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du numéro du mois de Mars 2025
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♦ SOMMAIRE DU MOIS DE MARS 2025 ♦
♦ Cartouche du N°242 de Terres de femmes / mars 2025 ♦
Collette Klein / L’Ange des séparations / Lecture de Murielle Compère-Demarcy
Maxence Amiel / Parmi eux
Terres de femmes n° 242 ―Mars 2025
TdF sommaire du mois de Mars 2025 / N° 242
Jacqueline Saint-Jean / Versenvers / Lecture de Marie-Hélène Prouteau
Philippe Leuckx / Petites Notes
Estelle Fenzy / Lisser les pointes (Carnet de collège)
Andrea Thominot / On a peur mais ça va
Jacqueline Saint-Jean / À Versenvers
Ariane Dreyfus | Épilogue
Rose Ausländer | L’île dérive
Antonella Anedda | Avant l’heure du dîner
Angèle Paoil / Éclats d’éclats (01) : Soleil
Esther Tellermann / Selon les sources
Joël Vernet / Copeaux du dehors
Angèle Paoli / Rendez-vous à l'arbre bruyère
Dominique Sampiero / La vie éternelle
Patrizia Gattaceca / L'attesa / L'attente
Guilhem Fabre / Instants éternels
Adrienne Rich / Plonger dans l'épave
Terres de femmes n° 241 ―Février 2025
TdF sommaire du mois de Fevrier 2025 / N° 241
Philippe Forest / Et personne ne sait
Levin Westermann / Parti sans laisser d'adresse
Les lucioles / Nikolaj Zabolotskij
Anna Milani / Cantique du lac
Valérie Rouzeau / La Petite Dame
Angèle Paoli / Vagues en dérive / Sextine ouvrant -Les Feuillets de la Minotaure-
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♦ Tdf sommaire du mois de février 2025 ( N°241 )
♦ Cartouche du sommaire du mois de février 2025 ( N° 241 )
♦ Voir le → répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf
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Jacqueline Saint-Jean, À Versenvers,
éditions Sémaph[o]re, collection Arcane, 2024.
Lecture de Marie-Hélène Prouteau
Ce nouveau recueil de Jacqueline Saint-Jean transporte le lecteur dans la ville mystérieuse de « Versenvers », déjà inscrite dans l’horizon mental de la poète dans textes antérieurs comme « Chemins de bord » et « Le récif ». Le recueil se présente comme une suite en prose poétique que le double exergue de Moon Palace de Paul Auster et du Rivages des Syrtes de Julien Gracq place sous le signe de la ville, de l’errance et de l’énigme.
La marche piétonne de celle qui se nomme au fil du texte « la promeneuse », ou « la voyageuse » emprunte les chemins de traverse de paysages urbains apparemment éloignés, capables d’associer l’Hôtel de l’Ouest à la résonance gracquienne, le Guadalquivir ou la lumière du Tage.
Ce nom curieux, anagrammatique de « Versenvers » figure le lieu de l’imaginaire et de la rêverie qui plonge le lecteur dans l'incertitude et la tension d’un monde intérieur : « On ne sait plus si la ville est un songe », écrit la poète dès les premières pages.
La ville offre un visage composite, une architecture à la Chirico, associant des constructions de pierre, l’Arche, la chambre de veille, le labyrinthe, le grand Sémaphore et « un monde d’eau », selon une toponymie côtière et océane, avec ses visions d’oiseaux, de vent et ses images de mort, tels ces corps de femmes déversés par les marées.
La promeneuse « ourlée d’oubli », prise entre les « embellies » et « le chaos des mondes et des morts » met son ego entre parenthèses et semble de tous les âges. Le déroulé de la temporalité du recueil depuis l’été jusqu’au printemps final semble déployer le cycle symbolique de l’existence et de sa finitude. Tout se passe comme si cette traversée spatiale empruntait les attributs d’une traversée du temps et de soi : « Immobile, face au delta de l’histoire et du songe, elle rêve la fin du voyage en cette plénitude puissante du fleuve qui se donne à la mer, sous le scintillement de l’accompli ».
La promeneuse est tout à la fois de plain-pied avec « la vigie millénaire d’une géante de granit », porteuse d’une mémoire ancienne, et demeure, en même temps, « l’enfant des flaques » d’autrefois, attentive à l’appel de sa mère ou au souvenir du père et de son carnet de guerre.
