Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • 18 septembre 1921 | Marina Tsvétaïeva à Maïakovski

    Éphéméride culturelle à rebours

    « Poésie d’un jour »




    Portrait de Majakovski
    Image, G.AdC






    Маяковский



    Превыше крестов и труб,
    Крещенный в огне и дыме,
    Архангел-тяжелоступ ―
    Здорово, в веках Владимир!

    Он возчик и он же конь,
    Он прихоть и он же право.
    Вздохнул, поплевал в ладонь:
    ― Держись, ломовая слава!

    Певец площадных чудес ―
    Здорово, гордец чумазый,
    Что камнем ― тяжеловес
    Избрал, не прельщась алмазом.

    Здорово, булыжный гром!
    Зевнул, козырнул и снова
    Оглоблей гребет ― крылом
    Архангела ломового.



                                                    18 сентября 1921






    À MAÏAKOVSKI

    [traductions comparées]




    Plus haut que les cheminées et croix,
    Baptisé dans le feu, la fumée,
    Archange au pas pesant,
    Salut, Vladimir pour l’éternité !

    Il est le cheval et il est le cocher,
    Il est le caprice et il est le droit,
    Il soupire et crache dans ses mains :
    ― Tiens bon, gloire de charretier.

    Chantre des miracles populaires,
    Salut crasseux Artaban,
    Qui a préféré le poids de la pierre
    Aux séductions du diamant.

    Bonjour, tonnerre du pavé !
    Il bâille, il salue et tire
    De nouveau le limon ― son aile
    D’archange-charretier.



                                                    18 septembre 1921



    Marina Tsvétaïeva, in Thαuma, Revue de philosophie et de poésie, n° 7, Le Feu, La Compagnie des Argonautes, 2010, page 231. Traduit du russe par Nicolas Struve.






    Ci-après une traduction du même poème dans l’édition établie par Henri Deluy :




    Plus haut que les croix et que les cheminées
    Baptisé dans les flammes et dans la fumée,
    Archange à la lourde démarche ―
    Salut, de par les siècles, Vladimir !

    Il est le charretier ― et le cheval,
    Il est l’inconstance ― et la loi,
    Il remplit ses poumons-crache dans ses mains
    ― Tiens bon, solide gloire !

    Chantre des miracles pour place publique ―
    Salut, orgueilleux malpropre ―
    Qui préfère le roc-poids lourd
    Que le diamant n’a pas séduit.

    Salut, ouragan des pavés !
    Il baille, il respecte, puis à nouveau
    Avec ses brancards, il ratisse la terre ―
    De son aile d’archange grossier.



    Marina Tsvétaïeva, Pour Maïakovski in L’Offense lyrique & autres poèmes, Éditions Farrago/Éditions Léo Scheer, 2004, page 189. Présentation et texte français Henry Deluy.






    Ci-dessous une autre traduction du même poème par Elsa Triolet :



    Plus haut que les croix, les cheminées,
    Baptisé de fumée et de feu,
    Archange poids lourd au pas pesant,
    Salut dans les siècles, Vladimir !

    Il est le cocher et le pur-sang,
    Il est la lubie, il est le droit.
    Il soupire et crache dans ses paumes :
    « À nous deux, la gloire charretière ! »

    Chantre des miracles de trottoir,
    Bonjour, orgueilleux salopard,
    Qui préfère le poids du caillou
    Aux séductions du diamant.

    Bonjour, tonnerre de pavés !
    Il baille, il te salue, et, voilà
    Qu’il rame à nouveau du brancard, de
    L’aile d’un archange-charretier.



    Marina Tsvétaeva, Poèmes, Gallimard, collection Poètes russes contemporains, 1968.





    MARINA TSVÉTAÏEVA


    MarinaTtsvetaeva
    Source



    ■ Marina Tsvétaïeva
    sur Terres de femmes

    20 décembre 1915
    27 avril 1916 | Poèmes à Blok, 1
    21 juillet 1916 | Lettre de Marina Tsvétaïeva
    14 août 1918
    19 novembre 1921 (poème extrait de Pour Maïakovski)
    5 décembre 1921, Amazones
    31 août 1941 | Vénus Khoury-Ghata, Marina Tsvétaïeva, mourir à Elabouga
    [Bras ployés au-dessus de la tête]
    Cessez de m’aimer
    J’aimerais vivre avec vous



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Vladimir Maïakovski | Impossible
    → (sur Terres de femmes)
    Vladimir Maïakovski | Maïakovski au ciel
    le site Marina Tsvetaeva



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  • Josyane De Jesus-Bergey, Les Amulettes



    Trois grandes questions
    Triptyque photographique, G.AdC






    LES AMULETTES



    Miroir de te regarder
    trois grandes questions
    pour en faire ta terre un caillé de lait
    des charrues après labour.


