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  • Marcher dans l’éphémère / Angèle Paoli

    <<Poésie d'un jour
     pour → Yves Thomas ,   In memoriam

    ,  

     

     

    YVES

     

     

     

     

     

     

     

    Ph: G.AdC

     

    et ce bateau de pêche minuscule
    qui stagne sur les eaux
    bouchon de liège immobile
    qui attend un brin de zéphyr

    un beau sourire
    illumine son visage
    ses cheveux fous
    d’un blanc sûr auréolent
    son sourire

    → retenir de lui cette image
    la seule qui se glisse
    derrière le regard
    tu l’abrites derrière tes cils
    le berces dans tes pensées

    l’angoisse de la mort
    passe sous un voile
    au moment de mourir
    revient parfois assombrir
    ton regard

    cette angoisse-là
    comment vivre avec elle

    elle gît silencieuse

    pleine d’une attente indicible
    mots qui se refusent à dire

    que l’on va se quitter
    et que c’est pour toujours

    se quitter

    tu prends pour lui ces notes
    tu emplies tes yeux de cette beauté
    qu’il a connue et tant aimée

    il ne la percevra plus que
    par ton regard
    à travers tes yeux
    ils veillent sur lui
    et veilleront encore
    dans l’éphémère du jour

    où le rejoindre.

    MARCHER DANS L'EPHEMERE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Angèle Paoli, Marcher dans l’éphémère, Les Lieux-Dits, Cahiers du Loup bleu , Dessin de Caroline François-Rubino, 2022, pp.39,40.

    Voir dans  → Tdf   la  Lecture de "Marcher dans l'éphémère" d'Angèle Paoli  par Béatrice Marchal

     

    Yves et angèle _Fotor

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image G.AdC 

     

     

  • Marie-Hélène Prouteau / Paul Celan, Sauver la clarté / Lecture d’Angèle Paoli

    Marie-Hélène Prouteau, Paul Celan, Sauver la clarté
    Préface de Mireille Gansel, Éditions Unicité 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

    CERCLE BLEU

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " Giuseppe Caccavale :  les cercles bleus de la fresque du Concordia "

    Source   © Mathilde Torteau

     

     

     

    Le Méridien de Paul Celan

    La figure poétique de Paul Celan – de son vrai nom Paul Antschel – l’homme et l’œuvre – est pour nombre de ses lecteurs, associée à la nuit. Ainsi trouve-t-on dans Paul Celan, Sauver la clarté, ouvrage que Marie-Hélène Prouteau a consacré au poète juif natif de Bucovine, cette assertion première :

    « Celan, à jamais, n’est-il pas " quelqu’un qui erre dans l’obscurité " ? »

    S’appuyant sur une vie et sur une œuvre, marquées par la tragédie la plus abominable et la plus abjecte, la poète interrogeant ce questionnement, se fait détective, à l’affût dans nombre de poèmes et de lectures, de ce qui, au rebours de l’enfer, tire Celan du côté de la clarté. De sorte que l’ombre et la lumière se concertant dans un dialogue fécond se répondent, formant un diptyque foisonnant d’images nouvelles qui se précisent et se complètent au fil des pages. Le projet de Marie-Hélène Prouteau est donc d’exhumer du « fond des marais de la mémoire » qui enveloppe le poète martyrisé de Czernowitz les interstices dans lesquels filtrent la lumière, l’apaisement et au-delà, un peu d’espoir.

    Au départ de cette entreprise, il y a l’attachement de Marie-Hélène Prouteau pour ce poète qu’elle fréquente de longue date. Il y a aussi le lien que Celan avait noué avec la Bretagne dont l’autrice est originaire, il y a enfin les fruits du hasard et des rencontres. Un faisceau de rencontres et de correspondances – qui rend tangibles et familières la personnalité et la personne de Paul Celan – tissage subtilement tramé à partir de lectures de vagabondages de voyages. De synchronicités silencieuses.
    Sensible aux dates, aux réseaux enfouis des images, aux échos symboliques et aux analogies imprévues entre des lieux aussi éloignés que la Bretagne lointaine et la Bucovine originelle de Celan, entre poésie, philosophie et peintures, entre noms et paysages, l’autrice exhume patiemment tout ce qui fait signe du côté de l’espoir et peut-être, d’une forme de rédemption. L’ouvrage est donc une « exploration emplie d’ondes celaniennes ». Attentive et infiniment sérieuse, l’entreprise, forgée de longue haleine, dans la fréquentation assidue de l’œuvre et de la vie de Paul Celan, est aussi entreprise aimante, généreuse, tissée de complicité profonde. De respect sincère et admiratif. Une lecture très personnelle et passionnante que celle de Marie-Hélène Prouteau.

    Au départ, il y a Brest, la ville bombardée en ruine, le souvenir poignant de ses ruines fumantes dans la mémoire d’une enfant issue de la dernière guerre. Marie-Hélène Prouteau explore « le lien, qui comme le poème, mène à la rencontre. » Comme Paul Celan lui-même, elle trouve « un méridien. » Ce méridien s’inscrit dans « une exploration topologique » *. Il est familier à Marie Hélène Prouteau, puisque déjà présent précédemment dans son récit Le cœur est une place forte. Ce titre, du reste, est emprunté à un vers de Paul Celan dans le poème intitulé « Après-midi avec cirque et citadelle ». Et c’est avec ce poème, lequel fait partie du recueil La Rose de personne (1963) que Marie-Hélène Prouteau ouvre son enquête. Et conduit l’écriture de son propre livre.

