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  • Isabelle Lévesque / Michèle Destarac / Passer outre / Lecture de Pierre Dhainaut

    Isabelle Lévesque, Michèle Destarac,
    Passer outre, L’herbe qui tremble,
    collection Papiers d’art
    Lecture de Pierre Dhainaut

     

     

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    Peinture de Michèle Destarac 

     

     

     

    Voici un livre merveilleux, Passer outre, il ressuscite l’esprit ludique de l’enfance. Jouons le jeu. Ce serait difficile, du reste, de faire autrement, tant sa vivacité est grande, côté peintures, côté poèmes, indissociables. Quel jeu ? Nous n’en savons ni le nom ni les règles. N’ayons en tête que le goût de l’aventure et de la découverte permanente ; fions-nous au titre qui commande de transgresser les définitions, les cadres, les formes fixes, les résultats qui rassurent. En toute circonstance, passons outre.

    Isabelle Lévesque mise en présence des peintures de Michèle Destarac a dû être la première étonnée : elle apercevait des taches plus ou moins déchiquetées, plus ou moins mêlées, de couleurs franches pour la plupart, du noir, beaucoup de noir, du rouge, du bleu, du jaune, du vert, et des lignes çà et là intensément tracées qui s’interdisent tout recours à l’implacable géométrie. Aucun souci de figurer précisément quoi que ce soit, objets, lieux, personnages. Et cependant ces images occupent avec force la surface de chaque feuille selon une structure à la fois évidente et précaire, notre attention est sans cesse relancée, renouvelée. C’est bien ce qu’Isabelle Lévesque a tenu à exprimer. Comment le faire avec des mots ?

    Michèle Destarac s’est bien gardée d’expliquer sa démarche. Elle se sert de moyens strictement picturaux, ceux que les gestes valorisent quand ils ne sont pas guidés par le seul intellect. L’élan pense. La main guide lorsqu’elle n’est pas entravée : Michèle Destarac fait tout pour la rendre libre. Le pastel qu’elle emploie volontiers, souple, va vite. C’était la belle leçon de Cobra dont elle a toujours été proche. La peinture cesse alors d’être illustrative. Les œuvres reproduites dans Passer outre, à deux exceptions près (il s’agit de toiles), n’ont pas de titres, ce sont des « compositions » : aux spectateurs de dégager sinon un motif, du moins une perspective, à condition qu’elle ne soit pas réductrice. Michèle Destarac les a conduits face à ce qui n’avait jamais été vu, ils doivent, s’ils ne se contentent pas de la contemplation pure, silencieuse, poursuivre l’action du peintre par d’autres moyens.

    Tel est le défi qu’Isabelle Lévesque n’a pas manqué de relever. De quelle manière être fidèle à l’exemple des peintures sinon en étant aussi libre et aussi exigeant, aussi efficace ? L’unique solution, Isabelle Lévesque la présente à l’aide d’un verbe qui à lui seul occupe tout un vers dans un poème intitulé justement « La chance » : « Réinventer. » Ce poème qui se trouve dans les dernières pages est programmatique, il résume un comportement qui s’est manifesté à travers tout le livre. Isabelle Lévesque n’a pas à nous dire vraiment pourquoi elle écrit, puisqu’elle nous dit comment elle le fait.

    « Jouer », par exemple, « au pendu sans lettres. / Faire une maison sans murs. / Utiliser le toit comme un bouclier. » Écrire, c’est jouer, c’est refuser dans tous les domaines la logique. D’où le privilège accordé aux genres poétiques qui la subvertissent, la fatrasie et la comptine. Le non-sense l’emporte, ou « l’insensé », sur tout autre critère. Cette question, « le triangle entre-t-il dans un rectangle trop petit ? », n’est-ce pas un koan du zen destiné à nous désorienter ? Isabelle Lévesque insiste : « Il faut apprendre à dompter / les lignes de la géométrie » qui symbolisent l’ordre. En cela elle est parfaitement fidèle aux refus de Michèle Destarac : non à l’angle droit, non au linéaire de l’espace et du temps. Non à ce que l’école nous a contraints de respecter. Nos règlements sont trompeurs et stériles.

    24 peintures, 24 poèmes. Chaque fois, un titre particulier choisi par Isabelle Lévesque. Elle prélève dans une image un détail qui la frappe, parfois infime, qui concerne une couleur ou une forme, et aussitôt elle se laisse entraîner par ce qu’elle imagine, le vide, un pont, des yeux, la mort, tout et rien… Elle n’obéit qu’à la magie des contes. L’écriture se réinvente en se fiant aux sonorités plus qu’au sens, en prenant à la lettre des tournures familières pour les rendre incongrues. Adopter un point de vue et s’y tenir afin d’élaborer un récit chronologique, une description systématique, ce serait contraire à ce qu’Isabelle Lévesque, tous ses livres en témoignent, entend par poésie, qui la saisit jusqu’au vertige. S’il y a une trame, elle est secrète. Quelle est la partie qui se déroule dans Passer outre ? Dans le labyrinthe de l’espace et du temps, nous allons et revenons de case en case, nous allons encore, nous sautons. Nous n’avons pas de repères, nous ignorons s’il existe un progrès dans cette marelle inédite. Tout s’effondre et tout recommence. Faisons tout néanmoins « pour ne pas être condamné / à jouer Sisyphe », selon les derniers vers du livre.

