Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • Dominique Sorrente |
    J’écris comme on décide par fragments

    «  Poésie d’un jour  »




        Femme o- le cypr-s s-oriente
        Ph., G.AdC







         J’ÉCRIS COMME ON DÉCIDE PAR FRAGMENTS




        J’écris comme on décide par fragments. Le temps

        d’une lettre cachée qui me retourne vers ma naissance.


        Le monde, sous cette main, est une mise à feu multipliée.


                                                                *


        Jeux d’infinis miroirs : que deviendra, dans tout ce dédale,
        la sentinelle apocryphe ?


                                                                *


        Tu es l’ouverte dans le mensonge comateux qui se donne,
        une traduction improbable tentée avec ses yeux bandés.


                                                                *


        À force d’en finir, le soir tressaille l’origine.
        À force de commencer, le mot partout se bâtit
        une bibliothèque.


                                                                *


        Mais dans le brouhaha de la fête obligée, à heures fixes,
        des applaudissements en mécanique, qui parmi nous sait
        encore observer le grain de sable qui donnera l’alerte ?


                                                                *


        Volant de l’un à l’autre, la poussière passionnée, le jeu
        mystérieux des anges qui se dénouent sur ton corps.


                                                                *


        Femme où le cyprès s’oriente, vent de la poussière, vent de la vie première, rythme,
        là-bas, sans généalogie où l’impossible amour roule sa pierre
        en souriant.



    Dominique Sorrente, « Le Je de Collioure », Empire du milieu intérieur, Journal, 2003, in Pays sous les continents, Un itinéraire poétique, 1978-2008, Éditions MLD, 22000 Saint-Brieuc, 2009, pp. 135-136.





    DOMINIQUE SORRENTE


    Domnique_sorrente
    Source



    ■ Dominique Sorrente
    sur Terres de femmes

    [À défaut de livre, au moins cette promesse de poème] (poème extrait d’Il y a de l’innocence dans l’air)
    C’est bien ici la terre (note de lecture de Laurence Verrey)
    C’est la terre
    Écueils
    [je suis celle qui se voue à la flamme]
    Le temps sans rideaux
    [L’humeur est passe-partout] (extrait de Tu dis : rejoindre le fleuve)
    Pays sous les continents
    [Les rideaux] (extrait des Gens comme ça va)
    Le Scriptorium/Portrait de groupe en poésie



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique (non mise à jour)
    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un Portrait de Dominique Sorrente






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  • Jean-Pierre Spilmont | Ici le soleil finit juste de se lever

    «  Poésie d’un jour  »





    Pourtant- le matin se l-ve ici comme il le fait - Shangha-
    Ph., G.AdC






    ICI LE SOLEIL FINIT JUSTE DE SE LEVER


    À Colette Nys-Mazure




        Où serons-nous demain ?


        Dans ce désert, peut-être, où les dieux n’ont jamais parlé ?


        Ils sont absents depuis si longtemps qu’on a lentement fini par les oublier.


        Il y a dans le monde des lieux où la lumière n’arrive pas.

        Des lieux d’exil où l’on se tient à distance pour oublier la lente défoliation des jours

        Pourtant, le matin se lève ici comme il le fait à Shanghaï, à Prague ou à Persépolis.

        Et l’on doit chaque matin renouer avec le désir.



        Ici, le soleil finit juste de se lever

        Un grand murmure vert accompagne le vent

        Quelle chanson montera en nous, doucement ? Quelle musique passera nos lèvres ?

        Nous chanterons à haute voix.

        Un homme se lèvera de son champ et ceux qu’il verra passer ne lui

        seront pas étrangers.


    *


        Il s’est levé ce matin un grand vent qui balaie les terrasses et fait battre les portes. un vent de plein hiver qui courbe la mince ligne d’arbres au pied des collines, loin de la route.
        Le pays se resserre comme un village après la pluie.
        Il s’offre, douloureusement. La lumière s’y mesure tout le jour aux quatre pans des toits offerts au dénuement du ciel.



