da una libertà ― invisibile ―
    che il Continente non conosce
    l’isola di un pensiero che mi spinge
    a restringere il tempo
    a dargli spazio
    inventando per quella lingua il suo deserto. »
    (Notti di pace occidentale, op.cit., p. 14)

    « J’écris avec patience
    je ne crois pas à l’éternité
    la lenteur me vient du silence
    et d’une liberté ― invisible ―
    que ne connaît pas le Continent
    l’île d’une pensée qui me pousse
    à resserrer le temps
    à lui donner de l’espace
    en inventant pour cette langue son désert. »

        Antonella Anedda a enseigné le français à la Faculté des lettres et de philosophie de l’Université de Sienne/Arezzo, avant de travailler pour l’Istituto di studi italiani (ISI) de Lugano (Università della Svizzera italiana) et d’occuper la chaire d’anglistique de l’université de Rome. Elle écrit dans de nombreux périodiques et revues : Il Manifesto, Legendaria, Linea d’ombra, MicroMega, Nuovi Argomenti (éditions Mondadori), Poesia (éditions Crocetti).

        Antonella Anedda est l’auteure de six recueils de poésie :

    Residenze Invernali (Crocetti, Milan, 1992, préface d’Arnaldo Colasanti), pour lequel elle a reçu le prix Sinisgalli, le prix Diego Valeri et le Tratti Poetry Prize ;
    Notti di pace occidentale (Donzelli, Rome, septembre 1999). Prix Montale 2000 ;
    Il catalogo della gioia (Donzelli, Rome, 2003) ;
    Dal balcone del corpo (Mondadori, Collection Lo specchio, Milan, juin 2007). Prix Napoli 2007. Prix Giuseppe Dessì 2008 ;
    Salva con nome (Mondadori, Collection Lo specchio, Milan, mars 2012). Prix Viareggio-Repaci 2012 [extraits ICI] ;
    Historiae, Giulio Einaudi editore, 2018.

        Elle a également publié plusieurs essais et recueils de nouvelles, dont :

    Cosa sono gli anni (Fazi Editore, Rome, 1997) ;
    La luce delle cose (Feltrinelli, Milan, 2000) ;
    Tre stazioni (LietoColle, Faloppio, 2003) ;
    La vita degli dettagli (Donzelli, collana Saggine, Rome, 2009) ;
    Isolatria. Viaggio nell’arcipelago della Maddalena (Laterza, Collana Contromano, 2013).

        En tant que traductrice, elle a aussi dirigé l’édition de deux ouvrages de Philippe Jaccottet : Appunti per una semina : poesie e prose 1954-1994, anthologie de poèmes (Fondazione Piazzolla, Rome, 1994), et l’édition italienne de La parola russia (Donzelli editore, 2004 ; éd. fr. : À partir du mot Russie, Fata Morgana, 2003). Elle a en outre publié un recueil de variations poétiques et de poésies étrangères intitulé Nomi Distanti (Empiria, Rome, 1998). Elle a aussi traduit Les Tristes d’Ovide, et, plus récemment, Ann Carson et Jamie Mckendrick, et s’apprête à publier un ouvrage consacré à l’art contemporain (et notamment à Bill Viola).

        Tenue pour l’une des voix les plus originales de la poésie italienne contemporaine, Antonella Anedda est présente dans de très nombreuses anthologies italiennes et étrangères. Une traduction partielle de Notti di pace occidentale (Nuits de paix occidentale & autres poèmes) a paru en 2008 aux éditions bordelaises L’Escampette (traduction de Jean-Baptiste Para, directeur de la revue Europe)**. Certains des poèmes de Notti di pace occidentale ont paru dans le n° 1 de la revue Confluences poétiques (Mercure de France, mars 2006), dans le n° 132 (décembre 2006) de la revue Décharge, dans le n° 20 (automne-hiver 2007) de la revue Rehauts, dans la revue Europe (novembre 2007)***, et dans le n° 5 (janvier 2014) d’Inuits dans la jungle.




