Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • Dominique Maurizi | Dans l’odeur des algues



    [DANS L’ODEUR DES ALGUES]



    ALGUES
    Élisabeth Lahache-Tiefenthaler,
    Algue atlantique
    Source







    DANS l’odeur des algues, de la
    roche humide je me suis glissée,
    rampante, moi-même fouettée
    par le vent. Dans l’odeur des algues,
    et le vent des vagues, je me suis
    griffée, créature de caverne,
    à peine galet, à peine pierre, roulant,
    roulant, moi-même suivant le sable.

    Dans l’odeur des algues
    j’entends soupirer,
    moi-même tapie dans le sable, une ―.

    À peine galet, à peine pierre ―
    tu me vois ?




    Dominique Maurizi, Langue du chien, Éditions Albertine, 2011, page 33.





    DOMINIQUE MAURIZI


    Vignette Maurizi




    ■ Dominique Maurizi
    sur Terres de femmes

    Fly (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Il y a quelqu’un (extrait des Tables des matières)
    La Lumière imaginée (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Intérieur] (extrait de La Lumière imaginée)
    [Mais qu’ai-je dit ?] (extrait du recueil Septième rive)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    une note de lecture de Jean-Marie Barnaud (5 mars 2011) sur le recueil Langue du chien



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  • Ito Naga | Tout était lent




    [TOUT ÉTAIT LENT]




    En me retournant face - cette all-e vide au milieu des arbres- un vertige m-a saisi comme si j-avais nag- loin en mer.
    Ph., G.AdC






    Tout était lent l’autre jour dans la forêt : une chenille velue qui avançait si doucement, un bousier qui se démenait si mollement, une limace presque arrêtée…
    Sauf le train qui passait au loin…

    Une voix de fillette a surgi tout à coup : “Elle est où ? J’ai envie de l’écraser.”

    “Quand j’ai regardé ma main, le phalène que j’avais cru attraper sur la route s’était évanoui”, est-il raconté dans l’histoire de “Genji”. “Ou bien mes doigts ne l’avaient jamais tenu”.

    Impossible de me souvenir de ce mot, mais en en voyant un sur le bord du chemin, il m’est soudain revenu : élytre.

    En me retournant face à cette allée vide au milieu des arbres, un vertige m’a saisi comme si j’avais nagé loin en mer.

    Un instant au bord du monde.

    Le chant d’un coucou m’a remis en marche.

    Et rappelé ce contact délicieux avec le sol.

    J’essaie de recréer cette sensation de vertige pour la décrire, mais l’instant le plus aigu reste inaccessible.

    Tout à coup ma tête est lourde. Peut-être essaierai-je à nouveau tout à l’heure.

    Il faut que je marche. Pour me convaincre que je ne me trompe pas, il faut que je marche encore.

    Comme si le corps en marche entraînait la pensée. Ici un creux, là un chemin dégagé.




    Ito Naga, Iro mo ka mo, la couleur et le parfum, Cheyne Éditeur, Collection Grands fonds, 2010, pp. 27-28-29.





        Sous le pseudonyme d’Ito Naga se cache un éminent astrophysicien français, né en 1957. Il collabore régulièrement à la revue italienne Sud et a déjà publié un premier ouvrage Je sais chez Cheyne Éditeur en 2006, qui en est aujourd’hui à sa cinquième réédition.

        « Pas besoin d’être grand clerc pour constater que, du monde, de soi et des autres, on ne sait pas grand chose. Il n’empêche. Il en est, biologiste, astrophysicien ou écrivain, qui ne désespèrent pas d’en savoir plus. C’est le cas de l’auteur de ce livre. Sa méthode ? Celle du scientifique qui s’apparente à celle du poète ou celle du philosophe : un affût intense qui met en examen tout ce qui tombe sous le regard, l’ordinaire, l’infime, l’incident de préférence. Où se vérifie cette loi heureuse : sous chaque observation, mille énigmes nouvelles. » (Jean-Pierre Siméon)


    ■ Ito Naga
    sur Terres de femmes

    un autre extrait de Iro mo ka mo, la couleur et le parfum

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  • Giorgio Caproni | Quando ti vidi accesa