    Mystérieux, énigmatique, ce poème-collage écrit à Brest le 15 août 1961, combine des associations inattendues qui échappent à une lecture inattentive. Certains lecteurs pourraient lui reprocher son « obscurité ». À quoi Celan répond, le 22 octobre 1960, dans le discours de Darmstadt, prononcé à la réception du prix Georg Büchner et intitulé « Le Méridien » :

    « Ne nous reprochez pas le manque de clarté car nous en faisons profession ! »*
    Quant à la poète, la prétendue « obscurité » ne la rebute pas. Bien au contraire elle s’intègre dans sa propre démarche qui est « rencontre ». Rencontre célanienne s’il en est, dont on retrouve la trace et l’importance dans ce petit opus intitulé Le Méridien.

    « Je découvre quelque chose qui me décharge, pour ma part, de m’être en votre présence enfoncé dans cet impossible chemin de l’Impossible. Je découvre ce qui lie ; et finalement amène le poème à la Rencontre. Je découvre quelque chose – à l’instar de la parole- immatériel, mais terrestre, de ce sol, chose ayant forme de cercle, et qui, passant de pôle en pôle, fait sur soi retour et intersecte – posément – tous les tropes- : je découvre … un Méridien. »

    Nul doute que ce texte a inspiré à Giuseppe Caccavale les cercles bleus de la fresque du Concordia, dans lequel il a déroulé en français et en allemand les vers du poème « Du fond des marais. » Et que ce même texte a mis Marie-Hélène Prouteau sur la voie du « méridien » de Celan. Le « méridien » de la Rencontre.
    Le poème initial qui ouvre la voie au dialogue et au livre Paul Celan, Sauver la clarté, relate le souvenir de Brest et d’une après-midi heureuse vécue par Celan en compagnie de son fils Éric et de sa femme, Gisèle Celan-Lestrange, peintre et graveur. Il combine des images lumineuses d’un présent proche et des images d’un passé déchirant toujours vivaces dans la chair ; images de cirque – liées à Éric, joies et plaisirs de l’enfance, mais aussi, sous-jacent, à l’imaginaire de Marc Chagall -, de ville portuaire et de souvenirs russes – avec l’apparition visuelle, au 4ème vers, du poète Mandelstam :

    « et je t’ai vu, Mandelstam »

    Avec la présence de Mandelstam s’ouvre « le méridien slave » auquel sont attachés, entre autres, les noms de Nadejda Mandelstam, des poètes Marina Tsvetaïeva et Anna Akhmatova, « l’icône russe de la souffrance et de la consolation. »
    À quoi il faut ajouter, de manière implicite, les contraires que sont l’infini du ciel et de l’océan avec le « fini » propre à l’humain. Ainsi que d’autres associations entre Bretagne et Biélorussie. Comment en effet ne pas penser Brest-Litovsk lorsque l’on se trouve à Brest ? Brest-Litovsk et sa citadelle imprenable, symbole de la résistance polonaise face à l’invasion allemande et au nazisme.
    En trois quatrains, le poème établit le lien entre les opposés. Et ce « Perdu » – « Non-perdu », qui « résonne » comme « un chant de haute alliance avec la vie », qui nourrit une part de la poésie de Celan, tirant ce chant, malgré la noirceur et la souffrance originelles, vers un regain de clarté. De cette tension elliptique, extrêmement resserrée, naissent espoir et lumière. De ces juxtapositions insolites naît le poème, tremplin vers une « heureuse poussée associative pétrie d’échos ». Marie-Hélène Prouteau fait de ces résonances multiples la « matière » de son nouvel opus – Paul Celan, Sauver la clarté.

    S’ouvre alors, avec le poème « Après-midi avec cirque et citadelle » la période dite de Kermovan, laquelle alimente et nourrit la « Matière de Bretagne ». Au cours de ces deux mois de vacances de l’année 1961, Celan semble s’attacher à rejoindre « le chemin des grands prédécesseurs ». Ainsi du « poète-mage » Saint-Pol-Roux le Magnifique, « exilé volontaire en son manoir-promontoire de Camaret », pillé par les nazis et dévasté en juin 40. Du côté des poètes russes, citons Alexandre Blok (né à St Pétersbourg mais d’origine allemande et parfaitement russophone) venu séjourner avec son épouse, à l’Aber Wrac’h. C’était au cours de l’été 1911. Déjà commençait à planer au-dessus de la mer, la menace de la guerre, rendue tangible par la présence des « vaisseaux de guerre en colonne ». Symbolisés par le fameux « Baobab » du poème de Celan. Sans doute Celan, traducteur des poètes russes, connaissait-il les poèmes écrits à cette époque par Blok, dont celui auquel M.H Prouteau fait allusion : « T’en souvient-il dans la baie… » Au fil des chapitres, d’autres poèmes égrènent le travail de Marie-Hélène Prouteau, qui viennent illustrer et enrichir sa démarche.

    Tout cela préexistait dans la mémoire de la poète. Et l’habitait continument. Matière incandescente en veilleuse. Tout cela qui était nourri par des lectures et des recherches. Ainsi du livre de Brigitta Eisenreich, L’étoile de craie. Une liaison clandestine avec Paul Celan. Avec ce livre publié en 2013, l’amante « allemande » ouvre « des angles de vue inédits », enrichissant le dialogue avec le poète « de choses méridiennes » insoupçonnées. Autre lecture importante celle d’un numéro de L’Almanach Voies aériennes, petit livre que Celan avait emporté avec lui dans sa retraite de Kermovan parce qu’étroitement lié à l’histoire du roman de Pasternak, Le docteur Jivago. Lequel, accueilli par un tollé fut longtemps interdit de publication. D’autres voix dissidentes viennent s’ajouter à celles de Celan, de Mandelstam et de Pasternak. En passant par Soljenitsyne, contraint au Goulag d’écrire sur des écorces de pin ou de bouleau. Sans oublier la grande voix de Nina Berberova « qui s’y connait en écriture de l’exil et en littérature interdite », écrit Marie-Hélène Prouteau. Voix de résistants à l’oppression bolchevique, mais au-delà à toutes voix qui s’élèvent contre les dictatures, expression de ce que Celan nomme une « contre-parole » – « qui est courage dans ces temps de décombres et qui résiste contre les mauvais vents. »

