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  • Katie Peterson / Douceur en plein visage

                                                                                      << Poésie d'un jour

     

     KATIE PETERSON

     

     

     

     

     

     

    Katie Peterson / source 

     

    Earth

     

    When I was a little girl, all the time,
    people asked me why I was sad
    I befriended a slug the same size
    as my finger, but colder.
    I followed the sound of my mother’s keys.
    When they went dark places, I hid.
    My father brought baby roses
    home for my mother : an anniversary.
    I was sure they were for my teacher,
    who held my hand when I wrote
    the alphabet, but said good work
    like what I did was mine.
    In a warm climate, a longing for rain
    came to me immediately.
    Answering no question,
    I was trying to be what they saw.

     

    Terre

     

    Quand j’étais petite, tout le temps,
    on me demandait pourquoi j’étais triste.
    Je fis d’une limace une amie, la même taille
    que mon doigt, mais plus froide.
    Je suivais le bruit des clefs de ma mère.
    Si elles s’éclipsaient en lieux sombres, je me cachais.
    Mon père rapporta à la maison des roses en boutons
    pour ma mère : un anniversaire.
    J’étais sûre qu’elles étaient pour mon institutrice,
    qui me tenait la main quand j’écrivais
    l’alphabet, mais me disait bon travail
    comme si j’inventais tout.
    Dans des climats chauds, le désir de pluie
    me venait d’instinct.
    Ne répondant à aucune question,
    je tentais d’être ce qu’ils voyaient.

     

     

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    Katie Peterson,  « III Rendre compte » in Douceur en plein visage, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aude Pivin, Préface de Louise Glück,
    Édition bilingue, D’une voix l’autre, Cheyne éditeur 2024,pp.70,71.

     

     

  • Terres de femmes n° 237 ― Octobre 2024

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    du numéro du mois d'Octobre 2024
     
     
    OCT 24

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction :  Angèle Paoli
    Coordination éditoriale:  Yves Thomas  († 2021) 
    Direction artistique, mise en images et mise en pages : Guidu Antonietti di Cinarca    (G. AdC) 
     
     
  • TdF sommaire du mois d’Octobre 2024 / N° 237

     

     

    OCT 24

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    ♦ SOMMAIRE DU MOIS  D'OCTOBRE 2024  ♦

     

    ♦ Cartouche du N°237 de Terres de femmes / octobre 2024 ♦

    Angèle Paoli / Caroline François-Rubino / Mont Ventoux, vues et variations / Lecture de Pierre Dhainaut
    Gérard Cartier / L'Oca Nera
    Audomaro Hidalgo / Les desseins de l'intempérie
    Jacques Réda / Amen
    Pierre Dancot / L'APPARITION
    Maggie Nelson / Bleuets
    Marilyne Bertoncini / L'anneau de Chillida / Lecture de Murielle Compère-Demarcy
    Jennifer Elise Foerster / Leaving Tulsa
    Alexandre Pouchkine / D'amour, d'espoir…
    Arnoldo FEUER /107 DE GOUDRON & POUSSIÈRE
    Jeanne Tsatsos / Lumière dans l'obscurité
    Denise Le Dantec / Aussi bas que les fleurs / Lecture de Michael Bishop
    Jean-Baptiste Pedini / Un monde à nu
    Robert Ganzo / Lespugue
    Esther Tellermann / Selon les sources
    Denise Le Dantec / Aussi bas que les fleurs
    Jacques Réda / Mort du poète

    Isabelle Lévesque / Michèle Destarac / Passer outre / Lecture de Pierre Dhainaut

    Gérard Cartier / Le Méridien de Greenwich

    Gabriela Mistral / Essart
    Emmanuel Moses / Le Dictionnaire des sérénités 

     

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                    ♦ Tdf sommaire du mois de septembre 2024 ( N°236)
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de septembre  2024 ( N° 236)  

                          ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf
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  • Angèle Paoli / Caroline François-Rubino / Mont Ventoux, vues et variations / Lecture de Pierre Dhainaut

    Angèle Paoli, Mont Ventoux, vues et variations,
    Peintures de Caroline François-Rubino
    Éditions Voix d’Encre 2024

    Lecture de Pierre Dhainaut in Revue Diérèse,
    numéro 91-Automne 2024.

     

     

    CAROLINE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Elles sont deux amies à célébrer dans le même ouvrage le Mont Ventoux : la première, qui est peintre, habite dans son voisinage, la seconde, poète, y séjourne fréquemment, Caroline François-Rubino et Angèle Paoli.

