Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • Aïcha Arnaout, Alain Gorius | La fontaine




    Restant l-- sur le chemin- dans l-attente des corbeaux(2)
    Photocollage, G.AdC






    ELLE COURAIT



    Elle courait, et le froid qui montait de la terre enneigée la déchirait de ses épines ; elle n’atteindrait peut-être pas la fontaine au pied de la hêtraie ; elle tomberait glacée, sa nudité décharnée restant là, sur le chemin, dans l’attente des corbeaux ; sa servante avait fui, et quand bien même un paysan se serait aventuré à cette heure en pareil endroit, il ne lui aurait été d’aucune aide ; trop de bruits avaient couru sur le château et sa maîtresse vieillie dans la folie ; trop de haine, puis trop d’oubli s’était appesanti sur elle qui était restée, dans l’espoir que pas un de ceux qui lui avaient donné la seigneurie de l’Escalette ne revint de sa croisade.


        Une vieille constellation
        embaumée des relents d’une lente mort
        frémissante de tant de souvenirs
        qui se déchirent et délirent
        Vivre l’ardeur de la chair jusqu’au bout de la veine
        jusqu’à l’abîme
        dans l’alchimie nécromancienne du ravage charnel
        parmi les fleurs séminales des monstres
        aux visages décousus
        qui partagent ta couche

        Vivre les fibres de l’âme jusqu’au bûcher du ciel
        l’autopsie des marées mortes conduites par les anges
        la divergence saisonnière de l’espérance et du doute

        et finir
        en hibernation dans la peau craquante de la démence




    Aïcha Arnaout, Alain Gorius, La Fontaine [troisième titre du Triptyque de Lodève], Al Manar, 2009, pp. 16-19. Dessins de Diane de Bournazel.







    Bournazel
    Diane de Bournazel
    in Aïcha Arnaout, Alain Gorius, La Fontaine,
    Al Manar, 2009, page 17.





    AÏCHA ARNAOUT


    Arnaout
    Ph. D.R.



    ■ Aïcha Arnaout
    sur Terres de femmes

    Dans les eaux du glacier originel
    Être et désêtre
    La traversée du Blanc



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  • Carole Darricarrère | Élévation du feu


    - le regard sans -ge que tu poses doucement sur elle.
    Ph., G.AdC






    ÉLÉVATION DU FEU, I



    T
    u regardais la mer, tu voyais que la mer, te regardait.

    On ne sait jamais ce qui va vous atteindre dès lors que l’on lève les yeux sur le monde, quelle averse de lumière, quel champ de blé, quelle balle pure cherchant à se loger.

    Ni pourquoi ce moment-là fut qui demeure seul vivant entre les morts.

    Comme un chien orphelin survivant jusqu’à son maître avance distrait dans le jadis abstrait et calme.

    Combien de vers iront ton chemin, combien d’âmes mortes, combien de reflets.

    Dans le grain de tes yeux s’additionne tout ce qui se refuse, le nombre creux, la somme basse mordante de toutes les marées.

    La mer devant s’agite comme un sang benêt s’épuise à se penser loi et reine.

    Quand de grands végétaux mobiles, poursuivent leur chemin, et qu’une étoile souple, s’appuie contre ton dos.

    Tu me dictes la rime au henné, et tu dors dans les parts, comme un qui n’est plus rivé à la forme.

    Ce parfum de rose sous tes aisselles, quand midi mégère par le fond aigre des paniers, et que terre déborde, les urines et les selles, la couronne chauve et le pain des pieds.

    Une lune est là, et bientôt une autre, puis toutes.

    Tu mensonges un aveu depuis la chambre : les mots ne laissent pas de traces.

    Qu’est-ce qui retient la mer de s’en aller, le regard sans âge que tu poses doucement sur elle.


    *


    Je voudrais rêver les yeux ouverts sur l’étoile naine qui luit à Obock […]




    Carole Darricarrère, « Élévation du feu, I » (extrait) in Demain l’apparence occultera l’apparition, Éditions Isabelle Sauvage, 2009, pp. 102-103.






