Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • Nelly Sachs | [Tourment]



    [TOURMENT]





    Devant une grille
    « Tourment pour la fin de tes pas
    Devant une grille
    Et derrière se déroulait
    À l’infini la contrée de notre nostalgie
     »
    Ph., G.AdC







    Tourment, qui mesure le temps d’une étoile étrangère,
    Teintant chaque minute d’une autre ténèbre
    Tourment de ta porte enfoncée,
    De ton sommeil enfoncé,
    De tes pas qui s’éloignent,
    Qui égrènent l’ultime vie,
    tes pas piétinés,
    tes pas pesants,
    Jusqu’à cesser d’être des pas à mon oreille,
    Tourment pour la fin de tes pas
    Devant une grille
    Et derrière se déroulait
    À l’infini la contrée de notre nostalgie
    Ô temps dont la seule aune est le mourir,
    Comme elle sera facile, la mort, après ce long entraînement.



    Nelly Sachs, Éclipse d’étoile [Sternverdunkelung, Bermann-Fischer, Amsterdam, 1949], précédé de Dans les demeures de la mort, éditions Verdier, 1999, page 29. Traduit de l’allemand par Mireille Gansel.





    NELLY SACHS


    Sachs
    Source



    ■ Nelly Sachs
    sur Terres de femmes

    Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan (note de lecture d’AP)
    Départ au désert
    Quand le jour devient vide
    27 février 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une fiche sur Éclipse d’étoile
    → (sur Nobelprize.org)
    plusieurs pages consacrées à Nelly Sachs
    → (sur le site Esprits nomades)
    une page sur Nelly Sachs





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  • Jacques Lovichi | Mort du Sultan des Asphodèles


    Lucas Jackson
    « ah ! rien ne restera de nous
    qu’un arbre foudroyé sur la berge du fleuve […]
    Et nous serons
    alors
    au seuil de la légende »

    D.R. Ph. Lucas Jackson
    Source







    MORT DU SULTAN DES ASPHODÈLES



           à la Dame Blanche
    à Marie-Jean Vinciguerra
          



    1. Voici
    que vient
    le crépuscule
    et cette face d’ombre en nous
                  qui se fait jour
    qui grimace
    qui rit sous la poudre des siècles

    Et nous aurons
    parlé
    en vain.




    II. À la surface du silence
    crèvent trois bulles irisées
    ah ! rien ne restera de nous
    qu’un arbre foudroyé sur la berge du fleuve
    que le cri d’un faucon à la corne d’un roc
    qu’un reflet clignotant dans la moire nocturne

    Et nous serons
    alors
    au seuil de la légende.




    III. Quelque chose de nous
    vivra
    dans le balancement léger des asphodèles
    au tiède souffle
    du
    matin
    dans la gorge blessée des colombes de l’aube
    et dans le friselis d’écume
    tremblant aux mousses du bassin

    dans le granit
    et sur l’écorce
    où nous aurons posé la main.




    Jacques Lovichi, Poèmes, 3, in Migraphonies, Revue des littératures et musiques du monde, Numéro 5, 2005, pp. 13-14 *.




    _________________________________
    * Note d’AP : Migraphonies, une revue que dirige le poète et graveur Patrick Navaï.





    JACQUES LOVICHI


    Lovichi Portrait 2






    Écrivain corso-provençal d’expression française, Jacques Lovichi* est né à Marseille le 1er février 1937 et (tout en séjournant régulièrement dans la maison ancestrale de la moyenne vallée du Taravu, Corse-du-Sud) a longtemps vécu à La Ciotat, après un long séjour en terre celte (Presqu’île de Crozon, où il a enseigné les lettres). Romancier (Mangrove [Éditions Ipomée, 1982], La Licorne et la Salamandre [Jean-Claude Lattès, 1982], Le Sultan des Asphodèles-Sultaraveddu [Éditions Autres Temps, 1995. Prix du livre corse 1996], Rhotomago et autres fictions subliminales [Géhess Éditions, 2008], etc…), essayiste, critique de théâtre, directeur littéraire, Jacques Lovichi est avant tout poète. Proche des Cahiers du Sud de Jean Malrieu, il entre dans les années 1970 au comité de rédaction de la revue de recherches poétiques Encres Vives, puis à celui de la revue SUD et, en 1998, crée avec ses amis ― Yves Broussard, Frédéric Jacques Temple, André Ughetto, Daniel Leuwers,… ― la revue Autre SUD dont il fut le rédacteur en chef (jusqu’à la disparition de la revue en décembre 2009) .

