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Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »
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Béatrice Bonhomme | Le pacte des mots
Ph., G.AdC
LE PACTE DES MOTS
I – Naissance (extrait)
19 juillet 2006
18 juillet 2011
Jour pluvieux d’un été niçois. Mon père est mort et Lou est née. Elle est née un jour avant sa mort, à cinq ans d’intervalle. Il y a eu un long temps où les mots n’avaient plus de sens, où il était devenu indécent de les écrire. Et puis l’encre est revenue des tout petits cils d’enfant à la bave d’un escargot.
[…]
Lou est déjà l’indépendance des sillons. Mais elle représente un élan, une foi dans la vie qui permet de revenir aux mots et d’écouter à nouveau l’amandier qui se taisait depuis si longtemps, mort dans le jardin d’enfance.
Elle retrouvera, sans doute, le goût des amandes crues le long des espaliers d’avril.
Elle saura, le cœur battant, faire sa place à l’espoir fou dans une chambre de mai orangée de soleil.
Lou est née la veille de la mort de mon père. Elle l’a pris par la main pour redonner à la lumière un dessin de visage pur, un arc bien tracé de bouche.
Elle ne le connaîtra jamais, mais indépendamment d’elle, l’empreinte la plus ténue possible, celle d’une poussière de pluie sur le velours de sa joue, fera continuer la vie.
Elle a d’abord sorti son bras, puis sa petite tête de djinn et, sur elle, le vernix de la vie s’est superposé à l’image du gisant, et les mots morts, les mots crachés, ont repris un sens simple et ont redonné droit à la vie.
Béatrice Bonhomme, «Le pacte des mots », Textes inédits et documents in Béatrice Bonhomme, Le mot, la mort, l’amour, Peter Collier et Ilda Tomas (éds), Modern French Identities, volume 100, Peter Lang, 2013, pages 11 et 13.
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Gérard Titus-Carmel | Albâtre, I. 8
Ph., G.AdC
ALBÂTRE (extrait I. 8)
Peur & fissure de l’ombre –seule veillant au fond de l’antre nocturne
cette forme pansue impénétrable & froide
gardant au feu de son énigme
drogues & onguents pour huiler nos rêves
comme remontant tous les siècles éclairant
tous mes visages antérieurs
(… Où l’esprit se désœuvre et oublie –
où le cœur se tord, ce bloc de lumière
confond toutes les aubes.)
Gérard Titus-Carmel, Albâtre (extrait I. 8), in revue trimestrielle de poésie & littérature Diérèse, 58, automne-hiver 2012, page 31.
GÉRARD TITUS-CARMEL
Source
■ Gérard Titus-Carmel
sur Terres de femmes ▼
→ en traîne d’ocre et de blanc (extrait de Serpentes)
→ La Nuit au corps
→ Oppresse du loin montant
■ Voir aussi ▼
→ (sur La Pierre et le Sel) Diérèse 58 | Respirations de la poésie
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Israël Eliraz | L’instant né au bout du doigt
Ph., G.AdC
L’INSTANT NÉ AU BOUT DU DOIGToui le plus lourd
est le dedans.
…
où se consume
la chose simple.
Esther Tellermann,
Encre plus rouge
il est tellement difficile de trouver
le commencement (Wittgenstein)
on n’invente pas des choses on les
accepte entre œil et fourchette
mettre les morceaux en scène, çà et là,
à attendre leurs mutations.
Autrement dit, être à la limite des choses perdues
*
soudain les choses prennent connaissance
de leurs vraies natures en célébrant
l’instant né au bout du doigt
la fourmi qui dit ceci, là, sa
façon d’être dehors
Bob* dit, nothing wiser than a moment.