    Carole Darricarrère, Demain l’apparence occultera l’apparition, Éditions Isabelle Sauvage, 2009





    CAROLE DARRICARRÈRE

    CAROLE DARRICARRERE





    ■ Carole Darricarrère
    sur Terres de femmes

    [Bleu est un chemin d’ambiance dans le rouge] (extrait de Beijing Blues)
    Les doubles jeux du (Je) (note de lecture sur le recueil Le (Je) de Léna)
    Face à face avec mes mains
    Imagine qu’un matin… (notice bio-bibliographique)
    Je coupais souvent à travers champs
    Nous vécûmes
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ulysse (Joyce remixed)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Carole Darricarrère (+ un extrait du recueil Demain l’apparence occultera l’apparition)




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  • Marcel Migozzi | je dis ce que je vois


    JE DIS CE QUE JE VOIS



    PEINTURES DE MARIO VILLANI
    Source






    j
    e dis ce que je vois



    la porteuse de peau
    au buisson des ardents



    même si dans le rosier
    le rouge-gorge est en haillons
    peindre n’a pas de limites



    car le peintre a un prochain




    les formes sont encore nues
    dans les intuitions de la main

    pour en surprendre les limites
    le corps sera le seul voyage

    on s’approche ainsi d’un jardin
    où la nuque se détache d’un oiseau
    par une pincée d’intuition

    sans repères qu’une bouche
    attelée à une autre bouche

    et la langue pour faire un vœu.




    Marcel Migozzi, Les Intuitions de la main in Revue Nu(e), 42, 2009, pp. 188-189. Numéro coordonné par Arnaud Beaujeu.




    ______________________________________
    NOTE D’AP : les poèmes Les Intuitions de la main ont été lus par Marcel Migozzi le 30 juin 2007 en hommage au peintre MARIO VILLANI lors de l’exposition de peinture qui s’est tenue dans les locaux de la faculté des Lettres de Nice.






    MARCEL MIGOZZI


    Marcel migozzi




    ■ Marcel Migozzi
    sur Terres de femmes

    Comment savoir si ton visage te ressemble ? (poème extrait de À qui le corps ?)
    Des heures froides (lecture d’AP)
    [Depuis trois jours vieillir est dépassé] (poème extrait de Des heures froides)
    [Quand tu plonges ton visage] (poème extrait de Des jours, en s’en allant)
    [Voici que maintenant…] (poème extrait de Vers les fermes, ça fume encore)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Marcel Migozzi
    → (sur Poètes au potager)
    une page Marcel Migozzi
    → (dans La Gazette du Basilic, 6)
    un entretien d’Alain Freixe avec Marcel Migozzi
    → (sur le site Pierre Jean Jouve)
    Mario Villani, Tableaux/Béatrice Bonhomme, Sur la trace légère de quelques oiseaux



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  • Sylvia Plath | Ariel



    Lady Godiva Coventry England
    Source






    ARIEL



    S
    tasis in darkness.
    Then the substanceless blue
    Pour of tor and distances.

    God’s lioness,
    How one we grow,
    Pivot of heels and knees! ― The furrow

    Splits and passes, sister to
    The brown arc
    Of the neck I cannot catch,

    Nigger-eye
    Berries cast dark
    Hooks ―

    Black sweet blood mouthfuls,
    Shadows.
    Something else

    Hauls me through air ―
    Thighs, hair;
    Flakes from my heels.

    White
    Godiva, I unpeel ―
    Dead hands, dead stringencies.

    And now I
    Foam to wheat, a glitter of seas.
    The child’s cry

    Melts in the wall.
    And I
    Am the arrow,

    The dew that flies,
    Suicidal, at one with the drive
    Into the red

    Eye, the cauldron of morning.




    Sylvia Plath, Ariel, Faber & Faber, London, 1965, page 28.







    U
    n moment de stase dans l’obscurité.
    Puis l’irréel écoulement bleu
    Des rochers, des horizons.

    Lionne de Dieu,
    Nous ne faisons plus qu’un,
    Pivot de talons, de genoux ! ― Le sillon

    S’ouvre et va, frère
    De l’arc brun de cette nuque
    Que je ne peux saisir,

    Yeux nègres
    Les mûres jettent leurs obscurs
    Hameçons ―

    Gorgées de doux sang noir ―
    Leurs ombres.
    C’est autre chose

    Qui m’entraîne fendre l’air ―
    Cuisses, chevelure ;
    Jaillit de mes talons.

    Lumineuse
    Godiva, je me dépouille ―
    Mains mortes, mortelle austérité.