    La pluie ne viendra plus.



    […]



    Des chemins
    ou plus loin sous tes exils
    une présence
    comme l’odeur des draps froissés
    après l’amour.



    Comme le tatouage sur la peau
    je me souviens de nos identités
    je n’attends plus personne
    ramène-moi
    vers la maison de notre enfance.



    Enfant des lieux où me conduiras-tu
    je n’ai pas besoin d’éternité
    voici que tu me promets
    de me porter vers le vent.


    Le temps se fait.


    […]



    Tes mains récitent une prière à voix
    basse
    les fragments minéraux dialoguent
    la plaine sans ratures
    dans un mot ce sang de l’homme.


    Le monde s’ouvre pour toi.



    Josyane De Jesus-Bergey, Les Amulettes, Éditions Encre et lumière, 30260 Cannes-et-Clairan, 2009, pp. 53, 57, 59, 61,71. Peintures de Hamid Tibouchi.





    JDJB 2







    JOSYANE DE JESUS-BERGEY


    Josyane de Jesus Bergey



    ■ Josyane De Jesus-Bergey
    sur Terres de femmes

    [Encore un peu] (poème extrait de La Déconstruction du vide)
    [Plaies de la terre] (poème extrait de Rien d’autre)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    On ne parle plus du loup



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans Lucarnes) de nombreux poèmes de Josyane De Jesus-Bergey
    → (dans Wikipedia) un article sur Josyane De Jesus-Bergey
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    la fiche de la Poéthèque consacrée à Josyane De Jesus-Bergey




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  • Sophia de Mello Breyner Andresen | Le Minotaure




    Theseus-Minotaur-Mosaic
    Mosaïque romaine de Rhétie (Canton de Fribourg, Suisse)
    Source






    O MINOTAURO




    Em Creta
    Onde o Minautoro reina
    Banhei-me no mar

    Há uma rápida dança que se dança em frente de um toiro
    Na antiquíssima juventude do dia

    Nenhuma droga me embriagou me escondeu me protegeu
    Só bebi retsina tendo derramado na terra parte que pertence aos deuses

    De Creta
    Enfeitei-me de flores e mastiguei o amrgo vivo das ervas
    Para inteiramente acordada comungar a terra
    De Creta
    Beijei o chão como Ulisses
    Caminhei na luz nua

    Devastada era eu própria como a cidade em ruína
    Que ninguém reconstruiu
    Mas no sol dos meus pátios vazios
    A fúria reina intacta
    E penetra comigo no interior do mar
    Porque pertenço à raça daqueles que mergulham de olhos abertos
    E reconhecem o abismo pedra a pedra anémona a anémona flor a flor

    E o mar de Creta por dentro é todo azul
    O ferenda incrível de primordial alegria
    Onde o sombrio Minotauro navega
    Pinturas ondas colunas e planícies
    Em Creta
    Inteiramente acordada atravessei o dia
    E caminhei no interior dos palácios veementes e vermelhos
    Palácios sucessivos e roucos
    Onde se ergue o respirar de sussurrada treva
    E nos fitam pupilas semi-azuis de penumbra e terror
    Imanente ao dia ―
    Caminhei no palácio dual de combate e confronto
    Onde o Príncipe dos Lírios ergue os seus gestos matinais

    Nenhuma droga me embriagou me escondeu me protegeu
    O Dionysos que dança comigo na vagua não se vende em nenhum mercado negro
    Mas cresce como flor daqueles cujo ser
    Sem cessar se brusca e se perde se desune e se reúne
    E esta é a dança do ser

    Em Creta
    Os muros de tijolo da cidade minóica
    São feitos de barro amassado com algas
    E quando me virei para trás da minha sombra
    Vi que era azul o sol que tocava o meu ombro

    Em Creta onde o Minautoro reina atravessei a vaga
    De olhos abertos inteiramente acordada
    Sem drogas e sem filtro

    Só vinho bebido em frente da solenidade das coisas ―
    Porque pertenço à raça daqueles que percorrem o labirinto
    Sem jamais perderem o fio de linho da palavra

    Outubre de 1970



    Sophia de Mello Breyner Andresen, Shores, horizons, voyages, selected poems, Orchid Press, Hong Kong, 2005, pp. 96-97.








