Catégorie : Anthologie poétique « Poésie d’un jour »


  • 27 mars 2012 | Mort d’Adrienne Rich

    Éphéméride culturelle à rebours

    « Poésie d’un jour



    Le 27 mars 2012 meurt à Santa Cruz (Californie) la poète américaine Adrienne Rich.




    Née à Baltimore, dans le Maryland, le 16 mai 1929, Adrienne Rich est la fille de la compositrice et pianiste Helen Elizabeth Rich et d’Arnold Rich, médecin légiste et professeur de médecine. Adrienne Rich est issue d’un mariage mixte : d’un père juif d’origine austro-hongroise et d’une mère élevée dans le culte protestant.

    Encouragée par son père dans sa vocation d’écrivain, Adrienne Rich publie son premier recueil, A Change of World, en 1951, l’année même de l’obtention de sa licence (Bachelor of Arts). En 1953, lors d’un voyage à Florence, la jeune poète découvre qu’elle souffre d’une polyarthrite rhumatoïde.

    La même année 1953, de retour aux États-Unis, Adrienne Rich épouse l’économiste Alfred H. Conrad, qui sera le père de ses trois enfants. Ensemble ils luttent contre l’injustice sociale, pour la défense des droits civiques et pour les droits des femmes. En 1966, le couple s’installe à New York. À l’Université de Columbia, où elle enseigne la poésie, Adrienne Rich va plus avant dans ses engagements. Le couple se sépare. En 1970, Alfred Conrad met fin à ses jours.

    En 1976 commence une nouvelle vie pour Adrienne Rich. Elle vit aux côtés de la romancière et éditrice Michelle Cliff, d’origine jamaïcaine. La même année, Adrienne Rich publie Twenty-One Love Poems. Ensemble les deux amantes dirigent un journal littéraire et artistique lesbien dans lequel publie Adrienne Rich. Dans ses articles, l’essayiste aborde ses thèmes de prédilection : le pacifisme, la maternité, le racisme, la violence exercée à l’encontre des femmes, le féminisme, l’homosexualité… La poète vit à Santa Cruz (Californie) avec sa compagne jusqu’à sa mort.

    « [L]a poésie [d’Adrienne Rich] conserve l’empreinte de son cheminement personnel et politique. Ses poèmes sont, à ses débuts, composés suivant une technique de montage cinématographique, puis sa voix s’affermit, soutenue par sa détermination à « agir d’emblée et ouvertement comme une femme ayant un corps de femme et une expérience de femme. » (Chantal Bizzini)

    « Adrienne Rich parle pour tous ceux qui n’ont pas la parole, par le témoignage ou par la fable ; elle rappelle ce qui a été oublié, réinvente la vie des femmes et des hommes là où leur trace a été effacée. » (Chantal Bizzini)






    HERE IS A MAP OF OUR COUNTRY



    Here is a map of our country :
    here is the Sea of Indifference, glazed with salt
    This is the haunted river flowing from brow to groin
    we dare not taste its water
    This is the desert where missiles are planted like corms
    This is the breadbasket of foreclosed farms
    This is the birthplace of the rockabilly boy
    This is the cemetery of the poor
    who died for democracy     This is a battlefield
    from a nineteenth-century war     the shrine is famous
    This is the sea-town of nymph and story     when the fishing fleets
    went bankrupt     here is where the jobs are     on the pier
    processing frozen fishsticks hourly wages and no shares
    These are other battlefields     Centralia     Detroit
    here are the forests primeval     the copper     the silver lodes
    These are the suburbs of acquiescence     silence rising fumelike

    from the streets
    This is the capital of money and dolor whose spires
    flare up through air inversions whose bridges are crumbling
    whose children are drifting blind alleys pent
    between coiled rolls of razor wire
    I promised to show you a map you say but this is a mural
    then yes it it be     these are small distinctions
    where do we see it from is the question




    Adrienne Rich, An Atlas of the Difficult World: Poems, 1988-1991, W.W. Norton, New York City (NY), 1991, page 6.