    « Après tant de paroles proférées, toutes, à la même tribune (ici, l’échafaud) – quelle parole ! C’est là une contre-parole, la parole qui rompt le "fil ", qui, abruptement, ignore " badauds et rosses caracolantes de l’histoire", c’est un acte de liberté. C’est un pas. »* 

    À ces voix dissonantes, il faut ajouter celle de Kafka que Celan lit et relit, en même temps qu’il lit l’essai que Walter Benjamin a consacré à l’auteur du Procès (1925) et du Château (1926). Celan Kafka Benjamin, « un compagnonnage absolument unique » qu’il est « passionnant de suivre ». Écrit Marie-Hélène Prouteau qui souligne l’importance du « pont » jeté par ces trois géants « entre la poésie et la réflexion philosophique ».

    Il fallait cependant qu’une rencontre de hasard suscite l’étincelle éblouissante, propre à faire jaillir l’écriture. Un autre point de départ surgit en effet, lors d’un voyage aux Pays-Bas. Ainsi dans la ville natale de Rembrandt, la poète découvre-t-elle les poèmes-muraux de Leyde. Plus de cent poèmes, toutes époques confondues, œuvres de tant de poètes, recouvrent les murs de la ville. Ce concept de haute envergure a été réalisé pour « la Fondation Tegen-Beeld » avec la contribution d’artistes calligraphes « qui ont mis en visibilité la poésie des langues innombrables ». Parmi ces poèmes, celui de Paul Celan « Nachmittag mit Zirkus und Zitadelle » / « Après-midi avec cirque et citadelle ». Le choc émotionnel vécu par la poète est immédiat et puissant, tant il est inattendu. Il agit comme un ressort qui va diffuser dans l’esprit de Marie-Hélène Prouteau. La poète note quelques impressions :

    « Sur le mur de Middleweg, le poème de Celan est là, projeté sur 3 mètres de haut et 2,20 mètres de large. Ponctuant le grand mur blanc de ses douze vers, familier et étrange à la fois. On a l’impression que le poème se « lève ». Comme si le geste du calligraphe, par son élévation transformante, lui ouvrait une ligne de vie en expansion.» 

    Une autre surprise attend la voyageuse, rue de Tournefort à Paris. Tiré de Partie de neige, un autre poème, "Du fond des marais", illumine de son cercle bleu le plafond de la résidence Concordia. Illustré par l’artiste plasticien Giuseppe Caccavale, professeur à l’École des Arts Décoratifs, ce poème mural a été peint en 2020, à l’occasion du centenaire de la naissance de Celan. Cette mise en perspective poésie-peinture ne correspond-elle pas à l’un de ces Aphorismes de Kermovan que Celan affectionnait :

    « La poésie ne s’impose plus, elle s’expose »

    Daté de 1968, le poème « Du fond des marais » est indissociable de la rencontre de Paul Celan avec la poète allemande d’origine juive, Nelly Sachs, menacée par la terreur hitlérienne, contrainte de fuir. Grâce au soutien d’amies telles que Gudrun Dähnert, son amie de toujours, et de Selma Lagerlöf, Nelly Sachs obtient un permis d’émigration et se réfugie en Suède. En 1966, la poète se voit décerner le prix Nobel de littérature. Traquée, blessée et malade, elle ne se rendra pas à la cérémonie de remise de prix. De la relation entre les deux poètes demeure une correspondance qui couvre quinze années, de 1954 à 1969. En tout, 125 lettres, traduites de l’allemand par Mireille Gansel, présentées, regroupées et annotées par ses soins.

    « Une calligraphie de lumière tracée dans l’encre invisible d’une mystique immémoriale qui les habite, les lie, les relie au-delà des mots », écrit Mireille Gansel dans sa préface.

    Lettres auxquelles il faut ajouter des poèmes de Nelly Sachs, composés sur le vif et offerts à Paul Celan « poète et être d’humanité » et à Gisèle Celan-Lestrange, son épouse. De ce dialogue intense, d’où la lumière, en dépit de l’horreur vécue et surmontée, n’est pas exclue, demeure l’amitié que Nelly Sachs s’est construite avec Paul Celan et les siens, une amitié lyrique, exaltée. Et pourtant retenue.
    Ainsi de la lettre de mars 1968 que Paul Celan adresse à Nelly Sachs en remerciement de la sienne :

    Ma chère Nelly,
    Je te remercie pour tes lignes, pour me souvenir de cette lumière. Oui, cette lumière

    Une manière pour les deux épistoliers de lutter contre l’humiliation. Écrire pour surmonter le trauma de la Shoah ; écrire pour résister à l’horreur des camps de la mort, à la mort du père et de la mère, déportés au camp de Mikhaïlovka, en Ukraine, écrire pour rester debout, pour grimper (ou « monter ») comme l’exprime le poème traduit visuellement – en français et en allemand – par Giuseppe Caccavale.

    DU FOND DES MARAIS monter
    dans le sans-images,
    un hème dans le canon du fusil Espoir,
    la cible, majeure comme Impatience,
    dedans.

    Air de village, rue Tournefort.