« Versenvers » est ce territoire métamorphique, discontinu où se joignent le présent, le passé, l’actuel et l’intemporel, un solo de saxophone côtoyant par exemple, de façon anachronique, « le grand Sémaphore de nos odyssées ». Les êtres qui habitent « Versenvers » figures toujours anonymes, convoquent des ombres grises de passants, des cirés anonymes sous la pluie de novembre, ou une passante en pleurs sous un porche, ce qui renforce le sentiment de la quête solitaire de la promeneuse.
La parole poétique s’avance sur une ligne de crête entre l’extase paysagère, celle de cet espace urbain onirique et l’évocation d’un péril signifié par la neige rouge autour d’un cumulus de violence où résonnent d’énigmatiques cris au loin. Mémoire blessée de quels drames ? Nous ne le saurons pas.
Un monde analogique se déploie dans ces pages où le temps sculpte dans le roc d’étranges figures faisant communiquer les règnes, tels les « migrateurs de granit », les « ailes de lichen » ou le « navire minéral ». Le poème en prose s’arrime ici aux mythes et aux immémoriales légendes. Notamment, celle de l’Odyssée, matrice de tout voyage. Ou celle de la matière celtique présente, entre autres, dans la voile noire/ blanche de Tristan,
« Versenvers » est un monde, une île. Dans Spécial Encres vives, la poète l’évoque en ces termes : « le lieu central de l’écriture cherche à créer son propre lieu, le poème se fait « isthme », labyrinthe d’ubac, « Versenvers », île non cartographiée ». « Versenvers » est, selon la formule de Rimbaud, "le lieu et la formule" enfin trouvés.
En ce lieu où la part de la beauté à l’aune du regard fait contrepoint aux alarmes du monde, s’ouvre au lecteur le chemin vers le printemps. Moment symbolique s’il en est, sur lequel se clôt le recueil : "Le jour s’ouvre dans l’espace clair et la promesse des pollens voyageurs".
Ce magnifique hymne païen peut ainsi se lire comme la métaphore de la remontée originelle de l’existence offerte à chacun de nous.
Marie-Hélène Prouteau
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JACQUELINE SAINT-JEAN
■ Sur Terres de femmes▼
→À Versenvers, Collection Arcane, Sémaph[o]re 2024
→ Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie, lecture de Marie-Hélène Prouteau
→ (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Jacqueline Saint-Jean
<<Poésie d'un jour
Photo: G.AdC
Il fait un temps à la Modiano
d’automne et de mélancolie
les âmes sur les tombes
s’émeuvent des fleurs
posées
on parle à mi-voix
comme à de pauvres
malades
les feuilles reposent
on marche par défaut
sinon inadvertance
vers la vie
là au bord des grilles
Sans que la saison l’intime
de changer
la lumière vire d’âme
le temps d’un frisson
le passant s’en défend
l’amoureux transi
le solitaire ardent
que l’automne fane
tout tremblant de pencher
vers cet on ne sait quoi
de prégnant
ce cœur près de flancher
On va jusqu’au jardin
prendre un peu de temps
de thym
et cet air qui semble si léger
qu’il file entre les herbes hautes
l’enfance se tient là
à peine
qui balbutie encore
sur ses pauvres jambes
comme des mots
qui ne sortiraient pas
Poser les mots
en sourdine
presque à l’insu
dans l’inouï
des traces
éclairer la page
de quelque sens
sous la lumière
des signes
et parfois
réussir
ce peu de silence
Philippe Leuckx, Petites Notes, dessin, Christine Valcke, Cahiers du Loup bleu, Les Lieux-Dits 2025, pp.13, 14, 15, 16.