        Ici monte une fumée qui détient des pouvoirs sur la mémoire des choses.
        L’horizon investit le regard. Il nous faut des demeures de terre et d’eau, ces abris de lumière, ces arbres, cette clarté pour choisir, enfin, non pas une île où accoster, mais l’infini mouvement des saisons. Leur voyage.
        Une vibration à peine perceptible se glisse entre les pierres.
        Lumière plutôt que mouvement.


    *



         Lumière encore.

        Miroir et mémoire de nos premiers balbutiements. Éclairant le lieu de nos amours comme celui de nos égarements et de nos fureurs.

        Lumière blanche. Implacable. Où vient s’inscrire, en creux, l’absence d’un invisible monde d’où seule pourrait naître, pourtant, la fragile fécondité de nos voix.

        Son pacte.         Sa fondation.

        Nécessairement provisoires.



    Jean-Pierre Spilmont, L’Incessant Tourment d’espérance in Lumière des mains suivi de L’Incessant Tourment d’espérance, Cadex Éditions, collection Marine, Russan – 30 190 Sainte-Anastasie, réédition augmentée, 2005, pp. 31-32-35. Photographies de Henri Maccheroni.






    JEAN-PIERRE SPILMONT

    Jean-Pierre Spilmont
    Source

    Voir aussi :

    – (sur le site des éditions Cadex)
    la fiche livre sur Lumière des mains de Jean-Pierre Spilmont ;
    – (sur Terres de femmes)
    Jean-Pierre Spilmont, Une saison flamande (note de lecture) ;
    le site consacré à Jean-Pierre Spilmont.



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  • Gabriela Mistral | Désolation

    «  Poésie d’un jour  »



    Gabriela_mistral
    Image, G.AdC






    DESOLACIÓN


    La bruma espesa, eterna, para que olvide dónde
    me ha arrojado la mar en su ola de salmuera.
    La tierra a la que vine no tiene primavera:
    tiene su noche larga que cual madre me esconde.

    El viento hace a mi casa su ronda de sollozos
    y de alarido, y quiebra, como un cristal, mi grito.
    Y en la llanura blanca, de horizonte infinito,
    miro morir inmensos ocasos dolorosos.

    ¿A quién podrá llamar la que hasta aquí ha venido
    si más lejos que ella sólo fueron los muertos?
    ¡Tan sólo ellos contemplan un mar callado y yerto
    crecer entre sus brazos y los brazos queridos!

    Los barcos cuyas velas blanquean en el puerto
    vienen de tierras donde no están los que no son míos;
    sus hombres de ojos claros no conocen mis ríos
    y traen frutos pálidos, sin la luz de mis huertos.

    Y la interrogación que sube a mi garganta
    al mirarlos pasar, me desciende, vencida:
    hablan extrañas lenguas y no la conmovida
    lengua que en tierras de oro mi pobre madre canta.

    Miro bajar la nieve como el polvo en la huesa;
    miro crecer la niebla como el agonizante,
    y por no enloquecer no cuento los instantes,
    porque la noche larga ahora tan solo empieza.

    Miro el llano extasiado y recojo su duelo,
    que vine para ver los paisajes mortales.
    La nieve es el semblante que asoma a mis cristales:
    ¡siempre será su albura bajando de los cielos!

    Siempre ella, silenciosa, como la gran, mirada
    de Dios sobre mí; siempre su azahar sobre mi casa;
    siempre, como el destino que ni mengua ni pasa,
    descenderá a cubrirme, terrible y extasiada.


    Gabriela Mistral, Desolación, Nascimento, Santiago de Chile, 1923.





    DÉSOLATION


    La brume épaisse, éternelle, pour me faire oublier où
    m’a rejetée la mer dans son flot saumâtre.
    La terre où j’ai abordé n’a pas de printemps :
    sa nuit sans fin me couvre comme une mère.

    Autour de mon logis, le vent fait sa ronde de sanglots
    et de hurlements et, tel un fil de cristal, brise mon cri.
    Sur la plaine blanche, à l’horizon sans fin,
    je regarde mourir d’immenses couchants douloureux.