    Dans Passer outre Isabelle Lévesque se dégage totalement des conventions, c’en est fini de la sacro-sainte unité du style comme du ton. Elle n’hésite pas à user de tournures familières (enfantines) : « quand ça cogne, ça compte pour du mordu », et de vers qui ne se cachent pas d’être des alexandrins (désuets) : « Sur son destrier noir chevauche le soleil. » Toute licence, Isabelle Lévesque s’en donne à cœur-joie dans cet art de l’alliage, mais à vrai dire ce que l’on pourrait qualifier de fantaisie n’est jamais loin du tragique, l’allégresse et l’angoisse sont voisines. « On joue et on ne joue pas. »

    Le lecteur d’abord décontenancé de Passer outre retrouve l’auteure de Je souffle, et rien., ses expressions de toujours qui vont droit à l’essentiel grâce aux ellipses, ses hantises, ses images violentes que l’humour – noir – n’atténue pas, notamment dans « L’entomologiste » : « Un corps coupé en deux flotte-t-il / entre deux eaux bercé par le pire ? » Le pire, la perte du père parmi les noyés que le fleuve emporte, autant d’échos de Je souffle, et rien.

    Isabelle Lévesque aime la collaboration avec les peintres, ils l’accompagnent. Ici, les rôles sont renversés, mais ce nouveau livre a sa place dans une œuvre en perpétuel mouvement, qui interroge les couleurs et que les couleurs revigorent, matière et verbe unis dans un même feu.

     

    Isab

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


          ISABELLE LÉVESQUE

         Isabelle Lévesque
          Source

         ■ Isabelle Lévesque
         sur Terres de femmes 

    → C’est tout c’est blanc
    → [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    → Le Fil de givre (lecture d’AP)
    → Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    → [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    → Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    → Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    → [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l'oubli)
    → Nous le temps l’oubli (lecture d’AP)
    → [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    → Ossature du silence (lecture d’AP)
    → [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    → Ravin des Nuits que tout bouscule (lecture d’AP)
    → [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    → Va-tout (lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    → Voltige ! (lecture d’AP)
    → Isabelle Lévesque | Pierre Dhainaut, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un autre poème extrait de Va-tout)

     

  • Gérard Cartier / Le Méridien de Greenwich

      <<Poésie d'un jour

     

                         I. Les Docks

                              .X.

    Penché dans l’hiver sous la lucarne embuée
    D’interminables pluies depuis le Jubilee
    Je m’applique à oublier celui que je fus
    Le Collins & Robert aux genoux et The Saint
    Brendan Secouant le stylo où l’encre peine
    Cherchant sous le fouet de l’orage les mots
    Qui vont aviver la plaie et manifester
    Le sens de cet exil La Tamise déborde
    Emportant la barque colorée que le moine
    Guide en priant Qu’il rejoigne la mer et dérivant
    Dans le vent et les marées qu’il gagne enfin
    L’Île promise… et je rêve à sa suite
    Dans une coque ovale emportée par le courant
    Au-delà des cartes une terre oubliée
    Où tu m’attends.

     

     

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    source: Wikipedia

                                 

                                         .XVII.

    Au bord du fleuve en crue Un chant avec deux doigts
    Sur un couvercle de zinc et le bourdon du vent
    Dans les hangars abandonnés Murailles redoublées
    D’invocations sauvages Rien ne s’efface rien
    Malgré le ciel acide et les mots inconnus
    Retrouver un instant les passions de l’enfance
    La terre et ses secrets un quai bosselé
    Pousser du pied un caillou coloré et courir
    Sur une ligne étroite entre deux précipices
    Les années devant soi leur flèche qui vole
    Sans effort vers l’horizon Jusqu’à ce point
    Où derrière et devant la distance est égale
    Où la nuit dans le jour prend une égale part
    Si peu chargé de souvenirs pourtant
    Que je n’ai pas dix ans …

     

     

                            II. Les Hautes Terres

     

                                          .XIV.

    Paysage du nord trop de ciel Une fable
    Inachevée un âne dans un marécage
    Et un corbeau fuyant la mer L’ombre
    Secoue les herbes je cherche mon chemin
    Appuyé contre une borne Les îles d’Eilean
    Montent et s’enfoncent sur la ligne du bord
    M’appelant où l’on ne peut combattre le silence
    Ni accroître l’éclat de la solitude Une image
    Frugale est mon plaisir et deux livres d’une langue
    Aiguë comme un silex Lentement passe
    La flèche du soir Au creux d’une dune
    Dresser ma tente Herbes et roseaux
    Et la bénédiction d’un feu que le vent couche
    Puis dormir les dents serrées Comme mort Oubliant
    Ce qui est et ce qui fut…

     

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    Dessin original de Gérard Cartier

     

     

     

    Green

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gérard Cartier, I, « Les Docks » & II « Les Hautes Terres » in Le Méridien de Greenwich, Éditions Obsidiane, 2000, p.20, 27 et 46.