    Caroline François-Rubino, il y a quelques années, a choisi de vivre dans un village des Baronnies (dont le nom est cité parmi d’autres dans un poème d’Angèle Paoli), je suis sûr qu’elle avait déjà plus que l’intuition de se laisser inspirer par le Mont qu’elle peut voir de sa maison. Elle ne s’est pas expliquée, mais sur la quatrième page de couverture de Mont Ventoux, vues et variations, elle a tenu à signer seule une longue dédicace énumérant les peintres que depuis toujours elle admire, en particulier Hokusai, Hiroshige, Monet, Cézanne, Turner, mentionnés d’abord, qui sont associés à des Monts, le Fuji, la Sainte-Victoire, le Rigi… Il fallait pour prendre leur suite une grande ambition : Caroline François-Rubino souhaita consacrer au Ventoux 100 « vues » comme Hokusai au Fuji, elle y parvint : voici un choix de 36 peintures, le même chiffre que dans la première publication du maître japonais. Cette ambition n’altère en rien ce qui caractérise l’art de Caroline François-Rubino, l’état d’esprit qui l’anime, une constante, une profonde modestie.

    Comment rendre présent ? Arbres, nuages, pierres, chemins ne sont pas décrits, définis, mais évoqués, ils ne sont pas détachés de l’ensemble naturel, ils restent intégrés, ils respirent dans la respiration générale : « Tout est sensible », pourrait dire avec Nerval Caroline François-Rubino, tout vibre, terre et ciel, vide et plein, le paysage, un perpétuel passage de souffles – ou de vents. N’est-ce pas la pensée de l’Extrême-Orient que retrouve la peintre ici, en Provence ? Mais son œuvre entière refuse le dualisme. La vue est une faculté de l’esprit, l’attention, qui est d’autant plus intense qu’elle est fluide.

    C’est bien devant le Mont Ventoux que nous sommes, nous en reconnaissons la ligne de crête si particulière, quand on vient du Nord, à la fois puissante, légère, sinueuse, impérieuse : Caroline François-Rubino ne se lasse pas de la dessiner ou d’en moduler le trait, qui devient une sorte d’aura. À la différence d’Hokusai, elle ne change jamais de point de vue. Elle ne tient pas à considérer le motif sous tous les angles, voire à l’imaginer. Est-elle plus proche de Monet face à la cathédrale de Rouen, par exemple, rivalisant avec la lumière pour tenter de la saisir ?

    Elle peint une réalité qui infiniment se transforme selon les saisons et les heures du jour et de la nuit, qui se dérobe, cette réalité qui tient de la pierre et du souffle ne peut être peinte avec la vue seule, qui s’ouvre à la mémoire, celle du peintre, celle du monde. Nous franchissons les frontières : qu’est-ce que le tangible ? qu’est-ce que l’impalpable ? qu’est-ce qui distingue le dehors de l’intime ? Le minéral est aérien. La couleur unifie tout, le bleu essentiellement, dont se multiplient les nuances, du plus clair au plus sombre, que Caroline François-Rubino affectionne, le jaune pâle, l’ocre, le rouge, dans un ordre imprévisible, et ça et là nous identifions des arbres, des pierres, des ravins, des clairières.
    « Vues et variations », le sous-titre du livre est explicite : « vues » est lié grâce à l’allitération à « variations » au sens musical. Tout demeure, tout se métamorphose. Caroline François-Rubino comme en rêve nous révèle la vérité d’un lieu.