    _______________
    * « Le rectangle de ces feuilles est l’enclos qui redouble la solitude de cette île : la Corse ― ni italienne, ni étrangère ― où j’ai cherché à résister au vide qui croissait autour de tout ce que j’aimais et qui était devenu invincible, pour moi, à Rome, sur le Continent » (Antonella Anedda in « Basse Lumière », avant-propos de Nuits de paix occidentale, L’Escampette Editions Poésie, 2008, page 7).

    ** Ce volume est une anthologie qui rassemble plusieurs séquences de l’œuvre d’Antonella Anedda, issues de Notti di pace occidentale, de Nomi distanti, d’Il catalogo della gioia, de Dal balcone del corpo et de La luce delle cose.

    *** Antérieurement à cette publication, d’autres poèmes issus de ce recueil ont été traduits en français dans diverses revues, et notamment dans Arpa, n° 67, 1998 (traduction de Raymond Farina), Journal des poètes, n° 2/2001, Maison Internationale de la poésie de Bruxelles (traduction de Raymond Farina), Les Cahiers de poésie-rencontres, Écritures de femmes, n° 49-50, Lyon, mai 2002 (traduction de Marc Porcu).





    ANTONELLA ANEDDA


    Antonella Anedda
    Source



    Pour écouter la voix d’Antonella Anedda disant à voix haute le poème ci-dessus, cliquer
    ICI. [Source : site berlinois lyrikline].



    ■ Antonella Anedda
    sur Terres de femmes

    février, nuit
    mars, nuit
    mai, nuit
    octobre, nuit
    novembre, nuit
    13 décembre **** | Fête de sainte Lucie (décembre, nuit)
    Archipel
    Le dit de l’abandon
    Frontières (extrait d’Historiae)
    Per un nuovo inverno
    Ritagliare
    S
    11 septembre 2001
    10 février 2013 | Antonella Anedda, Senza nome. Sartiglia (extrait de Salva con nome)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Salva con nome
    → (dans la Galerie « Visages de femmes ») le portrait d’
    Antonella Anedda (+ deux poèmes extraits de Nomi distanti et de Notti di pace occidentale)



    ■ Voir aussi ▼

    les pages que le site Italian Poetry a consacrées à Antonella Anedda
    → (sur Poetry International Web)
    un dossier Antonella Anedda
    → (sur Niederngasse 16, janvier-mars 2006) un entretien (en italien) avec Antonella Anedda
    → (sur Her circle ezine)
    Antonella Anedda: Encounters with Silence, the Page, and the World (7 mars 2008)
    → (sur La dimora del tempo sospeso)
    de longs extraits (en italien) des différents recueils d’Antonella Anedda
    → (sur books.google.com)
    d’autres larges extraits de Notti di pace occidentale
    → (sur Progetto Babele)
    une interview (en italien) d’Antonella Anedda par Pietro Pancamo



    ■ Voir | écouter ▼

    → (sur le site de la Bibliothèque municipale de Lyon)
    conférence autour d’Antonella Anedda, Entre racine et lame, organisée dans le cadre du Printemps des poètes 2010, animée par Angèle Paoli et Marc Porcu
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes extraits de Residenze invernali, de Notti di pace occidentale et de Salva con nome, dits par Antonella Anedda





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  • Julia Peker / Marelle

    <<Poésie d'un jour

     

    Entre tes poings

    Affolée de ne pas savoir lire
    dans les nuages
    tu t’enroules autour d’un sein
    tari depuis longtemps

    drapée dans sa chevelure
    tu te balances autour de cet axe
    bercée de comptines
    emportée par le poids des caresses

    la pluie pourrait
    laver ces années de larmes
    qui s’écaillent au fond de tes yeux
    mais ton visage hésite
    à se confier au vent

    j’essaie de glisser
    entre tes doigts serrés
    ce qu’il faut de cailloux
    pour semer tes peurs

    la route sera longue
    et la terre tourne sous tes pieds

     

    Peker

     


     

     

     

     

     

     

     

     

    Julia Peker, Marelle, Dessins d’Ena Lindenbaur, Préface de Jean-Louis Giovannoni, L’Ateleier Contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2024, p.47.