    Son œuvre poétique se compose d’une quinzaine de recueils (dont Madrilenas, Insurrections, L’Égorgement des eaux, Rouge Cœur, Glyphes, Définitif provisoire, Mangrove, Fractures du silence [Prix Antonin Artaud 1985], Derrière c’est toujours la mort, Murs, Post scriptum/Post mortem, Mythologies de haute mer). L’essentiel de sa production poétique a été rassemblé dans Les Derniers Retranchements (Le Cherche midi éditeur), qui s’est vu décerner en 2002 le Prix de l’Académie Mallarmé. Le 2 février 2007 (le lendemain de ses soixante-dix ans), Jacques Lovichi a mis fin à son activité poétique.

    Jacques Lovichi est mort le dimanche 18 novembre 2018.

    « Si, pour beaucoup de poètes la place qu’ils revendiquent dans le champ poétique semble nécessairement passer à leurs yeux par une profusion de poèmes, une présence jamais démentie sur le front éditorial, il en est d’autres, peu nombreux, qui, comme Jacques Lovichi, ont une idée infiniment plus exigeante de la pratique poétique […] en peu de pages, la poésie de Lovichi acquiert une évidence, une force, une intensité et une hauteur d’inspiration des plus rares. » (Bernard Mazo, Autre SUD, juin 2002)



    * « Mon véritable nom est Ghjacum’Anton’Cameddu Louighj. Mes parents, pourtant cultivés, n’avaient pas réalisé qu’ils me donnaient un prénom dans chacune des religions du Livre : Jacob mon prénom hébraïque, Antoine mon prénom romain (mais je suis d’origine huguenote pour encore compliquer les choses…), et Kamel mon prénom musulman. Bien entendu, cela n’a d’importance que pour moi et ne peut être que pur hasard. » (Discours de Brive [2002] : ultime biographie)




    ■ Jacques Lovichi
    sur Terres de femmes

    Mourir dans l’île (lamentu)
    [la femme qui n’est pas dans ma maison] (extrait de Mythologies de haute mer et autres textes)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Babel)
    Y barbara fortuna ! D’un bilinguisme intérieur, par Jacques Lovichi



    ■ Marie-Jean Vinciguerra
    sur Terres de femmes

    Bastion sous le vent (lecture d’AP)
    Marie-Jean Vinciguerra, Chroniques littéraires (lecture d’AP)





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  • Remo Fasani | [Je vais par un chemin qui monte à peine]



    [PER UNA VIA CHE SALE LENTA]





    Verde tratturo in mezzo al bosco
    Ph., G.AdC







    Per una via che sale lenta,
    verde tratturo in mezzo al bosco,
    oggi vado. E’ silenzio intorno.
    Anche la brezza che, montana,
    soffia assidua, qui non arriva.
    E me ne vado in compagnia
    solo dell’aria e di me stesso.
    Ma ecco, appena giungo in cima,
    il rumore e il vento del mondo.







    [JE VAIS PAR UN CHEMIN QUI MONTE À PEINE]



    Je vais par un chemin qui monte à peine,
    draille de verdure dans la forêt.
    Le silence m’entoure.
    Même la brise, qui souffle sans cesse
    en montagne, ne parvient pas ici.
    Je vais avec pour toute compagnie
    l’air et moi-même.
    Mais au sommet, voici
    la rumeur et le vent du monde.




    Remo Fasani, Novenari | Novénaires, Éditions de la revue Conférence, 2011, page 40. Édition bilingue. Version française de Christophe Carraud. Illustrations de Pierre-Yves Gabioud.