    Qui pourra appeler celle qui est venue jusqu’ici,
    puisque seuls les morts sont allés plus loin ?
    Ils regardent une mer muette et glacée
    s’allonger entre leurs bras et les bras chéris.

    Les bateaux dont les voiles blanchissent le port
    viennent de terres où ne sont pas les miens ;
    leurs hommes aux yeux clairs ne connaissent pas mes fleuves,
    et n’apportent que des fruits pâles, qui n’ont pas la lumière de mes vergers.

    La question qui monte à ma gorge
    lorsque je les vois passer, retombe, accablée :
    ils parlent des langues étrangères, non l’émouvante
    langue que, sur des terres dorées, chante ma pauvre mère.

    Je regarde tomber la neige comme poussière dans la tombe ;
    je regarde s’épaissir le brouillard comme l’agonisant,
    pour ne pas tomber dans la folie, je ne compte pas les instants ;
    la longue nuit ne fait que commencer.

    Je contemple la plaine figée et en recueille le deuil,
    car je suis venue voir les paysages de mort.
    La neige est le visage qui regarde à travers mes vitres,
    sa blancheur descend sans trêve des cieux.

    Toujours elle, silencieuse, ainsi que le vaste
    regard de Dieu sur moi, toujours ses jasmins sur mon toit ;
    toujours, tel le destin égal, présent,
    elle viendra me couvrir, terrible, extasiée.


    Gabriela Mistral, Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, pp. 80-81-82. Préface de Paul Valéry. Traduction de Mathilde Pomès.





    ■ Gabriela Mistral
    sur Terres de femmes


    La cendre
    Cordillera
    L’étrangère
    15 novembre 1945/Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
    un autre poème de Gabriela Mistral (Ausencia)


    Pour lire et/ou écouter d’autres poèmes (en espagnol) de Gabriela Mistral, cliquer
    ICI



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  • Marcel Migozzi | Comment savoir si ton visage te ressemble ?

    «  Poésie d’un jour  »





               Comment savoir si ton visage te ressemble
                Bronze d’Aristide Maillol
                      Action enchaînée, 1918
                     
    Ph., G.AdC






                COMMENT SAVOIR SI TON VISAGE TE RESSEMBLE ?



                Comment savoir si ton visage te ressemble ?

                La ressemblance aurait de toi
                Plusieurs visages ?




                Quand  tes   paupières  font l’extérieur du  bleu   de
                nuit,   facile,   ton visage est aussi le mien.

                Alors  rien  de  moins  connu que  ta  bouche,  dans
                ses nouvelles créations de peau nue, s’approchant,
                penchée,    jusqu’à   l’oblation   de   ma   chair   à   ta
                bouche.

                Mais à la fin,   après la traversée des cernes   succes-
                sifs,   quand on  y arrivera  très  seul,  presque   sans
                corps,  et   silencieux, j’espère  que  ton  visage  sera
                dans le mien de si peu de chair, et le comblera.



                Marcel Migozzi, À qui le corps ?, Tarabuste Éditeur, 2006, page 83.






    MARCEL MIGOZZI


    Marcel migozzi




    ■ Marcel Migozzi
    sur Terres de femmes

    Des heures froides (lecture d’AP)
    [Depuis trois jours vieillir est dépassé] (poème extrait de Des heures froides)
    je dis ce que je vois
    [Quand tu plonges ton visage] (poème extrait de Des jours, en s’en allant)
    [Voici que maintenant…] (poème extrait de Vers les fermes, ça fume encore)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Marcel Migozzi
    → (sur le site du cipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Marcel Migozzi
    → (sur Poètes au potager)
    une page Marcel Migozzi
    → (dans La Gazette du Basilic, 6)
    un entretien d’Alain Freixe avec Marcel Migozzi



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  • Élisabeth Chabuel | Intime violence

    «  Poésie d’un jour  »