     

    Julia Peker

     

    Julia Peker est agrégée de philosophie et psychologue clinicienne. Elle publie aujourd’hui son premier livre de poésie. Un second est en chantier depuis plusieurs mois. Elle a publié des essais : Cet obscur objet du dégoût (Le Bord de l’eau, 2012) et Philosophie de l’art, en collaboration avec Fabienne Brugère (PUF, 2010).

     

     


  • 19 juin 1992 | Mort de Margherita Guidacci

    ( précédemment mis en ligne le 19 juin 2005)

    Éphéméride culturelle à rebours



    Mort à Rome, le 19 juin 1992, de Margherita Guidacci.







    Guidacci
    Margherita Guidacci et L’Horloge de Bologne
    Image, G.AdC






    GUADO


    L’anno contiene quest’unico guado
    verso di te. Ogni volta
    lo trovo un poco più sommerso, l’onda
    più gonfia, la corrente
    più minacciosa. Eppure
    io t’ho raggiunto ancora, ed ogni breve
    istante che trascorro accanto a te
    diviene un  » sempre  » e se ne nutrirà
    anche il tempo deserto. Se una dura
    legge c’imporrà un  » mai « , noi condannati
    ed immobili sulle opposte rive
    intrecceremo tuttavia i richiami
    di un desiderio tramutato in splendore.
    Così la Tessitrice ed il Pastore
    si rispondono: Vega ed Altair
    tra cui si snoda l’alto
    stellato fiume.



    Margherita Guidacci, Anelli del tempo, Edizioni Città di Vita, Firenze, 1993 ; Le poesie, Le Lettere, Firenze, 1999, p. 476. A cura di Maura Del Serra.





    GUÉ



    L’an ne contient qu’un seul gué
    qui me conduit vers toi. À chaque fois
    je le retrouve submergé davantage, les eaux
    plus gonflées, le courant
    plus menaçant. Et pourtant
    pourtant je t’ai rejoint encore, et le moindre instant
    passé à tes côtés
    devient un « pour toujours ». Le temps désert
    en fera son aliment. Et si une dure loi
    nous imposait un « jamais », à nous condamnés
    immobiles sur des rives opposées,
    nous croiserons toutefois
    les échos d’un désir transmué en splendeur.
    Ainsi la Tisseuse et le Pâtre
    se répondent : Vega et Altair
    entre eux se dénoue haut perché
    le fleuve des étoiles.



    Margherita Guidacci, Les Anneaux du temps, in Po&sie, numéro 109, Trente ans de poésie italienne, I, Belin, 2004, page 138. Traduction de Martin Rueff.







    BIO-BIBLIOGRAPHIE



    Fille unique du célèbre avocat Antonio Leone Guidacci (mort en 1931) et de Nella Cartacci, originaires de Scarperia (près de Florence), Margherita Guidacci est née le 25 avril 1921 à Florence, dans la vieille maison souvent évoquée de Santa Reparata. Enfant solitaire, elle grandit parmi les livres. Imprégnée dès son plus jeune âge des classiques grecs et latins (une formation à laquelle contribue pour beaucoup son cousin, l’écrivain Nicola Lisi), elle construit sa vie de femme loin des modes et des mondanités. Et conduit une triple carrière d’universitaire (thèse de doctorat sur Ungaretti, sous la direction de Giuseppe De Robertis, soutenue en décembre 1943 ; professeur d’université à Macerata [1975-1981], puis à SS. Maria Assunta du Vatican), de traductrice et de poète. Son écriture rigoureuse et sensible est empreinte de mysticisme et d’intériorité. Ses travaux de traductrice la conduisent vers la littérature anglo-saxonne, notamment vers John Donne et T.S. Eliot pour la prose et Emily Dickinson et Elizabeth Bishop pour la poésie.

    Frappée d’hémiplégie en 1990 au retour d’un voyage à Paris, Margherita Guidacci compose son dernier recueil, Anelli del tempo (publication posthume, 1993), dans la plus grande solitude et meurt dans sa maison romaine (21, via Picco dei Tre Signori) le 19 juin 1992 *. Elle repose aux côtés des siens dans le petit cimetière de Scarperia.