    NOVENAIRES01








        Né le 31 mars 1922 à Mesocco, dans la vallée italophone des Grisons, Remo Fasani, professeur (puis professeur honoraire) de l’Université de Neuchâtel où il a occupé la chaire de langue et littérature italiennes, est mort à Grono de Mesocco dans la nuit du 26 au 27 septembre 2011.
        Spécialiste de Dante, traducteur de Baudelaire, de Mallarmé et d’Éluard, Remo Fasani a aussi publié une vingtaine de recueils de poésie. En 2006, Limmat Verlag a publié une anthologie bilingue de ses poèmes (Der Reine Blick auf die Dinge) avec une étude de Georges Güntert, et, en 2008, les éditions Samizdat ont publié un choix de ses poèmes traduits par Christian Viredaz sous le titre : L’Éternité dans l’instant, avec une préface de Philippe Jaccottet.

        « … enfin commence, mais commence seulement, la réparation d’une négligence scandaleuse, qui a laissé presque totalement dans l’ombre l’œuvre d’un poète de la Suisse italienne […]. Honte à nous tous, critiques et poètes d’ici. Mais passons. Et puissent très bientôt d’autres poèmes de Remo Fasani être traduits, avant tout les plus accomplis peut-être, ces Novénaires écrits par un poète déjà presque octogénaire. […] 
        […] ce grand connaisseur de Dante et grand lecteur de Hölderlin, a compris très tôt que la poésie serait pour lui la tâche à la fois la plus haute et la plus humble. Aussi est-il resté étranger au tapage des avant-gardes comme aux proclamations trop souvent simplificatrices des poètes dits “engagés”. Ce fils de paysan a peut-être appris l’essentiel, dès l’enfance, en maniant le grand râteau de bois dans l’herbe des alpages, compagnon des bêtes et des plantes, soumis aux saisons, lié en profondeur à l’indéchiffrable univers. Poète, il n’a pas cessé de vouloir dire ce monde, donc d’abord se taire, être inépuisablement attentif ; se taire pour pouvoir dire la pluie, la neige, les crépuscules, la brume, dans le grave enclos des montagnes ; et recueillir tous ces moments de halte et de silence, parfois angoissés, afin que s’en élève le chant le plus vrai. » (Philippe Jaccottet, op. cit. supra, pp. 7-8-9)





    REMO FASANI


    Fasani
    Photo © Yvonne Böhler



    ■ Remo Fasani
    sur Terres de femmes

    Il fiume (poème extrait de Qui e ora)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site d’Andrea Paganini)
    une étude (en italien) des Novenari
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Remo Fasani dits par Remo Fasani
    → (sur Recours au poème)
    une note de lecture de Matthieu Baumier sur Novénaires
    → (sur Fine Stagione)
    un autre poème (traduit en français) extrait des Novenari
    → (sur Cultur@ctif)
    une fiche bio-bibliographique sur Remo Fasani
    → (dans le Dictionnaire historique de la Suisse)
    une fiche bio-bibliographique sur Remo Fasani
    → (sur rsi.ch)
    “Silenzio, poesia, silenzio, La parabola di Remo Fasani”, de Mattia Cavadini
    → (sur Poesia, di Luigia Sorrentino)
    Addio a Remo Fasani
    → (sur Rsi Rete due)
    “Dall’idillio alla storia. Incontro con Remo Fasani”, di Massimo Zenari (émission du vendredi 16 octobre 2009)





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  • Marie-Christine Masset | [Le chemin ne changera rien]


    [LE CHEMIN NE CHANGERA RIEN]




    Il faut tu le sais au ciel un l-ger gris
    « Il faut tu le sais
    au ciel un léger gris
    aux yeux une certaine crainte
    pour approcher les oiseaux au nid
    »
    Ph., G.AdC






    Le chemin ne changera rien
    Tes yeux sont prêts
    à traverser la douceur
    les marais éloignés
    les villes blanches

    Calcite bleue
    la mer te parle
    t’enchante peut-être
    N’oublie du gué
    que la menace du vent

    Il faut tu le sais
    au ciel un léger gris
    aux yeux une certaine crainte
    pour approcher les oiseaux au nid

    Dans la nuit
    à pétrifier la lumière
    s’écroulent comme des serpents morts
    les enceintes autour de tes rêves

    Au petit jour
    tu te rappelles chaque image




    Marie-Christine Masset, Et pourtant elle tourne, L’Harmattan, 2007, page 35.