    Labyrinthe Amiens 2






    LE MINOTAURE





    En Crète
    Où règne le Minotaure
    Je me suis baignée dans la mer

    Il y a une danse rapide qui se danse devant un taureau
    Dans la très ancienne jeunesse du jour

    Aucune drogue ne m’a enivrée ne m’a cachée ne m’a protégée
    Je n’ai bu que du résiné ayant répandu à terre la part qui revient aux dieux
    De Crète

    Je me suis parée de fleurs et j’ai mâché le vif amer des herbes
    Pour pleinement éveillée communier avec la terre
    De Crète
    J’ai baisé le sol comme Ulysse
    J’ai marché dans la lumière nue

    Dévastée que j’étais comme la ville en ruines
    Que nul n’a relevée
    Mais dans le soleil de mes patios déserts
    La furie règne intacte
    Et pénètre avec moi sous la mer
    Car j’appartiens à la race de ceux qui plongent les yeux ouverts
    Et reconnaissent l’abîme pierre à pierre anémone après anémone fleur après fleur
    Et la mer de Crète est toute bleue à l’intérieur
    Incroyable offrande de joie primordiale
    Où navigue le sombre Minotaure
    Peintures écumes colonnes et plaines
    En Crète
    Pleinement éveillée j’ai traversé le jour
    Et j’ai marché à l’intérieur des palais rouges et véhéments
    Des palais successifs et rauques
    Où se lève la respiration de la ténèbre susurrée
    Et nous fixent des pupilles semi-bleues de pénombre et de terreur
    Immanentes au jour ―
    J’ai marché dans le palais double du combat et de l’affrontement
    Là où le Prince des Iris déploie ses gestes matinaux

    Aucune drogue ne m’a enivrée ne m’a cachée ne m’a protégée
    Le Dionysos qui danse avec moi sur la vague ne se vend sur aucun marché noir
    Mais il croît comme la fleur de ceux dont l’être
    Sans trêve se cherche et se perd se désunit et se réunit
    Et c’est cela la danse de l’être

    En Crète
    Les murs de brique de la cité minoenne
    Sont faits de glaise pétrie d’algues
    Et quand je me suis retournée derrière mon ombre
    J’ai vu le bleu du soleil qui touchait mon épaule

    En Crète où règne le Minotaure j’ai traversé la vague
    Les yeux ouverts pleinement éveillée
    Sans drogues ni filtre
    Seulement du vin bu devant la solennité des choses ―
    Car j’appartiens à la race de ceux qui parcourent le labyrinthe
    Sans jamais perdre le fil de lin de la parole

    Octobre 1970


    Sophia de Mello Breyner Andresen, La Nudité de la vie, anthologie, L’Escampette, Bordeaux, 1996, pp. 87-88. Traduction de Michel Chandeigne. Préface de Vasco Graça Moura.





    SOPHIA DE MELLO BREYNER ANDRESEN


    Sophia de Mello Breyner Andresen
    Source



    ■ Sophia de Mello Breyner Andresen
    sur Terres de femmes

    Mar



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poetry International Web)
    plusieurs pages consacrées à Sophia de Mello Breyner Andresen
    → (sur le site de l’Instituto Camões)
    une notice bio-bibliographique (en portugais) sur Sophia de Mello Breyner Andresen


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  • Erri De Luca | Qui a étendu ses bras au large



    Qui a étendu ses bras au large 2Ph., G.AdC






    CHI HA STESO BRACCIA AL LARGO


    Chi ha steso braccia al largo
    battendo le pinne dei piedi
    gli occhi assorti nel buio del respiro,
    chi si è immerso nel fondo di pupilla
    di una cernia intanata
    dimenticando l’aria, chi ha legato
    all’albero una tela e ha combinato
    la rotta e la deriva, chi ha remato
    in pieidi a legni lunghi : questi sanno
    che le acque hanno volti.
    E sopra i volti affiorano
    burrasche, bonacce, correnti
    e il salto dei pesci che sognano il volo.