    PORTRAIT DE GERARD CARTIER
    Image, G.AdC

    ■ Gérard Cartier
    sur Terres de femmes ▼

    La duplicité. (poème extrait des Métamorphoses)
    Les Métamorphoses (lecture de Maëlle Levacher)
    Tristran (lecture de Nathalie Riera)
    Le philtre (extrait de Tristran)
    Le Voyage de Bougainville (lecture de Marie-Claire Bancquart)
    Le Voyage de Bougainville (lecture d’AP)
    → EX MACHINA, Journal de L’OIE, La Thébaïde, Collection Roman, 2022.
    → Gérard Cartier / Le Voyage intérieur
    → Gérard Cartier, Le voyage intérieur, Flammarion poésie, 2024 (Lecture d’Angèle Paoli)
    → « I, Les enfances de Mara » in Le Roman de Mara, Tarabuste éditeur, 2024
    → « Terra nullius », Mers Boréales .87., in L’Ultime Thulé  Jeu de l’oie, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2018 


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Flammarion) d’autres extraits de L’Ultime Thulé [PDF]
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Gérard Cartier

     

     

     

  • Luigi Martellini / Polvere Di Mare (Poesie scelte 1964-1987)

     

     

     

                                                                   

    Luigi Martellini, Polvere di mare
    Poésies choisies (1964-1987)
    Traduction inédite de Anna Lo Giudice

    Sur une proposition de Jean Nimis, Université de Toulouse.

                                                                  

     

    Notturni

     

    1.

    Si spacca la stanza al respiro che sale
    dai vicoli col rumore del mare:
    un delirio che i miei Angeli
    scorgono ogni notte.
    Ricompongo sensazioni disperse
    nei locali e fuori a ridosso
    degli orti riconosco voci di operai
    che giocano a carte e mio padre
    nell’umidità della spiaggia.
    Il terrore smarrisce con la brezza
    che sbatte alle finestre.
    Rientro negli spettri della notte
    e sento i miei sassi in lontananza
    frangersi sulla risacca.

    2.

    Un arenile stamane pieno
    di rami arbusti tronchi
    gettati dal mare…
    si potrebbe accendere un fuoco
    accanto ai morti.
    Giungono brividi
    dal fiato notturno.
    Cerco tra festuche rinsecchite
    cespugli intrecciati arabeschi
    …solo una scheggia di legno
    gonfia di sale.

    3.

    La gente trascorre la notte
    per le strade: paese di mare
    simile ad altri.
    Negli orti illuminati
    si racconta di anni a venire
    ogni sera è la conclusione
    di un rito che non muta.
    La pioggia degli astri
    ammanta l’ultimo cielo d’agosto
    sagome di barche
    nelle ombre del litorale
    sussurrano al vento
    leggende straordinarie
    di vecchi lupi di mare.

    4.

    Non c’è più spazio all’orizzonte
    nemmeno per lo sguardo
    in un paesaggio spazzato dalla bora
    ultima Thule* delle nostre suggestioni.
    Miliardi di stelle a portata di mano
    restringono l’universo.
    Addirittura udivamo il suono
    di una conchiglia gigante.

    5.

    Chi mi toglierà dall’animo
    la pena che percorre le logorate
    sembianze del rito straniero?
    Già conosciamo la distanza
    del vecchio porto
    dove giungemmo
    con l’odore di salmastro
    nelle notti stellate.
    Sappiamo già
    della farsa che ci attende.

    6.

    Gli ultimi alberi
    di un ciclo antichissimo
    respirano l’atmosfera
    immobile della fine.
    Dalla memoria si dileguano
    le parvenze della sorte
    piene di eroi smarriti:
    potremo dunque ritrovare
    nel buio il nostro paese?

    Epigrafe

    Ho restituito la morte al destino
    preferisco la condizione di allora
    quando conversavo col mare
    raccoglievo pezzetti di vetro
    levigati dalla salsedine
    inventavo pupazzi d’argilla.

    Luigi Martellini, Polvere di mare, (Poesie scelte 1964-1987)

     

    NOTA:

    Le poesie qui raccolte (e per la prima volta tradotte in francese con varianti) sono state scelte e riordinate cronologicamente dalle seguenti raccolte, le quali invece erano state datate secondo criteri interni:

    Quasar (1959-1975), Manduria, Lacaita, 1977, con l’introduzione di Mario Petrucciani.

    Infiniti sassi (1976), Fermo, Edizioni del Girfalco, 1977, con la presentazione di Giorgio Caproni.

    Mistificato enigma (1964-1980), Caltanisetta-Roma, Salvatore Sciascia Editore, 1982, con una lettera di Mario Luzi.

    Poseidonis (1985), Fermo, Edizioni del Girfalco, 1986, con una nota critica di Emerico Giachery (poi in Eídola).

    Eídola (1960-1987), Milano, Marzorati, 1987, con la prefazione di Carlo Bo

     

    ***

     

    Bio-bibliographie de Luigi Martellini :

    Luigi Martellini vive nelle Marche (Fermo).