    MARIE-CHRISTINE MASSET


    Vignette MARIE-CHRISTINE MASSET





    ■ Marie-Christine Masset
    sur Terres de femmes


    Dans la blancheur de l’horizon (extrait de L’Oiseau Rouge | The Red Bird)
    Visage natal
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Rêve





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  • Emmanuel Merle | [Une promesse, dis-tu]



    [UNE PROMESSE, DIS-TU]




    Cette montagne bleue
    Ph., G.AdC







    Une promesse, dis-tu, que cet envol,
    un engouffrement d’espoir dans le courant,
    une promesse, je voudrais la tenir
    comme un cri creusé dans l’air,
    une empreinte qu’on pourrait presque
    suivre. Une promesse, et c’est déjà
    l’exil, quand cette montagne bleue
    nous drosse contre le ciel.
    Promesse, lointain d’un coup d’aile.




    Emmanuel Merle, Écarlates, Éditions Sang d’Encre, 69250 Poleymieux-au-Mont-d’Or, 2011, page 39. Monotypes de Jackie Plaetvoet. Préface de Thierry Renard.






    Ecarlates_merle





    EMMANUEL MERLE


    Vignette Emmanuel Merle





    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait d’Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]





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  • Martine Broda | [j’ai mal aux mots]



    [J’AI MAL AUX MOTS]




    Le visage que je voudrais -tre
    Ph., G.AdC





    j’ai mal aux mots que je mords mes quenottes d’amour
    sont saignantes
    vers la face pleine de la lune
    je ne cesse de divaguer
    le miroir rond que je voudrais êtreavoir
    tournant vers soi ce qu’il réfléchit d’ailleurs
    je ne cesse de diverger
    le visage que je voudrais être
    vers la lame ébréchée de la lune
    cherchant d’un amour tronqué intense




    Martine Broda, « Tout ange est terrible » (1976-1983), Grand Jour, in Éblouissements, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2003, page 102.



    Note d’AP : la première édition de Grand Jour de Martine Broda a été publiée en 1994 dans la collection « L’Extrême contemporain » dirigée par Michel Deguy aux éditions Belin.







    Eblouissements





    MARTINE BRODA


    Martine Broda par Christoff Debusschere, collection privée
    Christoff Debusschere, Portrait de Martine Broda, 2003
    Huile sur toile, 73 x 60 cm
    Collection privée
    Source




    ■ Martine Broda
    sur Terres de femmes

    à tant marcher vers la lumière (autre poème extrait de Grand Jour)
    L’aura (extrait de L’Amour du nom)
    23 avril 2009 | Mort de Martine Broda (+ extrait de Lettre d’amour)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Mediapart)
    Un anniversaire en tête, Martine Broda, par Anne Guérin-Castell (20 mai 2011)
    → (sur Le Nouveau Recueil)
    un dossier Martine Broda mis en ligne en avril-mai 2013
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche consacrée à Martine Broda





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  • 18 novembre 1911 | Naissance d’Attilio Bertolucci



    Il y a cent cinq ans, le 18 novembre 1911, naissait à San Prospero, près de Parme, Attilio Bertolucci.








    Attilio Bertolucci
    Source








    Issu d’une famille de la bourgeoisie paysanne d’Émilie-Romagne, Attilio Bertolucci, après des essais infructueux en droit, s’inscrit à l’université de Bologne pour y entreprendre des études de lettres. En 1938, l’année même où il obtient ses diplômes, il épouse Ninetta Giovanardi. De ce mariage naissent deux fils : Bernardo Bertolucci (1941) et Giuseppe (1947), tous deux aujourd’hui cinéastes reconnus. Dès 1939, Attilio Bertolucci dirige pour Ugo Guanda, « La Fenice », collection de poètes étrangers. Dans le même temps, il poursuit sa carrière de professeur (jusqu’en 1954). Il collabore à diverses revues : Letteratura, Circoli, Corrente et noue des liens d’amitié avec des gens de lettres, rencontrés à Parme : Mario Luzi, Vittorio Sereni, Borlenghi, De Robertis. À partir du 8 septembre 1943, Bertolucci se réfugie avec les siens dans la maison de famille de Casarola. En 1951, installé à Rome, il publie des articles dans la presse (et notamment dans les revues Paragone, L’Approdo letterario, NA). Il entre dans le monde du cinéma où il rencontre Carlo Emilio Gadda et Pier Paolo Pasolini. De 1954 à 1965, il dirige la revue de l’Eni Il gatto selvatico. Au cours des années suivantes, Bertolucci se partage entre Rome, La Spezia et Casarola. En 1984, Bertolucci reçoit de l’Université de Parme la laurea ad honorem. Attilio Bertolucci meurt à Rome le 14 juin 2000.

