Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • Alain Freixe | Bleu plié au noir

    Topique : Bleu
    «  Poésie d’un jour  »



    Yves Klein by colourlovers.com
    Source






    BLEU PLIÉ AU NOIR


    Ça a toujours déjà commencé, ce bleu. C’est juste après le noir.
    Après son bruit de semelles. Et ses dessous de terre et de boue
    comme grattés sur un paillasson de bout du monde.
    Là où personne ne va.


    À travers ces traces qu’il laisse aux murs comme au ciel,
    j’entends son balbutiement dans les vagues de fleurs blanches où tous les mots écument.
    Dans les tourbillons du soleil. Où les couleurs se noient, ivres de coups.


    Sur les devants fument les brandons calcinés du regard.
    C’est comme quand s’arrondit la véronique sous les mains du papillon et qu’entre
    ses plis et le sable qui se soulève s’engouffre le sang, la salive, la terre et la lumière.
    C’est alors que ça siffle ! Dans l’œil. Et que la pupille ne sait plus qu’entendre du vent sur les étangs gelés ou de la hache qui fend les bûches de l’hiver.


    À même la pâte du vent, l’air qui recule des deux côtés de la lame, lève. Il longe l’abrupt de nouvelles parois. L’escarpé d’anciennes falaises. Le jour en sa pointe.
    Son aigu. Avec tout au bout, le bleu.
    Ce bleu, après noir.


    Ce bleu qui revient mains tendues, paume ouverte. Comme un ciel. Inapaisé.
    Dans les hauts. Dans les trouées. Bleu qui se strie. Fait bande.
    Referme ses angles. Et qui déjà s’incline et disparaît.
    Plié au noir.



    Alain Freixe in Décharge n° 141, L’idée bleue, mars 2009, page 68.






    Yblue
    Source



    Voir aussi

    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours.



    ANTHOLOGIE DU BLEU

    – (sur Terres de femmes)
    Nicolas Charlet/La Trilogie du bleu  ;
    – (sur Terres de femmes)
    Michèle Dujardin/Et bleu est je ;
    – (sur Terres de femmes)
    Olav H. Hauge/Le pays bleu ;
    – (sur Terres de femmes)
    Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu ;
    – (sur Terres de femmes)
    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad ;
    – (sur Terres de femmes)
    All blues ;
    – (sur Terres de femmes. Série Instables a cappella)
    Bleu plexiglas ;
    – (sur Terres de femmes)
    Bleu de Prusse ;
    – (sur Terres de femmes. Série Instables a cappella)
    Blues déjantés ;
    – (sur Terres de femmes)
    L’ombre portée du palmier bleu ;
    – (sur Terres de femmes)
    Plume de geai bleu ;
    – (sur Terres de femmes. Série Instables a cappella)
    Les sons cris du piano bleu ;
    – (sur Terres de femmes)
    2 janvier 1957/Exposition Yves Klein à Milan.






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  • Jacques Ancet | L’identité obscure

    «  Poésie d’un jour  »