    Les poésies de Margherita Guidacci ont été rassemblées par Maura del Serra dans le recueil Le poesie (Firenze, Le Lettere, 1999 ; ristampa 2010).



    ________________________________________
    * NOTE d’AP : c’est à tort que, sur la Toile, certaines biographies font mourir Margherita Guidacci en décembre 1992. Pour ma part, je me fonde sur la notice de Martin Rueff et sur les travaux de recherche de mon amie Maura del Serra (professeur de littérature comparée à l’Université de Florence, qui a coordonné l’édition de l’œuvre poétique complète [1999] de Margherita Guidacci pour la maison d’édition florentine Le Lettere, et a publié en 2005 l’essai Le foglie della Sibilla. Scritti su Margherita Guidacci, Edizioni Studium, Roma, 2005).






    BIBLIOGRAPHIE EN FRANCAIS :


    Neurosuite [Neurosuite, Venezia, Neri Pozza, 1970. Premio Il Ceppo 1971], Arfuyen, 1977, réédité en 1989, traduction de Gérard Pfister.
    Le Vide et les formes [extrait de Neurosuite, 1970 et de Il vuoto e le forme, 1977], Arfuyen, 1979, traduction de Gérard Pfister.
    Le Sable et l’ange [extrait de La sabbia e l’angelo, 1946], Obsidiane, 1986. Traduction de Bernard Simeone.
    Le Retable d’Issenheim [L’altare di Isenheim, 1980], Textes italiens n° 28, Arfuyen, 1987. Traduction de Gérard Pfister.
    Sibylles [extrait de Il buio e lo splendore, Garzanti, 1989], suivi de Comment j’ai écrit Sibylles, Textes italiens n° 77, Arfuyen, 1992. Traduction de Gérard Pfister.
    L’Horloge de Bologne [L’orologio di Bologna, Città di Vita, Firenze, 1981], Arfuyen, 2000, traduction de Gérard Pfister.






        ■ Margherita Guidacci
        sur Terres de femmes

    À l’hypothétique lecteur
    Cumana
    In corsa
    Tentation de saint Antoine
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Margherita Guidacci (+ un extrait de Neurosuite)






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  • Anguéliki Garidis / Le lézard aux yeux bleus / Extraits

    << Lecture 

     

    Cinq personnages, deux femmes et trois hommes,
    d’âge et de contrées diverses,
    las de leur existence actuelle, s’aventurent de par le monde,
    guidés par des murmures d’étoiles,
    en quête d’un sens à donner à leur vie.
    En eux s’opère une transformation créatrice.

     

     

     

    Portrait-de-angueliki-garidis(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait par →  G.AdC

     

     

     

    « À l’ombre de l’eucalyptus, Michael lézarde… depuis qu’il est arrivé en terre d’Arnhem, son rythme effréné de fourmi travailleuse s’est ralenti pour accueillir l’immobilité… Le dos contre le tronc de l’arbre géant, il observe les gens qui passent, un chien dont la queue frétille… L’animal s’approche, renifle ses pieds, puis repart, tranquillement. Michael regarde la poussière qui s’élève à la faveur des mouvements, sent la chaleur pénétrer en lui, apprécie l’ombre réconfortante. Il reste là, sans rien faire, sans penser, pur regard contemplant la vie à ses côtés.
    « Chacun d’entre nous est le gardien d’un segment de terre, d’un morceau d’histoire ancré dans ce territoire. Chaque groupe est gardien d’un Rêve : celui de la fourmi à miel ou de l’acacia à fleurs rouges, de la perruche verte ou du lézard à langue bleue, de l’eucalyptus miniata, ou de l’émeu, de la queue de kangourou ou des pattes arrière du wallaby. Ensemble, nous maintenons le monde en vie, avec nos rites, nos marches à travers le territoire australien, nos peintures, nos danses et nos chants. Chacun est responsable d’une parcelle de ce monde et ne doit pas l’oublier, sinon la terre s’effritera peu à peu et finira par mourir.
    L’ancien raconte les rêves itinéraires qui traversent parfois le continent sur toute la longueur et Mike traduit à Michael, comme il peut. Le Rêve opossum, le Rêve pluie, prune noire, serpent volant… (« L’œuvre au blanc ») »