    Marie-Hélène Prouteau signale que la notation finale concernant le lieu où a été écrit ce poème « n’a rien à voir avec un étalage de sa vie privée. Il s’agit de l’attention habituelle chez lui aux lieux et aux dates… »
    Cette « urgence de l’espoir », partagée par les deux poètes, l’artiste-plasticien l’a éprouvée à son tour puis transposée à fresque. Ainsi, aux dates méridiennes de la mort parmi lesquelles il faut inscrire la date du 15 août 1961, date de l’ultime audience du procès Eichmann à Jérusalem, il est urgent de répondre par l’énergie vitale et de remettre les forces créatrices, fraternelles et universelles au premier plan de nos existences. Ici s’inscrit la nécessité du poème. « Tendu vers un autre » … « il le débusque sans trêve, s’articule allant à lui. Toute chose, tout être, comme il chemine vers l’autre, sera figure, pour le poème de cet autre. » * 

    Ainsi, traversant les marécages de l’Histoire où l’homme n’en finit pas de s’enliser, le poème, vivifié par les arts qu’il croise et rencontre en cours de route, rejoint la clarté qu’il porte en lui. De sorte que le « Perdu » et le « Non-Perdu » s’épaulant l’un l’autre dans le voyage se transmuent en vitalité créatrice sans cesse renouvelée. C’est cet enrichissement que Marie-Hélène Prouteau a mis en lumière dans Paul Celan, Sauver la clarté, arrimant sa lecture éclairante et éclairée au « méridien » de Paul Celan ainsi qu’à ses nombreux épigones. Dont elle fait désormais partie.

    *Paul Celan, Le Méridien, Fata Morgana 2008

     

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    ANGÈLE PAOLI

     

     

     

     

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    Voir aussi  sur  →   Tdf 

     


    ■ Voir | écouter aussi ▼
    → (sur Lyrikline) 
    Paul Celan disant lui-même Stimmen (un enregistrement exceptionnel de 1965)

    ■ Paul Celan
    sur Terres de femmes ▼
    → Lob der Ferne
    → 
    La main pleine d’heures
    → Lointains
    → Tant d'astres 
    → Tübingen, Jänner
    → 13 février | Paul Celan, Tout en un
    → 23 novembre 1920 | Naissance de Paul Celan
    → 5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    → Jeudi 11 décembre 1969 | Lettre de Paul Celan à Ilana Shmueli
    → Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan

     

     

  • Catherine Pont-Humbert / Quand les mots ne tiennent qu’à un fil, Une épopée poétique

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Mots

     

     

     

     

     

     

     

     " La bouche pleine de mots nouveaux "

                           Source 

     

     

    « Rame, ramage, ramure »

    Terre apte à dévoiler l’âme.

    Une nouvelle tribu entrait dans ma vie de mots, les mots du
    dehors.

    Chants d’oiseaux dans les ramures des arbres, aubes qui résonnent
    du chœur des colombes, des geais, des roitelets…
    Ramages, gazouillements.
    Passeurs entre visible et invisible, chants annonciateurs de
    volontés venues des hautes sphères.

    Attention d’enfant à cette poésie simple.

    Plumes nouées ensemble en un bouquet, plumes de corbeaux, de
    rouge-gorge, de colibris, froissées entre mes mains, flétries
    avant de s’envoler là où le hasard les emportera.

    Cantique des grands ramages dans les ramures.
    Plumes vertes saluées par les larges feuilles.
    Les souvenirs ici renouent avec les paysages, rochers, prés, ciels
    ourlés, rivières aux eaux vertes, sentiers boueux.
    Et la mer.

    Tableaux glanés au fil des vagabondages, inscrits par mon
    émerveillement dans le long temps de la mémoire. Plaque
    sensible qui enregistre la beauté donnée gracieusement.

    Je recompose le miroir d’anciennes images dans lequel l’enfance
    vient se refléter.
    La source est là, à portée de mots.

    Il y avait l’odeur de bois brûlés qui envahit les narines, éloigne
    le tumulte, installe un silence apaisé.
    Il y avait l’avril indécis quand le mois au double visage souffle
    un air neuf et laisse flotter dans le ciel quelque chose qui allège
    le cœur.

    Le temps filait.

    Bientôt viendraient les flambées de l’été, l’ardeur et la splendeur.
    Saison bourdonnante de sons.

    Dans le jardin poussaient l’olivier, le citronnier, le jasmin, le lilas,
    le figuier. Odeurs puissantes qui touchaient l’âme.

    L’été bruissait.
    Le cœur traversé par les murmures du soir se laissait entraîner.
    La bouche pleine de mots nouveaux, je posais un silence bavard
    sur ce qui n’avait pas encore de nom, lieu secret de mes prières.

    Une clairière de mots, un espace non entamé, non brûlé, un
    désert.

    Lieu qui appelle la tourmente ou la joie, quelque chose de dense
    où vient se glisser la jouissance.                                                                                                                                         

     

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    Catherine Pont-Humbert, « Rame, ramage, ramure » (extrait) in Quand les mots ne tiennent qu’à un fil, Une épopée poétique,
    Œuvre de couverture : Maille de Pierrette Bloch, La tête à l’envers 2025, pp.39, 40.

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    CATHERINE PONT-HUMBERT 

    Catherine Pont-Humbert

    Source

     

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              → Les Lits du monde, La Rumeur libre Éditions, 2021

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              → France Culture

     

     

             

  • Margarita León / CENDRES

                                                                  <<Poésie d'un jour

     

                               

     

     

    Ixtele bis

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    "tes pieds d’ixtle qui attendent le voyage"

    Google images 

     

     

     

            YA T’I

    I’Tihi, tihi ne ga tihi !

    Pa da za ga tsoho

    Pa ga handi ri zi hmi ngu gi ähä,
    xi ndunthi ra ñot’i da yot’i, ngu ra zi hyadi,
    ri zi ua ge bi dit’i ri zesthi ko ra tohm’i pa gi ma
    ha mbo ra debi ra mui ri zi nänä.

    Da za ga hufi ya nthebe njeya ge hinbi tsoho
    nubu xka y’o ma ra ya ñu
    k’uki ya guto xui pa ge xi da
    zu ri zi mo’tza ts’edite,
    ge hinda ähä kora ntuhu ra menja.