    Les premières publications poétiques de Bertolucci remontent à sa jeunesse. Le recueil de Sirio, publié en 1929 et Feux en novembre, en 1934, sont des œuvres marquées par l’optimisme dû au jeune âge du poète. Vient ensuite, composée entre 1951 et 1955, La Chaumière indienne (Capanna indiana). Dans le même temps, en 1956, le poète s’attelle au vaste chantier narratif de La Chambre (La camera da letto), « roman familial » en vers (9 300 au total), répartis en quarante-six chapitres chronologiques (« chants », Canti). La première partie de La Chambre verra le jour en 1984 et la seconde, en 1988. Porté par la conviction qu’il est possible de faire le récit de sa vie en vers, Bertolucci réalise ― avec ce « roman en vers » ― une œuvre unique dans la poésie contemporaine européenne du XXe siècle.

    Entre-temps, en 1971, est publié Voyage d’hiver (Viaggio d’inverno), recueil dans lequel s’exprime, sur le mode intimiste et quasi confidentiel, la plainte constante liée au tourment de l’existence.

    Deux recueils voient le jour dans les dernières années de la vie du poète : Vers les sources du Cinghio (Verso le sorgenti del Cinghio, 1993) et Le Lézard de Casarola (La lucertola di Casarola, 1997).



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli








    D-sormais incertain dans la m-moire
    Le cyprès […] désormais incertain dans ma mémoire”
    Ph., G.AdC







                                          COMPLEANNO



                                                  …Illa domus,
    Illa mihi sedes, illic mea carpitur aetas.

                                                           Catullo




    Il cipresso che un inverno crudo
    per queste plaghe imprecisato ormai
    nella memoria inaridì
    rivestono oggi le parassitarie ―

    vive nell’ultima stagione
    dell’anno e della vita ―
    edera e ampelopsis.
    Sono viticci e festoni verde e carminio

    che colombi d’un argento cangiante in azzurro
    becchettano tre chissà
    se femmine o maschi o misti
    così da formare triangoli amorosi.

    E volano via e tornano tornano
    davanti agli occhi di me prigioniero
    volontario nell’alto appartamento…

    Non torneranno più poi che si sono saziati
    di un miele amaro e vincitore.



    Roma, 18 novembre 1991.



    Attilio Bertolucci, Verso le sorgenti del Cinghio, Garzanti Editore, 1993, pagina 43.







                                          ANNIVERSAIRE



                                                  …Illa domus,
    Illa mihi sedes, illic mea carpitur aetas.

                                                           Catullo




    Le cyprès, au cours d’un rude hiver
    dans ces contrées, désormais incertain
    dans la mémoire, s’est desséché,
    aujourd’hui des parasitaires le recouvrent ―

    il vit la dernière saison
    de l’année et de la vie ―
    le lierre et l’ampélopsis.
    Des vrilles et des festons verts et rouges vif

    que des pigeons d’argent aux reflets bleus
    picorent : trois peut-être
    mâles, femelles ou l’un et l’autre
    pour former des triangles amoureux.

    Puis ils s’envolent et reviennent, reviennent
    devant mes yeux de prisonnier
    volontaire dans cet appartement élevé…

    Ils ne reviendront plus, une fois rassasiés
    d’un miel amer et vainqueur.




    Rome, 18 novembre 1991.



    Attilio Bertolucci, Vers les sources du Cinghio in Po&sie 109, Trente ans de poésie italienne, 1975-2004, Éditions Belin, 2004, page 89. Texte traduit par Yannick Gouchan.