                                                                              *

    « Alors que le bateau se rapproche, peu avant l’aube, du cap Sounion et de la pointe de l’Attique, Hélène est surprise par une rumeur, des bruits de coups, des cris sourds. Des ombres l’assaillent, hurlant, implorant. Des silhouettes sombres, aux visages creusés par les pleurs. Une coulée de larmes écarlate se mêle au bleu du large. Hélène s’agite dans son sommeil, tandis que les mains sombres l’agrippent. Dans le temps parallèle des songes, les cris des torturés se mêlent aux sanglots des réfugiés. Les fantômes des camps de Makronissos tentent d’arrêter les larmes des enfants morts noyés. Grecs, Syriens, Afghans, Irakiens, Soudanais implorent Poséidon et leurs voix déchirent les frontières. La mer démontée s’acharne en vain à réduire le silence. Les voix s’élèvent, toujours plus fortes. Hélène s’éveille devant la mer indifférente et lisse, tandis que le bateau glisse lentement. Dépassant le Cavo d’oro, il longe la côte de l’Attique et les montagnes illuminées par le soleil du petit matin. Elle aperçoit le rocher de l’Acropole, entouré de verdure… (L’œuvre au blanc) »

                                                                              *              

    « Stella reste encore à Athènes, se cherche. Quelque chose l’attire dans cette ville un peu folle, où des quartiers entiers offrent leurs murs, la nuit, aux artistes de rue. D’un jour à l’autre, de nouvelles figures apparaissent sur les façades, un ange aux ailes coupées, un diable à l’œil malin, une petite fille avec un ballon rouge. Un serpent traverse les façades pour entrer par une fenêtre aux vitres cassées et ressortir de l’autre. Des fleurs, de toutes les couleurs, parmi les slogans, les mots de désespoir, de rage ou d’amour […]
    La nuit est douce, Stella se promène un peu puis s’adosse à un mur presque nu, et sort son instrument. Tandis qu’elle joue, un bruit de pas frôle son oreille et s’arrête près d’elle. Un jeune homme, le regard baissé, l’écoute attentivement. Elle continue de jouer, semblant l’ignorer. Alors le garçon sort lui aussi une flûte de son sac et l’accompagne, inventant des volutes autour de sa mélodie. Souriant enfin, elle lui répond et tous deux improvisent, dans le silence de la nuit. L’un lance un thème et l’autre poursuit. Stella dans l’harmonie, le jeune homme avec des inflexions plus orientales, jusqu’à ce qu’essoufflés, ils s’accroupissent, le dos contre le mur décrépit, et rient, heureux. « Viendrais-tu jouer dans notre groupe ? » lui propose-t-il en grec puis en anglais. Stella ne connaît pas la musique orientale, mais elle pourrait apprendre, elle est douée, il l’entend. Ses amis et lui vivent dans un squat, non loin de là. Elle pourrait les rejoindre, voir si cela lui plaît. Stella, qui n’a pas encore décidé de son retour, lui propose d’aller leur rendre visite le lendemain. Elle rentre dans son petit hôtel, le cœur joyeux, le corps vibrant encore du son de leurs flûtes. (« L’œuvre au jaune ») »