    Ga tum’i dra k’uki ra ndoni b’ui ha ma beni
    konge’i, ya b’in’i, ya u’ada ha n’ara nxadi ya
    ntuhu ya jäi ge nu’i hingi pädi to’o nuhu,
    ya mika nzadi otho ya hmi.

    Gi xoti ri bui,
    da pot’i dega
    nzaki ha ri hai.

    Ra mäkabaha ra zinzedänga njuni ra ximhai,
    nganga y’e, xi ne hinte pant’i
    ra zi hyadi ge otho ra ji
    ne gi huäni ra hinham’u.

     

               LES RÊVES

    Courir, courir et courir !

    Pour y parvenir

    Pour saisir ton visage endormi,
    radieux comme le soleil,
    tes pieds d’ixtle (*) qui attendent le voyage
    du retour au ventre de ta mère.

    Embrasser les siècles
    qui n’ont pas emboîté ton pas,
    arracher neuf jours à la nuit
    qui veille sur ton âme,
    et l’insomnie, et le chant du coq.

    Arracher ta vie de fleurs et de souvenirs d’épines
    aux magueys qui chantent le départ.
    Il y a des prières sans visage,
    étranges, d’idolâtrie confuse.

    Ta vie s’effiloche,
    te voilà libre et
    semé dans la terre.

    Comme offrande au monde de tourbillons
    enflammés, d’éclair, de peau vaporeuse
    et de soleil sans veine
    sur la balançoire de l’éternité.

    ixtle (*)

     

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    Margarita León, CENDRES, Poèmes traduits de la langue Otomi (Mexique) et présentés par Léa López Métayer, Éditions Alidades, 2024, pp.24, 25.

     

     


    MargaritaLeonMargarita León est née en 1983 à Santiago de Anaya, dans la région d’Hidalgo, au centre du Mexique. La culture hñähñu (otomi) s’y épanouit toujours, malgré la diminution du nombre des locuteurs. Son enfance est marquée par un imaginaire construit au sein d’une tradition riche, menacée de disparition. L’envie d’écrire est étroitement mêlée à la langue maternelle. Le titre – Cendres – en témoigne: les cendres ont une valeur essentielle; précieusement conservées dans les maisons, on veille à ce qu’elles restent toujours chaudes. On les utilise comme remède – la mère de Margarita les lui étalait sur le ventre pour apaiser la douleur. Les poèmes de Cendres, ainsi que d'autres, ont été publiés au Mexique sur des sites dédiés aux littératures indigènes.

    Note de l'éditeur 

    source 

     

  • Marc Alyn / L’Aventure initiatique

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    Âpres architectures(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " la parole luisait, libre, dans sa substance " 

    Aquatinte : G.AdC 

     

     

     

                           III

    En rêve le sommeil avouait sa nature
    réelle qui est d’être
    un plan différent de l’espace
    un lieu dissimulé sous la durée.
    Nul n’emportait sa chair d’ici
    mise en veilleuse, dénouée.
    Les corps se franchissaient comme des ponts,
    des seuils.
    On flottait un instant sur l’eau sombre
    entre la matière et l’idée
    puis chacun regagnait le règne des possibles
    pour revêtir des vies fabuleuses, si vastes
    qu’un oiseau pénétrant en elles par un œil
    s’étonnait d’éprouver sous ses ailes le ciel.

     

                                 IV

    Partout le verbe affleurait, prêt à sourdre
    mêlé de silence et de sang.
    Des mots, il en naissait sans cesse loin des lèvres
    depuis la mer gardant la phrase inaugurale
    jusqu’au lait bleu du feu qui nourrit les images.
    A l’extrême des ceps mûrissaient les syllabes
    gorgées de suc, de sens, d’assonances sauvages.
    L’ivresse en jaillissait sous l’écume des becs
    aussitôt propagée vers les confins, les cimes.
    Une pluie de versets criblait les couches denses
    de l’air, se dissolvant en chaleur, en lumière :
    comme si l’infini se fondait sur l’éclair
    refusant de laisser trace de sa pensée.
    S’élançaient du plus bas d’âpres architectures
    de poèmes cristaux, d’élégies minérales
    des vocables-lézards se lissaient aux colonnes
    d’édifices futurs, sur des sites déserts :
    la parole luisait, libre, dans sa substance
    avide d’inventer sa propre fin – la voix.

                                     V

    Vivre se séparait sans cesse de finir.
    A tous les échelons de la forme, l’ébauche
    d’être se profilait, emplissant le néant
    d’un amas de tissus et de germes tenaces.

    Des soleils s’allumaient au fond d’un grain de sel
    des peuples habitaient la pulpe d’un raisin
    un monde s’achevait à la pointe d’une aile
    pour aussitôt renaître à l’extrême de l’autre.

    Vivre se dévorait et vivait de sa mort.

                                                                                                                                                                

    IMG_1417 (1)  

    Marc Alyn    « Orée » in Œuvres Poétiques, Tome I, L’Aventure initiatique (1956-1991, La rumeur libre Éditions, 2024, pp. 254, 255, 256.