    Adrienne Rich  An Atlas of the Difficult World







    [VOICI UNE CARTE DE NOTRE PAYS]



    Voici une carte de notre pays :
    voici la Mer de l’Indifférence, glacée de sel,
    C’est la rivière hantée, coulant des sourcils à l’aine,
    nous n’osons pas goûter son eau,
    C’est le désert, où des missiles sont plantés comme des bulbes,
    C’est le grenier à blé des fermes hypothéquées,
    C’est le lieu de naissance du rockabilly boy,
    C’est le cimetière des pauvres
    qui sont morts pour la démocratie     C’est le champ de bataille
    d’une guerre du dix-neuvième siècle,     la chapelle en est célèbre,
    C’est la ville balnéaire du mythe et de l’histoire,     quand les flottes de pêcheurs
    ont fait faillite,     c’est ici qu’il y avait du travail,     sur le quai,
    on traitait des bâtonnets de poisson congelés, salaires journaliers, sans intéressement,
    Voici d’autres champs de bataille,     Centralia,     Detroit,
    là sont les forêts vierges,     le cuivre,     les gisements d’argent,
    Voici les banlieues de l’acquiescement,     le silence monte des rues,

    comme une fumée,
    Voici la capitale de l’argent et de la douleur dont les tours
    s’enflamment sous les courants inverses de l’air, dont les ponts s’effritent,
    dont les enfants flânent dans des voies sans issue, confinés
    entre les spirales de fils barbelés
    j’ai promis de te montrer une carte, dis-tu, mais c’est une fresque,
    eh bien oui,     il y a quelques petites nuances,
    savoir d’où l’on regarde, c’est la question.




    Adrienne Rich, Un atlas du monde difficile in Paroles d’un monde difficile, Poèmes 1988-2004, éditions La rumeur libre, Série mεtaphrasi | Domaine américain, 2019, page 32. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Chantal Bizzini.





    Adrienne Rich  Paroles d'un monde difficile






    ADRIENNE RICH


    Adrienne Rich
    Source




    ■ Adrienne Rich
    sur Terres de femmes


    Paroles d’un monde difficile, Poèmes 1988-2004 (lecture d’AP)
    From An Old House In America




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La rumeur libre)
    une notice biographique sur Adrienne Rich
    → (sur Poetry Foundation)
    une biographie d’Adrienne Rich
    → (sur Modern American Poetry)
    un ensemble d’articles sur Adrienne Rich






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  • Claire Malroux | Invisible Protée


    INVISIBLE PROTÉE
    (extrait)




    Jour après jour le jour s’absente, nous laisse
    dans une double nuit
    d’où nous pourrions ne jamais revenir
    ni savoir si nous serons où nous étions, sans le fanal
    qui dans l’espace envahi d’épisodes clandestins
    nous guide, et tels qu’en nous-mêmes nous réveille

    C’est que malgré les fleurs et les couronnes
    que sur son lit nous empilons
    le temps est à notre image, quelque chose de nu, sans gloire,
    traversant notre sommeil en fleuve aveugle
    vers nulle mer, comme nous-mêmes, étourdiment,
    dévalons la pente de la vie




    Le temps au miroir du marais s’arrête,
    sourd aux bruits d’alarme, râles de l’herbe tranchée
    par les vaches en exil entre les bras d’eau,
    plongeons de rats musqués, lourds envols de grues,
    grincement sur le sentier de monstres mécaniques
    montrant les dents au promeneur échappé du piège
    des ronces, orties, chardons, bouses d’autres saisons

    Quadrilatères de l’angoisse, humides mouchoirs
    dans l’immense main bleue, ras de terre
    ramenant de tous côtés de l’horizon à la terre
    Seul le tintinnabulement d’une haie de saules
    brise par intervalles l’enchantement immobile
    un son d’aucun monde comme l’envers du vent



    Claire Malroux, « Invisible Protée », Météo Miroir, éditions Le Bruit du temps, 2020, pp. 57-58.





