Catégorie : Uncategorized

  • Pascal Commère / Garder la terre en joie / Lecture d’Angèle Paoli

    Pascal Commère, Garder la terre en joie,
    Peintures originales de Djamel Meskache,
    Tarabuste Éditeur, 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

     

    IMG_1088 (1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Peinture de Djamel Meskache

     

     

     

     

    Une bure de terre noire

     

    Garder la terre en joie. Tel est le titre choisi par Pascal Commère pour regrouper les poèmes de son dernier recueil. Un titre qui sonne comme une exhortation dans un monde qui vacille, pour une « terre » qui a du mal à trouver sa respiration et à préserver sa force et sa beauté. Une exhortation modulée, infléchie et recentrée en cours de lecture par le contexte auquel le titre est emprunté :

    « Le difficile métier de l’hiver, garder
      la terre en joie ».

     

    Le titre renvoie en effet au dernier volet du recueil qui en comporte 7 et aux deux vers sur lesquels se clôt l’un des poèmes qui composent cet ensemble. Le poète, tout comme l’hiver et ses « hardes » sauvages, a bien du mal à rassembler « ce qui reste de lumière » et à susciter « l’improbable rencontre du ciel et de la terre. »
    La terre, pourtant, est là. Présente. Et avec elle, la nature, la campagne, les saisons, le jardin, la lumière, l’herbe, la neige… Avec, qui lui sont liés, la marche, les déambulations à pied, en ferry ou en train, l’ici et l’ailleurs, le voyage, la mère, la mort. Ainsi que l’écriture – et les interrogations qu’elle suscite et qui habitent le poète – comme une ultime tentative pour se garder de l’égarement.

    Le recueil s’étire de 2009 à 2023, sans qu’il s’agisse pour autant d’une anthologie. Davantage d’un choix de poèmes pouvant coexister ensemble et se répondre en écho. « Une halte à Stockholm » et « Un rêve prémonitoire » appartiennent à la même temporalité – 2009. Mais le premier volet pourrait être associé au sixième : « Berlinoises », plus proche de nous dans le temps (2018). D’autant qu’au cours de ces deux voyages pourtant si différents par les souvenirs qu’ils engagent, la pluie et ses variantes – l’eau, le fleuve, les pleurs – assurent et le lien et le rythme des poèmes :

    « … mère était là encore, il pleuvait
    depuis combien de jours je ne sais, le déluge
    ne date pas d’hier, de l’eau partout des flaques
    je me souviens… » (in « Une halte à Stockholm »)

    et, dans « Berlinoises » :

                                    « Hambourg,
    que de sorties – laquelle prendre, nous cherchons
    un lieu où bivouaquer, il pleut… »

    Ou encore, quelques vers plus loin :

                         « – les mères
    n’ont-elles d’autres tâches
    que de pleurer leur fils ? »

    et, toujours dans « Berlinoises »

                                             «… Unter den Linden,
             on n’échappe pas
    aux itinéraires obligés – et jusque dans les mots
    qu’on lit dans le bus de l’Alexanderplatz,
    si vide et froide l’autre soir, il pleuvait. »

    On pourrait associer le troisième volet, « La lagune, en hiver » au voyage. Un voyage dans le temps – 2013-2014 -, retour sur un passé qui rejoint un passé plus proche en raison de la dédicace In memoriam F.V. Laquelle renvoie, me semble-il, à 2018, date de la mort du poète Franck Venaille.* « Le voyage de la mère », 5ème volet, s’étire de 2018 à 2023. Mais ce voyage-là, est un voyage bien particulier. Qui associe comme des parallèles qui vont à la rencontre l’une de l’autre sans se croiser et ne se renouvelleront pas, le voyage en train du poète à celui de la mère. Son dernier voyage.