    Ciel de nuit noire
    Aquatinte numérique, G.AdC






    INTIME VIOLENCE



    1


    Ciel étoilé
    Ciel d’étoiles étoilé
    ciel de nuit noire
    et sol crisse blanc
    Ciel noir et nuit d’hiver
    Dis oui
    Froid sur la peau me cingle la figure
    et les doigts dans la glace
    M’aveuglent
    cristaux de bruine




    2


    M’a dit

    Accepte
    ou passe ton tour
    Dis oui ou renonce




    3


    M’a dit : Accepte
    Qu’un mot à dire M’a dit
    ou geste Signe du regard
    Hausser le sourcil
    Sourire Et dans l’œil Petit faisceau
    Petit faisceau pique la chair
    Ou geste de bouche
    Petit faisceau pique la chair
    Petit faisceau Et salivera




    4


    Ciel étoilé
    Ciel d’étoiles étoilé
    ciel de nuit noire
    et sol crisse blanc
    Ciel noir et nuit d’hiver
    Froid sur la peau me cingle la figure
    et les doigts dans la glace
    M’aveuglent
    cristaux de bruine
    Givrent mes membres



    Élisabeth Chabuel, Intime violence, La Petite Fabrique, 38760 Varces, 2009. Empreinte Élisabeth Bard.






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel portrait
    Source





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Et ils sont (extrait)
    Veilleur (note de lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




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  • Arnaud Beaujeu | « La lumière et les mots »

    «  Poésie d’un jour  »



    Cadenas6
    Ph. angèlepaoli







    LA LUMIÈRE ET LES MOTS




    Dans la fumée tu disparais, dans ses volutes blanches. Ton bras n’est que
    nuée, ton visage est immense, ton épaule s’efface au masque d’évidence


    Tu passes sous la croix dans l’herbe desséchée, contournes la chapelle,
    par le petit sentier, disparais dans les prés


    L’eau verte qui t’appelle, verte l’obscurité, et dans sa profondeur je
    t’aperçois perché à l’aplomb du rocher



    Dans le chaos des pierres, les galets la rivière, les arbres argentés, les
    roches la lumière, l’ombre le défilé. Dévalant le pierrier parmi les
    aubépines, le ciel a rétréci, le vallon s’est fermé


    crois-tu que je puisse traverser la rivière en suivant cette branche et
    jusqu’à ce rocher ?


    Entre un banc de galets et l’onde glacée



    Le cadenas rouillé sur la porte de bois ne se rouvrira pas
    la maison est fermée
    tu descends l’escalier une dernière fois
    le temps s’est arrêté dans le micocoulier
    et les voix se sont tues
    sur la pierre une date
    c’est en mil huit cent vingt que le temps fut scellé
    assis au bas des marches
    tu regardes le chien qui regarde les marches
    le chemin est laissé aux herbes à l’obscur
    aux mimosas bleutés
    tu t’en vas dans l’allée qui descend vers la mer
    où tout va s’oublier



    De ce feu dans la nuit l’ombre nous est donnée
    Par-dessous les étoiles ― nous franchissons le pont
    Quand nous nous retournons les braises s’enflamment




    Arnaud Beaujeu, « La lumière et les mots », in Revue NU(e) N° 42, « Anthologie », novembre 2009, pp. 36-37-38-39.




    ARNAUD  BEAUJEU


    Arnaud Beaujeu





    ■ Arnaud Beaujeu
    sur Terres de femmes


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    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Recours au poème)
    Arnaud Beaujeu, Fleur d’encre (+ une notice bio-bibliographique)



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  • Cordesse, Notes d’esprit

    «  Poésie d’un jour  »


    NOTES D’ESPRIT




    rejoindre lentement, seule chose positive, le cœur des ténèbres
    Ph., G.AdC



    Sans date


    Comment définir le ciel au crépuscule lorsqu’il s’immobilise et descend, lorsqu’il se fige en mouvement. Impossible de l’observer. Nous ne pouvons le percevoir que par intermittence, par succession d’images qui restent très fugitives comme autant de diapositives. Ses couleurs n’apparaissent pas, aucune couleur ne reste imprimée sur la pellicule transparente de l’horizon. Seul un pastel innommable, sans adjectif, pourrait traduire ces mélanges de couleurs infirmes à la rétine de l’œil humain. De même les nuages, mais faut-il les nommer ainsi, adoptent les formes de notre esprit sans laisser de pose nécessaire à l’impression et s’évadent de l’espace pour fuir un temps qu’ils ne reconnaissent pas, pour rejoindre lentement, seule chose positive, le cœur des ténèbres. Finalement, il faut bien le reconnaître. Seule la nuit, la nuit autorise, les mots à sortir de notre bouche pour dire les beautés de nos jours incertains.