*
ne me parle pas de la non-forme (qui
se trace dans la transparence de l’après-
midi) cela peut paraître une excuse
comme toute mythologie
des choses simples dédoublées dans un
mot plat, perdu dans la bouche
l’essence s’écrase, se vide
*
les choses (toujours sans majuscules)
prennent soin d’elles-mêmes selon
une vieille habitude
rétablir un fait dérivé d’un fait
comme d’un seul trait
c’est l’exploit
ce qui s’ouvre et se dédouble à perte de vue
*
il faut se tenir aux choses, s’agripper
aux indications, arriver
au presque rien
une poignée de fragments d’un
matin volumineux, début août
elle est là simplement, la vanitéJérusalem
2006
______________________
* Bob, Robert Creeley
Israël Eliraz, “L’instant né au bout du doigt”, in Hommages, revue NU(e), Numéro 39, Esther Tellermann, juin 2008, pp. 101-102-103.
ISRAËL ELIRAZ
Source
■ Israël Eliraz
sur Terres de femmes ▼
→ apprends du monde verdoyant où est ta place…
→ le désert est
→ maintenant comment poursuivre ?
→ La Pierre (+ notice bio-bibliographique)
→ Poème n’est qu’un lieu
→ revenir au milieu
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Heather Dohollau | Chemins
Ph., G.AdC
CHEMINS
Un poème naît des pressions de la lumière et de l’ombre pour devenir un espace que l’on traverse : en même temps une mouvance et un lieu. Les mots sont les meubles de cette chambre invisible, on les place devant le feu ou près d’une fenêtre à contre-jour.
Pour habiter il faut sentir les distances et regarder dans les miroirs où le dehors est aussi dedans.
Le travail se fait entre le noir d’une écoute et la clarté d’un appel dans la nécessité absolue d’approcher les réponses qui révèlent les questions. Quand le poème est fermé et ouvert, quelque chose respire.
*
**
Il s’agit moins d’illustrer une démarche que de cerner un regard.
Nous écrivons souvent par les interstices dans les œuvres des autres. Aussi bien celles d’un peintre ou d’un musicien que d’un écrivain.
« La mise au clair du monde dans son resplendissement d’or » (Heidegger), la chambre avec lumière « pareille à un cube d’argent évidé » de Musil, ou « l’art de passer les eaux sous la lumière feue » du nocher de Jouve.
Mais aussi : les murs éblouis de Morandi dans les collines de Grizzana, les doigts du soleil posés sur une nappe par Bonnard, les brisures du ciel que sont les femmes bleues de Matisse. Et en musique, certains intermezzi de Brahms, la sonate opus III de Beethoven, les chants de l’aube de Schumann.
Des présences dont la grandeur tient dans la douceur mortelle de leur effacement.
Heather Dohollau, « Chemins », Un regard d’ambre, Éditions Folle Avoine, 2008, pp. 69-70.
HEATHER DOHOLLAU
Source
■ Heather Dohollau
sur Terres de femmes ▼
→ Deux choses qui sont peut-être une (poème extrait de Chemins)
→ Point de Venise 7
→ Voir en avant ce qui est derrière nous
→ Villa Adriana
■ Voir | écouter aussi ▼
→ (sur Lucarne de Nathalie Billecocq) d’autres poèmes de Heather Dohollau extraits des recueils Seule enfance et Pages aquarellées
→ (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Heather Dohollau
→ (sur remue.net) « Heather Dohollau / La beauté est un bien », par Ronald Klapka
→ (sur YouTube) Heather Dohollau, La promesse des mots (Portrait de la poète Heather Dohollau)
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Mathieu Bénézet | Une phrase maison (composés instables)
Ph., G.AdC
1. une phrase-maison
(composés instables)1
quelle vérité de la chose nue
« ornement » de l’amour
liaison dix fois ailée
ce n’est pas la beauté
« le jardin dans l’asile »
vers cette cloison
aveuglément
(elle devient le calme des feuilles)
la foudre grise
cette troisième plus loin du centre
où l’heure vacille
comme reptile
sur place
avec le chien de fusil de la route
(tout le matin
d’une foulée)
comme l’enfance
l’herbe me touche
les mouettes
là-bas
rejettent la neige
un vent effondré dans les vitresbrisées par trop de soleil
solitude de nos nuages souterrains
l’autre nue brillanteune fête de matinée lourde
une inutile« que nient les roses »
ce que j’entendsqui se couchent
leur chute
un gisement
Mathieu Bénézet, « 1. Une phrase-maison (composés instables) » in La Chemise de Pétrarque, Éditions Obsidiane, 2013, pp. 15-16.