    Già docente all’Università di Urbino e poi professore di Letteratura italiana moderna e contemporanea all’Università della Tuscia, ha scritto su D’Annunzio (Ateneo 1975 poi Carabba 2005), Malaparte (Mursia 1977), Matacotta (La Nuova Italia 1981 poi Carabba 2007), la Poesia delle Marche (Forum 1982), Cardarelli (ESI 2003) e su Pasolini (Cappelli 1979, Le Monnier 1983, Laterza 1989 ) fino al Ritratto di Pasolini (Laterza 2006, tradotto in spagnolo dall’Università di Valencia). Ha curato per Mondadori e Leonardo varie opere di Malaparte (Maledetti toscani, Tecnica del colpo di Stato, Il meglio dei racconti, Io, in Russia e in Cina, Mamma marcia, Il sole è cieco) e poi le Opere scelte per “I Meridiani” e per le Edizioni Scientifiche Italiane le opere inedite (Il Cristo proibito e Lotta con l’angelo) e i due volumi: Comete di ghiaccio e Le “Prospettive” di Malaparte.

    Altri saggi su Malaparte sono anche in “Chroniques Italiennes” (Parigi), in “Cuadernos de Filologia Italiana” (Madrid), in Atti di convegni dedicati allo scrittore ed ha collaborato al volume Malaparte (Parigi, Edizioni de L’Herne 2018).

    Inoltre un commento alla Coscienza di Zeno di Svevo è uscito da Carocci e studi su Petrarca, Monti, Leopardi, Ungaretti, Pavese, Tecchi, G. Stuparich, Calvino, P. Levi, Alvaro… sono in Atti di congressi e nei quattro libri saggistici: Modelli, strutture, simboli (Bulzoni 1986), in Nel labirinto delle scritture (Salerno 1996), in Novecento segreto (Studium 2001) e in Altri labirinti (Sette Città 2015).

    Ha collaborato alla terza pagina de “L’Osservatore Romano”, alla Letteratura Italiana di Lucarini, Marzorati, Einaudi Scuola, alla “Rassegna della letteratura italiana” e a “Otto/Novecento”.

    Si segnala anche la sua attività poetica, accolta con favore dalla critica e sulla quale si veda il link ((https: // bombacarta . com  / wp – content /t / uploads / 2022 / 01 / LiV – n.- 49 -Martellini. pdf ? x 40999).

     

    Nocturnes

    1.

    Se brise la chambre au soupir qui monte
    des véhicules avec le bruit de la mer:
    un délire perçu chaque nuit
    par mes Anges.
    Je recompose des sensations éparpillées
    dans les cafés et dehors à l’abri
    des potagers je reconnais les voix des ouvriers
    qui jouent aux cartes et sur la plage humide
    mon père.
    La terreur s’égare à la brise
    battant aux fenêtres.
    Je rentre dans les spectres de la nuit
    et entends mes cailloux au loin
    se briser sur le ressac.

    2.

    Ce matin une plage de sable est comble
    de branches arbustes troncs
    jetés par la mer
    on pourrait allumer un feu
    près des morts.
    Frissons lancés
    par l’haleine nocturne.
    Je cherche parmi les fétuques sèches
    buissons entrecroisés arabesques
    … mais il n’y a qu’une écharde de bois
    bouffie de sel.

    3.

    Les gens passent la nuit
    dans la rue: village marin
    comme les autres.
    Dans les jardins éclairés
    on suppose le futur
    chaque soir est la conclusion
    d’un immuable rite.
    La pluie des astres
    recouvre le dernier ciel d’août
    les silhouettes des bateaux
    dans les ombres du littoral
    murmurent au vent
    leurs légendes extraordinaires
    de vieux loups de mer.

    4.

    Il n’y a plus d’espace à l’horizon
    même pas pour le regard
    dans un paysage balayé par la bora
    dernière Thulé* de nos suggestions.
    À pleines mains centaines d’étoiles
    resserrent l’univers.
    On entendait même le son
    d’une coquille gigantesque.

    5.

    Qui pourra arracher de mon âme
    la peine sur les traits
    fanés du rite étranger?
    On connaît déjà la distance
    du vieux port
    où l’on arrive
    avec une odeur saumâtre
    pendant une nuit d’été.
    On connaît déjà
    la force qui nous attend.

    6.

    Les derniers arbres
    d’un très vieux cycle
    respirent l’atmosphère
    immobile de la fin.
    Dans la mémoire s’effacent
    les apparences du sort
    pleines de héros égarés:
    on pourrait donc retrouver
    dans l’obscurité notre pays?

     

    Épigraphe

    J’ai rendu la mort au destin
    préférant ma condition d’antan
    lors des conversations avec la mer
    je ramassais de petits bouts de verre
    polis par la salure
    j’inventais des pantins en argile.

    Poussière de mer, Poèmes traduits par Anna Lo Giudice.

    *Thulé: N.d.t. Nom latin fabuleux d’une région nordique non précisée, considérée pour être la limite septentrionale extrême du monde.

     

    Nota:

    Les poèmes ici rassemblés (et traduits pour la première fois en français avec des variantes) ont été choisis et réorganisés selon un ordre chronologique à partir des recueils suivants, lesquels avaient été datés selon des critères internes.

     

     

     

  • Gabriela Mistral / Essart

                                                                                                                      

    <<Poésie d'un jour

     

     

    Bleue

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " mer italienne, mer italienne !" 

    Photo: G.AdC 

     

     

     

     

                               

                              III

                              Eau

    Il est des pays dont je me souviens
    comme je me souviens de mes enfances.
    Ce sont pays de mer ou fleuve,
    de pâturages, prés et eaux.
    Bourgade mienne sur le Rhône,
    rendue en fleuve et en cigales ;
    Antille en palmes vert-noires
    qui est à mi-mer et m’appelle ;
    roche ligure de Portofino,
    mer italienne, mer italienne !