    ATTILIO BERTOLUCCI





    ■ Attilio Bertolucci
    sur Terres de femmes

    Piccolo autoritratto (Caffè Greco) [extrait de Voyage d’hiver]
    Crépuscule (autre extrait de Voyage d’hiver)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une bio-bibliographie écrite par Bernard Simeone
    → (sur YouTube)
    un hommage (en italien) à Attilio Bertolucci à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du poète, en présence de Giuseppe et de Bernardo Bertolucci (Festivaletteratura di Mantova 2011, INEDITA ENERGIA, Omaggio ad Attilio Bertolucci, sabato 10 settembre 2011 alle 11:00, Palazzo Ducale)
    → (sur Chroniques Italiennes | Université de la Sorbonne nouvelle)
    Brouillage syntaxique et traduction : La camera da letto d’Attilio Bertolucci
    → (sur Terres de femmes)
    Anna Toscano ou De l’art de la fragmentation





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  • Sabine Péglion | Que sais-tu



    QUE SAIS-TU



    Que sais-tu
                         De ces eaux
    embarquées dormantes
    sur les rêves des rives
                         De ce fleuve
    aux calanques de nuages
    éparpillant le jour


    Que sais-tu
                         Des écueils
    écartés pulsation
    à fleur de détresse
                         De ces nacres
    cueillies sur les collines
    tussilages en fossiles


    Que sais-tu
                         De la mauve
    s’ouvrant et se mêlant
    aux lambeaux de la nuit
                         De ces barges
    à l’étrave éclatée
    lourdes de sable gris


    Que sais-tu
                         De ces traces
    s’écorchant à la brume
    en filaments d’argent
                         De l’absence
    des passants en allés
    au chemin de halage

                                                                                               Je ne sais
    rien
    que la rumeur de vivre
    ces notes déchirantes
                         sur la paroi du temps
    que nos jours qui dérivent
    dans le bleu de l’instant

                                                                                       Land-s-cape X
                                                                                       Dialogue avec
                                                                un tableau de C. Machynia




    Sabine Péglion in Côté Femmes, d’un poème l’autre, poèmes réunis par Zineb Laouedj et Cécile Oumhani, Espace–Libre, Alger-Paris, 2010, pp. 77-78.





        Sabine Péglion est née à Monaco le 17 janvier 1957. Une maîtrise de lettres à Nice, puis une thèse de doctorat à la Sorbonne sur l’œuvre de Philippe Jaccottet lui ont permis de concilier écriture, poésie et enseignement. Elle vit et enseigne à présent en Région parisienne. Elle a publié dans diverses revues : Poésie Terrestre, Voix d’encre, Interventions à Haute Voix, Encres vagabondes, Les Lettres Françaises, Étoiles d’encre, Esprits poétiques, Les Carnets d’Eucharis (septembre 2009 et mai/juin 2011) et Terres de femmes. Son premier recueil (Métamorphoses) a été publié en juillet 2005 dans la collection “Poètes Ensemble !” des éditions Hélices. En novembre 2008 s’est tenue une exposition avec le poète Bernard Moreau et le peintre Jacques Bret, intitulée « Deux regards poétiques sur des croquis de danse ». Cette exposition a permis l’édition du recueil Danses. Sabine Péglion a aussi publié en 2011 un ouvrage sur l’Australie : Australies, notes croisées (dessins de Jacques Bret).







    Iwish
    Christine Machynia, Iwish
    Source







        Christine Machynia est née le 24 octobre 1964 à Lille. Elle vit à Hardelot et travaille à Condette, au cœur du Boulonnais, dans le Pas-de-Calais. Elle a fait ses études à l’École d’Architecture de Lille et des Régions Nord, puis aux Pays-Bas où elle a vécu dix ans et travaillé pour Rem Koolhaas à Rotterdam. Cependant, le désir de peindre, très ancien mais longtemps dissimulé sous sa pratique du dessin, l’a conduite à venir s’installer sur la Côte d’Opale, où elle possède depuis peu son propre atelier (The Box Contemporary Art), dans les étages supérieurs d’un restaurant : « L’Orée du Bois ». Chez Christine Machynia, tout part de la couleur. Sa peinture ne donne pas de motifs à voir mais des lignes en mouvement, des formes et des assemblages transfigurés par de subtiles et infinies combinaisons de couleurs.