MATHIEU BÉNÉZET
Ph. © Hervé B. (France),
All rights reserved.
Source
■ Mathieu Bénézet
sur Terres de femmes ▼
→ [Nous sommes de lumière si étrangers vides]
→ Premier crayon (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ Poëme (extrait de Premier crayon)
→ Trois mouvements (extrait de Premier crayon)
■ Voir aussi ▼
→ (sur remue.net) L’Œuvre poétique de Mathieu Bénézet
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Thierry Martin-Scherrer | [La fenêtre est ouverte]
Ph., G.AdC
[LA FENÊTRE EST OUVERTE]La fenêtre est ouverte. Peu à peu monte par le bas le bruissement des bêtes primitives.
Au bord du noir, la pièce est à l’ancre, vous observez la nuit du monde. Sa présence serrée se tient devant vous, à l’aplomb du mur. Vos yeux la toisent comme une grosse fourrure noire où vous levez parfois des soupirs confus, des craquements d’être. Des yeux innombrables peut-être vous observent. Votre ignorance est traversée.
Plus tard encore, vos yeux enjambent la croisée où tombe parmi l’herbe son rectangle ocré. Entre vos yeux un socle de vieux bronze vous tient lieu d’assise, tissé de brins et d’éclats roux. Sa carpette idéale installe votre faction. Vous avez la patience des statues.
Grenouilles, sauterelles, chenilles, jusqu’aux pierres, la nuit obscure se congratule en langue verte.
Thierry Martin-Scherrer, Le Passage de Marcel, Éditions Lettres vives, Collection « entre 4 yeux », 2001, page 97.
THIERRY MARTIN-SCHERRER
Source
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Thierry Martin-Scherrer
→ (sur le site de l’Arald) une page sur Thierry Martin-Scherrer
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Ariane Dreyfus | « Je suis en train d’oublier son visage »
Ph., G.AdC
« JE SUIS EN TRAIN D’OUBLIER SON VISAGE »
Seul en plein champ,
Le pommier lance son geste compliqué
Elle rattache ses cheveux et n’avance plus
Malgré les nuages mais ils sont beaux à voir
Et puis c’est l’été
Aucune divinité n’enfoncera ses doigts dans les blés
Touchés pourtant, ils bougent de bonne grâce
Plus haut l’herbe prend un chemin, le ciel
Et la pente
Disent « Viens ! » aussi fort l’un que l’autre
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser, Le Castor Astral, 2012, page 52.
____________________________________
NOTE d’AP : cliquer ICI [fichier Word] pour accéder à d’autres extraits de Nous nous attendons.
Ariane Dreyfus a notamment publié L’Amour 1, De, 1993 ; Un visage effacé, Tarabuste, 1995 ; Les Miettes de décembre, Le Dé Bleu, 1997 ; La Durée des plantes, Tarabuste, 1998 et 2007 (édition revue) ; Une histoire passera ici, Flammarion, 1999 ; Quelques branches vivantes et Les Compagnies silencieuses, Flammarion, 2001 ; La Belle Vitesse, Le Dé Bleu, 2002 ; La Bouche de quelqu’un, Tarabuste, 2003 ; L’Inhabitable, Flammarion, 2006 ; Iris, c’est votre bleu, Le Castor Astral, 2008 ; La terre voudrait recommencer, Flammarion, 2010 ; La Lampe si souvent allumée dans l’ombre, José Corti, 2013 ; Le Dernier Livre des enfants, Flammarion, 2016 ; Sophie ou la vie élastique, Le Castor Astral, 2020.