    On m’a portée en pays sans fleuve,
    terres-Agar, terres sans eau ;
    Sarahs blanches et Sarahs rouges,
    où d’autres races ont péché
    du péché rouge d’atrides
    qui content des glaises entaillées ;
    qui ne naquirent pas comme un enfant
    avec de bonnes chairs bien grasses,
    quand je les entends, sans sifflement,
    quand je les traverse, sans regard.

    Je veux retourner à des terres en enfance ;
    menez-moi en un mol pays d’eaux,
    qu’en de grandes prairies je vieillisse
    et fasse au fleuve fable et fable.
    Que ma mère y soit une source
    qu’à la sieste je sors chercher,
    et qu’en jarres descende d’un roc
    une eau douce, aiguë et âpre.

    Qu’elle me vainque et me coupe les souffles
    cette eau forte, âcre et glacée.
    Qu’elle rompe mon verre et que la boire
    redonne enfance à mes entrailles !

     

     

    ESSART

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gabriela Mistral, Essart, Traduit de l’espagnol (Chili) et présenté par Irène Gayraud, La vignette de couverture est de Jean-Michel Marchetti, Éditions Unes, 2021, pp. 73,74.

     

     

    MISTRAL

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait par G.AdC

    Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature. Son immense talent pour la poésie a donné à l’Amérique latine son  premier prix Nobel de littérature, en 1945.

     

    Gabriela Mistral sur    =>   TdF 

     

  • Emmanuel Moses / Le Dictionnaire des sérénités

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    Poesie collage

         

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo-collage by G.AdC

     

     

     

     

     

    À la mémoire de Joseph Jousselin.

     

    Une nuit j’ai rêvé d’un titre : « Le dictionnaire des sérénités »
    Pourtant j’étais tout sauf serein à ce moment-là
    Je n’arrivais pas à dissiper une sorte de nuit intérieure
    Qui s’appesantissait de plus en plus au fond de moi
    C’était pendant une des semaines de forte chaleur
    Je ne sortais que pour acheter de l’eau minérale et des œufs
    J’ai vécu ainsi, terré, avec des litres d’eau et des douzaines d’œufs
    En moi il y avait comme deux personnes qui luttaient à la mort
    du matin au soir
    Ce rêve m’a un peu apaisé, j’ai dû sourire en me réveillant
    Il faudra peut-être en faire un jour quelque chose
    Comme un sculpteur qui trouve une branche et la rapporte
    dans son atelier
    en se disant qu’elle pourra lui servir ultérieurement.

     

    J’ai rêvé que je me regardais en train de me regarder
    Je savais que cet acte contenait une profonde sagesse
    Si profonde d’ailleurs qu’elle m’échappait
    Un souvenir m’est alors revenu
    Je poursuivais un papillon blanc qui en poursuivait un autre
    et celui-ci un troisième
    Cette scène contenait pareillement une profonde sagesse
    qui m’échappait
    « Tout est une question de perspective » me suis-je dit
    « Il suffit parfois d’inverser les termes pour trouver la solution ;
    Ce que tu prends pour de la sagesse est peut-être de la stupidité
    Une stupidité elle aussi si profonde
    Qu’elle ne peut, de même, t’échapper. »

    Avec les quelques mots qui lui restaient
    Il construisait des châteaux roses sur fond de neige
    Il établissait des réseaux qui clignotaient dans la nuit sidérale
    Il organisait des cérémonies aux millions de participants
    qui duraient des éons
    Les mots, serrés dans un tiroir secret
    Étaient protégés par du papier de riz japonais
    Ou une pièce de soie couleur de crépuscule.

     

    Le-Dictionnaire-des-serenites

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Emmanuel Moses, Le Dictionnaire des sérénités, la rumeur libre Éditions, 2024, pp.28, 29, 30.

     

     


    EMMANUEL   MOSES

    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini

    Source

    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes ▼

    → Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    → [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    → [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    → [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    → Dona (lecture d’AP)
    → [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    → Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    → [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    → [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    → La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    → Quatuor  (lecture d’AP)
    → [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    → [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    → [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)
    Étude d’éloignement, poèmes, Éditions Gallimard 2023

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar) la fiche de l’éditeur sur Tout le monde est tout le temps en voyage

     

     

  • Nikolaj Zabolotskij / Sobranie sočinenij v trëch tomach

    << Poésie  d'un jour

     

     

     

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    En 2016, La Rumeur libre éditions a publié Le Loup toqué.

     

     

    Bce, что бьіло в душе…

    Bce, что было в душе, Bce как будто опять потерялось,
    И лежал я в траве, и печалью и скукой томим,
    И прекрасное тело цветка надо мной поднималось,
    И кузнечик, как маленький сторож, стоял перед ним.

    И тогда я открыл свою книгу в болышом переплете
    Г де на первой странице растения виден чертеж.
    И черна и мертва, протянулась от книти к приоде
    То ли правда цветка, то ли в нем заключенная ложь.

    И цветок с удивлеьем смотрел на свое отраженье
    И как будто пытался чужую премудроть понять.
    Трепетело в листах непривычное мысли движенье,
    То усилие воли, которое не передать.