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PHILIPPE LEUCKX
Ph. Christelle Dossche
■ Philippe Leuckx
sur Terres de femmes ▼
→Une rampe de lumière, Oxybia éditions, 2023
→ Ce long sillage du cœur (lecture d’AP)
→ D’obscures rumeurs (lecture d’AP)
→ [Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance](poème extrait de D’obscures rumeurs)
→ [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux](poème extrait de Doigts tachés d’ombre)
→ [On a vécu sous le verre] (poème extrait de L’imparfait nous mène)
→ [On ose à peine la lumière](poème extrait de L’Effeuillement des choses vers les confins)
→ [J’assume mes greniers d’enfance](poème extrait de Maisons habitées)
→ Le Mendiant sans tain (extraits)
→ Nuit close (extraits)
→ Poèmes du chagrin (lecture d’AP)
→ [Tu marches dans ta ville] (poème extrait de Poèmes du chagrin)
→ Piéton de Rome, 13 (poème extrait de Rome rumeurs nomades)
→ [Parfois il est bon de s’égarer](poème extrait des Ruelles montent vers la nuit)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions La tête à l’envers) la fiche de l’éditeur sur Ce long sillage du cœur
→ (sur La Cause Littéraire) une lecture de Ce long sillage du cœur par Patrick Devaux
→ (sur le site de la revue Texture) une lecture de Ce long sillage du cœur par Jacques Morin
→ (sur le site de la revue Texture) une lecture de Ce long sillage du cœur par Michel Baglin
<<Poésie d'un jour
Photocollage : G.AdC
Enseignécrire.
Laisser une trace ?
Éclairer quelque chose ou quelqu’un.
***
Classe difficile.
Le calme devient l’objectif.
Le seul. Sinon rien n’est possible.
Après on verra.
***
Penser. Construire. Stimuler. Échanger.
Transmettre.
Évaluer.
Repêcher. Que la sélection ne soit pas naturelle.
***
Il ne s’agit pas de lenteur.
Plutôt de temps qui manque.
En faire moins mais le faire bien.
***
Se peut-il que les mots soient gardiens
d’une vie, en cultivent les friches, en balisent,
étendent le territoire ?
Qu’ils soient le sens même à donner aux
heures passées à les transmettre, les partager,
à tenter de les aimer ?
***
Ce métier, c’est aller de la réponse à la
question.
***
Le vendredi soir tout s’accélère. S’allonge
aussi.
Les mots ont moins de poids, perdent le chemin
et la cible.
L’heure est volatile, rassemble trente hâtes,
trente fatigues. Un sursaut de bruit et puis,
plus rien.
Vendredi nous mène à l’île, vendredi ou le
nom d’une approche.
***
Rentrer. Enfin. Trouver la maison silen-
cieuse. Écrire un poème. Un temps d’explorer.
Le chemin est immense, il peut n’être qu’un
départ.
Une soif impossible à étancher
***
Savent-ils l’ordre versant de ma vie ?
Le poème à écrire, l’enfant à consoler,
L’amour à faire ?
Imaginent-ils ?
Leur surprise quand je les rencontre dans la
ville ou sur le marché. Cette réaction, joie ou
gêne, de me voir humaine parmi les humains.
À eux, pareille.
Rien qu’une femme croisée dans la rue.
Estelle Fenzy, Lisser les pointes (Carnet de collège), Poésie, Éditions La Part Commune, 2025, pp. 24, 24, 28, 29, 52, 53, 54, 55, 59.
<<Poésie d'un jour
Source → youtube
on a peur mais ça va.
on respire. on fait ce qu’on peut.
on respire
légèrement moins qu’avant,
on respire mal.
on saisit l’air on le met sous la langue
on en garde un peu de côté
pour l’heure du soir où l’on retient son souffle.
oui mais
l’air ne se respire plus vraiment
c’est une distance
qui sert à mesurer le vide.
ici, l’air se lape, se lèche
c’est une blessure ouverte.
**
on a peur mais ça va.
on refait la nuit comme pour la première fois
on reprend tout depuis le début
on recommence sa naissance
étape par étape
le crâne le front les yeux le nez la bouche le menton
où et
comment s’arrange le cœur
à quel moment devient-il autre chose
à quel moment le cri
s’écoute -t-il vraiment
on reprend tout depuis le début
le premier mot
doit-il être prononcé un peu plus fort
le premier mot est-il celui qui reste sur la langue
**
on a peur mais ça va
on respire on a le cœur pour ça.
le cœur et plus et mieux.
on tire la langue on se fait rire
nos dents sont douces.
elles ne nous font plus mal.
on ne se fait plus peur. On parle
on s’écoute parler,
on trouve quelque chose
comme les pierres ont su
trouver le sommet des montagnes.
Andrea Thominot, On a peur mais ça va, Prix de la vocation, Cheyne Éditeur 2023 , pp.7, 43, 60.
♦ Voir la note de l'éditeur → Cheyne
<<Poésie d'un jour
Source : Google image
À Versenvers, l’hiver, le temps court sur
son erre sous le ciel blanc. Sait-on encore ce
qu’on attend ?