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» Retour Incipit de Terres de femmes -
Aurélia Lassaque | Lo sòmi d’Orfèu | Lo sòmi d’Euridicia
Source
LO SÒMI D’ORFÈU
Dins los infèrns que los òmes
Son pas mai que d’ombras,
Me farai ombra al dedins de ton còs.
Bastirai de ciutats de sabla
Qu’agotaràn lo flum que degun ne tòrna.
Dansarem sus de torres que nòstres uèlhs veiràn pas.
Serai ta lenga trencada que sap pas mentir.
E maudirem l’amor que nos a perduts.
LE RÊVE D’ORPHÉE
Dans les enfers où les hommes
Ne sont plus que des ombres,
Je me ferai ombre au-dedans de ton corps.
Je construirai des cités de sable
Pour tarir le fleuve dont on ne revient pas.
Nous danserons sur des tours invisibles à nos yeux.
Je serai ta langue tranchée qui ne sait pas mentir.
Et nous maudirons l’amour qui nous a perdus.
LO SÒMI D’EURIDICIA
Cavarem d’autras regas que cobrirem de cendre.
Veirem morir lo vent carrejaire d’oblit.
Aurai de pomas dins ma pòcha raubadas a mai paure que ieu.
Las pelarem amb d’espasas.
E amb çò que sobra de nòstres sòmis
Ne bastirem mai
Delà los fuòcs
E la termièra de l’agach.
LE RÊVE D’EURYDICE
Nous creuserons de nouveaux sillons que nous couvrirons de cendre.
Nous verrons mourir le vent qui charrie l’oubli.
J’aurai des pommes dans ma poche volées à plus pauvre que moi.
Nous les pèlerons avec des épées.
Et avec le reste de nos rêves
Nous en bâtirons d’autres
Par-delà les feux
Et la frontière du regard.
Aurélia Lassaque, Pour que chantent les salamandres, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2013, pp. 98-99-100-101.
AURÉLIA LASSAQUE
Ph. © Éric TEISSÈDRE
Source
■ Aurélia Lassaque
sur Terres de femmes ▼
→ Ombres de Lune
→ Ulysse (extrait d’En quête d’un visage)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Lo temps s’es perdut
■ Voir aussi ▼
→ (dans Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera) une bio-bibliographie et deux poèmes d’Aurélia Lassaque
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Peter Gizzi | Bolshevescent
Source
BOLSHEVESCENT
You stand far from the crowd, adjacent to power.
You consider the edge as well as the frame.
You consider beauty, depth of field, lighting
to understand the field, the crowd.
Late into the day, the atmosphere explodes
and revolution, well, revolution is everything.
You begin to see for the first time
everything is just like the last thing
only its opposite and only for a moment.
When a revolution completes its orbit
the objects return only different
for having stayed the same throughout.
To continue is not what you imagined.
But what you imagined was to change
and so you have and so has the crowd.
Peter Gizzi, The Outernationale, Wesleyan University Press, Middletown, CT 06459, 2007, page 79.
BOLCHEVESCENT
Tu te tiens loin de la foule, à la lisière du pouvoir.
Tu considères le bord autant que le cadre.
Tu considères la beauté, la profondeur de champ, l’éclairage
pour comprendre le champ, la foule.
Tard dans le jour, l’atmosphère explose
et la révolution, eh bien, la révolution est tout.
Tu commences à voir pour la première fois
chaque chose est comme la dernière chose
seulement c’est son contraire et seulement pour un instant.
Quand une révolution accomplit son orbite
les objets reviennent mais seulement différents
d’être restés les mêmes tout du long.
Continuer n’est pas ce que tu imaginais.
Mais ce que tu imaginais c’était de changer
et voilà tu l’as fait, et la foule aussi.
Peter Gizzi, L’Externationale, Éditions Corti, Série américaine, 2013, page 82. Traduction de Stéphane Bouquet.
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