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    MARC   ALYN

    Vignette Marc Alyn

    ■ Marc Alyn
    sur Terres de femmes ▼

     

    → Forêts domaniales de la mémoire, Le rumeur libre, 2023l lecture d’AP)
    → [Un lézard est sorti du sépulcre du Roi] (poème extrait de La Parole planète)
    « Proses de l’intérieur du poème » (Inédits, été 2010), in Dossier Marc Alyn rassemblé par André Ughetto
        Revue de poésie et de littérature Phœnix, cahiers littéraires internationaux, janvier 2011 ― N°1, page 17 ; in « mots somnambules
        [in « La durée circulaire »], Proses de l’intérieur du poème, Le Castor Astral, 201
    D’une voix d’aube (poème extrait des Alphabets du Feu)
    → Le temps est un faucon qui plonge (lecture d’AP)

    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une notice bio-bibliographique consacrée à Marc Alyn
    → (sur Wikipedia.fr) un bel article consacré à Marc Alyn
    → (sur books.google.fr) Mémoires provisoires | Entretiens de Marc Alyn avec Marie Cayol
    → (sur books.google.fr) Marc Alyn, Le Chemin de la parole | Poèmes choisis 1954-1994
    → le site de la revue Phœnix

     

     

     

     

     

  • Edith Azam / J’ai touché le plafond de verre

                                                                                                                                               

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

    TATTOO BASTIA(1)

     

     

     

     

                                                                                                                                                              

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    J’ai touché le plafond de verre   

    on aurait dit béton glacé

    quelque chose s’est rayé : ma tête.

    Je me suis dit ce n’est pas grave

    juste ma pensée : tombée

    et puis les mots choqués binette.

    Mais c’est beaucoup plus méchant…

    Avec les mots et la pensée

    c’est le corps entier qui chutait

    qui se froissait comme papier kraft

    sur le béton bien sûr armé.

     

    Quelque chose s’est cristallisé

    je ne sais pas ce que c’était

    j’ai entendu quelqu’un crier

    une personne très nombreuse

    une voix forte comme un peuple.

    Le plafond, peut-être a craqué ?

     

    Quelques fissures ont montré l’œil

    celui de snippers-embuscade

    des arriérés de la gâchette

    qui pris de peur bien sûr : tiraient !

    FEUX DE TOUT BOIS ! À VOLONTE !

    hurlait un homme desséché

    cloué à son PLAF invisible.

    Et les gâchettes mitraillaient

    orgie de pouvoirs de pétoires !

    Débiles jusqu’à bout portant !

     

    À présent j’ai changé de monde

    je me vois tout en haut du ciel

    sais bien que moi sais pas voler

    un jour pourtant nous le pourrons

    dans les yeux du plafond de verbe.

     

    IMG_1345

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Édith Azam in Thème: « Briser le plafond de verre », L’intranquille, revue littéraire n°27, octobre 2024-mars 2025, Atelier de l’agneau éditeur, p.47.

     

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            É D I T H      A  Z A M

    Edith Azam
    Source

    ■ Édith Azam
    sur Terres de femmes ▼

     

    Bestiole-moi Pupille, éditions La tête à l’envers, 2020
    → Oiseau-moi, éditions LansKine, 2018, Dessin de couverture Eléa Damette.
    →« Je voudrais devenir oiseau » (lecture de Décembre m'a ciguë par AP)
    → [Je dis le mot : mourir] (extrait de Décembre m’a ciguë)(Lecture d'Isabelle Lévesque)
    → Il n’y a cette perte de moi (extrait du Mot il est sorti)
    → Suis-moi
    → Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) IL RESTERA MON SIGNE

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine) la fiche de l’éditeur sur Oiseau-moi
    → (sur DailymotionBruits de bouche : Édith Azam, Bouche cousue (Performance du 14 novembre 2009 pour Le nouveau festival [46:02])
    → (sur Libr-critique.com) videopodcast d’une lecture d'Édith Azam au Festival de Lodève 2006

     

     

  • Sapphṓ / Fragments

                                                                                                                      <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    SAPPHO. JPG

     

     

                                                                   

     

     

     

     

     

     

     

                                                                       

    Sappho sur la falaise de Leucade – Peinture de Alexander Izmailov.
                                                                      © opale.photo

     

     

     

     

           LA VIEILLESSE ME PREND LA PEAU

    désormais la vieillesse me prend la peau
         Éros ne vole plus à ma poursuite
                           pourtant
                         ton bel âge
                     la lyre au doux son
                       [chante pour moi
    la belle aux cheveux tressés de violettes
                          dans l’errance]

    Fragment 21 V(Papyrus d’Oxyrhynchus, 1231 – fr.10).

                     

                         PAROLES AILEES

    j’écris mes vers avec de l’air et on les aime
                                     …

                          j’ai servi la beauté

    était-il en effet pour moi quelque chose de plus grand ?
                                                   …

                    les Muses m’ont honorée
                         par le don de leur art

                                        …

    je dis que plus tard encore quelqu’un se souviendra de nous

                       Papyrus d’Oxyrhynchus 2293 – fr.1.

                     

                            ÉROS DOUX-AMER

                                            de nouveau
                                    comme une bête rampante
                            Éros-briseur de membres me tourmente
                     Éros-invincible animal sous les frissons me courbe
                                            Éros-doux-amer

                                         …
                                  mais Athis
              il t’est donc devenu odieux de penser à moi
                            ainsi tu rejoins Andromède

     

    Sappho -Fragments 130et 131 V. (Héphestion d’Alexandrie, Manuel de métrique, VII,7), in Europe, janvier-février 2025, pp.105, 113,115.

     

    Europe-couv-Sappho-Assia-Djebar-943x1536

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Sappho -Fragments 130et 131 V. (Héphestion d’Alexandrie, Manuel de métrique, VII,7), Sappho et Alcæus, Fragmenta, editit Eva-Maria Voigt, Amsterdam, Athenæum-Polak &van Gennep, 1971,  in Europe, janvier-février 2025, pp.105, 113,115. Lavis de Colette Deblé, d'après Léopold Burthe, « Sapho jouant de la lyre » (1849)© ADAGP, Paris, 2025.©Europe 2025.