Mercurielle la mer aveugle nos amers.
Où chercher la rose des vents ?
On écoute, en basse de soute, l’ébranle-
ment planétaire. Viendra la déferlante, son af-
flux d’ogresse écumante.
Le poème s’enfonce dans son tirant d’ombre.
Quelques mots miroitent comme ablettes
dans les eaux mentales, écailles vives contre
l’avant-sommeil qui nous menace.
Un phare lointain fouille les fenêtres, frôle
les dormeurs de son aile immense, passe et re-
passe à travers nuit, ouvrant un sillage dans
l’infini.
Il réveille les mots de Virginia Woolf, cet en-
fant fasciné par l’œil jaune qui le fixe. Entre
désir et départ, le père est ce mur qu’il voudrait
abattre. De jour en jour la Haute Tour vibre
dehors et dedans, s’approche, s’éloigne à tra-
vers les toisons de brume et d’écume.
Plus tard, à la barre, il saura le réel austère, les
oiseaux fracassés, les parois, les ossuaires.
Présence, absence, un phare double appelle
en toute histoire.
Jacqueline Saint-Jean, À Versenvers, Collection Arcane, Sémaph[o]re 2024, pp.28,, 29.
→ JACQUELINE SAINT-JEAN OU L’AVENTURE D’ÊTRE AU MONDE EN POÉSIE
→ (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Jacqueline Saint-Jean
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SOLEIL
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<< Poésie d'un jour
Image : G.AdC
C’est vrai nous
avions ouvert
les pages
noircies sans
lire dans
les césures ni
les zones grises
l’empreinte
de l’imploration.
Les demeures
où célébrer
le retour
de ce que chacun
supplie.
C’est vrai
je
cherchais
des ombres
derrière les couchants
ceux encore que
je quitte
doucement avec
les anges les
splendeurs fondues
aux mélancolies
arrachent
un commencement
Soudain il pleut
un jour de colère
nous avions voulu
choisir
la forme
et le songe
nous délivrer de la faim.
J’avais voulu
effleurer
la terre
les plaintes de
dessous
là où sommes
presque
mais ne pouvons
reposer.
Là entre
les pôles
avions voulu
tisser
des ciels.
Esther Tellermann, Selon les sources in Choix de poèmes, Éditions Unes 2025, pp.116, 117, 118, 121
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ESTHER TELLERMANN
■ Esther Tellermann
sur Terres de femmes ▼
→ Selon les sources, poésie, Éditions Flammarion 2024
→ Nos racines se ressemblent, Traduction et Reflets de Michael Bishop,
Éditions VVV Editions, 2022
→ Corps rassemblé (lecture d’AP)
→Corps rassemblé, éditions Unes, 2020, pp. 91-94. Vignette de couverture de Claude Garache.
→ [Jours firent de toi ma teinture] (poème extrait d'Afin qu’advienne)
→ Carnets à bruire in Europe, revue littéraire mensuelle, juin-juillet 2011, n° 986-987
→ Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
→ Éternité à coudre (lecture d’AP)
→ [Un écho un roman] (poème extrait d’Éternité à coudre)
→ Voix à rayures (poème extrait du Poème Meschonnic)
→ Première version du monde (lecture d’AP)
→ Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
→ [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
→ Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
→ [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
→ [Puis se ferme | la porte] (poème extrait d’Un versant l’autre)
→ [Onde] (poème extrait de Voix à rayures)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau Recueil) L'indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
→ (sur Remue.net) François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
→ (sur Recours au poème) une lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP
<<Poésie d'un jour
LI
La vie galope vers la mort comme un cheval fou. Suis-je sur ce cheval, aveuglé par sa course ? La vie a faim et soif, veut tout dévorer avant de s’effondrer dans le profond silence. La mort n’a pas de bride, elle fuit et revient, va en tous sens, minaude, lance ses filets dans les recoins obscurs. La mort a des mains plus larges que le ciel et le bleu infini de la peine. Que valent les terrasses ensoleillées sur lesquelles sommeillent des jouets, survivent quelques plantes près du linge qui sèche, où étincellent les mains de femmes le long des cordes qui jouent dans le vent ? Les maris sont partis en haute mer. Toi seul demeures dans une chambre de l’île isolée où tu relis les pages d’un poète. Ce même poète tant