    Claire Malroux  Météo miroir





    CLAIRE  MALROUX


    Claire Malroux 4
    Source





    ■ Claire Malroux
    sur Terres de femmes


    À la poésie (un autre poème extrait de Météo Miroir)
    [Quel que soit son destin] (poème extrait de Soleil de jadis)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Le Bruit du temps)
    la fiche de l’éditeur sur Météo Miroir
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Claire Malroux






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  • Muriel Pic | La neige


    XI LA NEIGE



    Réveillez-vous ! Tout est blanc !
    Les ruches sont pleines de neige.
    Nulle trace, tout est possible encore
    la dictature du temps
    de l’histoire
    rompue comme les rails des chemins de fer.
    Plus rien ne passe et tout se tait.
    Réveillez-vous ! Un folio attend
    votre réveil éblouissant.
    Pour vous seul sans limite
    le blanc sans fin à couvrir.
    Réveillez-vous ! le jour point comme un stylet.




    Muriel Pic, Élégies documentaires, éditions Macula, Collection « Opus incertum » dirigée par Jean-Christophe Bailly, 2016, page 44.






    Muriel Pic





    MURIEL  PIC


    Muriel Pic NB
    Ph. © éditions Macula
    Source





    ■ Muriel Pic
    sur Terres de femmes


    Élégies documentaires (lecture de Gérard Cartier)
    Janvier 2001 | Muriel Pic, Affranchissements




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Macula)
    la fiche de l’éditeur sur Élégies documentaires
    → (sur CCP, Cahier critique de poésie)
    une lecture d’Élégies documentaires, par Jérôme Duwa
    → (sur le site de France Culture)
    Muriel Pic, décrire ou hanter
    → (sur Diacritik)
    Les montages documentaires de Muriel Pic : En regardant le sang des bêtes, par Laurent Demanze
    → (sur etudiants.ch)
    Muriel Pic: Lire est un acte critique, un acte civique (Fragments d’entretien avec Muriel Pic)
    → (sur Babelio)
    une notice bio-bibliographique sur Muriel Pic






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  • Jan Wagner | koalas


    KOALAS



    so viel schlaf in nur einem baum,
    so viele kugeln aus fell
    in all den astgabeln, eine boheme
    der trägheit, die sich in den wipfeln hält und hält

    und hält mit ein paar klettereisen
    als krallen, nie gerühmte erstbesteiger
    über den flötenden terrassen
    von regenwald, zerzauste stoiker,

    verlauste buddhas, zäher als das gift,
    das in den blättern wächst, mit ihren watte-
    ohren gegen lockungen gefeit
    in einem winkelchen von welt: kein water-

    loo für sie, kein gang nach canossa.
    betrachte, präge sie dir ein, bevor es
    zu spät ist – dieses sanfte knauser-
    gesicht, die miene eines radrennfahrers

    kurz vorm etappensieg, dem grund entrückt,
    und doch zum greifen nah ihr abgelebtes
    grau –, bevor ein jeder wieder gähnt, sich streckt,
    versinkt in einem traum aus eukalyptus.




    Jan Wagner, Regentonnenvariationen, Hanser Berlin | Carl Hanser Verlag, München, 2014.





    Jan Wagner  Regentonnenvariationen







    KOALAS



    un seul arbre et combien de somnolence,
    combien de boules de fourrure
    en ses ramures, une romance
    d’indolence qui tout là-haut se tient si sûre,

    tient bon, au bout de quelques griffes
    pour tout crampon, anonymes alpinistes,
    premiers en haut des toits où flûte et siffle
    la forêt tropicale : hirsutes stoïcistes,

    bouddhas à épouiller, plus forts que le poison
    qui dans les feuilles court, vois leurs oreilles d’ouate,
    remparts aux tentations, dans ce buisson
    perdu de l’univers : pour eux, nul wa-

    terloo, pas de voyage à canossa,
    regarde-les tant qu’il est temps, de peur
    d’oublier : retiens ces doux traits cadenassés,
    leur rictus de meilleur grimpeur

    vers la victoire d’étape, à l’aplomb de la terre,
    mais toujours à portée, leur poil gris décati –,
    avant que de nouveau chacun bâille, s’étire,
    pour retourner à son rêve d’eucalyptus.




    Jan Wagner, Les Variations de la citerne, Actes Sud, collection « Lettres allemandes » dirigée par Martina Wachendorf, 2019, pp. 26-27. Poèmes traduits de l’allemand et présentés par Julien Lapeyre de Cabanes et Alexandre Pateau.