    Parmi les rares lueurs des coquelicots
    Ph., G.AdC






    QUANDO TI VIDI ACCESA…



    Quando ti vidi accesa tra le esigue vampe dei
    rosolacci
    (la pioggia da poco era scesa — alleviata la terra
    alitava nuove fragranze dell’erbe
    e dai frutti ancor verdi)

    Quando ti scorsi china ridente a guardarmi
    con occhi di sole —
    E le tue mani s’immersero bianche nel folto del
    prato
    e mi gettarono fiamme inbrinate* di gocciole fresche.






    LORSQUE JE TE VIS ENFLAMMÉE…



    Lorsque je te vis enflammée parmi les rares lueurs
    des coquelicots
    (la pluie depuis peu était tombée — soulagée la terre
    soufflait les nouvelles flagrances des herbes
    et des fruits encore verts)

    Lorsque je t’aperçus penchée riante me regardant
    avec des yeux de soleil —
    Et tes mains s’immergèrent blanches dans le pré
    touffu
    et me jetèrent des flammes givrées de gouttelettes
    fraîches.




    Giorgio Caproni, Poésies choisies, Lucie éditions, Nîmes, décembre 2010, pp. 14-15. Édition bilingue. Poèmes choisis et traduits par Frédérique Malaval.




    ______________________________
    * Note d’AP : je traduirais volontiers ce néologisme de Giorgio Caproni (littéralement « engivrées ») par emperlées.





    GIORGIO CAPRONI


    Portrait_de_Giorgio_Caproni
    Image, G.AdC



    ■ Giorgio Caproni
    sur Terres de femmes

    7 janvier 1912 | Naissance de Giorgio Caproni
    Giorgio Caproni | Lasciando Loco



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une page consacrée à Giorgio Caproni
    → (sur le site de la Rai.tv)
    Giorgio Caproni- La poesia ?






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  • Antonia Pozzi | Paura | Incantesimi




    Tu creuses lombre denombrant les aguets
    Ph., G.AdC






    PAURA



    Nuda come uno sterpo
    nella piana notturna
    con occhi di folle scavi l’ombra
    per contare gli agguati.
    Come un colchico lungo
    con la tua corolla violacea di spettri
    tremi
    sotto il peso nero dei cieli.




    PEUR



    Nue comme une brindille
    dans la plaine nocturne
    la folie dans les yeux tu creuses l’ombre
    dénombrant les aguets.
    Comme un colchique long
    avec ta corolle violette de spectres
    tu trembles
    sous le poids noir des cieux.

    (Milan, 19 octobre 1932)






    Le couchant dans l-eau
    Ph., G.AdC







    INCANTESIMI



    Alti orli ghiacciati
    si disfecero al mondo.

    Solcava
    lenta e lieve la barca
    laghi d’oro,
    andando così noi nel sole
    abbracciati.

    Gracili reti bionde
    imprigionavano l’ora.

    E nacquero brividi;
    crebbero
    voci tristi;
    fischiò
    a sponda il dilacerarsi delle canne.

    Belve chiare
    guardarono dal folto
    a lungo
    il tramonto nell’acqua,
    andando così verso l’ombra
    io libera
    e sola per sempre.




    ENCHANTEMENTS



    Écroulement au monde
    de hauts bords glacés –

    Sillage
    lent et doux de la barque
    dans des lacs dorés –
    nous en allant ainsi
    dans le soleil –

    L’heure est sans issue
    en des filets blonds et frêles –

    Et naissent les frissons :
    poussent
    les voix tristes :
    sur la berge siffle le roseau
    déchiqueté –

    De leur bois les bêtes précisément
    fixent
    longtemps
    le couchant dans l’eau,
    je m’en vais ainsi vers l’ombre
    libre mais seule
    à jamais.

    (22 décembre 1935)



    Antonia Pozzi, L’Œuvre ou la Vie. « Mots » d’Antonia Pozzi, | L’opera e la vita. « Parole » di Antonia Pozzi, Peter Lang éditeur, Collection Liminaires, Passages interculturels italo-ibériques, volume 16, 2010, pp. 74-75 et 184-185. Édition bilingue. Éditeur Laura Oliva. Présentation et traduction d’Ettore Labbate.