    Le long d'une rue et son soleil oblique, on monte, on regarde
    Ph., G.AdC







                               L’IDENTITÉ OBSCURE


                                          CHANT 9



    On tourne, on vire, on a fermé les yeux sans savoir,
    on se tient là au bord des choses, un peu en retrait,
    comme le chêne ou la clôture, le jour posé
    en équilibre, un instant, avant que tout bascule
    sur la pente du soir, le chat qui passe en silence,
    il ne dérange rien, on aimerait être un chat,
    moustaches et pattes blanches sur le fil du présent,
    quelque chose vibre, est-ce son passage ou l’éclat
    brusque des couleurs, on cligne des yeux, on s’arrête,
    sans savoir pourquoi on regarde sur la fenêtre
    le même paysage, avec toute la beauté,
    arbres et ciel sans images, qu’on ne sait pas saisir,
    les doigts croient toucher la table, ils ne la touchent pas,
    on écoute, on ne comprend toujours pas cet appel,
    cette sorte d’impatience parfois minuscule,
    toujours présente, même si c’est un jour de plus,
    le même jour toujours, toujours différent, et l’air
    qui bouge dans les feuilles, la lumière un peu grise
    autour du tronc obscur qui semble ne pas bouger
    mais qui bouge, imperceptiblement, au plus profond
    de sa matière, on ne voit rien et pourtant il bouge
    autant qu’herbe, nuages, corneilles, tout autour,
    mais dans un temps trop lent pour qu’y entre le regard
    et trop rapide pour l’attente de la montagne,
    chacun son rythme, disait l’autre, puisque le monde
    est un faisceau de rythmes croisés entrecroisés
    jamais synchrones, celui de l’étoile et du sang,
    du mur et du vent, du silex et de l’araignée,
    rien ne vibre à l’unisson comme le croient les sens,
    tout s’enfuit, tout diverge, se disperse, s’efface
    dans l’apparente immobilité, le feu crépite
    sous les arbres, on voit les flammes rouges, la fumée
    qui penche avec le vent, on entend le bruit de l’eau,
    celui des feuilles ou des pas qui ressemble à la pluie,
    l’après-midi, on traverse le fleuve des corps
    le long d’une rue et son soleil oblique, on monte, on regarde,
    des marches, on les descend, on s’arrête,
    le ciel est là, sur la fenêtre, mais c’est un autre,
    les mains ne tiennent pas ce qu’elles portent, les doigts
    lâchent toujours leur prise mais la chute est si lente
    qu’on ne la remarque pas, ce qu’on cherche ressemble
    à un peu d’air entré par la porte entrebâillée,
    ou cette goutte de lumière au fond d’un regard
    croisé très vite, comment comprendre que c’est ça,
    on se retourne pour savoir, on suspend un geste,
    trop tard, c’est pour une autre fois, pour jamais peut-être […]



    Jacques Ancet, L’Identité obscure, chant 9 (extrait) in Thauma, Revue de philosophie et poésie, n° 5, « La joie », La Compagnie des Argonautes, février 2009, page 64. Extrait de L’Identité obscure, Éditions Lettres vives, Collection Terre de Poésie, 20213 Castellare-di-Casinca, pp. 55-56-57.




    JACQUES ANCET


    Jacques Ancet
    Source




    ■ Jacques Ancet
    sur Terres de femmes


    [Le chant du même oiseau n’a pas cessé de me poursuivre] (extrait de Huit fois le jour)
    Dans l’indéfini (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’égarement
    [Je cherche] (extrait de L’Âge du fragment)
    Image et récit de l’arbre et des saisons (lecture d’AP)
    Je reviens
    [On dit quelqu’un] (extrait des Travaux de l’infime)
    On voit toujours (extrait de Puesto que él es este silencio)
    Oublier l’heure (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’âge du fragment (extrait de La Vie, malgré)
    [Mais c’est parce qu’il est tard] (extrait de Voir venir Laisser dire)
    14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
    10 décembre 2001 | Jacques Ancet, Un morceau de lumière
    4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Esprits Nomades)
    une page Jacques Ancet
    Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet
    → (sur le site de France Culture)
    Alain Veinstein reçoit Jacques Ancet (Du jour au lendemain, 11 juillet 2011)






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  • Michèle Dujardin | Et bleu est je

    Topique : Bleu
    «  Poésie d’un jour  »



    Bleu est seul, et mauve, et sans écriture
    Ph., G.AdC





    ET BLEU EST JE


    Et bleu est je et le brouillon la non-mesure, au sable premier aspiré retenu, et traces de glu ce faufil sur la mer, la nuit entre les corps désembrassés la nuit cette couture, et la croix, le sel, la différence, alors qu’aux cuisses craque un silence de colle, et que, dans la rature dénouée l’espace même de la fuite s’évase, et s’ouvre bleu
    et bleu est seul, et mauve, et sans écriture, aveugle et nu ruban filé inerte encore, traçoir des pauses, des vides, les absences de la mer ce pli même de faux pas, les nuits du navire je brisé de coque brisé de mât, bleu, grince et vieux, rouille comme sang par saccades s’effondre, ce tombeau que le ressac descelle, au minuit losangé de la cuisse une figure du vertige, et l’autre, elle, avec la mer, aimer c’est traquer infiniment chercher me fouille, plus nue que bleu l’écorché le navire, la nuit, à la proue nos transis de nuits lisses et noires, et sans paupières à jamais couverts, et bleu est seul, de hasard, innombrable la ligne d’horizon bleu-noir, et cette étroite baie d’où coule, immédiat, ma vive, le sang, de mes grandes feuilles à petits carreaux, de mes grandes feuilles à vif dans la résille des bleus, et la mer, glissée menu sous la courbure de la nuit, long de mes feuilles la nuit, fragment des bleus, du grand alambic des bleus ce plain-chant d’écriture, allège, ourle, défait, engendre le sursis dans la sueur et la morsure, du rond des seins à jamais nus, et l’appel même le nom, la dérivée des cris ce grincement sur le cahier, au fer des spirales raclées, infiniment raclées à la mine bleu-noir