    И кузнечик трубу свою поднял, и природа внезапно
    проснулась.
    И запела печальная тварь славословье уму,
    И подобье цветка в старой книги моей шевельнулось
    Так, что сердце мое шевельнулось навстречу ему.

    1936

    Nikolaj Zabolotskij, Sobranie sočinenij v trëch tomach. Moskva, Chudožestvennaja Literatura, 1983-1984.

                                                  *

    Tutto ciò che era nell’anima

     

    Tutto ciò che era nell’anima, tutto di nuovo perduto sembrava,
    e mi sdraiai sull’erba, triste e annoiato.
    E un fiore giganteggiò su di me la sua bella forma,
    e un grillo campestre, come una piccola guardia, innanzi gli stava.

    Allora ho aperto il mio libro dalla grande rilegatura,
    e sulla prima pagina ho visto il disegno di una pianta.
    E nera e morta la verità, o la menzogna
    del fiore riprodotto si è trasmessa alla natura.

    E il fiore guardava la propria immagine con stupore
    come se cercasse di capire una sagezza altrui.
    Attraversava le foglie un tremore movimento di un insolito penseiero,
    ed uno sforzo di volontà che non si può restituire.

    E il grillo campestre modulò il suo canto e la natura si risveglio,
    e un inno alla mente innalzò la melanconica creatura.
    E la parvenza del fiore del mio vecchio libro così
    si mosse ed anche il mio cuore incontro gli andò.

    1936

     

    65

     

     

     

     

     

     

    Texte traduit par Amedeo Anelli pout la revue Kamen’, Rivista di poesia e di filosofia, N° 65, Libreria Ticinum Editore, 2024, pp.88,89

     

       *       *      *

     

    Tout ce qui était dans l’âme

    Tout ce qui était dans l’âme, tout semblait perdu à nouveau,
    et je m’allongeai dans l’herbe, triste et mélancolique.
    Une fleur géante étendit sur moi sa belle forme,
    un grillon des champs, pareil à un petit veilleur, se tenait devant elle.

    Alors j’ai ouvert mon livre à la grande reliure,
    et sur la première page j’ai vu le dessin d’une plante.
    Noire et morte la vérité – ou le mensonge –
    de la fleur reproduite s’est transmise à la nature.

    Et la fleur regardait avec stupeur sa propre image
    comme si elle essayait de comprendre la sagesse d’un autre.
    Un tremblement traversait le feuillage mouvement d’une pensée insolite,
    ainsi qu’un effort de volonté impossible à restituer.

    Et le grillon des champs modula son chant, la nature se réveilla,
    un hymne à l’esprit fit s’élever la mélancolique créature.
    L’ombre de la fleur de mon vieux livre se déplaça
    ainsi et mon cœur lui-même alla à sa rencontre.

    Traduction inédite : Angèle Paoli

     

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    Nikolaj Alekseevic Zabolotskij (1903-1958), peu connu en Italie et en Europe, a été l’un des poètes russes les plus importants du XXe siècle. Narrateur et traducteur, il collabora à l’édition de livres pour enfant. Ses premiers poèmes furent publiés à Leningrad en 1927 dans les revues littéraires de l’époque. Il fonda avec d’autres OBERIOU, acronyme pour « Association per l’art réel », au croisement du futurisme, notamment de Vladimir Maïakovski et de Velimir Khlebnikov. OBERIOU fut l’ultime avant-garde des années Vingt. Grand innovateur, sa poésie est une combinaison brillante de classicisme et de modernité.

    En 2016, La Rumeur libre éditions a publié Le Loup toqué. Anthologie poétique 1926-1958, textes choisis et traduits du russe par Jean-Baptiste Para,

     

    Nikolaj-zabolotskij

     

     

     

     

     

    Voir aussi sur  => TdF   

     

     

  • Terres de femmes n° 236 ― Septembre 2024

    CLIQUER SUR LA PHOTO
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    du numéro du mois de Septembre 2024

    SEPTEMBRE 24

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction :  Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et  mise en images: Guidu Antonietti di Cinarca:  (G. AdC ) 
     
     
  • TdF sommaire du mois de Septembre 2024 / N° 236

     

     

     

    SEPTEMBRE 24

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    ♦ SOMMAIRE DU MOIS  DE SEPTEMBRE 2024  ♦

     

    ♦ Cartouche du N°236 de Terres de femmes / septembre 2024 ♦

     

    Terres de femmes n° 236 ― Septembre 2024
    TdF sommaire du mois de Septembre 2024 / N° 236
    Dominique Sorrente / Ici ne tient jamais en place / Lecture de Laurence Verrey
    Isabelle Pinçon / Petita, bientôt
    Sophie Loizeau / Poèmes paniques, Anthologie 1999-2020.
    Régis Lefort / Nuit blanche
    Corinne Le Lepvrier / La petite distance
    Angèle Paoli / Caroline François-Rubino / Mont Ventoux, vues et variations / Lecture de Sabine Péglion
    Emmanuel Echivard / Images Anne-Laure H-Blanc / À quel moment du village
    Gilles Jallet / Les Utopiques 2
    Fabienne Raphoz / Infini présent / l'insecte