    Jan Wagner  Les Variaations de la citerne





    JAN WAGNER


    Jan Wagner
    ©Alberto Novelli – Villa Massimo
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Actes Sud)
    la fiche de l’éditeur sur Variations de la citerne (+ un autre extrait)






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  • Jacques Réda | Testament


    TESTAMENT
    (extrait)




    Il se peut que la Muse rie
    Elle-même, sous ces rameaux
    Tirés de la sauvagerie
    Où se cachaient les animaux
    Humains, enfants de la Nature.
    Domestiqué par la culture
    Du savoir, il produit des fleurs
    Presque toutes de rhétorique :
    Même le poète lyrique
    Se tient au rang des bateleurs.

    Il a fallu l’énorme orage
    Orchestré par Victor Hugo
    Pour retrouver un peu la rage
    Saine du Franc, du Hun , du Goth ;
    L’amertume de Baudelaire,
    L’impatience et la colère
    De Lautréamont et Rimbaud
    Qui, précipitant le ravage,
    Mirent la parole sauvage
    En désaccord avec le Beau.

    Ainsi qu’en somme au siècle Seize,
    On crut pouvoir l’aménager
    D’abord comme un parc à l’anglaise,
    Ici verger, là bocager
    Puis, de Marot jusqu’à Malherbe,
    On vit graduellement l’herbe
    Des sous-bois tourner au gazon,
    Les layons se border de chaînes,
    Fûts des hêtres et troncs des chênes
    S’aligner comme en garnison,

    Le plus souvent douze par douze
    Au garde à vous ou paradant
    Tout au long de chaque pelouse
    Où les causeurs, en bavardant,
    Démontraient ainsi que leur monde,
    Quand on le surveille et l’émonde,
    Est bien à coup sûr le meilleur :
    Un univers où tout gravite
    Autour du Soleil dont l’orbite
    Tient clerc, serf, prince et rimailleur.

    […]

    Mais quand la langue se rebelle
    Contre elle-même, par dépit,
    Elle qui fut hardie et belle
    Et ne connaît plus de répit
    Qu’elle ne trouve un artifice
    Ou ne consente un sacrifice
    Qui mime ses premiers élans
    Et le naturel de ses charmes,
    Elle sent croître ses alarmes
    Enchérit sur les insolents :

    Se farde à l’excès, se débraille,
    Jure, fume, rote, boit sec,
    Prend des poses à la canaille
    Comme les filles de Lautrec ;
    Ivre, au besoin, se prostitue,
    Rigole, insulte, s’évertue,
    Faute de plaire, à faire peur
    Avec des mines de sorcière
    Et, dans la fange ou la poussière,
    Prend pour extase sa stupeur.

    Mais sait-on ce qu’elle y contemple ?
    D’aucuns disent : c’est l’Absolu.
    D’autres la donnent en exemple
    D’un temps désormais révolu :
    La poussière qu’elle va mordre
    Est tout ce qui reste d’un ordre
    Dont le poète a secoué
    Le joug. Donc que nul ne s’encombre
    Du vieux rafiot vers qui sombre :
    Seuls des gâteux l’ont renfloué.

    Allons, la rime, à quoi ça rime ?
    Que chaque horrible travailleur
    Qu’elle veut charmer la réprime,
    Le pire y sera le meilleur.




    Jacques Réda, « Testament », Le Testament de Borée, Fata Morgana, 2020, pp. 37-40.





    Jacques Réda  Le Testament de Borée





    JACQUES RÉDA


    Jacques_reda_sete_20150726 (1)
    Jacques Réda
    Sète, festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée
    31 juillet 2015
    Ph. ©Pierre Kobel






    ■ Jacques Réda
    sur Terres de femmes


    24 janvier 1929 | Naissance de Jacques Réda
    L’aurore hésite
    La course
    L’homme et le caillou
    4 mars 1970 | Jacques Réda, Il s’est mis à neiger (hommage à Jean-Philippe Salabreuil)




    ■ Voir aussi ▼


    le site Jacques Réda
    → (sur Terres de femmes)
    Bernadette Engel-Roux | Le nom des choses [Une lecture de Jacques Réda, extrait]






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  • Ananda Devi | [En apnée]


    [EN APNÉE]



    En apnée

    Parce qu’il m’est trop lourd de respirer ce qui n’existe plus
    Parce que ce ne sont pas les poumons mais la mémoire
    qui respire

    Les souvenirs ne nourrissent pas leur femme – ils
    la dessèchent – la font de paille et d’orge – un pain
    quotidien d’amertume

    Ne me buvez pas : le goût frelaté de la mort rôde.