    ___________________
    Note d’AP : le 8 mars 2011 a eu lieu à Paris (Maison de l’Italie, 75014) la présentation de cette traduction française (cf. ci-dessus) des poésies d’Antonia Pozzi, L’Œuvre ou la Vie. « Mots » d’Antonia Pozzi, publié par les éditions Peter Lang. Avec la participation de Laura Oliva, Ettore Labbate, Silvia Fabrizio-Costa et Maria-José Tramuta.






    Antonia Pozzi Couverture
    Source : fiche de l’éditeur





    ANTONIA POZZI


    Antonia Pozzi.5




    ■ Antonia Pozzi
    sur Terres de femmes

    La Vie rêvée (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    le site (en italien) consacré à Antonia Pozzi
    → (sur books.google.fr)
    Antonia Pozzi ou la nuit du cœur, par Hélène Leroy
    → (sur wikipedia.it)
    l’article (en italien) consacré à Antonia Pozzi
    → (sur Chroniques italiennes | Université de la Sorbonne nouvelle)
    Antonia Pozzi, une biographie intellectuelle, par Hélène Leroy
    → (sur Nel mondo di Krilu)
    une note sur Antonia Pozzi (+ de nombreuses photographies)
    → (sur YouTube)
    un court extrait du film-documentaire de Marina Spada présenté hors-concours au Festival de Venise 2009
    → (sur YouTube)
    un extrait du livre-CD Antonia Pozzi: …verso l’ultimo sogno di sole






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  • Israël Eliraz | revenir au milieu




    Que dire de la lumi-re sombre sinon qu-elle est manteau pour le mythe
    Ph., G.AdC






    revenir au milieu
    jamais quitté.

    Suivre le lieu capricieux,
    visible, non visible

    et quand on nous demande
    ce qui se passe

    nous répondons : bientôt
    quelque chose va se passer

    *

    les eaux secrètes couvrent les collines
    comme dans le Psaume 104.

    Que dire de la lumière sombre sinon
    qu’elle est manteau pour le mythe ?

    Et si cela se passe ici, où
    est ici ?

    *

    le matin apporte un éclaircissement
    nommé tigre.

    L’essentiel : faire bouger le jour



    Israël Eliraz, Bientôt quelque chose va se passer in Laisse-moi te parler comme à un cheval, Librairie José Corti, 2005, pp. 45-46.






    ISRAËL ELIRAZ


    ISRAEL ELIRAZ
    Source



    ■ Israël Eliraz
    sur Terres de femmes

    apprends du monde verdoyant où est ta place… (extrait)
    le désert est (autre poème extrait de Laisse-moi te parler comme à un cheval)
    maintenant comment poursuivre ? (poème extrait de Comment entrer dans la chambre où l’on est depuis toujours)
    L’instant né au bout du doigt
    La Pierre (extrait de Thabor) [+ bio-bibliographie]
    Poème n’est qu’un lieu


    ■ Voir aussi ▼

    la fiche livre de José Corti sur Laisse-moi te parler comme à un cheval





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  • Khaled Mattawa | Chant du cœur

    « Poésie d’un jour »
    choisie par Marilyn Hacker et Cécile Oumhani




    Debout sur ma terrasse- j-ai r-ponse au chant de l-oiseau  Ne dors pas  Ne dors pas
    Photocollage, G.AdC
    Source ph. gauche