    Différente, la participation d’Angèle Paoli. Images et textes se complètent admirablement. Alors que Caroline est immobile, Angèle se déplace, elle va partout. Le mot qui revient fréquemment : « chemin », ou plutôt, en occitan, « draille », dont la sonorité finale se reproduit dans « pierraille » ou « rocaille », eux aussi fréquents. Angèle Paoli, soucieuse d’exactitude géographique, nomme avec précision le calcaire, les saxifrages, les pins d’Alep, les hêtres, les chênes … Elle s’inscrit dans une réalité à laquelle elle adhère de tout son corps, il n’y a pas une page qui ne le dise, et c’est à un voyage qu’elle nous invite. Le Mont Ventoux dès le début est comparé à un navire, il a une « étrave », une « carène », « [i]l file droit », la poète ne cesse ainsi d’aller à travers l’espace comme à travers le temps.
    Angèle Paoli rencontre sur les pentes randonneurs et cyclistes, elle accompagne les poètes qui l’ont précédée, du plus illustre, Pétrarque, le premier à avoir raconté sa randonnée, à René Char au château d’Aulan (il faisait du Ventoux « le miroir des aigles »), à Pierre-Albert Jourdan dont la maison se trouvait à Caromb. Le voyage s’effectue donc à travers les « vignes », la référence à La Chanson de Roland (« Hauts sont les monts, profondes les vallées ») procure aux poèmes une dimension transhistorique.
    Ces poèmes ne sont pas aussi simples, familiers, que nous le pensions, les deux derniers nous mettent en garde. Angèle Paoli cite Pierre-Albert Jourdan : « Tu peux écrire : mais ce n’est pas écrire qu’il faudrait : c’est marcher/marcher où s’échancre la lumière. » Comment ne pas nous rappeler que Jourdan avait fondé une revue intitulée Le Port des singes ? Ceux qui allaient gravir le « Mont analogue » de René Daumal sont partis de ce port. L’ascension n’est pas une conquête matérielle, mais une aventure mystique ou, pour mieux dire, initiatique, sans fin. Le sens du livre de Caroline François-Rubino et d’Angèle Paoli, l’avant-dernier poème l’éclaire justement :

    Le Ventoux
    dans son silence
    habité par les souffles

    libère l’espace
    intérieur 

     

    N°24 retouché (1)

     

     

     

     

     

     

     

    Vue 24

     

    VIGNETTE

     

     

     

     

     

                           

                       Angèle    et    Caroline 
                              Photos : DR 

     

    Voir aussi sur   =>  Tdf

     

     

     

  • Gérard Cartier / L’Oca Nera

                             Lecture (Extrait)

     

     

     

    GEAI BLEU

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Aquatinte de G.AdC 

     

     

     

    GEAI BLEU (Cyanocitta cristata). Courte huppe pointue d’un bleu presque indigo ; sourcil, joue et gorge blanc-crème ; collerette noire ; corps fuselé du même bleu indigo ; ailes bleu de Prusse barrées de pointillés noirs et d’une étroite bande blanc-crème, couleur qui termine aussi les rémiges secondaires et les longues plumes de la queue. Quand celle-ci est ouverte, on croirait voir une main à dix doigts à la peau teinte de Prusse et aux longs ongles vernis de céruse. Trois geais sont perchés sur les branches fleuries d’une bignone ; l’un au sommet, la huppe dressée, les ailes et la queue fermées ; un autre à mi-hauteur, huppe rabattue, queue et ailes dépliées ; du dernier, on ne voit que le poitrail qui jaillit derrière le tronc : il tient dans son bec un gros fruit blanc et globuleux et regarde le peintre, fier et sérieux comme un petit enfant qui souffle une bulle de savon. Toutes les couleurs sont nuancées de teintes, de reflets et de mélanges. Au contraire des autres êtres (poissons, serpents, insectes, mammifères, sans parler des hommes), la palette nécessaire à un rendu fidèle des volatiles est presque infinie, même sous nos climats, même dans les montagnes de Savoie. Pourtant, à défaut de 192 nuances du marchand de couleurs, douze demi-godets d’aquarelle suffisent aux plus habiles pour recréer tous les oiseaux du ciel :

                                 Jaune citron, ocre jaune,
                               vermillon, garance, carmin,
                                 bleu céruléen, outremer,
                               vert émeraude, vert de nerprun,
                      terre de Sienne brûlée, terre d’ombre brûlée,
                                                noir d’ivoire,

    et un tube de blanc de Chine. Imaginons que les écrivains n’aient que douze mots et du silence pour deviser le monde…

     

    CARTIER

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gérard Cartier, « Oiseaux » in L’Oca Nera, La Thébaïde, Collection roman, 2019, pp.383, 384.

     

    Voir sur Tdf =>  Gérard Cartier 

     

     

  • Audomaro Hidalgo / Les desseins de l’intempérie

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    ARBRE-CORPS(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " je ne suis qu’un arbre à désirs" 

    Photographie : G.AdC 

     

     

     

    Alineación de los árboles

    Hoy me alineo con los árboles, soy el último
    de la fila, el rezagado, el guardián del equipo.
    No ha llegado mi turno, no tengo prisa,
    estoy de pie tejiendo más hondas mis raíces.
    Los últimos seràn siempre los últimos,
    los más resistentes a toda inclemencia,
    los que crucen con su sol a cuestas
    el desalmado siglo por el que avanzamos.