    et parler bleu c’est l’impasse taillée à la racine du voyage, l’exil avant la course, l’épuisement, la corruption, la face morte du voyage, parler bleu en lui-même se dévide, enferme et répète la fugue, les ruines circulaires, bleu, l’intense le cœur du songe, comme saisir la nuit par les ailes

    et le jusant des corps et la mer qui repousse, et cette fange gagnant sur le rêche du drap le grenu des genoux, l’usure, bleu se tasse à l’échouage craque, et tremble, sur l’autel une proie silence et nuit terrier, clouée, la peau, la parabole, algèbre rituelle et bleue sous le tranchant de l’ongle, le miroir et les serres, cette lèpre sur le fer des spirales comme un plumage ras, glacé, me bande, m’écartèle, d’âpre et d’aigu déferle paumes ouvertes me sépare, l’infini dans la brèche, delta des sucs le saccage, bleu s’efface, rien, une trame éraillée, et des aubes sans suite

    je tournais, et le dessus de la mer n’avait pas de nom, et des oiseaux guettaient tout de bec et de griffes et de peur immobiles, je tournais, ne trouvais pas de couche dans les chardons sur le sable, et je tournais en levant les bras, et les cris des oiseaux que la mer amplifiait comme une grêle me frappaient à la tête, et je hurlais, par-dessus la rage de la mer prise au piège en ces montagnes je hurlais, je montrais mes blessures, mes rides, mais le vent me fit taire, qui soulevait de la plage un tourbillon d’algues sèches, et je suppliai le ciel et j’eus honte, et pleurai dans mes mains tandis que la mer, toujours, grondait dans sa cage de pierres, et le monde sous mes yeux, dans cette langue indéchiffrable, continuait de s’écrire et me laissait à la nuit, comme un balbutiement, un duvet d’oiseau mort
    la mer tirait comme un linceul sur mes haillons, sur ma soif et ma faim, la femme près de moi marchait encore, endormie et légère sous la lune, traînant dans la cendre et la poussière la soie de sa robe, elle marchait dans la nuit des temps et nous passions enfin, comme un cap, toute parole des prophètes, puis elle dormit, au bord rouge d’une plaie sur le dos de la terre, je m’assis et fis face à la nuit, que je tins dans mon regard et peuplai veillant à ce feu où le jour se rallume
    je pleurai, et, dans mes larmes, le chant parut, la mer sur le flanc des montagnes frappait mes paroles d’échos poisseux, je chantais, il est dit à jamais que cette femme est belle, comme tout ce qui, à jamais, nous demeure perdu, et ce chant me ravit où je la possédais, l’éloignant et la rêvant, plus que dans la caresse, les oiseaux étonnés s’égaillaient vers les cimes, nous étions seuls, et, retenue par mon chant, la raison se figea dans sa chute sans fin, ordonnance fragile, tremblant à la pointe des mots, et je tendis mes mains couvertes de blessures, vers ce point dans le froid où le jour s’étirait


    Michèle Dujardin, abadôn, Éditions du Seuil, Collection Déplacements dirigée par François Bon, 2007, pp. 20-23.






    MICHÈLE DUJARDIN


    ■ Michèle Dujardin
    sur Terres de femmes

    Naissance (anthologie poétique Terres de femmes)


    ■ Voir aussi ▼

    abadôn, le site de Michèle Dujardin
    → (sur le tiers livre)
    un extrait de abadôn
    → (sur Poezibao)
    un autre extrait de abadôn
    → (sur Bleu de paille)
    une note de lecture sur abadôn
    → (sur remue.net)
    un article de Dominique Dussidour sur abadôn




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  • Zéno Bianu | Credo


    «  Poésie d’un jour  »