    Il eut fallu tenir le schiste pour ne pas prendre ce bateau pour un gîte.
    Ph., G.AdC






    1001


    Sous une nuit mélancolique d’étoiles, j’ai rejoint la maison du berger. J’ai ôté mon manteau (de laine) et me suis adossé à la porte (fermée), sur le seuil. La fougère, douce, roulait ses étincelles sur le vallon. Il eut fallu tenir le schiste pour ne pas prendre ce bateau pour un gîte. Mais je n’en avais pas la force. Tourné que j’étais vers les fabuleux nuages, à ne rien suivre (qu’elle). L’instant d’éternité semblait tenir sur cette cime, là-bas, dans une immatérialité silencieuse. Par la beauté, je n’ai pas pleuré (je suis demeuré de marbre). Sur une symétrie singulière, le trait venait de toucher la sphère. Elle était là sans que je l’eusse aperçue. La perle du troupeau glissa à l’heure dans mon sac. J’ai fermé les yeux une dernière fois. Je me suis levé. Il était temps que je parte.



    Cordesse, Notes d’esprit, Journal poétique, Les Éditions du Petit Pois, Béziers, 2009, pp. 1 et 14.







    Notes d'esprit
    Ph.© Sarah Foliard






         Professeur et poète, Cordesse a créé cette année sa maison d’édition, sise à Béziers. C’est avec les Notes d’esprit, Journal poétique (dont je donne ci-dessus deux extraits) que Cordesse inaugure Les Éditions du Petit Pois. Ce joli livre ― sous jaquette à double rabat, d’un petit format carré, imprimé sur papier couché d’un fort grammage agréable au toucher, et à l’élégante et sobre mise en pages ― est accompagné d’un CD. On y retrouve, lus par Cordesse, sept textes issus de l’ouvrage. Le poète est accompagné à la guitare et à la guitare basse par Laurent Azelvandre et, au piano et à l’orgue, par Jean-Pierre Numa.
         Ces Notes d’esprit, quinze textes brefs, combinent avec délicatesse ― et parfois fantaisie ― notes de journal et poésie. Des notes à savourer dans le silence et le presque recueillement.

    A.P.

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  • Guillevic, Carnac

    traduit en corse par Francescu-Micheli Durazzo

    «  Poésie d’un jour  »


    Carnac 2







    CARNAC



    Mer au bord du néant,
    Qui se mêle au néant,

    Pour mieux savoir le ciel,
    Les plages, les rochers,

    Pour mieux les recevoir.




    Femme vêtue de peau
    Qui façonnes nos mains,

    Sans la mer dans tes yeux,
    Sans ce goût de la mer que nous prenons en toi,

    Tu n’excéderais pas
    Le volume des chambres.



    La mer comme un néant
    Qui se voudrait la mer,

    Qui voudrait se donner
    Des attributs terrestres

    Et la force qu’elle a
    Par référence au vent.




    J’ai joué sur la pierre
    De mes regards et de mes doigts

    Et mêlées à la mer,
    S’en allant sur la mer,
    Revenant par la mer,

    J’ai cru à des réponses de la pierre.




    Ils ne sont pas tous dans la mer,
    Au bord de la mer,
    Les rochers.

    Mais ceux qui sont au loin,
    Égarés dans les terres,

    Ont un ennui plus bas,
    Presque au bord de l’aveu.




    Ne te fie pas au goémon: la mer
    Y a cherché refuge contre toi,
    Consistance et figure.

    Pourrait s’y dérouler
    Ce qu’enroula la mer.