    Desde mi posición veo la estrategia
    de los árboles que ya van al frente,
    muchos llevan como perros
    el nombre colgado del cuello.
    Yo extravié el mío. Soy simplemente un árbol
    en la noche de piedra de las ciudades,
    yo sólo soy un árbol de deseos
    que persigue las sílabas errantes,
    el resplandor del mundo,
    el perfume salvaje de un cuerpo.

    A veces salgo de la fila un instante, me asomo y lo veo :
    allá lejos, adelante, desgajan ramas, cortan troncos,
    síempre talan, hacen leña. ¿ A qué apurarse ?
    A veces alguno deserta de la fila
    y cruza al otro lado de la calle,
    abandona su misión de árbol,
    de la expulsión del tiempo quiere librarse.

    Estoy en esta hilera innúmera de árboles,
    voy detrás, soy el último, el recién llegado,
    pero no voy a la sombra de ninguno,
    otro sol conduce mi destino,
    designa mi existencia del árbol.
    El sol en fuga del deseo
    llevándome muy lejos,
    a una blanca región desnuda,
    y me devuelve henchido y entero en verano,
    al sitio del que no me he movido.

     

    Alignement des arbres

    Aujourd’hui je m’aligne avec les arbres, je suis le dernier
    de la file, le retardataire, le gardien de l’équipe.
    Ce n’est pas mon tour, je ne suis pas pressé,
    je me tiens debout tissant en profondeur mes racines.
    Les derniers seront toujours les derniers,
    les plus résistants aux intempéries,
    ceux qui leur soleil sur le dos traversent
    le siècle sans âme dans lequel nous avançons.

    De ma place je vois la stratégie
    des arbres montant à l’avant,
    nombreux sont ceux qui comme des chiens
    portent leur nom accroché au cou.
    J’ai perdu le mien. Je ne suis qu’un arbre
    dans la nuit pierreuse des villes,
    je ne suis qu’un arbre à désirs
    poursuivant les syllabes errantes,
    l’éclat du monde,
    le parfum sauvage d’un corps.

    Parfois je sors un instant du rang, je me penche et je vois :
    là-bas au loin, tout devant, ils arrachent des branches,
    coupent des troncs, scient encore, font du petit bois.
    Pourquoi se dépêcher ?
    Parfois, désertant la file, l’un d’eux
    passe de l’autre côté de la rue,
    et abandonne sa mission d’arbre :
    à l’expulsion du temps il veut échapper.

    Je suis dans cette innombrable rangée d’arbres,
    à l’arrière, je suis le dernier, le nouveau venu,
    mais aucun d’eux ne me fait d’ombre,
    un autre soleil conduit mon destin,
    désigne mon existence d’arbre.
    Le soleil fuyant du désir
    m’emmène très loin,
    dans une région blanche et nue,
    et me rend gonflé et entier en été,
    à l’endroit d’où je n’ai pas bougé.

     

    Hidalgo

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Audomaro Hidalgo, « Mathématique des pas » in Les desseins de l’intempérie, Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gaëtane Muller Vasseur,
    Collection traverse, Phloème’, 2023, pp.78,79, 80, 81.

     

    AUDOMARO

     

     

     

     

     Bio => éditeur 

     

     

     

     

  • Jacques Réda / Amen

                                                                                                                 << Poésie d'un jour

     

     

    Tailleur bleu

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source: Google images 

     

     

     

    N. EN TAILLEUR BLEU

     

    Approche,
                      je m’appuie à la porte sui tremble et brûle
    De tout le soir oblique en ses vitres ; déchaîne,
    En tailleur bleu, el pur élan qui excède le bond
    De la licorne et la flèche de l’hirondelle ;
                                                                        je t’attends.
    Et sur les remous assombris levant toujours plus haut
    Ces bras qui sont bercés,
                                             bercés le silence et le temps,
    Pose enfin ton pied nu au bord du gouffre où tu éclaires
    Les racines des racines de l’ébranlement.

     

    Reda

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jacques Réda, «Amen » in Amen, Récitatif, La tourne, Poésie Gallimard 1975, p.34.