                                                           « Le train roule,
    on ne se verra plus, certains mots plus que d’autres
    sont durs à avaler, plus qu’un biscuit rassis,
    je les garde pour moi sans même les avoir dits. »

    Ainsi le voyage en train pour rejoindre la mère berce-t-il les vagabondages de l’esprit. Errances et rêveries se fraient un passage dans la solitude, qui mènent de la mère à Cendrars. Si la rencontre est impossible de l’une avec l’autre, le souvenir de Cendrars, la force de ses mots, semblent pour le poète un secours provisoire :

                  « Je suis seul, personne à qui parler
    hormis toi petite mère qui n’a pas lu Cendrars et
    ne peux (sic !) comprendre, est-ce ma faute
    si la mémoire s’en remet invariablement aux poètes, seuls
    garants de l’unique voyage qui vaille. »

    Au-delà, restent l’absence irréversible et cruelle, un vide qui noie toute chose, un sentiment d’indifférence et une multitude de questions sans réponses. Reste le chagrin, indicible lui aussi et secret. Le monde, lui, continue de rouler. Versatile et insensible.

    « Je regarde par la fenêtre.
                                                     Déjà
    l’ocre succède au vert […]

                  -la terre
    est en déroute, les mots
    n’ont d’autre assise que la paille vide des chaises. »

    Restent les volets 4 et 7, proches à la fois par la temporalité de l’écriture et par la thématique ; « Un jardin dans la lumière des saisons » – 2022 – et « Garder la terre en joie. » – 2017, 2023. La tonalité de ces poèmes est proche, qui immobilise le jardin dans une lumière « chiche » et dérobe la joie, ne laissant que la nostalgie d’un temps disparu :

    « Sous quelle pierre, quel mot, s’est-elle réfugiée
    la joie ancienne, que tu ne puisses la débusquer, en sentir le feu
    qui dévore en même temps qu’il apaise ? »

    D’un volet à l’autre se découvre un même objet du poème, une motivation identique – et lucide – qui nourrit chaque fois le désir d’écrire et de consigner des notes dans le carnet :

    « Tentative assez vaine j’en conviens, à
    laquelle cette fois encore je me soumets,
    que de définir, ou tout comme, ce qui
    nous environne et n’est en fait
    qu’un espace sans limites… » (in « Garder la terre en joie. »)

    et, dans « Un jardin dans la lumière des saisons » :

    « Essayant tantôt d’approcher ce qui
    dans la lumière ne peut s’atteindre, tantôt
    restant coi, insatisfait,
                                              dans l’attente
    d’on ne sait quelle étincelle
    qui tout soudain mettra le feu aux poudres… »

     

    Nombre d’autres pistes relient les poèmes entre eux, nombre d’autre échos se répondent de l’un à l’autre, tant le recueil est riche d’une mémoire qui cherche à fixer le peu qui reste de toute tentative vitale.

    «                                                      – La forme
    de ce qui est et n’est pas, sinon
    souvenir de ce qui fut, ou non, enfoui sous les sable
           des murs
    où se perdent les pas. » (in « La lagune, en hiver »)

    La forme des poèmes varie avec le temps et l’espace. Au long et dense poème d’ouverture, « Une halte à Stockholm », dans lequel le poète établit d’emblée un lien étroit entre voyage et poème, s’opposent, par leur aspect plus aéré et plus intimiste, les 19 poèmes d’ « Un jardin dans la lumière des saisons. » Ou encore, ceux, très proches par leur tonalité, de « Garder la terre en joie. » Mais, quelle que soit la forme choisie, les interrogations sont identiques, qui accompagnent les déambulations du marcheur qu’est Pascal Commère. Interrogations sur le pouvoir des mots, la nécessité de nommer les choses, l’adéquation entre les choses et les mots. L’attente que les mots suscitent dans l’esprit du poète. Ainsi du très beau final du « Voyage à Stockholm » où tout se trouve dit de la pluie qui permet de rabouter, par l’évocation qui en est faite, présent et passé :

                                                                    « Qu’est-ce
    que la pluie, qu’a-t-elle à dire aujourd’hui, le mot
    et pas seulement, ce qu’il est et induit, instant de vie
    banal et si vite oublié, des fois qu’en l’écrivant
    resurgiraient des odeurs, un émoi, le bourdonnement
    d’essaim dans les feuillages en face que ponctuent
    les piques de l’averse, une attente sinon quoi, le peu
    de clarté du ciel ce jour-là dans une ville au nord. »

    De même du voyage qui engendre un retour sur soi-même rythmé par des questionnements récurrents :

    « Que cherchais-tu ? Quelle image propre à retenir dans
               l’instant
    ce qui ne meurt ? »

    et plus loin, toujours dans « La lagune, en hiver » :