                                                                                *

    « Teotihuacan… la cité des dieux… le lieu où ils sont nés… Dans la magie d’un site chargé d’histoire et de mythes, Ilias marche dans l’allée des morts, jusqu’à la pyramide de la lune. La pyramide du soleil- en réalité dédiée au dieu de la pluie – s’élève à gauche. La chaussée des morts semble conduire jusqu’aux montagnes, au loin. Il se dirige vers la grande pyramide et gravit l’escalier central qui le mène au sommet. Au creux de la pyramide, une grotte d’origine volcanique. Quatre portes disposées comme les pétales d’une fleur donnaient accès, selon les Aztèques, à l’inframonde, à l’univers des morts… C’est ce que raconte son guide.
    Au sommet de la montagne de pierre, Ilias se recueille. Tous ces sacrifices humains, sur ces marches… tout ce sang versé, ces cœurs arrachés… Pourquoi ? Pourquoi ? Pour faire tourner le monde ? Et pourquoi t’a-t-on tué, Gabriel ? Victime collatérale sacrifiée à la guerre des gangs, tu as rejoint trop tôt le monde souterrain…
    Ilias reste longtemps au sommet de la pyramide, indifférent aux touristes qui montent et descendent, en rangs serrés. Le temps n’a plus de prise sur lui… Le soleil est déjà bas lorsqu’il se dirige, lentement, vers le temple de Quetzalcoatl, le sanctuaire du Serpent à plumes. »

                                                                                *

    « Des lettres scintillent dans le noir. Le Lamed ל et le Noun נ, le Kaf כ et le Mem מ, puis le Vav ו seul et à nouveau, les mêmes lettres, comme un message. Lorsque David se réveille, les lettres brillent encore dans la nuit de son rêve. L.N.K M.V. Il ne parvient pas à déceler des mots, des racines significatives. Que racontent donc ces lettres ? Il essaie la numérologie, mais les nombres apparaissent encore plus obscurs. Et s’il revenait au sens premier, « hiéroglyphique » ? Lamed : l’étude, l’enseignement…l’étude est au cœur de sa vie… Noun : le poisson… le symbole des Chrétiens ? Kaf : la paume de la main, l’échange, la caresse… ce qui lui manque en ce moment…Mem : l’eau… la mer qui s’étend devant lui et qu’il ne voit plus… Et Vav : le clou, le lien… le canal… le sexe masculin…
    Il pleut toujours au-dessus du vieux Jaffa. Depuis une semaine déjà, la mer est agitée. On a fabriqué des digues de fortune, avec le sable de la plage, modelé en dunes. Les chaises et les tables des cafés sont empilées à l’intérieur et regardent l’écume, à travers la vitre, d’un air indifférent. La mer va-t-elle envahir la ville, se mêler à l’eau de pluie qui a déjà provoqué des dégâts, s’infiltrant dans les appartements situés sous le rez-de-chaussée ?David repense à son rêve… le corps, les sens…il les a évacués depuis qu’elle l’a quitté… Mais l’étude est apparue aussi, en premier. Enfin, tout cela, c’est aussi son obsession pour la Gematria ! La langue des Kabbalistes… C’est fascinant de voir leur pensée fabriquer des mondes…Les recherches des alchimistes… la langue des oiseaux… J’aime cette expression venue de temps si mystiques que nous ne les comprenons plus… et ne sais si les religieux qui se balancent toute la journée dans leur costume désuet la comprennent mieux que nous… malgré leurs grands airs … se dit David en battant des ailes.»

     

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    Anguéliki Garidis, Le lézard aux yeux bleus, → Éditions Pétra 2024, pp. 59, 67, 80, 91, 113,114.

     

    ________________________________________________

    Anguéliki Garidis est docteur en sémiologie du texte et de l'image. 

    Ouvrages 
    Les Anges du désir. Figures de l’Ange au xxe siècle (Albin Michel, 1996).
    Les Armoires du temps (Pétra, 2016). [Version augmentée traduite par l’auteur et publié en grec moderne , Athènes, Archeio (2018), ainsi que l’écriture  en grec moderne de deux pièces de théâtre inspirées par l’ouvrage : « Veturia » et « Le sculpteur ».
    Sur un buisson de myrte. Errances grecques (Pétra, 2018). [Écriture d’un spectacle de poésie et de danse inspiré de ce recueil].

    Livres d’artistes
    Haïkus – Envols, Silences, Lumières, Souffles (œuvre plastique de Danielle Dénouette, 2014).
    Traces d’Anges (poème de 2001, œuvre plastique de Danielle Dénouette, 2017).
    Gunnera métamorphoses (poèmes, avec des dessins de Nelly Benoit, 2020).