    En apnée

    Parce qu’il arrive que l’air oublie son rôle, se raréfie

    Comme s’il se croyait au sommet de l’Annapurna ou de
    la Nanda Devi

    Hélas je grouille plus bas que l’air, plus bas que la terre,
    plus bas que la mer


    L’île est une presqu’île rattachée par les pieds à une barre
    de fer rouillée
    qui traverse nos douceurs pour nous dire : souvenez-vous.



    En apnée

    Comme si au bord du Gange ou du Grand Bassin tu
    aspirais les chants liturgiques

    qui promènent dans ton corps l’indécence des croyances,
    celles qui, toujours, te trahissent

    te font croire aux grandes puissances des mères et des
    pères

    avant de les dissoudre en poussière


    Tu sais que respirer c’est t’emplir de la suie des vies

    dont il ne reste plus rien que la langue des flammes

    corps qui se disloquent, chœurs entonnés par les cloches

    vêtus de jaune vêtus de noir vêtus de blanc

    le Gange ne s’arrêtera nulle part, ni pour les prieurs ni
    pour les mourants

    encore moins pour les absents

    remonter le Gange c’est remonter à la source du vivant

    avant n’était que chant – ils ont chanté avant que de savoir

    et ils sont oublié avant que d’être

    et ils sont morts avant que de devenir

    et ils ont disparu lorsque

    la dernière cloche a sonné.




    Ananda Devi, Danser sur tes braises suivi de Six décennies, éditions Bruno Doucey, collection « L’autre langue », 2020, pp. 40-42.





    Ananda Devi  Danser sur tes braises





    ANANDA DEVI


    Ananda Devi 3
    Source





    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la notice de l’éditeur sur Danser sur tes braises
    → (sur YouTube)
    Ananda Devi, 5 Questions pour Île en île
    le site officiel d’Ananda Devi






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  • Christine Girard | [être là]



    Ruines  pp. 16-17
    Christine Girard, Ruines, éditions Faï fioc, 2018, pp. 16-17.






    [ÊTRE LÀ]



    être là, écouter tout ce qui bruit dehors dedans tout ce qui bruit, le rire lointain d’une enfant qui joue, l’araignée endormie dans sa toile, le claquement d’un volet qui bat au vent, les dépouilles de plastique accrochées aux branches, la balançoire qui s’agite et s’essouffle, être là, s’émouvoir du souffle sourd qui respire, du souffle sourd qui s’amenuise doucement



    Christine Girard, Ruines, éditions Faï fioc, 54200 Boucq, 2018, page 29.





    Christine Girard  Ruines





    CHRISTINE GIRARD





    ■ Voir aussi ▼


    le site des éditions Faï fioc
    → (sur le site de Terre à ciel)
    un entretien de Sophie G. Lucas avec Jean-Marc Bourg des éditions Faï fioc
    → (sur Poezibao)
    un lecture de Ruines par Régis Lefort






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  • Marie-Claire Bancquart | [Ces gants anciens]


    [CES GANTS ANCIENS]



    Ces gants anciens sentent l’iris
    et la prière
    d’une jeune femme à qui Dieu indiffère
    mais non pas le jour qui verrait le calme entrer
    dans son cœur.

    Dieu, cet inconnu,
    pourrait être l’arbre du jardin
    ou tel nuage
    traversé d’oiseaux.

    Mais Dieu
    n’est-il pas le nom le plus connu, le plus probable,
    donné à nos désirs ?




    Marie-Claire Bancquart, De l’improbable, précédé de Mo(r)t, éditions Arfuyen, collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 242, 2020, page 38. Postface d’Aude Préta-de Beaufort.





