LA MAIN DE RAPHAËLE GEORGE
(avril 1986)
J’ai pris ton stylo-plume pour écrire ces quelques lignes ; ce stylo-plume où l’encre ne vient pas. Ne vient plus.
Et j’ai eu peur d’appuyer, très peur de forcer cette faible résistance, ce peu qui conduit une main à son tracé.
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Comment rejoindre ce qui ne peut rester dans sa propre trace ?
Comment rejoindre ce mouvement, venu de l’invisible des mots, que la clarté des pages efface ?
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Et pourtant, j’ai insisté ; insisté comme un aveugle cherche une main pour guider sa main afin de ne plus marcher dans le vide qu’ouvrent ses pas.
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Chaque mot inscrit sur cette page te tient éloignée, te place hors de cette forme qui te donnait lieu à mes yeux.
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Et si mes pas te portent encore un peu : ce n’est pas toi que je bouge !
Comment bouger ces gestes immobiles logés dans l’acier de la plume ?
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Comment faire pour qu’une main rejoigne une autre main, et que les mots, tracés sur la page, ne s’absentent pas ?
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On écrit parce qu’au fond des mots on nous appelle ; ces mots où notre main cherche sans cesse une autre main.
Aucun mot ne prend forme si en lui rien ne sait rejoindre.
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Est-ce ta main cette impossibilité qu’à ma main de trouver son propre chemin ?
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Ce qui résiste, au fond de l’acier, est-ce ta main fermée à tout jamais sur elle-même ?
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Écris-tu, maintenant, dans ce silence où les mots se retiennent en eux-mêmes ?
Avant la page. Avant l’espace.
(Rue de Montreuil, avril 1986)
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Note d’AP : ce texte de Jean-Louis Giovannoni a été écrit pour le premier anniversaire de la mort de Raphaële George, et publié une première fois aux Éditions Brandes (Béthune, 1986). Jean-Louis Giovannoni nous l’a fait parvenir pour une republication exclusive dans Terres de femmes.