    SABINE PÉGLION


    Sabine Peglion




    ■ Sabine Péglion
    sur Terres de femmes

    Sabine Péglion | Jacques Bret, Australie, notes croisées (note de lecture de Cécile Oumhani)
    Naxos (extrait de Ces mots si clairsemés)
    [La glace dans les verres] (extrait de Derrière la vitre)
    [L’eau s’écarte] (extrait de Faire un trou à la nuit)
    [Ombre noire] (extrait du Nid)
    Prendre le temps (extrait de Traversée nomade)
    [Tu sais il n’est de lieu] (extrait d’Écrire à Yaoundé)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Malhabile



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera, Bulletin N° 12 du 1er septembre 2009)
    Water nymph de Sabine Péglion sur une sculpture de Simon Manby
    → (sur calameo.com/Virgules de pollen de Nathalie Riera)
    Tu ne répares pas
    → (sur les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera, N° 28 de mai/juin 2011)
    Derrière les grilles du parc & Girl with earing de Sabine Péglion





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  • Salvatore Quasimodo | Le silence ne me trompe pas

    « Poésie d’un jour »
    choisie par Thierry Gillybœuf



    A  Scrivo parole e analogie
    Ph., G.AdC






    IL SILENZIO NON M’INGANNA



    Distorto il battito
    della campana di San Simpliciano
    si raccoglie sui vetri della mia finestra.
    Il suono non ha eco, prende un cerchio
    trasparente, mi ricorda il mio nome.
    Scrivo parole e analogie, tento
    di tracciare un rapporto possibile
    tra vita e morte. Il presente è fuori di me
    e non potrà contenermi che in parte.
    Il silenzio non m’inganna, la formula
    è astratta. Ciò che deve venire è qui,
    e se non fosse per te, amore,
    il futuro avrebbe già quell’eco
    che non voglio ascoltare e che vibra
    sicuro come un insetto della terra.




    Salvatore Quasimodo, Dare e Avere, Mondadori, Milano, 1966 in Salvatore Quasimodo, Tutte le poesie, con uno scritto di Elio Vittorini, Oscar grandi classici, Oscar Mondadori Editore, 1995, pagina 246.








    B  Le silence ne me trompe pas
    Ph., G.AdC






    LE SILENCE NE ME TROMPE PAS



    Déformé le battement
    de la cloche de San Simpliciano
    est recueilli par les vitres de ma fenêtre.
    Le son n’a pas d’écho, il prend un cercle
    transparent, me rappelle mon nom.
    J’écris les mots et les analogies, tente
    de tracer un rapport possible
    entre vie et mort. Le présent est hors de moi
    et ne pourra me contenir qu’en partie.
    Le silence ne me trompe pas, la formule
    est abstraite. Ce qui doit venir est ici,
    et si ce n’était pour toi, mon amour,
    le futur aurait déjà cet écho
    que je ne veux pas écouter et qui vibre
    à l’abri comme un insecte sous terre.




    Traduction inédite de Thierry Gillybœuf
    pour Terres de femmes




    ___________________________________
    Note d’AP : en 2007, Thierry Gillybœuf a fait paraître chez La Nerthe la traduction française de trois des recueils de Salvatore Quasimodo ― Giorno dopo giorno (1947), La vita non è sogno (1949) et Il falso e vero verde (1954) ―, rassemblés sous le titre Ouvrier des songes. La traduction française de La terra impareggiabile [La Terre incomparable] (Mondadori, Milan, 1958) et de Dare e avere [Donner et avoir ] (Mondadori, Milan, 1966) est en attente de publication.