    HEARTSONG


    A bird sings from the tree. The birds sing
    sending waves of desire and I stand on my roof
    waiting for a randomness to storm my days. I stand on my roof
    filled with the longing that sings its way out of the bird.
    And I am afraid that my call will break me,
    that the cry blocked by my tongue will pronounce me mad.
    O bird mad with longing. O balancing bar,
    tight rope, monkey grunting from a roof. Fortunate bird.
    I stand on my roof and wave centuries of desire.
    I am the Bedouin pondering the abandoned campsite
    licking the ashes of the night fire; the American walking
    walking miles of dresses, blouses, and skirts
    filling them with infinite lovers,
    the mystic feeling the pull swirling in his chest,
    a desert of purpose expanding and burning and yellowing
    every shade of green. And I stand on my roof.
    And I say come like a stranger, like a feather
    falling on an old woman’s shoulder, like a hawk
    that comes to feed from her hands, come like a mystery,
    like sunlight rain, a blessing, a bus falling off a bridge,
    come like a deserting soldier, a murderer chased by law,
    like a girl prostitute escaping her pimp, come like a lost horse,
    like a dog dying of thirst, come love, come ragged and melancholy
    like the last day on earth, come like a sigh from a sick man,
    come like a whisper, like a bump on the road, like a flood,
    a dam breaking, turbines falling from the sky,
    come love like the stench of a swamp, a barrage of light
    filling a blind girl’s eye, come like a memory
    convulsing the body into sobs, like a carcass floating on a stream,
    come like a vision come love like a crushing need,
    come like an afterthought. Heart song. Heart song.
    The pole smashes and the live wires yellow streaks
    on the lush grass. Come look and let me wonder.
    Someone. So many. The sound of footsteps, horses and cars.
    Come look and let me wonder. I stand on my roof
    echoing the bird’s song: Do not sleep. Do not sleep
    now that you have housed your longing
    within the pain of words.


    Khaled Mattawa, Amorisco, Ausable Press, Keene (N.Y.), 2008, pp. 10-11.






    Amorisco






    CHANT DU CŒUR


    Dans l’arbre j’entends un oiseau. L’éther est désir
    quand chantent les oiseaux et moi, debout sur ma terrasse,
    j’offre mes jours aux tornades du hasard. Debout sur ma terrasse
    je suis gavé de cette faim qui part dans le chant de l’oiseau.
    Et j’ai peur que mon cri ne me brise,
    Que le cri que retient ma langue aille décréter ma folie.
    Ô oiseau affamé de désir, Ô trapèze volant,
    corde raide, et singe qui grogne sur un toit. Oiseau, tu as de la chance.
    Debout sur ma terrasse mes ailes sont siècles de désir.
    Je suis le Bédouin sur les restes du campement
    qui étale les cendres du feu de la nuit ; l’Américain
    qui marche sur des kilomètres tendus de robes, corsages et jupes
    qu’il emplit d’amours sans fin,
    le mystique dont la poitrine va s’arracher dans un tourbillon,
    un désert d’intentions qui gagne et qui brûle,
    où tout vert devient jaune. Et moi, sur ma terrasse je suis là.
    Et je dis : viens en inconnue, en plume
    qui se poserait sur l’épaule d’une vieille, en faucon
    descendu lui manger dans la main, viens en mystère
    en pluie ensoleillée, en don de Dieu, en autocar qui tomberait
    d’un pont, viens en déserteur, en assassin pourchassé,
    en putain qui fuirait son mac, viens en cheval égaré,
    en chien mourant de soif ; viens mon amour, viens en guenilles
    et triste comme un dernier jour sur terre, viens en soupir de malade,
    viens en murmure, en cahot sur la route, en déluge,
    en barrage qui cède, en turbines qui tomberaient du ciel,
    viens amour dans une puanteur de marécage, en barrage de lumière
    qui tient l’œil d’une aveugle, viens en souvenir
    à tordre le corps de sanglots, en cadavre au fil de l’eau,
    viens en vision, viens amour en besoin incoercible,
    en esprit de l’escalier. Chant du cœur. Chant du cœur.
    Le poteau s’abat et les fils étirent leur jaune électricité
    sur le riche gazon. Viens voir et laisse-moi m’étonner.
    Seul. Ou légion. J’entends des pas, des chevaux, des voitures.
    Viens voir et laisse-moi m’étonner. Debout sur ma terrasse,
    j’ai réponse au chant de l’oiseau : Ne dors pas. Ne dors pas :
    toi qui viens de loger ta faim
    dans la douleur de dire.


    Khaled Mattawa, Amorisco, in revue littéraire Europe n° 906, octobre 2004. Traduit de l’anglais (américain) par Jean Migrenne.