     

    Voir aussi Jacques Réda sur => TdF 

     

     

     

  • Pierre Dancot / L’APPARITION

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Corps

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo: G.AdC

     

     

     

    Je t’aime   à la fleur de sel, à l’aube nue, aux larmes
    de crocodile, je t’aime petit à petit, au grand large, à
    la nuit fauve,   je t’aime tout en haut,   au rideau tiré,
    à la porte,   à la violette, à l’agonie,   je t’aime sur le
    fil, au tricot jaune,    à la pâquerette, à la barque, à la
    nuit, je t’aime tu sais. Je t’aime. Au chien de velours,
    je t’aime au vol,   à la pomme cuite, à la cerise sur le
    gâteau,   je t’aime au mal, au destin, à la fin, au vent
    mauvais, à la lame, à l’os.    Je t’aime sans moi,  aux
    humeurs, au piano, à la petite semaine. Je t’aime aux
    autres.

     

    L’aube a la couleur que lui donnent tes hanches. J’ai
    une enfance   dans laquelle   résonnent les pas morts.
    Je peins le premier soleil qui arrache ton épaule nue.
    Les mots justes ont la mémoire du pardon.

     

    Ce matin,    tu ne prends aucune forme,     ni dans la
    connaissance de l’aube froissée,   ni dans le premier
    silence.    Tu n’as aucune odeur de café noir, aucune
    enfance livrée à la nuit.

    Tu me laisses au milieu du monde. Ma peau ne résis-
    tera pas à la nuit froide.    Je n’ai aucune langue pour
    lécher les os rougis, aucun feu pour éteindre le silence
    qui rampe entre tes jambes.   Tu me laisses au milieu
    d’un jour qui ne me connaît pas.

    Tu couds la vie sans moi. Nous sommes au bord de
    la seule tombe. Le soleil a une petite ombre d’avance
    sur ta langue qui se raidit.

    L’amour comme ta dernière pluie, comme les ourlets
    froids de la nuit, avec ce matin de jambes nues, avec
    un dernier visage,   l’amour   comme un cheveu cas-
    sant, comme une dernière épingle,  comme la suture
    acide de la perte, comme la généalogie d’une larme.

     

     

    Apparition

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Pierre Dancot, L’APPARITION, Le Taillis Pré 2024, pp.47,48,49, 50,51,52.

     

  • Maggie Nelson / Bleuets

                                                                                                                                    <<Lecture

     

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                            Maggie Nelson / PH: DR 

     

     

    145. En allemand, blau sein – « être bleu » – signifie être soûl. Autrefois, on appelait « démon bleu » le delirium tremens, comme dans « mes heures difficiles où règne le bleu démon » (Robert Burns, 1787). En Angleterre, « l’heure bleue » est l’happy hour des pubs. Joan Mitchell – peintre abstraite de premier ordre, américaine expatriée installée sur la propriété de Monet, grande chromophile et ivrogne devant l’éternel, célèbre pour sa langue de vipère, et créatrice de ce qui est sans doute mon tableau préféré de tous les temps, Les Bluets, qu’elle a peint en 1973, l’année de ma naissance- trouvait le vert du printemps incroyablement agaçant. D’après elle, il nuisait à son travail. Elle aurait préféré vivre à jamais dans « l’heure bleue ». Son cher ami Frank O’ Hara comprenait ça. Ah, papa, je veux rester ivre des jours et des jours, a-t-il écrit, et fait.

    146. « Une femme qui boit, c’est comme un animal qui boirait, ou en enfant, a écrit Marguerite Duras. C’est la nature divine qui est atteinte. » Dans Addict : fixions et narcotextes, Avital Ronell parle d’« alcolisations » en référence au travail de Duras – pour ainsi dire saturé de ladite substance. Pourrait-on imaginer un tel livre, mais saturé de couleur ? Comment fait-on la différence ? Et si la « saturation » n’évoque pas la satisfaction, ni d’un point de vue conceptuel ni de celui de l’expérience ?

    147. « J’aime moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté », dit un homme à la narratrice dans les premières lignes de l’Amant de Duras. Pendant de nombreuses années, j’ai pris ces mots pour ceux d’un homme sage.