    Je deviens
    L’écume des blés, un miroitement des vagues.
    Le cri de l’enfant

    Se fond dans le mur.
    Et je
    Suis la flèche,

    La rosée suicidaire accordée
    Comme un seul qui se lance et qui fonce
    Sur cet œil

    Rouge, le chaudron de l’aurore.




    Sylvia Plath, Ariel, Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2009, pp. 45-46. Traduit de l’anglais, présenté et annoté par Valérie Rouzeau.






    Sylvia Plath, Ariel






    SYLVIA PLATH


    Sylvia plath vignette
    Source




    ■ Sylvia Plath
    sur Terres de femmes


    Sylvia Plath, La lionne de Dieu (une chronique d’AP)
    I am vertical
    Winter trees
    11 février 1963 | Mort de Sylvia Plath (+ un autre poème extrait d’Ariel [Edge])
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvia Plath (+ le poème Wuthering Heights extrait de Crossing The Water)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Esprits nomades)
    Sylvia Plath, Chronique d’une stigmatisée
    → (sur Terres de femmes)
    Ted Hughes | The Thought-Fox



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  • Nauro Machado | Antologia poética


    Portrait de Nauro Machado

    Image, G.AdC






    FOME

    II

    As vigias, de branco,
    resguardam a honra.

    Resta, da que ficou,
    a usura do uso.

    – Salva-se, na paciência,
    o fulcro da morte.


    Extrait du recueil O exercicio do caos, 1961.




    FAIM

    II

    Les vigiles, tout de blanc,
    veillent sur l’honneur.

    De celle qui demeura ne subsiste
    que l’usure de l’usage.

    Patience qui ne rachète
    que le levier de la mort.






    TRAGÉDIA


    A  grande aventura do poeta
    consiste em seu tão pequeno rio
    a voltar para a imensa fonte dele.


    Extrait du recueil Necessidade do divino, 1967.




    TRAGÉDIE


    La grande aventure du poète
    est bien de faire rentrer le sien
    ruisseau en son immense source.






    CORRUPÇÃO


    O tempo resta
    sem fome nem sede:
    nenhuma coisa
    se ganha ou perde
    impronunciada.

    (O abstrato mata
    quando a fala chega.)


    Extrait du recueil Décimo divisor comum, 1972.




    CORRUPTION


    Le temps n’est
    affamé ni assoiffé;
    pas une chose
    gagnée ou perdue
    sans qu’on la nomme.

    (L’abstrait tue
    lorsque advient la parole.)






    O MONSTRENGO


    O alfabeto não faz ninguém feliz.
    Nenhuma letra sabe do infinito.
    Dormir com cabras, cego dos dois olhos,
    bebendo o peito do rio, é bem melhor.


    Extrait du du recueil A antibiotica nomenclatura do Infernon, 1977.




    LE MONSTRE


    L’alphabet ne rend personne heureux.
    Les lettres ne savent rien de l’infini.
    Dormir avec les chèvres c’est bien mieux,
    aveugle des deux yeux,
    en s’abreuvant aux seins de la rivière.




    Poèmes extraits de Nauro Machado, Antologia poética, Fundação Biblioteca Nacional : Imago Editora/Universidade Mogi das Cruzes, Rio de Janeiro, 1998. Mise en vers français d’André Rougier.






    NAURO MACHADO

    MACHADO


    Voir aussi :
    – (sur germinaliteratura)
    une fiche bio-bibliographique (en portugais) sur le poète brésilien Nauro Machado ;
    – (sur Guesa Errante)
    une autre fiche bio-bibliographique (en portugais) ;
    la rubrique Le billet de Nestor (André Rougier/André Jean Nestor) sur Terres de femmes.


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  • Françoise Clédat | (maintenant je git)



    Opaque  dans  l-opaque  clart-
    Ph., G.AdC






    (maintenant je git)



    Je dit
    j’entre  dans  la  lumière  pour  m’éteindre  j’entre  dans
    l’aveuglement
    Peut-être une terreur déjà passée au-delà  de la terreur
    une
                       glaciation
    de la terreur                     La topographie contre se heurte


    Je dit
    j’entre dans vos mémoires
    se détache de ma personne
    impersonnelle (mais néanmoins sexuée) dit
    j’entre   dans   vos   mémoires   où   comme   m’habituer
    déjà je m’allonge, prends repos
    modèle   dans   vos   mémoires   le   mince   fantôme   de
    lourdeur qu’aura été
    mon corps
    n’a  pas  déterminé  le  chemin  de  ma  vie                       en
    a suivi le sillage