    Credo
    D.R. Ph. Sarah Foliard






    CREDO
    [EXTRAIT]



    je crois à l’opacité solitaire
    au pur instant de la nuit noire
    pour rencontrer sa vraie blessure
    pour écouter sa vraie morsure

    je crois à ces chemins
    où le corps avance dans l’esprit
    où l’on surprend
    le bruit de fond des univers
    par ces yeux
    que la nuit
    a pleurés en nous
    par ces yeux que la vie
    a lavés en nous

    je crois comme Trakl
    qu’il faut habiter la lumière
    par un long questionnement
    sans réponse

    je crois à Zoran Music
    dessinant ses fagots de cadavres
    sur de mauvais papiers
    trouvant encore la vie
    au fond du désarticulé
    au fond de l’incarné
    au fond de l’éprouvé
    exorciste
    vertical

    je crois aux cassures
    de fièvre
    aux sursauts de nuit
    aux césures de nerf

    je crois
    qu’il faut prendre appui
    sur le vent
    s’agenouiller en mer
    et se vouer
    à l’infini



    Zéno Bianu, Infiniment proche (poème), Éditions Gallimard,
    Collection L’arbalète, 2000, pp. 122-123-124.






    ZÉNO BIANU


    Zeno Bianu 2
    Source




    ■ Zéno Bianu
    sur Terres de femmes


    Du plus loin… (extrait de Fatigue de la lumière)
    Bleu Haïku (extrait de Petit éloge du bleu)
    Miroir de tous les doubles (extrait de Satori Express)
    Zéno Bianu | Yves Buin | [Musique antérieure de l’origine océane] (extrait de Santana de toutes les étoiles)






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  • Juan Manuel Roca/Monologue du temps

    «  Poésie d’un jour  »





    Juan Manuel Roca  photocollage
    Photocollage, G.AdC





    MONÓLOGO DEL TIEMPO

    El tiempo cumple con recordanos su paso
    De maneras elusivas: es el suyo
    Un ábaco con cuentas de granizo
    Bajo el sol de los trópicos.
    Así, el viejo que vuelve en tren a su patria
    Cae fulminado en un pasillo del vagón. Ahora
    Su patria es el olvido. Todo, en un guiño de tiempo.
    Yo tuve una mujer construida para el siempre,
    En su dorada cabeza siempre hacía verano.
    La esperaba en las citas con paciencia de nube,
    Y no sé si murió a tiempo o a destiempo,
    Si se fue la víspera del día.
    Se me han ido los anõs tratando de aprender
    A caminar entre los hombres.
    Como un ángel custodio de mi cuerpo,
    Agua o arena entre los dedos, oigo cruzar el tiempo,
    Fantasma que galopa en yegua blanca.




    MONOLOGUE DU TEMPS

    Souvent le temps se charge de nous rappeler
    De manière élusive qu’il passe,
    Abaque aux boules de grêle
    Sous le soleil des tropiques.
    Ainsi, le vieux qui rentre en train dans sa patrie
    Tombe foudroyé dans un couloir du wagon. Désormais
    Sa patrie est l’oubli. Cela, en un battement de temps.
    J’ai toujours eu une femme bâtie pour un toujours,
    Dans sa tête dorée régnait toujours l’été.
    Je l’attendais à chaque rendez-vous avec une patience de nuage
    Et je ne sais si elle est morte à temps ou contretemps,
    Si elle est partie la veille du jour.
    J’ai passé des années à essayer d’apprendre
    À marcher parmi les hommes.
    Comme un ange gardien de mon corps,
    Eau ou sable entre mes doigts, j’entends passer le temps,
    Fantôme qui galope sur une jument blanche.

    Juan Manuel Roca, Monologues, 1994, in Voleur de nuit, Myriam Solal Éditeur, Collection Le temps du rêve, 2009, pp. 42-43. Traduit de l’espagnol (Colombie) par François-Michel Durazzo.




         Juan Manuel Roca est né à Medellín (Colombie) en 1946. Poète et journaliste, il a dirigé le magazine hebdomadaire El espectador. Son œuvre a été récompensée par de nombreux prix dont le Prix National de Poésie Eduardo Cote Lamus (1975), le prix national de poésie de l’Université de Antioquia (1979), le prix national du ministère de la Culture de Colombie (2004), le prix de poésie du monde latino-américain Victor Sandoval (2007), le prix José Lezama Lima – Casa de las Americas (2007), et le prix Casa de América de Poesía Americana (2009). Voleur de nuit (Los ladrones nocturnos) est sa première anthologie poétique en langue française (traduite par François-Michel Durazzo et préfacée par Jean Portante).