    148. Les Touaregs portent de larges tuniques d’un bleu si vif et si riche qu’avec le temps leur peau en absorbe la teinture et devient littéralement bleue. Ces nomades du désert sont célèbres pour avoir refusé de se convertir à l’islam : d’où leur nom. Certains chrétiens d’Amérique du Nord acceptent mal qu’un peuple bleu abandonné de Dieu vive dans le Sahara, conduise des troupeaux de chameaux, voyage de nuit et se repère grâce aux étoiles. En Virginie, en 2002, par exemple, un groupe appartenant à la Convention baptiste du Sud a organisé une journée de prière consacrée exclusivement aux Touaregs, « pour qu’ils sachent que Dieu les aime. »

    149. Notons que Touareg n’est pas le nom qu’ils se donnent. Ils ne s’appellent pas non plus hommes bleus, mais Imohags, ce qui signifie « hommes libres ».

     

     

    Nelson

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Maggie Nelson, Bleuets, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy, Éditions du sous-sol, 2024, pp.56,57.

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    Note de l'éditeur 

    Dans le sillage des Pensées de Pascal citées en exergue, Bleuets est un objet hybride quelque part entre l’essai, le récit et le poème. Deux cent quarante fragments composent cette méditation poétique, intime et obsessionnelle autour d’une couleur, le bleu. Le deuil, le sentiment amoureux, la mélancolie sont autant de thèmes chers à Maggie Nelson, ici abordés dans une maïeutique convoquant l’art et la beauté entre deux digressions introspectives ou savantes, des fantasmes de l’autrice à des approfondissements autour de la pensée de Platon ou de Goethe, en passant par l’œuvre d’un Warhol ou d’un Klein, ou la musique de Leonard Cohen.

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    Voir aussi:  anthologie du bleu sur = >  TdF 

     

     

  • Marilyne Bertoncini / L’anneau de Chillida / Lecture de Murielle Compère-Demarcy

    Marilyne Bertoncini, L’Anneau de Chillida,
    L’Atelier du Grand Tétras (2018)
    Lecture de Murielle Compère-Demarcy

     

     

     

    MARILYNE BERTONCINI

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marilyne Bertoncini

     

     

     

    Trois vers clôturant un poème du « Labyrinthe des nuits » extrait de L’Anneau de Chillida de Marilyne Bertoncini condensent la démarche de l’œuvre de la poétesse :

    Oubli au creux gris
    de la nuit
    Pépin de grenade

    La quête du nombre d’or sous-tend l’œuvre de Marilyne Bertoncini, comme elle est pressentie dans les monuments offerts à l’espace et au temps du sculpteur Eduardo Chillida. D’ailleurs, le nombre caché dans la peinture pointe son mystère dans la section dédiée au labyrinthe, et assurément si l’on se penche sur la construction même du recueil qui joue du ruban de Mœbius imaginé comme sculpture de Chillida.

    Ferme les yeux, puis
    presse l’index sur tes paupières pour créer l’indispensable
    brasillement de mimosa d’arrière-plan,

    nous propose la poétesse. Et le sculpteur Eduardo Chillida de nous préciser :

    Le dialogue avec les formes est plus important
    Que les formes elles-mêmes

    Autrement dit nous nous ressourcerons à ce brasillement – merveilleusement illustré sur la première de couverture par Sophie Brassart, artiste peintre-poète – par le canal de la voix, du Langage, en l’occurrence du langage imaginaire, une fois le seuil de l’accès au for intérieur de l’émotion poétique franchi :

    Patience :
    attends
    l’éclaboussure stellaire,
    l’éclatement de nova, au creux du noir des yeux rouverts
    sur l’espace intérieur.

    Ensuite, imagine un anneau, (…)
    qui tourne en miroir de lui-même et s’enroule, et
    que tu parcours, les yeux clos, en marchant à tâtons.