    Articles et textes divers
    Nombreux textes pour des catalogues d’expositions, revues sur l’art et journaux en français, grec et italien.
    Participation régulière à la revue en ligne artmag.com
    Publications dans des ouvrages collectifs ainsi que des actes de colloques sur l’art et la littérature.

    Traductions
    Miltos Garidis, La Peinture murale dans le monde orthodoxe après la chute de Byzance (1450-1600) et dans les pays sous domination étrangère (doctorat d’État).
    Du français en grec moderne, Athènes, Spanos, 1989.
    « Mikis Théodorakis, un voyage poétique et musical ». Du grec moderne en français de poèmes et chansons pour le programme du concert, Polytropon, 2013.
    Desmos/Le Lien (revue trimestrielle, Paris) : poésie, théâtre, articles sur le théâtre, 2013-2015. Du grec moderne en français.
    Takis Mendrakos, Les quatrains de la quenouille folle, Paris, Pétra (à paraître). Du grec moderne en français.

    ________________________________________________

    ♦ Voir aussi  ♦

    Neuf haïkus de Anguéliki Garidis illustrés par Guidu Antonietti di Cinarca (sur son site photos  personnel )

     1    2    3    4    5    6    7    8    9

     

     

  • Patrick Modiano / Chevreuse

     

      Modiano et Françoise Hardy   

    Source
    Patrick Modiano a écrit quatre chansons pour Françoise Hardy

          

     

    Chevreuse. Ce nom attirerait peut-être à lui d’autres noms, comme un aimant. Bosmans répétait à voix basse : « Chevreuse ». Et s’il tenait le fil qui permettait de ramener à soi toute une bobine ? Mais pourquoi Chevreuse ? Il y avait bien la duchesse de Chevreuse, qui figurait dans les Mémoires du Cardinal de Retz, longtemps l’un de ses livres de chevet. Un dimanche de ces années lointaines, en descendant d’un train bondé qui revenait de Normandie, il avait oublié sur la banquette du compartiment le volume en papier bible et à couverture blanche, et il savait qu’il ne se consolerait jamais de cette perte. Le lendemain matin, il s’était rendu gare Saint-Lazare et il avait erré dans la salle des pas perdus, la galerie marchande, et il avait fini par découvrir le bureau des objets trouvés. L’homme au comptoir lui avait remis tout de suite le volume des Mémoires du cardinal de Retz, intact, avec, bien lisible, le marque-page rouge à l’endroit où il avait interrompu sa lecture de la veille, dans le train.

    Il était sorti de la gare en enfonçant le livre dans l’une des poches de son manteau, de crainte de le perdre de nouveau. Un matin ensoleillé de janvier. La terre continuait de tourner et les passants de marcher de leur pas tranquille autour de lui – du moins dans son souvenir. Passé l’église de la Trinité, il arrivait au bas de ce qu’il appelait « les premières pentes ». Il suffisait maintenant de suivre le chemin habituel en montant vers Pigalle et Montmartre.

                                                           *

    Dans l’une des rues du Montmartre de ces années-là, il avait croisé, un après-midi, Serge Latour, celui qui chantait Douce dame. Cette rencontre – à peine quelques secondes – avait été un détail si infime dans sa vie que Bormans s’étonnait qu’il lui revienne en mémoire.

    Pourquoi donc Serge Latour ? Il ne lui avait pas adressé la parole, et d’abord qu’est-ce qu’il aurait bien pu lui dire ? Qu’une amie, « Tête de mort », avait l’habitude de fredonner sa chanson Douce dame ? Et lui demander si, pour le titre de cette chanson, il ne s’était pas inspiré d’un poète et musicien du Moyen Âge nommé Guillaume de Machaut ? Trois disques quarante-cinq tours chez Polydor la même année. Depuis, il ignorait ce qu’était devenu Serge Latour. Peu après cette rencontre furtive, il avait entendu dire par quelqu’un à Montmartre que Serge Latour « voyageait au Maroc, en Espagne et à Ibiza », comme il était courant de le faire à l’époque. Et cette remarque, dans le brouhaha des conversations, était restée en suspens pour l’éternité, et il l’entendait encore aujourd’hui après cinquante ans, aussi nette que ce soir-là, prononcée par une voix qui resterait toujours anonyme. Oui, qu’avait bien pu devenir Serge Latour ? Et cette amie étrange que l’on surnommait « Tête de mort » ? Penser à ces deux personnes suffisait à lui rendre encore plus sensible la poussière – ou plutôt l’odeur du temps.