    Bancquart  improbable





    MARIE-CLAIRE BANCQUART


    Marie-Claire Bancquart
    Image, G.AdC





    ■ Marie-Claire Bancquart
    sur Terres de femmes


    Intervalle (extrait d’Avec la mort, quartier d’orange entre les dents)
    Buis
    Liturgique (poème extrait de Dans le feuilletage de la terre)
    Ressac (autre poème extrait de Dans le feuilletage de la terre)
    [Habiter l’herbe et le trèfle] (poème extrait de Figures de la Terre)
    Figures de la Terre (lecture d’AP)
    Impostures (lecture d’AP)
    [Comment vivre dans une maison sans jardin] (extrait de Qui vient de loin)
    [Qu’avez-vous fait] (extrait de Terre énergumène)
    [Il y a du jeu] (poème extrait de Tracé du vivant)
    [Une ville aimée luit et crie] (autre poème extrait de Tracé du vivant)
    [Toi, l’herbe] (poème extrait de Violente vie)
    Violente vie (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    En Angleterre
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Marie-Claire Bancquart (+ un poème issu du recueil La Mort, quartier d’orange entre les dents)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur De l’improbable de Marie-Claire Bancquart
    le site personnel de Marie-Claire Bancquart
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Marie-Claire Bancquart, vers une incertitude sereine, par Roselyne Fritel






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  • Adeline Baldacchino | [De l’autre côté de la nuit]


    [DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA NUIT]



    De l’autre côté de la nuit c’est comme
    le revers invisible d’une île au petit matin
    la mer l’entoure et tu ne vois que la côte
    sous le vent que ses flancs dénudés
    son âme mise à nu tandis que son corps
    défendu se dérobe
    et tu descends longtemps parmi les pins
    tu dois descendre plus bas pour
    atteindre la plage où l’on se délivre
    des premières énigmes
    et le grand nuage liquide
    de la mer y dévoile enfin son secret.




    Je sais que tu sais que l’on sait
    qu’ailleurs dans le monde à deux pas
    peut-être même derrière la porte
    à côté de la nôtre – et l’âne qui braie
    s’en moque éperdument –
    l’on meurt je sais que tu sais
    qu’on passe notre temps sur la terre
    entre deux instants de cristal
    appontés l’un à l’autre malgré
    leurs échardes de diamant noir
    qu’on est venu qu’on repartira qu’il est
    juste l’heure de s’aimer.



    Adeline Baldacchino, De l’étoffe dont sont tissés les nuages, Carnets grecs, éditions L’Ail des ours, Collection Grand Ours/ n°2, 2020, pp. 26-27.





    Baldacchino 1





    ADELINE BALDACCHINO


    Adeline_baldacchino octobre 2017
    Source





    ■ Adeline Baldacchino
    sur Terres de femmes


    Le perroquet à la langue de bois (poème extrait du Chat qui aimait la nuit)
    Théorie de l’émerveil (lecture d’AP)
    Jour 7 (extrait de Théorie de l’émerveil)
    13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver)[lecture d’AP]




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Adeline Baldacchino
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien d’Adeline Baldacchino avec Sabine Huynh (+ 7 poèmes inédits et une notice bio-bibliographique)
    le blog d’Adeline Baldacchino






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  • Kiki Dimoula | La pierre périphrase


    Η ΠΕΡΙΦΡΑΣΤΙΚΗ ΠΕΤΡΑ



    Mίλα.
    Πες κάτι, οτιδήποτε.
    Μόνο μη στέκεις σαν ατσάλινη απουσία.
    Διάλεξε έστω κάποια λέξη,
    που να σε δένει πιο σφιχτά
    με την αοριστία.
    Πες:
    «άδικα»,
    «δέντρο»,
    «γυμνό».
    Πες:
    «θα δούμε»,
    «αστάθμητο»,
    «βάρος».
    Υπάρχουν τόσες λέξεις που ονειρεύονται
    μια σύντομη, άδετη, ζωή με τη φωνή σου.

    Μίλα.
    Έχουμε τόση θάλασσα μπροστά μας.
    Εκεί που τελειώνουμε εμείς
    αρχίζει η θάλασσα.
    Πες κάτι.
    Πες «κύμα», που δεν στέκεται.
    Πες «βάρκα», που βουλιάζει
    αν την παραφορτώσεις με προθέσεις.
    Πες «στιγμή»,
    που φωνάζει βοήθεια ότι πνίγεται,
    μην τη σώζεις,
    πες
    «δεν άκουσα».