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  • Franck Venaille | [J’avais mal à vivre]

    «  Poésie d’un jour  »





    FRANCK VENAILLE
    Image, G.AdC





    [J’AVAIS MAL À VIVRE]




    J’avais
    mal à vivre
    ô
    que j’eus peine
    à trouver mon chemin
    parmi
    ronces et broussailles
    tous ces fruits rouges que je
    cueillais
    avec élégance
    avant
    de leur confier
    écrasé dans ma paume
    mon
    désespoir d’enfant.




    Franck Venaille, Ça, Mercure de France, 2009, page 81.








    ■ Franck Venaille
    sur Terres de femmes


    [Ce que je suis ?] (extrait de C’est à dire)
    Dans le sillage des mots (extrait de C’est à dire)
    [J’attendais] (extrait de Tragique)
    [On marche dans la fêlure du monde] (extrait de La Descente de l’Escaut)
    [Quand la lumière née de l’estuaire] (autre extrait de La Descente de l’Escaut)
    San Giovanni (extrait de Trieste)
    Un paysage non mélancolique (extrait de C’est nous les Modernes)




    ■ Voir aussi ▼



    → (sur remue.net)
    Au plus près de Franck Venaille, par Jacques Josse






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  • William Carlos Williams | Beauté

    «  Poésie d’un jour  »


    WILLIAM CARLOS WILLIAMS
    Image, G.AdC







    BEAUTIFUL THING


                               Beautiful thing
                                                     ― the whole city doomed ! And
    the flames towering            .

                                                     like a mouse, like
                                                     a red slipper, like
                                                     a star, a geranium,
                                                     a cat’s tongue, or―

                                                     thought, thought
                                                     that is a leaf, a
                                                     pebble, an old man
                                                     out of a story by

                                                     Pushkin              .

                                                                                              Ah!
                                                     rotten beams tum-
                                                     bling,

                                                                 .             an old bottle
    mauled

    The night was made day by the flames, flames
    on which he fed ― grubbing the page
                                                             (the burning page)
    like a worm ― for enlightenment

    Of which we drink and are drunk and in the end
    are destroyed (as we feed). But the flames
    are flames with a requirement, a belly of their
    own that destroys ― as their are fires that
    smolder
                     smolder a lifetime and never burst
    into flame


                                                                                                    Papers
                        (consumed) scattered to the winds. Black.
                        The ink burned white, metal white. So be it.
                        Come overall beauty. Come soon. So be it.
                        A dust between the fingers. So be it.
                        Come tatterdemalion futility. Win through.
                        So be it. So be it.


    William Carlos Williams, Paterson, New York, New Directions Paperbook 806, pp. 116-117. Revised Edition Prepared by Christopher MacGowan.






    L'encre brûlée à blanc, le métal à blanc. Ainsi soit-il.
    Ph., G.AdC







    BEAUTÉ


    Beauté
                                                    ― toute la ville détruite ! Et
    les flammes qui s’élèvent

                                                     comme une souris, comme
                                                     une pantoufle rouge, comme
                                                     une étoile, un géranium,
                                                     la langue d’un chat ou ―

                                                     la pensée, la pensée
                                                     qui est une feuille, un
                                                     caillou, un vieillard
                                                     droit sorti d’une histoire de

                                                     Pouchkine              .

                                                                                              Ah !
                                                     des poutres pourries qui
                                                     s’écroulent,

                                                                                une vieille bouteille
    pulvérisée

    La nuit ressemblait au jour à cause des flammes, flammes
    dont il se nourrissait ― creusant la page
                                                             (la page en flammes)
    comme un ver ― pour mieux comprendre

    Que nous buvons jusqu’à l’ivresse pour être finalement
    détruits (par cette nourriture). Mais les flammes
    sont flammes avec une exigence, une outrance destructrices
    qui leur sont propres ― comme il y a des feux qui
    couvent
                     couvent très longtemps sans jamais
    s’embraser

                                                                                                         Des papiers
                        (consumés) éparpillés au vent. Noirs.
                        L’encre brûlée à blanc, le métal à blanc. Ainsi soit-il.
                        Viens, beauté transcendante. Viens vite. Ainsi soit-il.
                        Poussière entre les doigts. Ainsi soit-il.
                        Viens, futilité déguenillée. Triomphe.
                        Ainsi soit-il.