    QUI A ÉTENDU SES BRAS AU LARGE


    Qui a étendu ses bras au large
    en agitant les nageoires de ses pieds
    les yeux fixés dans l’obscurité de sa respiration,
    qui s’est plongé au fond de la pupille
    d’un mérou dans son antre
    oubliant l’air, qui a attaché
    au mât une toile et calculé
    sa route et sa dérive, qui a ramé
    debout sur de longs bateaux : ceux-là savent
    que les eaux ont des visages.
    Et sur les visages affleurent
    tempêtes, bonaces, courants
    et le saut des poissons qui rêvent de voler.


    Erri De Luca, Opera sull’acqua|Œuvre sur l’eau, Seghers, collection Poésie, 2002, pp. 18-19. Traduit de l’italien par Danièle Valin.





    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Le plus et le moins (lecture de Martine Konorski)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)



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  • Laurent Grisel, Un hymne à la paix ― Voix de femme



    On ne fete pas d-avoir gagn- personne n-a gagn-.
    Ph., G.AdC





    VOIX DE FEMME


    On accueille la paix, on lui ouvre les bras –
    allègres : quitter les usines d’armes,
    plus de caisses d’obus ; sortir en plein jour,
    le ciel est sans avions.

    Et ces gars que la guerre nous a
    rendus, étrangers, mutilés tous,
    on les prend dans nos bras.
    On fait vie avec. On refait vie avec.

    Aller librement dans les ruines,
    chercher librement de quoi nourrir,
    habiller, bercer – se blottir, se reposer –
    ouvrir grand les bras, embrasser,
    recevoir les baisers, aimer,
    serrer fort.

    On va dans la paix

    par écœurement du sang versé,
    par lassitude d’avoir tant de morts à enterrer et d’être encore vivantes,
    par désir de silence,
    par envie de dormir –

    pour se réveiller,
    pour s’y mettre, à nettoyer le plancher, à lessiver le sang noirci,
    pour faire tomber les ruines et en profiter, faire de nouveaux plans, une passerelle,
    planter un jardin qui ne sera pas dévasté –

    pour avoir le temps,
    pour partir à la recherche de ceux qui restent – qui a survécu ?
    pour se venger, enquêter, poursuivre,
    les jeter en prison, eux –

    pour prendre le temps,
    pour faire des plans – loin et proches,
    pour dire à l’enfant né :
    toi tu auras le temps –

    pour dire, pour que tous disent :
    il y a défaite
    générale.
    On ne fête pas d’avoir gagné :
    personne n’a gagné.
    Perdu, nous avons tous perdu, tout le monde a perdu,
    il n’y a pas de victoire.
    On fête : pas de victoire ;
    on ne fête pas d’avoir été vainqueurs.
    On fête : tous vaincus.
    On fête : enfin il n’y aura plus de vainqueurs, jamais.

    On fait des enfants qui vivront.


    Laurent Grisel, Un hymne à la paix (16 fois), publie.net, Collection Zone risque, 2010, pp. 8-10.






    Grisel, Hymne à la paix, 2





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur publie.net)
    le texte intégral d’Un hymne à la paix (16 fois) (téléchargement, présentation et extraits)
    → (sur le site de Laurent Grisel)
    histoire et présentation du texte
    → (sur remue.net)
    Traversées grammaticales vers une parole et une paix en commun, une lecture d’Un hymne à la paix (16 fois) par Dominique Dussidour
    → (sur remue.net)
    54. L’hymne à la paix de Laurent Grisel, une recension de Jean-Marie Barnaud
    → (sur Poezibao)
    une lecture d’Un hymne à la paix (16 fois) par Antoine Emaz
    → (sur remue.net)
    Laurent Grisel / Changeons d’espace et de temps – suite 1, « Depuis toujours »

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  • Alain Freixe | Septième pas



    Sous la lampe- nous boirions l-oubli de ce qui jamais ne fut.
    Ph., G.AdC






    SEPTIÈME PAS


    I



    Y aura-t-il assez de nuit dans nos yeux pour voir quelques étoiles danser autour des bornes où tiennent les visages ?