admiré pour son silence, qui s’est éteint de vie lasse, congédiant la poésie, toutes les phrases qui n’ont ajouté que du malheur au sien propre, préférant le silence à tout autre chose. Le livre est ouvert au-dessus de la mer. Les pages se tournent sans effort grâce à la brise qui y met tout son cœur. Les lettres noires brûlent au soleil et tu ne lis plus que du blanc sous lequel coule la nostalgie des détresses et des déchirements. Connais-tu le cœur calme, l’âme sans effroi ? La souffrance est un puits où l’on va boire. L’écriture est une épave rouillée dans le sable que l’on découvre par hasard au crépuscule, au détour d’une marche. Les épaves sont un récit exemplaire de l’autrefois et de l’avenir. Elles voilent et dévoilent ; loin d’être muettes, elles parlent à qui passe à leur proximité. Le poète du Nord avait besoin du Sud qu’il a chanté en de brèves phrases qui explosent dans le cœur comme des détonations. Elles traversent la chambre du bruit sourd, puis vont s’éteindre entre les murs, contre les pâles copies de peintres. La voix du poète n’est pas morte, son chant est audible dans ce silence d’outre-tombe. Tu vois les pages une à une que tournent les secondes. Tu lis les signes qui sont comme des fruits que ta main récolte, tandis que ton regard est happé par le bleu de la mer, les plaintes du dehors, les blessures des vagues. Il est des lieux où l’on ne peut entendre la vitesse du chant, sa splendeur élégiaque. Là, tout est voué à la désolation, bien que des mains d’enfant recherchent le soleil, que des femmes rangent le linge avec grande patience. Cette patience a vécu, les hommes sont rentrés de haute mer, les femmes sont à d’autres tâches, délaissant le servage, courant enfin vers l’étendue pour lire les récits de la rouille et du sable.
LII
Les oiseaux, mes alliés fidèles, me poursuivent entre les pins, vont vers la mer, étirant leurs ailes entre les branches. Les oiseaux sont des veilleurs, des éveilleurs. En deviner un au-dessus de mes épaules, m’est un secours indicible. A sa suite, ma vie devient légère et je peux hanter tous les chemins. Les pins ont des visages, il nous suffit d’ouvrir les yeux pour percevoir quelque chose de leur grâce. Nous coucher dans leur ombre, attendre le crépuscule, rentrer à la maison le cœur un peu moins lourd. L’été est loin, l’hiver refoule les promeneurs. Ils ont abandonné ces maisons entre les mains du silence, et les persiennes ne protestent pas de leur départ. Sont si belles ces bâtisses délaissées comme des vieillards ou des enfants. De vieux figuiers cachent leurs murs et des lauriers dansent devant les fenêtres. Elles seront seules dans l’hiver, et alors ? La mer est à leurs pieds, les oiseaux enchantent leurs jardins, des vents s’engouffrent sous les portes. Tout ici entre en conversation. De rares passants se penchent sur leur beauté. Je n’irai pas vers d’autres horizons. Je resterai ici, dans la pénombre terrestre de la neige et du froid. J’ai trouvé la clé dans la lumière des pins et de la mer, sous la gaité des oiseaux buissonniers. J’ai ouvert, poussé une porte, puis j’ai marché dans un silence sidéral, découvrant une chambre sur la mer, intacte comme l’éternité. Là, j’ai posé les sacs, délivré quelques affaires. Une table pauvre n’attendait plus que moi.
Joël Vernet, Copeaux du dehors, Dessin de Vincent Bebert, Fata Morgana 2025, pp.64, 65 66, 67 .
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J O Ë L V E R N E T
■ Joël Vernet
sur Terres de femmes ▼
→Œuvres poétiques, Tome I, Voir est vivre, Poèmes et petites proses (1985-2021),
En couverture Jean-Gilles Badaire, Loire, Avril 2022, La Rumeur Libre Éditions, 2023
→ L’oubli est une tache dans le ciel (lecture d’AP)
→ Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [lecture d’AP]
→ Décembre 2010 | Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [extrait]
→ [De Rimbaud […] tu n’auras jamais rien su] (extrait de Mon père se promène dans les yeux de ma mère)
→ 30 août 1994 | Joël Vernet, Le Regard du cœur ouvert
■ Voir aussi ▼
→ (sur remue.net) Joël Vernet /marcher vers un ciel de pierre
→ (sur Le Nouveau Recueil) Joël Vernet, ou l’esthétique de la trace, par Sylvie Besson (fichier Word)