     

    Sapho-female-bust-by-emmanuel-villanis-french-1858--1914--279394-27894

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source   

     

     

     

  • S/a/r/a Balbi di Bernardo / chambre 12

    << Poésie d'un jour

     

     

    PORTE 203

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image G.AdC 

     

     

    rien ne transperce l’entrée rien la sortie

     

    dans m/o/n cahier

    la langue penche du côté où j/
    e m/e manque

    puis

    la langue flanche
    manque        toujours

    j’ai toujours sur
    m/o/i
    un livre
    un porte-bonheur
    une tumeur
    au corps
        à table
            en promenade
                 à l’atelier collage
                     sur m/e/s genoux
                                     en salle 203

    voix /
    /livre/
    /bureau/
    /ordinateur/
    /voix

    j/e pose le livre quand
    on m/e pèse
    (21 grammes) x j/e ne sais pas
    restent sur la chaise

    j/e lis j/e lis j/e lis & j/e ne
    comprends
    rien
    aux phrases aux mots aux signes aux fourmis qui cherchent
    la sortie

    derrière chaque ligne les mots cachent d’autres mots
    en embuscade

    bâtiment blanc
    grises mines
    univers clos
    fenêtres de jeu vidéo
    personne ne parle
    pendant que les avatars
    se défenestrent

    ouverture de la porte 203
    invitation
    cliquetis de touches de clavier
    question
    cliquetis de touches de clavier
    réponse (mensonge)
    cliquetis de touches de clavier
    cliquetis de touches de clavier
    question
    cliquetis de touches de clavier
    cliquetis de touches de clavier
    réponse (mensonge)
    cliquetis de touches de clavier
    cliquetis de touches de clavier
    cliquetis de touches de clavier
    pause
    cliquetis de touches de clavier
    cliquetis de touches de clavier
    affirmation
    cliquetis de touches de clavier
    cliquetis de touches de clavier
    question rhétorique
    cliquetis de touches de clavier
    affirmation
    cliquetis de touches de clavier
    salutations
    ouverture de la porte 203

    j/e
    donne à voir à boire à manger
    la part belle

    sous la peau re
    tiens la bombe

     

     

    13168221 (1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    S/a/r/a Balbi di Bernardo, chambre 12, (le pays qui grandit), La Crypte 2024, pp.40, 41, 42, 43, 44, 45.

     

    Capture-decran-2023-01-18-105014-416x334

     

     

     

     

      Sara Balbi di Bernardo  → Bio

     

     

     

     

     

     


  • Angèle Paoli et Marie Hercberg / Voix sous les voix / Récapitulatif des recensions et notes de lecture

     

     

     

     

    Voix voix  

          Récapitulatif des comptes-rendus critiques en ligne: 

     

     

        Philippe Leuckx in →   La Cause littéraire 

        Michael Bishop in  →   Sitaudis 

        Sabine Huynh   in →    Presque dire

        Marie-Hélène Prouteau   in →  Recours au poème

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        Exposition du 11 janvier au 2 février 2025  à
     →  Livry-Gargan (93)

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  • Nohad Salameh / Jardin sans terre / Lecture de Michael Bishop

    Nohad Salameh : Jardin sans terre, Al-Manar 2024.
    Dessins de Jean-Marc Brunet.
    Lecture de Michael Bishop

     

     

     

     

    Couv-Jardin-sans-terre

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Après D’autres annonciations (2012), qui reprend ses premiers recueils, Nohad Salameh nous étonne avec les puissantes réminiscences de l’œuvre de plusieurs grandes poètes-sœurs que creusent et rassemblent les poèmes des Éveilleuses (2019). Ici Jardin sans terre nos replonge dans l’inquiète mais tenace intimité d’une vie, aujourd’hui exilée, mais toujours affectivement enracinée dans à la fois les années déterminantes de l’auteure au Liban et une méditation qui, avec force et une grande souplesse lyrique, ne cesse de revisiter par le rêve et l’inventivité de l’imaginaire la complexité de ses rapports à ce passé comme à l’intensité de sa propre présence au monde d’aujourd’hui sans cesse se transformant, tensionnelle, multiple, poétiquement exigeante. Le titre? beauté du pays natal, jardin iconique, hiératique, pour Lamartine et tant d’autres, aujourd’hui épuisé, incultivable, désertique? le poème, plutôt, offrant, malgré tout, un lieu sans terre, sans sa nécessité, éloigné comme tout langage face aux choses qui sont, mais dépliant les beautés strictement emblématiques, blasonnées, rythmiques, expressives de son intériorité textuelle? Les deux faces de la médaille sans doute, également émouvantes, consciemment reconnues, chantées et investies d’une même énergie, métamorphique, constamment remodelante, surprenante.
    Certes, le motif du désert obsède dans ce recueil composé de cinq suites versifiées, de longueur variée. Voici le premier poème de la première de ces suites, Sandales de sable :

    Rien que ce non-ciel
    sur toutes les pistes de l’âme
    dans la stupeur de nuits
    en marche vers l’égarement :
    l’excès où l’exiguïté d’espace
    au point de ne plus savoir où poser le pied.

    Désert, langue volcanique
    chaux épaissie d’acides.

    Désert, comment t’insuffler l’air
    au matin d’écritures remplies de nuits
    afin de te convaincre de peu de fraîcheur
    t’arracher des plumes d’oiseaux
    ivres de leur vol
    avec cette lenteur extatique de voyant?

    Excès d’une désertification, contraintes qui s’imposent dans les espaces vécus, la nuit de l’écriture incapable d’aérer le désert acidique, corrosif, luttant pour lui offrir un invisible, un « vu », une ivresse, une liberté de vol. Le désert vit ce que Salameh appelle une « soif de clarté », tiraillé comme il est entre une « douleur [originelle] » et l’ambiguïté mais peut-être aussi la promesse « de princières résurrections », entre « un sanglot endeuillé » et une toujours faisable « dévotion » et même une « incantation » – que serait sans doute leur inscription strictement poétique. Flotte partout le sentiment d’un « sacré érodé », lit-on, le poème devenant par nécessité acte et lieu d’un rêve de « non-infection », de « luminescence » , d’une « transcendance ».