    KHALED MATTAWA


    Mattawa
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur A Web del Sol)
    plusieurs pages consacrées au poète libyen Khaled Mattawa (+ une notice bio-bibliographique), né le 23 août 1964
    → (sur poets.org)
    plusieurs poèmes de Khaled Mattawa, dont Before, dit par le poète lui-même (enregistré le 29 octobre 2010)




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  • Rafael Alberti | Ballade du silence craintif



    BALADA DEL SILENCIO TEMEROSO
    Ph., G.AdC





    BALADA DEL SILENCIO TEMEROSO



    Aquí, cuando muere el viento,
    desfallecen las palabras.
    El molino ya no habla.
    Los árboles ya no hablan.
    Los caballos ya no hablan.
    Las ovejas ya no hablan.

    Se calla el río.
    Se calla el cielo.
    Y el benteveo se calla.
    Y el loro verde se calla.
    Y el sol, arriba, se calla

    El zorzal se calla.
    Se calla el lagarto.
    Se calla la iguana.
    Se calla la víbora.
    La sombra, abajo, se calla.

    Se calla todo el ganado
    y la barranca se calla.
    Se calla hasta la paloma,
    que nunca jamás se calla.

    Y el hombre, siempre callado,
    entonces, de miedo, habla.






    BALLADE DU SILENCE CRAINTIF
    Ph., G.AdC





    BALLADE DU SILENCE CRAINTIF



    Ici, quand le vent meurt,
    les mots défaillent.
    Et le moulin ne parle plus.
    Et les arbres ne parlent plus.
    Et les chevaux ne parlent plus.
    Et les brebis ne parlent plus.

    Se tait le fleuve.
    Se tait le ciel.
    Se tait l’oiseau.
    Et se tait le perroquet vert.
    Et, là-haut, se tait le soleil.

    Se tait la grive.
    Se tapit le caïman.
    Se tait l’iguane.
    Et se tait le serpent.
    Et, en bas, se tait l’ombre.

    Se tait tout le marais.
    Se tait tout le vallon.
    Et se tait même la colombe
    qui au grand jamais ne se tait.

    Et l’homme, toujours silencieux,
    de peur, se met à parler.




    Rafael Alberti, Ballades et chansons du Parana [Baladas y canciones del Paraná, Buenos Aires, Losada, 1954] in Rafael Alberti, D’Espagne et d’ailleurs (poèmes d’une vie), Le Temps des Cerises, 1998, pp. 215-216. Traduits de l’espagnol par Claude Couffon.






    RAFAEL ALBERTI


    Vignette RAFAEL ALBERTI
    Source



    ■ Rafael Alberti
    sur Terres de femmes

    [Souviens-toi de moi, mon amie] (poème extrait de Marin à terre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site officiel de Rafael Alberti
    → (sur Palabravirtual)
    une autre ballade (« Balada de lo que el viento dijo ») dite par Rafael Alberti






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  • Brigitte Mouchel | exil



    Le d-sir de d-part -vanoui englu- de brouillard
    Ph., G.AdC






    exil



    i
    l reste à se souvenir du chemin
    il reste à retrouver le passage
    il reste à s’attacher de ces temps d’ici, calmes
    quitte à perdre sa voix

    mais je reste, échappée

    un voile s’est déchiré depuis longtemps, il pend, calme
    et me laisse en suspens
    le désir de départ évanoui
    englué de brouillard
    reste une vibration sourde et ces temps d’ici, calmes
    il ne fait pas vraiment nuit
    c’est-à-dire pas vraiment
    il fait semblant de jour
    c’est-à-dire je me perds
    c’est-à-dire ne pas dire
    quitte à perdre la voix
    il reste que je reste
    avec un visage sans bouche
    sans pourtant reconnaître le tranquille du temps
    car il ne se peut pas
    car il ne se peut plus, sans bouche
    voix décentrée
    sans…

    sang

    jusqu’au vide




    Brigitte Mouchel, événements du paysage, éditions Isabelle Sauvage, 2010, pp. 65-66.