    Eugène Guillevic, Carnac, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1961, pp. 7-8-9-10-11-12.







    CARNAC



    Mari in taddu di nudda,
    Chì s’abbulighja à a nudda,

    Da sapè meddu u celi,
    I marini ed i scodda,

    Da riceva li meddu.




    Donna vistuta à a peddi
    Chì ci forma i mani,

    Senza u mari in l’ochja,
    Senzu u muscu di mari chì no’ piddemu in tè,

    Ùn tracuddarii micca
    U volumu di i stanzi.




    Mari quant’è una nudda
    Chì vurria essa u mari,

    Chì vurria da sè
    Attributa tarrani

    È quidda forza a soia
    Pà rapportu à u ventu.




    Aghju ghjucatu annant’à a petra
    Cun i sguardi ed i dita.

    È aghju meschju u mari,
    Bughendu annant’à u mari,
    Bulendu subra u mari,

    Aghju cretu ch’iddi fussini i risposti di a petra.




    Ùn si ni stani tutti indrint’à u mari
    O in taddu di mari,
    I scodda.

    Quiddi chì sò luntani,
    Smarsi in mez’ad i terri,

    T’ani una noia bassa,
    Quasi in orlu di labbri.




    Ùn ti fidà di l’alga: u mari
    Contr’à sè stessu ci s’hè trovu agrottu,
    Cunsistenza è figura.

    Ci si pudaria sbucinà
    Ciò chì lu mari imbucinò.




    Eugène Guillevic, Carnac, traduction inédite de François–Michel Durazzo.
    D.R. Texte Francescu-Micheli Durazzo






    ________________________________________
    NOTE d’AP :



    Source



         François-Michel Durazzo, professeur agrégé de lettres classiques, poète de langue corse et traducteur spécialisé dans toutes les langues romanes, m’a tout récemment fait parvenir la traduction qu’il a faite en langue corse des quarante premières pages-strophes du poème Carnac, d’Eugène Guillevic. À l’extrait (les six premières pages-strophes) que j’ai sélectionné ci-dessus, je joins ci-dessous l’avant-propos en langue corse qui accompagnait cette traduction. J’adresse à François-Michel Durazzo tous mes remerciements pour ce bel hommage à Eugène Guillevic et à son épouse Lucia Albertini
    .




    Guillevic da Aiacciu à Carnac



         Eugène Guillevic viaghja à traversu à a midità di u seculu scorsu cù una boci unica. Ghjunghji quandu u surrialisimu t’hà piddatu a suprana è imponi a materia, a rialità pagna, micca quidda di l’imaghjinariu, ma a tarra, u sintimu quasi panteistu di a tuttalità sacra chì ci campa in centru. Senza furia, trapanighja u silenziu, pocu è pocu lu sculpisci, da Terraqué (1946) sin’à a morti in u 1997. Di l’omu natu in Carnac in u 1907, paisaghju stantaratu in a mimoria zitiddesca, sapemu chì mezu da scodda à mari, bosca à machja, stantari à stazzoni, li hè fermu impressu nant’à u marmaruculu u sintimu fundiu di l’itarnità, ghjuntu in a cuntimplazioni di l’uceanu brittonu chì ni licca i scodda è mughja n’u ventu. In quidda tarra sacra di fini di lu mondu, i maestri minavani à i sgaiuffa quand’in iscola li scappaia calchì parolla brittona. À Guillevic ùn li fù imparata issa lingua materna, a sintia è basta, masimu quandu i ghjinitori ùn vuliani chì i fiddoli capissini. A famidda era povara, u babbu era ciandarmu è ci vulia à sfrancisà da pudè finiscia un ghjornu issa vita galiriana. Di issi tempa duri, Guillevic rammenta in Vivre en Poésie i stundi di libartà in paesi incù i pochi ziteddi chì parlaiani francesu, i petri, l’arba è a filetta. S’inveni di i funtani di granitu; in taddu di strada, cù i so cruci, pieni ad alghi ed à catedda.