    William Carlos Williams, Paterson, José Corti, 2005, pp. 126-127. Traduit par Yves di Manno.






    WILLIAM CARLOS WILLIAMS



    ■ William Carlos Williams
    sur Terres de femmes

    17 septembre 1883 | Naissance de William Carlos Williams
    Asphodèle
    20 août 1878 | William Carlos Williams, Paterson
    [The sea that encloses her young body] (extrait de Spring and all)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de José Corti)
    une page consacrée à Paterson
    → (sur poets.org)
    une note bio-bibliographique (en anglais) sur William Carlos Williams
    (+ William Carlos Williams disant A Love Song)
    → (sur Modern American Poetry)
    de nombreuses pages consacrées à William Carlos Williams
    → (sur YouTube)
    William Carlos Williams lisant son poème « To Elsie » (enregistrement du 9 janvier 1942)





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  • Lucien Suel | Sombre Ducasse

    «  Poésie d’un jour  »




    Lucien Suel
    SOMBRE DUCASSE  (version justifiée)


    sombre ducasse des jours et des jours
    des nuits et des nuits je flotte dans
    l’espace je ne peux pas rejoindre mon
    vaisseau ce matin il a gelé à nouveau

    l’air se vicie dans mon scaphandre il
    serait temps que j’arrive ailleurs je
    ne sens plus mes doigts engourdis mes
    poèmes je les écris en plusieurs fois

    je n’ai plus de mémoire vive mon café
    je l’ai laissé beaucoup bouillir dans
    les derniers kilomètres je me déplace
    dans une contrée pour laquelle on n’a
    dressé aucune carte donc je m’allonge
    et j’écoute toute la musique de temps
    en temps des points lumineux glissent
    devant mes yeux J’AI LES YEUX OUVERTS
    Lucien Suel
    entrez dans la danse dans la danse et
    voyez comme on danse sautez dansez et
    embrassez qui vous voudrez je connais
    trop de monde je plane sur une orbite
    géostationnaire ne quittez pas il est
    bientôt trop tard NOUS N’AVONS RIEN À
    PERDRE NOUS N’AVONS RIEN À GAGNER les
    esclaves de nulle part se rincent les
    doigts dans la cuisine prose-épine le
    feu des fusils à canons sciés chauffe




               Lucien Suel




    ils dégoulinent koulaks dans un évier
    planétaire leurs chuchotements impurs
    sont masqués parmi les bruits de toux
    urbaine similaire les justiciers jupe
    relevée pataugent dans les débris des
    assemblages scolaires audiovisuels je
    rêve cette promenade depuis longtemps
    dans des bureaux encrassés leurs murs
    lacérés de graffitis n’est-ce-pas les
    jeunes enfants destinés à l’espace se
    tiennent au courant comprennent toute
    la situation à l’écart du tumulte sur
    la place du village devant les stèles
    […]



    Lucien Suel, Sombre Ducasse in Ivar Ch’Vavar et camarades, Le Jardin ouvrier 1995-2003, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2008, pp. 179-180.



    Ph., G.AdC Photos, G.AdC




    _____________________________________
    Notes d’AP :
    1. j’ai choisi la poésie du jour en souvenir des ducasses de ma grande adolescence valenciennoise et lilloise et de mes très nombreuses années d’enseignement en lycée dans la capitale picarde, Samarobriva ;
    2. le vers justifié est ici un vers qui comporte un nombre fixe de signes (37 dans ce poème) [pour information, en typo, le blanc est aussi un signe]. Une contrainte formelle (écriture arithmogrammatique) que s’est imposée Lucien Suel. Bien évidemment, pour obtenir un vers justifié (ayant strictement la même longueur que ceux qui le précèdent et/ou le suivent), encore faut-il que, dans la police de caractères choisie, chaque signe, quel qu’il soit, occupe une même espace. Sur la Toile, ce n’est vraiment possible qu’avec certaines polices, sauf à tricher par l’ajout d’insécables répartis sur le vers.