    Car ce long recueil pentapartite ne cesse de déployer les ressources d’une mémoire, d’une sensualité spirituelle, si je peux dire, et d’une vision historique plus vaste, cosmique même, d’où tirer la force d’une continuité au cœur des pertes, guerres et défigurations marquant ce beau pays nouvellement fondé en 1943.

    Il est sans doute vrai que certaines des forces permettant cette continuité – qu’est le poème, ce recueil – restent celles de la mémoire, surtout une plongée dans les parfums et couleurs de l’enfance, mais aussi une projection au-delà du strictement personnel, vécu, vers la gloire d’une culture jugée parfois édénique dont les traces, artistiques, poétiques, architecturales, arabes et romaines, persistent, vivantes, pour Salameh. « Repousser le mal-être / et lisser l’abrupt » vise le récent présent, jamais les grandes « err[ances] depuis des millénaires / [ni] les dieux [qui, d’ailleurs,] n’appartiennent à personne » : ceci quoique le poème en comprenne bien les « perfidies » qui côtoyaient les « sublimités » des immenses migrations et entretissements du passé. Mais, peut-être plus puissant, s’avère le songe, le rêve, ce qui est ‘derrière le rideau du sommeil’, et, plus puissante encore, la volonté, le désir, l’energeia de la « Dormeuse » (passim) au sein même de cette rêverie comme de l’acte d’écrire que celle-ci invoque. « Les violoncelles du Rêve », lit-on au début de la suite intitulée La dormeuse de plein jour, « balayent le deuil de [celle-ci] / et la voilà assaillie par l’azur ». Rêver, ainsi, geste qui envahit la totalité de l’existence, appartenant à toutes les heures, geste qui replonge dans une lumière, un ciel, toujours là, à jamais disponibles, attendant (im)patiemment l’éveil, le réveil spirituel, ontologique, le faire-refaire, le poïein de la poésie, sa musique comme son sens, son orientation, sa vision. « Ô Femme caressée de mille flammes / bourdonnante de plusieurs saisons, / retiens en toi les flûtes / des jardins de mer » : la poète en conversation avec elle-même, geste de rappel constant, d’incitation, d’ouverture d’horizons intérieurs.

    Le poème, pourtant, vit la pleine tensionalité, la précaire vulnérabilité de son entêtement. « Comment », se demande-t-il, « ne plus mourir au sein des mots ». Sa confection reste toujours une affaire de « mesure [de] la portée des vocables », sans rien pour l’assurer, garantir. Tout est risque, potentiel et menace à la fois, même si « les syllabes [savent parfois] voltige[r] / gazouille[r] / se vêt[ir] d’émeraude ou de grenat / afin de renaître pétillantes sur un feu de sarment ». Tout finit par être affaire de transmutation, de métamorphose, d’une créativité refondant, radicalement, infiniment moins un ontos faillible qu’un être-dans-le-monde qui exige l’implantation, dans son jardin terrestre, de terre fertilisante et de végétation épanouissante. Bref, d’une réimagination d’une présence au monde humainement négligée, souvent sous-estimée, oubliée, lacérée. D’un sentiment de confiance que « la nuit cède sa part de mystère / à la rose qui renaît de ses pétales au grand soleil ». Et, soulignons-le, cette lutte n’a rien de manifestement écologique : elle est ontologique, spirituelle au sens très large, sans doute frôlant le débat qui préoccupe ces jours-ci, mais en excédant vastement le sens. La dormeuse traverse sa conscience de ce qui se déplie et ceci de deuil en deuil; et pourtant en elle « se dispersent les pierres du silence », car elle est voix, elle est cette « résistance » dont parle Jean- Paul Nancy, cette infaillible et résolue « réponse » à ce qui est, qu’évoque avec la même fermeté l’œuvre de Jean-Paul Michel. « La roue d’or du possible » ne cesse de tourner au cœur de cette voix que « l’infini », le vivement pressenti improbable de l’ontos, « dépose » en elle, car nous sommes ici loin de toute rationalisable situabilité : la voix de la Dormeuse constitue un surgissement sans origine, au-delà du temps et de l’espace. Elle puise ce qu’elle est dans une irréductible étrangeté – devenant ainsi l’étrangère, baudelairienne, aragonienne, freudienne, etc… , par excellence – que le poème ne saurait jamais identifier, même par le biais de son propre langage, « s’ém[ouvant] de ses propres métamorphoses », revigorantes ou étonnantes, choquantes même, obstinément divinatoires, voyantes ou cauchemardesques. C’est la « Nuit [avec] sa madone noire [épousant] le corps de l’Endormie qui offre l’espace atemporel où, perçant le « tulle » du terrifiant, plonger, certes, dans un « autre monde » de désirs et de possibles entrevus; mais le songe sait générer également la confusion, cette troublante incertitude quant à ce qui peut surgir d’« univers », de visages et de voix méconnaissables. Si la Nuit garde quelque chose de ce que Char nomme le « talismanique », le poème de Nohad Salameh en souligne l’intrication, le sentiment d’une persistante lutte entre être et non-être, le songe tantôt « songe au goût de noix verte »; tantôt maelstrom de vertige, d’anxiété. Le poème, pourtant, reste plus fort que ses vacillations, la « douleur des mots », l’inscription même de ceux-ci déployant leur improbable mais profondément sentie « tentative de résurrection ». Le poème, ce jardin de rêve s’intégrant dans le désert, l’imaginant fertile, lui proposant un réel métamorphosé. Et en cela il ne cesse d’être chant, impératif, commencement.