    Catherine Weinzaepflen / D'Ailleurs
    Jean-Pierre Chambon / Étant donné / Lecture d’Angèle Paoli
    Guy Goffette / Chanson pour Robert Ganzo
    Michel Diaz / Traverser l’obscur
    Jeanne Bastide / Je ne cours plus après mon ombre / Roman
    Angèle Paoli / Au fil des jours / Éditions Musimot
    Isabelle Lévesque / Michèle Destarac / Passer outre
    Ariane Dreyfus / Le double été / Lecture d'Angèle Paoli
    Danielle Fournier / Il y avait du sel
    Doina Ioanid / Une obscurité remplie de lumière
    Alain Freixe / Quand l’automne dit non, c’est oui que j’entends
    Jean-Pierre Siméon /Avenirs suivi de Le peintre au coquelicot
    François Cheng / Suite orphique

     

                                 

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                    ♦ Tdf sommaire du mois d'août 2024 ( N°235)
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois d'août   2024 ( N° 235)  

                                                      ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros

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  • Dominique Sorrente / Ici ne tient jamais en place / Lecture de Laurence Verrey

    Dominique Sorrente
    Ici ne tient jamais en place
    Voix d’encre, 2022
    Lecture de Laurence Verrey

     

     

     

                                          

    Dominique-SORRENTE-Ici-ne-tient-jamais-en-place

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ICI

    Il est fascinant pour le lecteur qui suit à travers le temps le lent déploiement de l’œuvre d’un poète de déceler des traces posées dès le premier recueil et présentes par la suite, empreintes ou cailloux blancs qui marqueront la route de l’auteur et, à son insu peut-être, lui donneront la direction de son orient. Dans Citadelles et mers, (Collection Sud, 1978) au troisième poème de l’ouvrage, Dominique Sorrente écrivait: 

    « Ici où tu aimes, dans le gel
    qui brise tes doigts sur l’anneau,
    les questions disparurent. »

    Ici. Tel est le mot qui marque de son sceau la page, le début du voyage et les poèmes à venir. Un mot, telle une ancre minuscule ou une ligne jetée dans la mer pour une pêche miraculeuse. À la fois signe d’une fidélité à soi et à la quête poursuivie, la dimension d’Ici se retrouve comme une touche vive dans le titre de deux recueils : C’est bien ici la terre, (MLD, 2012) et celui que nous ouvrons aujourd’hui : Ici ne tient jamais en place. Ici est cet élément vital, turbulent et souple comme du vif-argent, compagnon du vent, éveilleur d’étonnement. Donner la parole à Ici, c’est acquiescer et toujours commencer, accueillir les dons éphémères du vivant, porter attention à un château de sable, déguster une liqueur d’euphorie, déchiffrer la loi inégalable des reflets. C’est respirer avec la marée et l’océan polyphonique, s’offrir un bain de vent d’ouest, emprunter un chemin de Compostelle version miniature.

    Un premier texte Sinon, les nuits de beau désastre ouvre le recueil, pour un bref éclairage des assauts de l’insomnie et de la lune propices à l’éclosion du poème. Avant de s’en remettre au vent, joueur et beau chorégraphe, à son passage « à travers le monde qui oscille ». Nous retrouvons le poète de la ferveur, ses appels à vivre grand, penser haut. Nous le retrouvons à l’œuvre sur ses terres vendéennes aimées, sur les sables en bordure d’océan et du large, maître dans l’art de capter le réel insaisissable et fécond, il nous associe à sa leçon

    De tout se souvenir, juste fréquence.
    Et jamais jusqu’à épuisement.

    Et nous voudrions à sa suite tout goûter et embrasser, tant est foisonnant et communicatif son partage du monde sensible – échassiers, moules ou coquilles foulées par un fakir débutant, vagues inventives, parade défensive du chardon… – Nous le suivons, qui se lie furtivement à tel personnage, telle passante sur la plage, à un troubadour et ses instruments du XIIIe siècle, « dans le pur instant qui contient toute récompense », invités avec Héraclite dans cet espace où « tout coule » et chante « comme litanie de rivière »… où la poésie s’unit à la philosophie.

    Parce que ici la vie relève du prodige, Dominique Sorrente, dans la partie centrale du recueil, pose un poème comme une borne, une ligne de protection contre l’accablement envahissant du monde et de ses nouvelles mortifères. À contre-courant des forces de destruction, il affirme sa propre loi, sans concession, fait le choix d’un regard sauf, d’une volonté de laisser les morts enterrer leurs morts :

    Ce qui s’effondre tout autour mérite l’effroi.
    Mais j’ai donné en d’autres jours.

    Le monde est à feu et à sang,
    à asphyxie et tremblement,
    qui en moi n’est pas au courant ?

    Je plaide ici pour la dernière guérite.
    Le regard rescapé sur la merveille.
    Il m’instruit plus, de fait,
    pour cicatriser les paupières 
    que la liste des corps morts jonchant la nuit.

    Ceci exprimé, il peut à nouveau s’adonner à la jubilation, éprouver la « douce, miraculeuse ébriété de vivre », nommer les baisers de la marée, une vapeur d’écume, s’accouder au vent toujours allié, laisser apparaître « des images divines, évanescentes, insondables». Il laissera aussi se dire la conscience aiguë, émouvante, de sa finitude. « Il fera beau comme un envol ce jour-là ».