    Je dit
    j’entre  lourde  opaque  dans  l’opaque  clarté  Y   baigne
    comme fanal
    dans
    le brouillard
    ma  vue  de  près  ma  vue  de  loin
    Entre  près  et  loin  un  monde
                                                                                      cache le monde
    Entre  près  et  loin  lève
    le  fanal  de  ma  mauvaise  vue
                                                                 et c’est poudre à mes yeux

                                                       ( pénétrable non cartographié)




    Françoise Clédat, « Prologue (maintenant je git) », Une baie au loin (Turnermonpère), Tarabuste Éditeur, 2009, page 11.






    FRANÇOISE CLÉDAT


    Fran-oise Cl-dat



    ■ Françoise Clédat
    sur Terres de femmes

    L’Adresse de Françoise Clédat | Portrait d’Iseut en survivante [lecture de Marie Fabre]
    Quoi de toi mort quand mort ? (extrait de L’Adresse)
    Une baie au loin (Turnermonpère) [lecture d’AP]
    La nuit de l’ange (lecture d’AP sur L’Ange Hypnovel)
    L’Ange Hypnovel (extrait)
    A ore, Oradour (lecture d’Isabelle Lévesque)
    EtnaXios, autour de l’oiseau-fauve-vautour de Françoise Clédat (lecture d’AP)
    Ils s’avancèrent vers les villes (lecture d’AP)
    (où le chant sans l’organe) (extrait de EtnaXios + notice bio-bibliographique)
    Gemelle [extrait d’Ils s’avancèrent vers les villes]
    [Se calmer. Reprendre souffle] (extrait de Mi(ni)stère des suffocations)
    [Disparition] (extrait de Petits déportements du moi)
    Rivière et Alaskas (lecture d’AP)
    Du jour à personne
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    Je vis une histoire d’amour
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Françoise Clédat (+ un extrait d’EtnaXios)



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  • Vittorio Sereni | Je traduisais Char, IV


    Discours de haies
    Ph., G.AdC






    IV


    VILLAGGIO VERTICALE


    Fresco di un passaggio recente
    al dubbio di un disguido
    risponde il villaggio verticale:
    con discorsi di siepi
    vaneggianti tra setole e velluti
    scricchiolii di porte
    appena schiuse rimpalli
    d’echi gibigianne cucù.

    Sul costone di fronte
    un taglio di luce tra le rupi fa
    di quattro sassi un’ acropoli.
    E’ a un’ora di marcia
    al sole dell’altra provincia
    la forma desiderata.




    IV


    VILLAGE VERTICAL


    Frais d’un récent passage
    au doute d’une fausse route
    répond le village vertical :
    par des discours de haies
    délirantes entre crins et velours
    grincements de portes
    à peine entrouvertes renvois
    d’échos mirages coucous.

    Sur l’arête d’en face
    une entaille de lumière entre les rochers fait
    des quatre cailloux une acropole.
    À une heure de marche
    au soleil de l’autre contrée :
    la forme désirée.



    Vittorio Sereni, « Je traduisais Char », IV, Étoile variable, Verdier, Collection « Terra d’altri », 1987, pp. 120-121. Édition bilingue. Traduction de Philippe Renard et de Bernard Simeone. Préface de Franco Fortini.

        « Comme toute vraie poésie, celle de Sereni dit deux vérités. La première, psychologique et historique, édifie un protagoniste, un réseau de rapports, une fabula. La seconde dit quelque chose qui dépasse l’organisme littéraire, organe de sa phonation. Dans sa première vérité, la voix que nous nommons Sereni témoigne d’événements profonds et de tensions tout au long d’un demi-siècle d’histoire d’une nation tragique, l’Italie, mal comprise par l’Europe ; et elle le fait avec des mots guère différents de ceux employés par les auteurs des générations précédente (comme Montale) ou suivante (comme Pasolini). Dans sa seconde vérité, au contraire, sous des apparences urbaines et quotidiennes, elle annonce un au-delà de la poésie : dans cette voix ― pas du tout étrange, voire « normale » ― triomphe la mort. Contrairement à son contemporain Luzi ou à son cadet Zanzotto, Sereni n’assigne à la poésie aucune mission salvatrice. »

    Franco Fortini, « La plage et la sibylle », préface (extrait), in Vittorio Sereni, id. supra, pp. 7-8.