    LUCIEN SUEL


    Suel (1)
    Source




    ■ Lucien Suel
    sur Terres de femmes


    [Le terril]
    La Justification de l’abbé Lemire (lecture d’AP)
    29 juin 1878 | Lucien Suel, La Justification de l’abbé Lemire, IV




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    Ivar Ch’Vavar & camarades | Le Jardin ouvrier
    → (sur remue.net)
    Lucien Suel | Ma vie avec Ivar Ch’Vavar
    Silo-ACADEMIE 23, le blog de Lucien Suel
    → (sur la revue x)
    une notice bio-bibliographique sur Lucien Suel
    → (sur le tiers livre)
    tiers livre invite : Lucien Suel
    → (sur blog littéraire)
    Rencontre avec Lucien Suel
    Canchon d’ech’l airignies, une chanson écrite et mise en musique par Konrad Schmitt
    → (sur Wikipedia)
    l’article Ivar Ch’Vavar (rédigé par un proche d’Alain Marc)





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  • Franco Loi | Quan’ seri dent nel büs del mè vurè

    «  Poésie d’un jour  »



    Quan’ seri dent nel büs del mè vurè
    l’era pesant el gram fiadà de l’aria,
    pesant i facc, e scüra la giurnada,
    ma ′dèss che scappa el temp e sunt un alter
    e ′l corp se sfa ′me ′n′ umbra desfujada
    respiri el bèl del vìv cum′ un savè
    che tasta el fiur del nient, i buff de l’aria,
    e vör dumâ fàss respirà di alter.


    Quando ero dentro nel buco dei miei desideri,
    era pesante il gramo fiatare dell’aria,
    pesanti le facce, oscura la giornata,
    ma adesso che fugge il tempo e sono un altro
    e il corpo si sfascia come un’ombra sfogliata
    respiro il bello del vivere come un sapere
    che tasta il fiore del niente, i soffi d’aria,
    e vuole soltanto farsi respirare dagli altri.


    Franco Loi, Poesie, in Poesia e Spiritualità, Semestrale di ricerca transdisciplinare, Anni 1, Numero 2, viennepierre.edizioni, novembre 2008, pp. 44-45.





    1 mon corps se délite  comme une ombre effeuillée
    Ph., G.AdC



    Quand j’étais à l’intérieur du trou de mes désirs,
    le maigre souffle d’air m’était pesant,
    pesants les visages, sombre la journée,
    mais à présent que fuit le temps et que je suis un autre
    et que mon corps se délite comme une ombre effeuillée
    je respire la beauté de vivre comme un savoir
    qui palpe la fleur du rien, les souffles d’air,
    et veut seulement se faire respirer par les autres.


    Traduction inédite d’Angèle Paoli





    Andà me sun lassà a l’aqua ciara,
    al lamped d’un vardà sensa resun,
    ′ me ne buff che vègn dal nient al fiâ de l’ànema,
    un fil che smaja e se desperd nel mund…
    Oh öcc sensa ′n umbrìa, bèj furm del cör,
    nel möess ′na sielina dré del tund
    ne l’aqua sua del ciar me sun cercâ.


    Mi sono lasciato andare all’ acqua chiara,
    alla limpidezza d’un guardare senza ragione,
    come un soffio che viene dal niente al fiato dell’anima,
    un filo che si smaglia e si disperde nel mondo…
    Oh occhi senza ombra, belle forme del cuore,
    nel muoversi una lacrima dietro il piatto
    nell’acqua sua del chiaro mi sono cercato.


    Franco Loi, Poesie, op. cit., pp. 56-57.




    2 un fil qui se dévide et se perd dans le monde...
    Ph., G.AdC



    Je me suis laissé aller à l’eau claire,
    à la limpidité d’un regard sans raison,
    comme un souffle qui du rien arrive au souffle de l’âme,
    un fil qui se dévide et se perd dans le monde…
    Oh yeux sans ombre, belles formes du cœur
    dans le trajet d’une larme derrière l’assiette
    dans le clair de son eau je me suis cherché.


    Traduction inédite d’Angèle Paoli





    Me sun sveliâ’ na nott e gh’era un òm
    che me vardava cume vèss un mort:
    me sun scundü in mì’me dent nel Dòm
    e û cercâ nel sangh la mia parola…
    Ma gh’era nient, gh’era dumâ l’umbrìa
    de quèl vardàm e del sò vèss de tola
    a mia memoria de l’òm che seri stâ.