    La dernière partie du recueil, « Demandez à l’écorce », est un long poème dédié au langage à son origine. Après les premiers cris, les premiers mots, pluie, fissure, luciole, visage, caillou, vient le difficile apprivoisement des lettres, l’invention d’une « langue des signes à part ». Le poète évoque son lien aux livres dans une relation un peu chahutée, d’insolence rivale et de respect comme dans un rapport aux dieux, un parcours qui va déboucher sur l’écriture personnelle, avec « ses carnets de la route immobile», dans un frémissement de joie pressentie jusqu’au « déchiffrement par le feu ».

    L’écriture de Dominique Sorrente se déploie sous le signe de l’abondance et de l’émerveillement, des mouvements incessants de l’esprit et de sa vigilance sans cesse active. Elle fait œuvre bienfaisante dans ce temps d’abattement. Elle nous invite au festin généreux de vivre, offert dans la gratuité. Ses poèmes évoluent en compagnie de quinze peintures d’Anne Slacik, dans leurs vibrations bleues, leurs flots profonds secoués d’herbes et d’algues vives.

     

    Laurence Verrey / Voir ausi sur  => TdF 

    Dominique_Sorrente_2022

     

     

     

     

     

     

     

    Dominique Sorrente sur => TdF 

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    Laurence Verrey 

    08_Verrey-nb

         
        Source

        ■ Laurence Verrey
        sur Terres de femmes ▼

    « Topographie poétique » in Anthologie de la poésie suisse d’aujourd’hui, 45  poètes,  Œuvres de Zanzucchi, Bacchanales n°64, 2022.

    Lutter avec l’ange Bernard Campiche éditeur, 2021. Lecture de Sylvie Fabre G

    → Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet (chronique)
    → Ton pas déjà me quitte
    → Vous nommerez le jour (note de lecture d'Annette Luciani)

     
        ■ Voir aussi ▼

    → le site personnel de Laurence Verrey
     (sur le Cultur@ctif Suisse) une page auteur consacrée à Laurence Verrey
    → (sur le Cultur@ctif Suisse) d’autres extraits de Vous nommerez le jour de Laurence Verrey
    → (sur le site du Scriptorium de Marseille) un extrait d’Une brève transe de cailloux, précédé d’une note de présentation de Dominique Sorrente

     

     

  • Isabelle Pinçon / Petita, bientôt

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

    NUAGES

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo : G.AdC 

     

    Des griffures dans l’air du soir, de vilains nuages
    entre ta maman et moi, pas vraiment la tempête
    mais un temps lourd, chargé d’oiseaux noirs.

    Je quitte la maison pour croiser d’autres mots,
    n’importe lesquels même e le mot pluie fera
    l’affaire

                                     *

    Je viens de t’acheter un petit ciré avec des cœurs
    superposés.

    La réconciliation est certaine, immédiate.

                                     *

    Ta maman soulève son pull à table pour te voir,
    au lieu de finir son assiette.

    Je suis assise en face de toi, tu te cales toujours
    côté gauche.

                                      *

    Plier les pyjamas par taille, laver les bodys,
    repasser, mettre les jolies tenues sur les cintres,
    ranger, empiler, organiser, faire des tas, chaque
    jour est un long programme.

    Bientôt ton corps va exister dans nos mains.

                                        *

    Le premier acte que je signe, ma présence de
    bientôt grand-mère pour toi.

    Ta maman se tient devant, première, principale.

                                               *

    L’homme a quitté la longue plage et les palmiers,
    a quitté le bord du grand bassin où les deux
    graines se sont rencontrées, a décidé de prendre
    le large, si loin des côtes, si loin de ta maman, a
    disparu de la ligne, du volcan et des rires.

    Tu n’es pas devenue son enfant.

    Peut-être qu’un jour les fées feront revenir l’en
    allé.

                                             *

    L’homme du tout début ne te tiendra pas par
    la main et pourtant tu es resplendissante petite
    étoile.

    Tu iras peut-être le chercher sous les décombres,
    lui dire qui tu t’appelles, ce ne sera ni un beau ni
    un mauvais jour mais ce sera un jour de vérité.

                                             *

    Il est trop tôt, je bois un thé chaud, ta maman
    dort dans l’autre pièce, ses rêves parfois font des
    cauchemars mais ton territoire est bien défendu.

    Tu peux voguer tranquillement au milieu des
    images.

                                             *

    J’ai écrit Petita en parlant de toi.

    Les lumières tamisées chuchotent la nuit,
    éclairent juste un peu, nous veillons, nous nous
    faisons veilleuses.

                                             *

    Le temps est concentré sur toi.

    Nous ne sommes pas des fantômes, bientôt
    tu nous verras.

     

     

    Pincon

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Isabelle Pinçon, Petita, bientôt, Cheyne éditeur 2024, pp.40, 41, 42, 43, 47, 48, 49, 60, 51, 52.

     

     

    ISABELLE P.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     ISABELLE PINÇON =>  source

     

     ■ Isabelle Pinçon
    sur Terres de femmes ▼

    Ici Algérie, Cinquante fois un poème, 50, 51, éditions La passe du vent, Collection Poésie, 2020

     

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La passe du vent) la notice de l’éditeur sur Ici Algérie, Cinquante fois un poème
    → (sur le site de l’espace Pandora) une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Pinçon