    VITTORIO SERENI


    VITTORIO SERENI




    ■ Vittorio Sereni
    sur Terres de femmes

    A Venezia con Biasion (autre poème extrait de Étoile variable)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier) la fiche de l’éditeur sur Étoile variable (+ extraits de presse)



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  • Ted Hughes | The Thought-Fox

    «  Poésie d’un jour  »



    La page est ecrite
    Image, G.AdC






    THE THOUGHT-FOX


    I imagine this midnight moment’s forest:
    Something else is alive
    Beside the clock’s loneliness
    And this blank page where my fingers move.

    Through the window I see no star:
    Something more near
    Though deeper within darkness
    Is entering the loneliness:

    Cold, delicately as the dark snow,
    A fox’s nose touches twig, leaf;
    Two eyes serve a movement, that now
    And again now, and now, and now

    Sets neat prints into the snow
    Between trees, and warily a lame
    Shadow lags by stump and in hollow
    Of a body that is bold to come

    Across clearings, an eye,
    A widening deepening greenness,
    Brilliantly, concentratedly,
    Coming about its own business

    Till, with a sudden sharp hot stink of fox
    It enters the dark hole of the head.
    The window is starless still; the clock ticks,
    The page is printed.


    Ted Hughes, « The Thought-Fox » The Hawk in the Rain, in New Selected Poems, 1957-1994, Faber and Faber, London, 1995, page 3.





    LE RENARD-ESPRIT


    J’imagine la forêt de ce moment de minuit :
    Quelque chose est là, qui respire
    Tout près de la solitude de l’horloge
    Et de cette page blanche où mes doigts courent

    Pas une étoile à la fenêtre :
    Quelque chose de plus proche
    Quelque chose de plus enfoui dans les ténèbres
    Vient pénétrer cette solitude :

    Aussi froid, aussi délicat que la neige obscure,
    Le museau d’un renard frôle la branche, la feuille ;
    Deux yeux servent un mouvement, lequel ici
    Et maintenant là, puis là, puis là

    Imprime ses traces nettes sur la neige
    Entre les arbres, et une ombre suit
    Prudemment le long des souches
    Ce corps qui a l’audace d’aller

    Au hasard des clairières, dont l’œil
    D’un vert agrandi, approfondi,
    Occupé de ce qui le regarde,
    Brille, se concentre

    Puis, dans une soudaine puanteur puissante de renard
    S’introduit dans la cavité obscure de la tête.
    La fenêtre demeure sans étoiles ; l’horloge fait tic-tac,
    La page est écrite.


    Ted Hughes, « Le renard-esprit », Le Faucon dans la pluie in Poèmes, 1957-1994, Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2009, pp. 17-18. Traduction de l’anglais par Valérie Rouzeau.






    Voir aussi :
    – (sur le site de Richard Webster)
    Richard Webster, ‘The Thought Fox’ and the poetry of Ted Hughes, The Critical Quarterly, 1984 ;
    Earth-Moon: A Ted Hughes Website ;
    – (sur le site d’Ann Skea)
    The Ted Hughes Homepage ;
    – (sur Poezibao)
    une note de lecture sur Poèmes 1957-1994 de Ted Hughes, édité par Gallimard en juin 2009 ;
    – (sur Terres de femmes)
    Sylvia Plath, La lionne de Dieu (une chronique d’Angèle Paoli).

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  • Joël Bastard, Bakofè

    «  Poésie d’un jour  »



    Bakofè 1





    Nous donnerons des pains de semoule au maître du fleuve. Au lamantin. Femme marine. À Ba Faro qui glisse dans les eaux profondes de Saman. Nous chanterons ses louanges Voici ta part et que chaque année tu nous donnes longévité… Mais moi, ce soir, je regarde le fleuve et j’espère cette sirène aux yeux indigo, femme marine l’indolente. J’espère toujours ces animaux qui existent à peine et qui dans le soir traînent leur mélancolie au beau milieu de nulle part comme un chant de kora, d’une corde tendue entre la lune et la terre et que l’on pince des doigts. Ba Faro i ni toye, san osan i k’an kènè to. Mère Faro voici ta part de repas garde-nous en bonne santé chaque année.