    Mi sono svegliato una notte e c’era un uomo
    che mi guardava come essere un morto :
    mi sono nascosto in me come dentro un Duomo
    e ho cercato nel sangue la mia parola…
    Ma non c’era niente, c’era soltanto l’ombra
    di quel guardarmi e del suo essere di latta
    a mia memoria dell’uomo che ero stato.


    Franco Loi, Poesie, op. cit., pp. 62-63.




    3 Mais il n'y avait rien il y avait seulement l'ombre
    Ph., G.AdC



    Je me suis réveillé une nuit et il y avait un homme
    qui me regardait comme si j’étais un mort :
    je me suis caché en moi comme à l’intérieur d’un Dôme
    et j’ai cherché ma parole dans mon sang…
    Mais il n’y avait rien, il y avait seulement l’ombre
    de ce regard sur moi et de son être de fer-blanc
    en souvenir de l’homme que j’avais été.

    Traduction inédite d’Angèle Paoli





    FRANCO LOI : NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE



    4 Franco  Loi
    Source



    Sarde par son père, Franco Loi est né à Gênes le 21 janvier 1930, mais sa famille s’est installée à Milan dès 1937, dans le quartier populaire de Casoretto.

    Sa langue poétique témoigne d’un métissage d’éléments linguistiques de nature et d’origine variées, dont le dialecte milanais, dialecte qu’à compter de 1965, il privilégie pour la composition de ses poèmes.

    Franco Loi a commencé à publier tardivement, dans des revues, au début des années 1960. En 1973 a paru la plaquette I cart aux éditions Trentadue, puis en 1974, le recueil Poesie d’amore aux éditions Il Ponte. Préfacé par Franco Fortini, le poemetto Stròlegh, publié chez Einaudi en 1975, apparaît comme une œuvre fondamentale qui puise sa dimension épique aux sources de la mémoire mais aussi dans le contexte prolétarien du Milan de la guerre et de l’après-guerre. Avec Stròlegh, Franco Loi s’est révélé comme une figure centrale de la poésie néodialectale, mais aussi du XXe siècle.

    Parmi ses nombreuses publications, il faut retenir Teater (Einaudi, 1978), Bach (Schweiwiller, 1986), Liber (Garzanti, 1988), Umber (Piero Manni, 1992), L’Angel (Mondadori, 1994), Isman (Einaudi, 2001), Aquabella (Interlinea edizioni, 2004), Aria de la memoria (Einaudi, 2005), Voci d’osteria (Mondadori, 2007).

    Critique littéraire de Il Sole 24 Ore, Franco Loi a aussi assuré, avec Davide Rondoni, la coordination éditoriale d’une anthologie de la poésie italienne de 1970 à nos jours.

    Franco Loi est mort à Milan le 4 janvier 2021.



    ____________
    Note d’Angèle Paoli : j’adresse à Marie Fabre tous mes remerciements pour ses conseils amicaux.



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  • Jacques Dupin | Tendre est la sonorité

    «  Poésie d’un jour  »



    Tendre est la sonorité
    Ph., G.AdC







    TENDRE EST LA SONORITÉ



    Tendre est la sonorité
    de la flèche décochée dans l’eau


    concentration de la folie
    parmi l’espace froissé


    une ombre voyelle se loge
    sous la corde qui se tend


    un théâtre de l’exactitude
    écarte les plis de l’eau




    Jacques Dupin, De nul lieu et du Japon, suivi de Sans rien dire par Emmanuel Laugier, farrago Éditions Léo Scheer, 2001, page 39.







    Un théâtre de l’exactitude écarte les plis de l'eau
    Ph., G.AdC








    JACQUES DUPIN


    Dupin1
    Source




    ■ Jacques Dupin
    sur Terres de femmes

    Jacques Dupin à Privas (+ bio-bibliographie)
    Les graines brûlent sans souffrir
    La mèche
    Pierre de soleil
    4 mars 1927 | Naissance de Jacques Dupin
    22 janvier 1948 | Jacques Dupin, Lettre à René Char



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Jacques Dupin lit des fragments de Fragmes, in Echancré (éditions P.O.L), le 21 avril 2010, lors d’un entretien avec Jean-Michel Maulpoix
    → (sur P/oésie, le blog d’Alain Freixe)
    Entretien avec Jacques Dupin, « sourcier de l’ordinaire éclat »






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