    Y aura-t-il assez de silence dans notre sang pour entendre chanter la lumière, là où sourient les ombres ?

    Y aura-t-il assez de chaleur dans notre cœur pour qu’il offre aux pierres ces forces dont elles vivent, ce rythme qu’entre deux soupirs de ciel nos pas leur arrachent, par hasard ?

    Ces questions nous regardent. C’est à peine si leurs paupières battent. À peine si nos lèvres les assurent d’un bégaiement quand, à contre-jour, nos mains se mêlent de leur accorder l’espoir d’un soupirail.



    II



    Il est bien tard quand tu pousses la porte par où descendre, les yeux pris dans la lumière que filtre le grillage défoncé du soupirail.

    Il est déjà trop tard quand tu dévales l’escalier. Les courants d’air, levés entre tes pas et tes mains qui hésitent, fouettent le visage de cette nuit basse, compacte et dure où tu t’écorches.



    III



    Sur la dernière marche, appuyé aux remous qui creusent jusqu’au cœur des pierres de la voûte, tu souffles à voix basse sur les petits tas de silence qui t’accueillent, toujours prêts à t’enfoncer dans les sables mouvants du sommeil qu’ils honorent de toutes leurs poussières.



    IV



    Maintenant, il te faut avancer. Fouler ce sol qui te presse, l’ébranler d’enjambées hasardeuses, peser de tes mains, qui déjà retombent, sur tout cela : choses mortes, images vitrifiées et opaques, mots anciens, tout cela encroué tel quel comme au torrent les arbres et les pierres que le flot et la rumeur des heures, témoins résolus.


    Tout cela qui n’attendait rien ni personne, et que tu vas troubler de ta marche peu sûre, écartant des pans d’ombres encore vives, exhumant sous tes pas des printemps, renversant des hivers.



    X



    Y aura-t-il jamais assez de pâleur sur le front de nos poèmes pour que le ciel les veine de l’ombre de ses nuages ?

    Sous la lampe, nous boirions l’oubli de ce qui jamais ne fut. Sinon dans cette chanson perdue que nos silences syncopent d’un bord du jour à l’autre.




    Alain Freixe, Comme des pas qui s’éloignent, L’Amourier, Collection Grammages, 1999, pp. 43-44-45-47-48. Frontispice de Leonardo Rosa.







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours



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  • Nathalie Riera | Carnet de campagne II




    Dans les arbres qui nous enseignent les branches et leurs coups d-archets
    Ph., G.AdC







    CARNET DE CAMPAGNE II (extrait)



    I




         Dans la voix du poète, comme une peur de mourir de sécheresse. Et puis ce regard qui cherche à déserter ce qui l’envahit.

         La page encore trop habitée.

         Et lorsque la rage est d’être seulement une tendance qui fait fureur, ayant perdu son art de faire remuer et non salir les lèvres.

         Et lorsque les gestes d’offrir et d’accueillir sont totalement bannis.

         Davantage que lire un poème, lire un poète nous ouvre la plus libre des routes, malgré les enclos. Et ce que nous avons à craindre de cette ouverture véhémente : son souci de pacifier ou de rendre solidaire ce qui en nous demeure en proie à l’indéterminé, l’équivoque, le honteux, l’entortillé ; ce qui en nous est douceur et démesure, félicité et utilité, ratures et rictus.

         Ce que j’aime entendre d’un poème : des notes d’air et de basalte ; des désirs de disculpations, des virevoltes de danseurs ; des déserts de cailloux ; notes noires et blanches de nos joies.


    ***
    *



         Forcer la note fait mourir le poème, le fait mentir aussi, et finalement, me fait dire que le poème n’a jamais existé.

         Le parcours du poème n’est pas de se réduire à une secrète recherche d’harmonie, ni de consigner le malheur, ou de s’adonner à la fuite de ce qui nous désespère. En poésie, il y a ce mur couvert de lierre, ou cette branche esseulée qui porte encore le poids des fruits, ou cette rosée des yeux, ou cette blancheur incantatoire du chemin où nous marchons sans jamais cesser de nous retourner, ou ce parfum de fleurs balbutiantes, tout cela qui participe de notre présence au monde, parmi le clair et l’abrupt.

         Alors, pour quelle raison écrire, si ce n’est pour alléger la lumière, et que les mots s’effacent.