    Joël Bastard, Bakofè, Al Manar, Collection Poésie, 2009, page 16.



    Bakofè : « derrière le fleuve » en bambara. Ce poème a été écrit durant l’hivernage de 2005 à Ségou Koura au Mali (près de Ségou).
    Ba Faro : Esprit du Fleuve
    Saman : Territoire du Ba Faro






    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes

    [Assis à côté, à la proue d’un navire] (extrait d’Une cuisine en Bretagne)
    Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP)
    Casaluna
    Chasseur de primes (lecture de Paul de Brancion)
    Le visage de Mah



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Francopolis)
    Joël Bastard : Bakofè Poèmes, par Xavier Bordes (+ bibliographie)
    le blog de Joël Bastard



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  • Sapphô | L’adieu


    «  Poésie d’un jour  »


    Poésie choisie en hommage à Yves Battistini,
    mort à Sartène le 2 décembre 2009

    Sappho
    Image, G.AdC






    [94]


    L’ADIEU



    Sans mentir je voudrais être morte.
    En me quittant elle pleurait

    bien des larmes. Elle m’a dit :
    « Ah ! Quelle épreuve cruelle est la nôtre,
    Sapphô, contre mon gré je t’abandonne. »

    Et je lui répondais :
    « Va et adieu, et souviens-toi
    de moi, car tu sais de quels soins nous t’avons poursuivie.

    Mais moi, sinon, je veux te
    rappeler..
    .. aussi les beaux jours du passé :

    les couronnes, souvent, de violettes
    et de roses ensemble, de crocus,
    dont tu ornais ton front, près de moi,

    et les guirlandes odorantes, leurs fleurs entrelacées,
    que tu jetais
    autour de ta gorge fragile,

    toute l’huile parfumée,
    l’onguent précieux dont
    tu frottais ton corps, comme une reine.

    Et sur les lits moelleux,
    dans mes bras, tendrement,
    tu chassais hors de toi ton désir altéré.

    Aux saints rites..
    jamais..
    nous ne faisions défaut, nous n’étions pas absentes

    […]




    τεθνάκην δ᾽ ἀδόλως θέλω•
    ἄ με ψισδομένα κατελίμπανεν

    πόλλα, καὶ τόδ᾽  ἔειπέ [μοι•
    «ὤιμ᾽ ὠς δεῖνα πεπ[όνθ]αμεν,
    Ψάπφ᾽, ἦ μάν σ᾽ ἀέκοισ᾽ ἀπυλιμπάνω.»

    τὰν δ᾽ ἔγω τάδ᾽ ἀμειϐόμαν•
    «χαίροισ᾽ ἔρχεο κἄμεθεν
    μέμναισ᾽, οἶσθα γάρ, ὤς σε πεδήπομεν•

    αἰ δὲ μή, ἀλλά σ᾽ ἔγω θέλω
    ὄμναισαι [  ….  ].[  …  ]..αι,
    ..[      ] καὶ κάλ᾽ ἐπάσχομεν.

    πό[λλοις γὰρ στεφάν]οις ἴων
    καὶ βρ[όδων κρο]κίων τ᾽ ὔμοι
    κα ..[     ] πάρ᾽ ἔμοι περεθήκαο,

    καὶ πό[λλαις ὐπα]θύμιδας
    πλέκ[ταις ἀμφ᾽ ἀ]πάλαι δέραι
    ἀνθέων ἐ[ϐαλες] πεποημμέναις,

    καὶ πόλλωι[     ]. μύρωι
    βρεθείωι.[     ]ν ρύ[ .. ]ν
    ἐξαλείψαο κα[ὶ βασ]ιληίωι,

    καὶ στρώμν[αν ἐ]πὶ μολθάκαν
    ἀπάλαν… πα.[      ]… ων
    ἐξίης πόθο[ν     ]. νίδων,

    κωὔτε τις[    οὔ]τε τι
    ἶρoν οὐδὐ [      ]
    ἔπλετ᾽  ὄππο[θεν ἄμ]μες ἀπέσκομεν

    […]



    Sapphô, Odes et fragments, Galllimard, Collection Poésie/Gallimard, pp. 58-59. Traduction d’Yves Battistini.



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    ■ Sapphô

    sur Terres de femmes


    Ode de Sapphô à son amie

    Thème et Variations sur Aphrodite




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