        Une « poétique du monde » que les quatorze « tableaux » du recueil événements du paysage de Brigitte Mouchel (née le 9 novembre 1959, à Paris), poète et plasticienne. Par petites touches et/ou par collages, celle-ci procède par déboîtements – bégaiements – de la langue. Une langue du quotidien au service d’images qui s’entrechoquent sans perdre leur fluidité. Chacun de ces tableaux est animé d’une vraie présence : un sujet, ici maintenant, riche, même si souvent amputé de son passé, voire de son avenir ; inscrit dans un paysage, à entendre tout autant dans l’acception d’un espace mental que d’un paysage intérieur.






    MOUCHEL






    BRIGITTE MOUCHEL



    ■ Brigitte Mouchel
    sur Terres de femmes

    à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ? (extrait d’Et qui hante)






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  • Miguelángel López Hernández (Vito Apüshana)

    |  Mer   |  Terreur des odeurs fortes



    Mer  - Terreur des odeurs fortes
    Diptyque photographique, G.AdC







    MER



    Palaa se déverse en mes pleurs… sur la rive des vivants.
    Je prends ainsi congé de ma grand-mère qui m’accompagne,
    elle a laissé ses os près des vagues.

    Je me prépare maintenant à la recevoir dans mes rêves.







    TERREUR DES ODEURS FORTES



    Une terreur invisible nous habite
    qui nous envahit par des odeurs.
    Nous l’éloignons en jetant du sel sur le feu
    et de l’urine des fils aînés.
    Cette terreur nous fait découvrir
    les odeurs cachées de la vie :
    …sentir les odeurs tranquilles des vieillards
    …toucher les odeurs fertiles des femmes
    …écouter les odeurs blanches du rire des enfants
    …dormir sur les odeurs douces du rêve ;
    et le vent nous rassemble dans cette respiration.




    Miguelángel López Hernández (Vito Apüshana), Poètes indigènes de Colombie in revue Europe, n° 979-980, novembre–décembre 2010, page 193. Traduit d’après l’espagnol par Laurence Breysse-Chanet.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Belles Étrangères, le blog)
    Notes sur les littératures indigènes en Colombie (notes de Miguel Rocha Vivas, traduites par Jean-Baptiste Para, pp. 199-200 de la revue Europe, n° 979-980)
    → (sur le site de l’International Poetry Festival of Medellín)
    plusieurs poèmes (en espagnol) de Miguelángel López Hernández (dont deux d’entre eux ont été traduits en français dans la revue Europe, n° 979-980)
    → (sur Letralia, Tierra de Letras, la revista de los escritores hispanoamericanos en Internet)
    une page sur Miguelángel López Hernández
    → (sur Clube Caiubi)
    d’autres poèmes de Miguelángel López Hernández (+ une notice bio-bibliographique en anglais)




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  • Alain Suied | Pour la manière noire, 10





         POUR LA MANIÈRE NOIRE




                            10



    Le chant s’élève au-dessus
    de l’aube
                     et tu lui réponds.


    Tu peux
                     faire face
                                       au monde.


    Tu peux te tenir droit
    et dire ta parole de chair
    et de voix et d’oubli

    adossé à la nuit
    pour porter le souffle du lointain.


    Le monde est un pur écho.


    Le chant perdu revient
    sous un autre nom.


    Le chant te précède
    quand tu lui réponds.


    Le jour s’emplit d’absence.


    Tu peux
                     faire face
                                       au monde.


    L’espace, le seul
    espace


    à la nuit
    peut chanter


    la présence que tu offres
    à la lumière future.




    Alain Suied, « Pour la manière noire », 10, Le Visage secret, Éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 226, 2015, pp. 109-110 in Revue Continuum, n° 7, 2010, page 145.





    ALAIN SUIED


    Alain Suied NB
    Source



    ■ Alain Suied
    sur Terres de femmes

    [Dans l’étroite faille du social] (autre poème extrait du Visage secret)



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des Poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Alain Suied
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page consacrée à Alain Suied
    → (sur Esprits Nomades)
    Alain Suied | La poésie dérobée, par Gil Pressnitzer






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