    SALVATORE QUASIMODO


    Quasimodo
    Source



    ■ Salvatore Quasimodo
    sur Terres de femmes

    20 août 1901 | Naissance de Salvatore Quasimodo (+ notice bio-bibliographique)
    Et bientôt c’est le soir
    Isola
    22 octobre 1959 | Salvatore Quasimodo, Prix Nobel de littérature
    21 mars | Salvatore Quasimodo, La Terre incomparable



    ■ Voir | écouter ▼

    → (sur YouTube)
    un extrait d’une interview de Salvatore Quasimodo



    ■ Autres traductions de Thierry Gillybœuf
    sur Terres de femmes

    Fabiano Alborghetti | Canto 13
    Eugenio De Signoribus | microelegia
    Seamus Heaney | Bog Queen
    Stanley Kunitz | The Quarrel
    Robert Lowell | Burial
    Marianne Moore | Son bouclier
    Marianne Moore | Extrait de Poésie complète, Licornes et sabliers
    Leonardo Sinisgalli | Nomi e cose
    Derek Walcott | To Norline
    Andrea Zanzotto | Così siamo





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  • Vladimir Maïakovski | Impossible



    IMPOSSIBLE
    Diptyque photographique, G.AdC







    IMPOSSIBLE



    Je ne pourrais, à moi seul,
    porter un piano
    (à plus forte raison ―
    un coffre-fort).
    Ni coffre, ni piano, mon cœur,
    mais comment le porter,
    si je le reprenais.
    Les banquiers le savent :
    « Nous, les riches sans limites,
    nous remplissons les coffres. »
    J’ai déposé
    l’amour
    en toi ―
    j’ai caché une richesse dans du fer ―
    et je flâne,
    joyeux Crésus.
    Peut-être,
    si l’envie m’en prend,
    je retirerai un sourire,
    un demi-sourire,
    ou moins encore,
    et à la fête avec d’autres,
    après minuit, je claque
    une quinzaine de roubles de petite monnaie lyrique.




    Vladimir Maïakovski, J’aime | Вхутемас [1922], in L’amour, la poésie, la révolution, Le Temps des Cerises, 2011, pp. 60-61. Adresses à Vladimir, choix de poèmes et traductions d’Henri Deluy. Illustrations d’Alexandre Rodtchenko.





    Maïakovski, L'amour, la poésie, la révolution





    Commentaire d’Henri Deluy (op. cit. supra, page 48) sur le recueil J’aime | Вхутемас [1922], dont est extrait le poème ci-dessus :


    « J’aime est écrit en janvier-février 1922.
    Une première édition sort en mars de la même année. […]
    1922, janvier : Lili Brik, la femme passionnément aimée, rentre à Moscou. Elle était, depuis octobre 1921, en Angleterre où sa mère travaillait dans un service commercial soviétique, puis à Riga, en attente de son visa.
    J’aime s’inscrit totalement dans l’intense communauté de vie qui est alors la leur ― Lili, Ossip Brik, Maïakovski vivent ensemble dans un petit appartement ―, ils sont dans le climat du militantisme expansif et généreux des « fenêtres » publicitaires, les « rosta », dont chacun, aujourd’hui encore conserve le souvenir.
    Quelques mois avant
    De ça, qui marquera la pointe d’un engagement idéologique abrupt, à la fois dans la revendication amoureuse et dans la lutte contre les retombées d’un mode de vie jugé bourgeois favorisées par la Nep, J’aime souligne un émoi, une émotion, sans doute attisés par l’absence, qui donnent à ces vers une extraordinaire luminosité, une simplicité, un calme et une douceur assez rare chez Maïakovski, dans un étalage d’amour sans retenue. La vie que le poète déroule nous est offerte, sans résidu, sans défense, toute une vie sur le front de l’amour, dans la dignité du populaire.

    Le récit autobiographique qui court sous le déploiement et la concentration lyriques devient ce puzzle dont le poète demeure l’instigateur. L’amour, l’amour touché du doigt, dans une langue russe directe mais effervescente, riche en néologismes, en glissements sémantiques et sonores inédits, cependant que le poète semble naître de sa propre écriture.

    Un amour impératif, dans la réalisation de ce désir à jamais désir. »





    VLADIMIR MAÏAKOVSKI


    Maïakovski
    Source



    ■ Vladimir Maïakovski
    sur Terres de femmes

    Maïakovski au ciel



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    18 septembre 1921 | Marina Tsvétaïeva (À Maïakovski)





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