    Μίλα.
    Οι λέξεις έχουν έχθρες μεταξύ τους,
    έχουν τους ανταγωνισμούς:
    αν κάποια απ’ αυτές σε αιχμαλωτίσει,
    σ’ ελευθερώνει άλλη.
    Τράβα μία λέξη απ’ τη νύχτα στην τύχη.
    Ολόκληρη νύχτα στην τύχη
    Μη λες «ολόκληρη»,
    πες «ελάχιστη»,
    που σ’ αφήνει να φύγεις.
    Ελάχιστη
    αίσθηση,
    λύπη
    ολόκληρη
    δική μου .
    Ολόκληρη νύχτα.

    Μίλα.
    Πες «αστέρι», που σβήνει.
    Δεν λιγοστεύει η σιωπή με μια λέξη.
    Πες «πέτρα»,
    που είναι άσπαστη λέξη.
    Έτσι, ίσα ίσα,
    να βάλω έναν τίτλο
    σ’ αυτή τη βόλτα την παραθαλάσσια.




    Κική Δημουλά, Από τη συλλογή, Το Λίγο του κόσμου, εκδόσεις Νεφέλη, Ἀθήνα, 1971, in Ποιήματα, Ίκαρος, Ἀθήνα, 2005.





    Kiki Dimoula poiemata







    LA PIERRE PÉRIPHRASE



    Parle.
    Dis quelque chose, n’importe quoi.
    Mais ne reste pas là comme une absence en acier.
    Choisis ne serait-ce qu’un mot,
    qui te liera plus étroitement
    à l’indéfini.
    Dis :
    « en vain »,
    « arbre »,
    « nu ».
    Dis :
    « on verra »,
    « impondérable »,
    « poids ».
    Il y a tant de mots qui rêvent
    d’une vie brève, sans liens, avec ta voix.

    Parle.
    Nous avons tant de mer devant nous.
    Là où nous finissons
    la mer commence.
    Dis quelque chose.
    Dis « vague », qui ne tient pas debout.
    Dis « barque », qui coule
    quand trop chargée d’intentions.
    Dis « instant »,
    qui crie à l’aide car il se noie,
    ne le sauve pas,
    dis
    « rien entendu ».

    Parle.
    Les mots se détestent les uns les autres,
    ils se font concurrence :
    quand l’un d’entre eux t’enferme,
    un autre te libère.
    Tire un mot hors de la nuit
    au hasard.
    Une nuit entière au hasard.
    Ne dis pas « entière »,
    Dis « infime »,
    qui te laisse fuir.
    Infime
    sensation,
    tristesse
    entière
    qui m’appartient.
    Nuit entière.

    Parle.
    Dis « étoile », qui s’éteint.
    Un mot ne réduit pas le silence.
    Dis « pierre »,
    mot incassable.
    Comme ça, simplement
    pour mettre un titre
    à cette balade au bord de mer.




    Kiki Dimoula, Le Peu du monde [Το Λίγο του κόσμου, Ἀθήνα, 1971] in Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2010, pp. 99-100. Traduit du grec par Michel Volkovitch.





    Kiki Dimoula  Le Peu du monde





    KIKI DIMOULA (1931-2020)


    Kiki_dimoula-2
    Source





    ■ Kiki Dimoula
    sur Terres de femmes


    Autoconservation (extrait du Peu du monde)
    Temps allongé (extrait de Mon dernier corps)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de Michel Volkovitch)
    d’autres poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Poetry International)
    dix poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet)
    un article de Jacques Ancet (« Tristesse de fond ») sur la poésie de Kiki Dimoula
    → (sur YouTube)
    Kiki Dimoula lisant Φωτογραφία 1948. Pour lire la traduction cliquer ICI
    → (sur le site du Σπουδαστήριο Νέου Ελληνισμού/Center for Neo-Hellenic Studies)
    trois poèmes de Kiki Dimoula (dont Ο πληθυντικός αριθμός) dits par elle-même
    → (sur YouTube)
    Ο πληθυντικός αριθμός, de Kiki Dimoula, dit et interprété par Τάνια Τσανακλίδου. Pour lire la traduction, cliquer ICI
    → (sur books.google.fr)
    Anthologie de Kiki Dimoula, par Eurydice Trichon-Milsani






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