    Nous entrons dans l’ample mouvement enveloppant de ce recueil réédité à l’occasion du centenaire de la naissance du sculpteur Eduardo Chillida, tout en continuant d’ « avancer le long du ruban qui tourne sur lui-même », à l’intérieur du trou noir de l’Anneau, « au creux » de la nuit où l’expérience littéraire comme manducation (cf. Pascal Quignard) de la langue des mots devient « Performances de ténèbres » en ce que la carence et l’inaccessible au sein vertigineux du noir se retournent dans le cheminement de la quête en une lumière palpable et fulgurante touchant par tous les sens l’objet désiré et, aussitôt, nous échappent à peine atteinte. Un toucher, voire une transmutation, puisque nous incorporons l’anneau même, qui laissent inachevée l’approche, ainsi dans le processus de créativité, ainsi dans l’expérience de l’amour. Le ventre obscur (la page) — où les battements du silence tissent les parois d’un monde (un cosmos clos comme la mer mais ouvert en fractales exponentielles et transcendantes vers le « respir universel » (Werner Lambersy))— goûte la sève en deçà et au-delà de la fruition, jusqu’à en vouloir mordre la lumière, la chair précieuse, dans le recommencement sans fin d’une lumière inspirée/aspirante et recherchée, comme « pépin de grenade » explosant dans la circulation du sang/du sens par le rouleau de Moebius des réminiscences et de l’oubli. Pépin de grenade, fruit d’une fécondation, noyau de l’invisibilité obscure première révélant la pulpe dans l’immanente verticalité du contact, de la rencontre. Rencontre de l’œuvre sculpturale et de l’œuvre poétique avec la réception du monde extérieur ; rencontre de l’intériorité de l’artiste et du poète avec la sensibilité du spectateur et du lecteur ; rencontre de la genèse et de la gestation de la langue avec sa cristallisation dans le fruit poétique. Va-et-vient permanent et incessant à l’instar du roulement de la vague, maturation du Dire au cœur de l’Indicible même ou de l’impossibilité à dire une fois pour toutes, faille ou chemin perdu au long du labyrinthe du Vivre cherchant, par le fil d’Ariane, à esquiver et traverser l’espace du Minotaure afin de libérer le cheminement vers la beauté, afin de faire prendre à Ariane toute la lumière. Relevons que le blog personnel poétique animé par Marilyne Bertoncini se nomme « Minotaura »… 

    Entre lavande et lie-de-vin
    sous la paupière de la nuit ciliée de songes
    amande d’améthyste dans sa bogue étroite avant qu’une
    silencieuse
    explosion n’expose sa chair vive
    à travers la sombre écorce craquelée

    À partir de l’émotion provoquée par l’œuvre sculpturale d’Eduardo Chillida, la poète édifie son « musée imaginaire » dans lequel elle nous fait entrer et dont elle nous fait visiter le poème mental au-delà du temps. Marilyne Bertoncini investit la sculpture d’Eduardo Chillida de façon analogue à Antonin Artaud investissant la peinture de Paolo Uccello dans Paul les oiseaux. Il se trouve que le peintre, dont un détail de la prédelle de La Profanation de l’hostie avait été reproduit dans le numéro 5 de La Révolution surréaliste et repris par André Breton dans Nadja, était supposé être en quête du nombre d’or dans sa représentation en trompe-l’œil d’une réalité en 3 dimensions…Quand Artaud regardant/incorporant l’œuvre de Paolo Ucello écrit : « (…) ici ses idées se confondent. Je suis à la fenêtre (…) C’est moi maintenant Paul les Oiseaux », c’est Marilyne Bertoncini regardant/incorporant l’Anneau de Chillida écrivant le fil de la pensée, incorporant la nuit jusqu’à « l’amande du souvenir ». L’Anneau de Chillida rejoint la profondeur intérieure, dans une démarche analogue à des poètes comme Leopardi ou Pierluigi Cappello qui partent d’une réalité objective pour écrire le livre d’une transfiguration subjective universelle. En cela, le seuil et le regard constituent des leviers d’envol, d’une « Poésie Verticale» expérimentée par Roberto Juarroz incitant à « creuser les choses » du regard et non simplement à les regarder, ou à « les remplir du regard ».
    Par cette démarche, cette expérience existentielle autant que littéraire, la poétesse nous fait remonter jusqu’à nos origines par le truchement de la mémoire et par un investissement synesthésique des paysages. Le sujet devient monde, le monde, poème, l’œuvre, je-Monde-Poème. Je s’enroulant dans le télescopage de temporalités mêlées par les vagues de l’Imaginaire, devient oiseau, redevient poisson, devient végétal, minéral, souffle, odeur, sentiment, … Nous sommes, ici maintenant par l’éternité à vie de la création, au centre du monde : centre névralgique -abyssal, originel, divin, moins tonneau des Danaïdes que puits perdu de l’amour – de L'Anneau de Chillida

    et j’étais ce village aux yeux de cerf
    j’étais le cerf écartelé entre animal et végétal

                 de petits miroirs scintillaient au cœur des paroles

    fractale et fragmentée →j’observais l’humaine forme
    se dissoudre en moi.

     

    => Murielle Compère-Demarcy pour Terres de femmes 

     

     

    M.BERTONCINI

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marilyne Bertoncini, L’Anneau de Chillida, L’Atelier du Grand Tétras (2018)