     

    Patrick Modiano Chevreuse

     

    Patrick Modiano, Chevreuse, Gallimard 2021, pp.15,16,17.

     


  • Denise Desautels | Disparaître

    Remparts

    Ph. G.AdC


    Confettis





    Débris d’orage – nous nous taisons.
    Le monde en train de s’effondrer.
    Ça se disloque on y voit mal.
    Sous nos grains de choses. Nos lèvres
    ensevelies.

    Ce qui devait nous sauver ne nous sauve plus.
    En secret femmes de nerfs
    domptés et d’éclats
    nous sommes ces histoires apprises par cœur
    par corps. Et elles sont nous.

    Nuits à angles durs.
    Comme si des remparts sans cesse nous épiaient.
    Comme si leurs matériaux mêmes
    nous épiaient — fibres bois et sang.
    Dis-moi. Qu’en ferons-nous.




    Denise Desautels, Disparaître, autour de 11 œuvres de Sylvie Cotton, Editions du Noroît, 2021, p.73

    Denise Desautels  Disparaître





    DENISE DESAUTELS


    Denise-desautels
    Ph. Rémy Boily
    Source





    ■ Denise Desautels
    sur Terres de femmes

    Pour dire nous voici (extrait de D’où surgit parfois un bras d’horizon)
    [ça dit grand] (poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    La dernière rivière (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    Disparaître



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Dimedia)
    une fiche sur D’où surgit parfois un bras d’horizon
    → (sur Recours au Poème)
    Denise Desautels : La Dame en noir de la poésie québécoise, par Marilyne Bertoncini
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
    → (sur Mediapart)
    « Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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  • Fabienne Raphoz | Ce qui reste de nous



    Ph. G.AdC


    Septembre cogne plus fort et se tend





    Septembre cogne plus fort et se tend
    tambourinage sur les bogues
    battements d’ailes dans les feuilles
    :
    l’intensité déboule avec son nom
    c’est de terre

    que montera

    un trille aigu
    c’est du ciel

    que plongera

    grave

    un chant de gorge



    [sitelle ou pic épeiche

    éphippigère

    grand corbeau]


    Ramier défie le lent élan claquant de l’aile

    puis plane
    Sous l’alouette lulu dégringolant sa flûte

    labile
    Il n’y aurait finalement que ça au monde

    et toi
    Puis les vents chassent les chants charriant mer comme

    menace


    mais c’est encore l’heure sublime
    :
    le sphinx (que je suis)
    retrouve la voie pourpre du
    calice




    Fabienne Raphoz, Ce qui reste de nous, En couverture : dessin de Ianna Andréadis, Éditions Héros-Limite,2021, pp. 21, 22,23





    Raphoz Ce qui reste de nous Raphoz 800





    FABIENNE RAPHOZ


    PORTRAIT DE FABIENNE RAPHOZ
    Image, G.AdC



    ■ Fabienne Raphoz
    sur Terres de femmes

    Géologie (extrait de Blanche baleine)
    Procellariiformes (extrait de Jeux d’oiseaux dans un ciel vide)
    Parce que l’oiseau (note de lecture d’AP)
    Terre sentinelle (note de lecture d’AP)
    [Qui voit ?] (extrait de Terre sentinelle)
    Ce qui reste de nous



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans le Carnet d’Eucharis n°28, mai/juin 2011)
    une lecture de Jeux d’oiseaux dans un ciel vide par Tristan Hordé
    → (sur ViveLesCouleurs, le blog des ateliers Dominique Hordé)
    un autre extrait de Jeux d’oiseaux dans un ciel vide : Columbiformes, de Fabienne Raphoz





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