    ***
    *



    II



         Des chuchotis d’insectes le papier que tu froisses, le craquèlement de tes lèvres : ce que tu cherches à écrire, alors que tu ne sais encore rien du froid et de ses crimes.

         Un bruit d’abeille la mer et l’aube, écrire pour tout ce qui est terre, et fragile. Ainsi nos feuilles rugissantes dans les poussières sonores des cités, ou dans les arbres qui nous enseignent les branches et leurs coups d’archets.

         Et mes souvenirs blancs comme du jasmin.



    Nathalie Riera, « Carnet de campagne II ― La rosée sur les roses l’enfance » ,  Puisque beauté il y a, Éditions Lanskine, 2010, pp. 41-42, 44-46. Préface de Pascal Boulanger.




        « L’écriture de Nathalie Riera retient les sensations traversées afin qu’elles ne basculent pas dans l’indifférencié. Cette écriture, à travers proses ou vers amples, est simple et transparente.
        L’ordre et la simplicité ont toujours ouvert les routes du rêve (Ungaretti cité par Nathalie Riera). On sent qu’elle a besoin de l’écriture pour ne pas brûler dans la proximité des choses.
        Il se peut d’ailleurs qu’elle n’écrive pas mais dessine. Tant ses textes semblent suinter sur la page, dans cette eau fleurie des sentes.
        Tout se dérobe-t-il, désormais, à notre approche ? Mais les robes de l’enfance, à chaque fois retrouvées, sont toujours présentes. Ceux qui écrivent et tentent d’habiter poétiquement le monde le savent. Ne font-ils pas le don d’eux-mêmes qui fait écho au don de l’existence ?
        Nathalie Riera est dans la joie à être – tout simplement – seule ou avec l’aimé, avec une manière, une habilité, une fantaisie, une invention de vivre.
    Il n’est pas de poésie sans hauteur  écrit-elle. Autrement dit, pas de poésie et de demeure sans ciel. » (Pascal Boulanger)





    NATHALIE  RIERA



    Nathalie Riera Gudu
    Image, G.AdC





    ■ Nathalie Riera
    sur Terres de femmes


    [dévêtue la main] (extrait de Feeling is first)
    [Trame blondoyante la prairie des mots] (extrait d’Instantanés des géographies de l’amour… )
    [elle a pleuré imploré la main absente] (extrait de Paysages d’été)
    Variations d’herbes (note de lecture d’AP)
    in angulo (extrait de Variations d’herbes)
    Là où fleurs où flèches
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    page aphone où tout est voix (poème inédit)





    ■ Voir aussi ▼


    Les Carnets d’Eucharis (le site de Nathalie Riera)
    → (dans Les Carnets d’Eucharis)
    la préface de Pascal Boulanger pour Puisque beauté il y a
    → (sur YouTube)
    Nathalie Riera lisant des extraits de Puisque beauté il y a à la Halle Saint Pierre, le 28 novembre 2010
    → (sur la République des Lettres)
    un article de Claude Darras sur Puisque beauté il y a
    → (sur le blog de La petite librairie des champs)
    un autre extrait de Puisque beauté il y a
    → (sur Ré pon nou)
    un autre extrait (« Carnet de campagne I ― Nous sommes l’amour ») de Puisque beauté il y a
    → (sur Cœuritoire)
    d’autres extraits des Carnets de campagne de Nathalie Riera
    → (sur Francopolis)
    un autre poème (« Sauvages sont les fraises ») de Nathalie Riera
    → (sur publie.net)
    ClairVision de Nathalie Riera (en téléchargement)
    → (sur agora.qc.ca)
    une notice bio-bibliographique sur Nathalie Riera



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  • Anne-Lise Blanchard, Éclats



    -clats entre deux saisons
    Ph., G.AdC






    ÉCLATS



    Le temps s’éloigne
    dans le silence d’une
    neige
    que nous avons oubliée


    […]


    Le temps s’éloigne
    dans le silence d’un
    sommeil dont
    nous ne revenons pas


    […]


    S’ex-
    traire
    du
    véhicule

    puis
    avec la stu-
    peur
    des gens d’ailleurs

    examiner     autour


    […]


    Le vent
    pour nous fatiguer
    contre notre dos
    s’acharne

    et nous avançons
    un peu plus courbés
    entre deux saisons

    dont même la terre
    ignore le nom




    Anne-Lise Blanchard, Éclats, Éclats d’encre, 2010, pp. 7-9-17-45.