         À i dodici anni di u fiddolu crisciutu trà i stantari celtichi, u babbu fù trasfiritu dopu à a prima guerra in Ferrette (Alsazia). Altra tarra, altra lingua. Guillevic imparò, in issa tarra francata da pocu di l’Imperu tadescu, l’alimanicu cun i novi cumpagni, mentri chì u francesu firmaia a lingua di scola, una lingua chì li paria sacra, ghjeratica, riservata à l’impiigati è à u sapè. Rammenta chì in iscola dui cosi erani proibiti “parlà brittonu è sputà in tarra,” dui piccati chì dicini assa’ u disprezzu d’una volta. È v’eccu chì i puisii imparati à menti li palisavani un’antra lingua: “u ghjeraticu inde u ghjeraticu. Fù ciò chì mi piacì. […] C’era una lingua vulgari è una lingua da la ghjenti di tonu, u fiori di a sucità. […] È al di là di issu francesu, c’era un’antra lingua, quidda di u puemu. Mi li parsi chì incù una curdetta si facia un fil di farru. […] U versu era una lingua tesa chì ùn si pudia cambià. Una cosa solida. Com’è a petra. Sempri mi piacì a petra. Trà petra è versu, c’era una leia.” Tamanti sforza da ammaistrà la, issa lingua biniditta, chì t’avia da essa un ghjornu a lingua di a litaratura, dopu a lingua di u pani. Più di una volta dissi u pueta chì u francesu sempri li fù stranieru, è chì sinu à a so morti aprì u so Larousse da rileghja u sensu ghjustu di i parolli più semplici: pierre, chanter, aimer…

         Podarsi chì sighi pocu utuli à traducia puisia francesa in corsu! Ma in stu casu quì si tratta di l’iniziu di una puisia scritta in Aiacciu circa u 1960, chì si chjama propriu Carnac, u paesi natali. V’eccu u nosciu pueta chì fighjula u nosciu Miditarraniu, è da u so balconu aiaccinu senti com’iddu tracodda ad empia u volumu di a stanza d’albergu. A prima discrizzioni è propriu quidda di u mari nustrali, un mari universali chì pocu è pocu ammenta l’uceanu brittonu. Com’è dici dinò u stessu Guillevic, in issu chjama è rispondi incù Lucia Albertini, a moglia corsa: “crergu chì u paisaghju internu di u pueta hè filigranatu da i ricorda di zitiddina, parchì hè propiu u locu induva li si palesa u mondu, è ancu quì ebbi i so primi rapporta faciuli, strani o incuriusiti incù a lingua, i parolli.”

         Più in là di quist’incruciu pueticu trà petri è mari, venta è tarri, stantari brittoni o corsi, diriu chì u sguardu di u pueta hè sempri internu, leghji è rileghji u mondu cù l’ochja di a zitidddina, di i primi spirienzi. Ad un trattu affacca in mezu à issa discrizzioni u visu di u prima amori, quiddu di una zitedda brittona morta à l’ità di sedici anni. In a cuntimplazioni di u mari, quant’è u visu di a diletta Marie-Clothilde, ci hè issu viaghju in u sintimu d’infinitu, di cummunioni incù a tutalità chì porsi u nosciu mari à u gran pueta.

         À a so cara Lucia, iddu dicia aspissu “u to mari hè un lavu”. È soca a noscia calma chjamava in stu pettu brittonu u ricordu di u marosu, di u so impulsu viulentu è uceanicu. È sì in mezu à u ricordu chjuccutu di l’uceanu, stu palimspestu ci purghjessi u nosciu mari latinu? In sti versa si riflettani dui mari, dui tarri smimuriati, dui monda stantarati, dui ribbali uccidentali volti à punenti, cusì vicini, cusì luntani in un dialogu chì rinova tramindui.


    Francescu-Micheli Durazzo





    GUILLEVIC


    Guillevic_eugene
    Source



    ■ Eugène Guillevic
    sur Terres de femmes

    5 août 1907 | Naissance d’Eugène Guillevic
    A
    À Denise Le Dantec
    Rites




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  • Alda Merini | Mare

    «  Poésie d’un jour  »


    Hommage à la poète italienne Alda Merini, morte le premier novembre 2009, à l’âge de 78 ans, à l’hôpital San Paolo de Milan.





    Alda Merini






    MARE



    Cammino sulle mie acque di donna.
    Ti spiegherò che c’è un mare salato
    eun mare pieno d’amore.
    Lo spartiacque è stata la mia poesia.
    Con quella ho diviso i misteri del mare
    e il mio stesso mistero.
    Però ho capito che nelle piccole cose,
    come la mia modesta maternità,
    esistono mari infiniti.
    Dove si alternano seppie e lacrime,
    cose non viste e grandiosità di Dio.
    Ed ho capito che la poesia è inutile.
    Come la bellezza del mare,
    se non si pensa a chi l’ha creato
    che è un gran mistero.







    MER



    Je marche sur mes eaux de femme.
    Je t’expliquerai qu’il y a une mer salée
    et une mer pleine d’amour.
    La ligne de démarcation a été ma poésie.
    Avec elle j’ai divisé les mystères de la mer
    et mon propre mystère.
    Cependant j’ai compris que dans les petites choses,
    comme ma modeste maternité,
    il existe des mers infinies.
    Où s’alternent seiches et larmes,
    des choses jamais vues et grandeur de Dieu.
    Et j’ai compris que la poésie est inutile.
    Comme la beauté de la mer,
    si on ne pense pas à qui l’a créée
    qui est un grand mystère.



    Alda Merini, Dopo tutto anche te, Après tout même toi, Oxybia Éditions, 06620 Le Bar-sur-Loup, 2009, pp. 80-81. Traduction française de Patricia Dao.






    Alda Merini dopo tutto 2




    ALDA MERINI


    Alda Merini portrait 1 couleur
    Source





    ■ Alda Merini
    sur Terres de femmes


    Après tout même toi | Dopo tutto anche tu
    La Folle de la porte à côté (lecture d’AP)
    [È un petalo la tua memoria] (extrait de La Folle de la porte à côté)
    Ma poésie est vive comme le feu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Il mio primo trafugamento di madre




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Repubblica)
    l’article nécrologique consacré à Alda Merini
    → (sur Danger Poésie)
    Après tout même moi, par André Chenet
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    Après tout même toi/Dopo tutto anche tu
    le site officiel Alda Merini
    → la notice consacrée à Alda Merini dans
    Wikipedia.it (en italien)
    → (sur le site de la revue Conférence)
    Aphorismes & Gri gri d’Alda Merini
    → (sur Fine Stagione)
    plusieurs poèmes d’Alda Merini (avec leur traduction en français)




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  • Sylvie-E. Saliceti | La danse de Sakuntala

    «  Poésie d’un jour  »


    Shakuntala photocolage
    Photocollage, G.AdC, d’après mokshaarts






    M.-C. Pietragalla, Ballet sur Camille Claudel
    Sakuntala, du nom d’une œuvre du sculpteur




    LA DANSE DE SAKUNTALA



    Danseuse de feu, filante en plein zénith.
    Ballerine des sables, ton corps éblouit
    Le mutisme du Ciel ;
    Le ciel qui embrasse, enlace, délasse
    Les moiteurs mordorées
    De ton ventre de miel ;
    Le ciel touche, pose sa bouche, goûte les épices,
    Le blé, le lait et puis les fruits de ta peau de cannelle ;
    Tu valses au creux des bras de la terre
    Qui tourne, tourne, tourne
    L’or fauve du désert ondule
    Près du flot des rivières.
    Les forêts de jouvence jaillissent
    À l’orée des jardins suspendus.

    Sakuntala.




    Sylvie-E. Saliceti in Espace Méditerranéen, Autre Sud, Cahiers trimestriels, n° 44, mars 2009, page 59.





    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    Le batelier
    [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    Couteau de lumière (lecture d’AP)
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    Pépé l’Anguille de Sebastianu Dalzeto (café littéraire à Aix-en-Provence)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La grenade



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