    ANNE-LISE BLANCHARD


    Anne-Lise Blanchard
    Source




    ■ Anne-Lise Blanchard ▼
    sur Terres de femmes

    [La nuit vient en dormant] (extrait d’Épitomé du mort et du vif)
    [Combien de joies vivons-nous en une vie ?] (extrait des Jours suffisent à son émerveillement)
    Les jours suffisent à son émerveillement (lecture de Michel Ménaché)
    Le Soleil s’est réfugié sous les cailloux (lecture d’AP)
    [Hurlements sirènes] (extrait du Soleil s’est réfugié sous les cailloux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Elle est à marée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique de la Poéthèque sur Anne-Lise Blanchard



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  • Stella Vinitchi Radulescu | Contretemps


    Les paroles comme les nuages
    Ph., G.AdC






    CONTRETEMPS



    je suis venue de loin pour oublier en toi
    le mot lointain

    et de la nuit pour retracer en l’air
    tes contours

    j’ai traversé les champs de la mémoire
    j’ai voyagé avec les flammes

    expiré sur la langue de l’absence pour entrer vive
    dans la chaleur de ton nom

    et si j’arrive…

             les routes s’allongent
             et les paroles comme les nuages

             ont déjà fait leurs bagages




    Stella Vinitchi Radulescu, Le Jour en équilibre, éditions du Cygne, 2010, page 49.






    STELLA VINITCHI RADULESCU


    Stella Radulescu 2




    ■ Stella Vinitchi Radulescu
    sur Terres de femmes

    femme bleue    Magritte le dit (anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Jour en équilibre (note de lecture de France Burghelle Rey)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur UniVerse)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) sur Stella Vinitchi Radulescu


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  • Francis Ponge | Les hirondelles


    LES HIRONDELLES
    ou
    Dans le style des hirondelles

    (RANDONS)




        Chaque hirondelle inlassablement se précipite ― infailliblement elle s’exerce ― à la signature, selon son espèce, des cieux.

        Plume acérée, trempée dans l’encre bleue noire, tu t’écris vite !
        Si trace n’en demeure…
        Sinon, dans la mémoire, le souvenir d’un élan fougueux, d’un poème bizarre,
        Avec retournements en virevoltes aiguës, épingles à cheveux, glissades rapides sur l’aile, accélérations, reprises, nage de requin.
        Ah ! je le sais par cœur ce poème bizarre ! mais ne lui laisserai pas, plus longtemps, le soin de s‘exprimer.
        Voici les mots, il faut que je les dise.
        (Vite, avalant ses mots à mesure.)
        L’Hirondelle : mot excellent ; bien mieux qu’aronde, instinctivement répudié.
        L’Hirondelle, l’Horizondelle : l’hirondelle, sur l’horizon, se retourne, en nage-dos libre.
        L’Ahurie-donzelle : poursuivie, ― poursuivante, s’enfuit en chasse avec des cris aigus.

        Flèche timide (flèche sans tige) ― mais d’autant véloce et vorace ― tu vibres en te posant ; tu clignotes de l’aile.
        Maladroite, au bord du toit, du fil, lorsque tu vas tomber tu te renvoles, vite !
        Tu décris un ambage aux lieux que de tomber
        (comme cette phrase).
        Puis, ― sans négliger le nid, sous la poutre du toit, où mes mots piaillent : la famille famélique des petits mots à grosse tête et bec ouvert, doués d’une passion, d’une exigence exorbitantes ―
        Tu t’en reviens au fil, où tu dois faire nombre.
        (Posément, à la ligne.)

    […]


    Francis Ponge, « Les hirondelles ou Dans le style des hirondelles » [1951-1956], in Pièces, Œuvres complètes, I, Gallimard nrf, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, pp. 795-796.





    FRANCIS PONGE



    ■ Francis Ponge
    sur Terres de femmes

    27 mars 1899 | Naissance de Francis Ponge
    9 août 1940 | Francis Ponge, Le Carnet du Bois de pins
    6 février 1948 | Francis Ponge, Pochades en prose
    10 avril 1958 | Francis Ponge, La figue
    29 mars **** | Le Verre d’eau de Francis Ponge
    Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)



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