                           « Ou s’il faut
    prendre le large, marcher encore, questionner
             à la recherche
    de quoi, si ce n’est répétition des gestes, vaisselle
    cassée des mots, chaque jour remise… »

    Les déambulations dans Venise, ses eaux troubles, ses « façades rapiécées », sa laideur ordinaire et triviale, nourrissent de noirceur le regard pessimiste du poète et, contre toute attente, le poème lui-même :

                          « De quoi nourrir,
    tu souris, l’impossible poème
    d’un amour cadenassé aux rambardes d’un pont, disputé
    aux ombres d’un visage entraperçu
    sur l’eau vieillie, qui s’enfonce
    parmi les détritus. »

    De même le regard contrasté – mélange d’admiration enthousiaste et d’amertume – que le poète pose sur Berlin, ville aimée – d'un « pays frère malgré tant /de déchirements, de heurts» – et néanmoins livrée aux trivialités galopantes du monde moderne :

                                                    « [ …] Museaux
    de toutes parts affairés, groins surgissant
    au cœur de la nuit, fouillant parmi les détritus
    ordures &gravats, gaz d’échappement,
    l’habituel tournis des berlines […]
                                                    -Berlin
    cœur de l’Europe, nerf et sang, cœur du monde
    c’est deux heures à Irkutsk quand ici le soir tombe
    sur l’Alexanderplatz. »

    Avec le récit d’« Un rêve prémonitoire », le voyage prend une forme particulière. Seul exemple de texte en prose dans le recueil, le rêve nocturne, bousculant et bouleversant les données de la vie éveillée, rend possible ce qui se dérobe dans la vie réelle. Avec un incipit hérité des récits narratifs anciens, Pascal Commère enlève aussitôt sa lectrice à sa suite :

    « …Ou comment, descendus du car en rase campagne, nous nous étions retrouvés dans la nuit parmi les grands arbres élancés… »

    Ainsi commence le récit onirique, qui fait ressurgir, au fil du texte, les paysages fondateurs de l’enfance campagnarde du poète, portraits, visages et attitudes, habitats, mœurs et outils. Des visions réalistes que des bifurcations imprévisibles transforment soudain en une scène extérieure de théâtre rural qui tourne soudain au cauchemar intérieur et à la folie. Égarement, décapitation et castration. Horreur et angoisse. Jusqu’au moment du réveil.

     

    Les questionnements incessants qui structurent la pensée du poète, sont une marque essentielle de l’écriture dans ce recueil. Elles sont toujours binaires. Construites sur le balancement, elles sont introduites par des procédés divers : « ou si » / « si ce n’est » / « ou est-ce » / « sinon » / « ou s’il faut » / « à moins que »…

    Comme si le poète était en permanence préoccupé par une hésitation originelle, en proie à l’indécidable.

    « Qui revient sur ses pas est-il le même, un autre ?
    Ou si, voisin des ombres, incertain
    quant à l’opportunité d’un retour, il n’en peut
               s’approcher
    sans y croiser la sienne ?

    Ailleurs encore, dans « Un jardin dans la lumière des saisons » :

                                              « Dans l’instant,
    la fulgurance. Comme par surprise – en passant.

    Et rien du poids des mots, rien. Ou s’il faut
    dans les mots se souvenir.

                                                         Oublier. »

     

    Ces balancements, qui jouent sur les oppositions, remettant en question ce qui a été énoncé précédemment, donnent au poème son élan de tristesse. Une permanente incertitude baigne les vers d’une coloration diffuse qui se joue de la lumière. Une passagère, la lumière, – tout comme le poète ou n’importe quel humain – qui s’amenuise au fil du texte jusqu’à l’interrogation finale. Car le poète est un adepte de la discrétion, de la modération et de la légèreté et non de l’exubérance ou de l’exagération.

     

                                      4

    « Il ne faudrait en fait qu’accompagner – com
    pagnonner se peut-il dire, dès lors que la lumière
    à l’égal du pain se partage, passant de branche
    en branche, comme nous, tout bas, marchant
    coude à coude, portés vers quoi, d’un même élan
    touche à touche – parfois une manche effleure
    une autre, à peine, ou si c’est une feuille, un souffle.

    Que sommes-nous alors dans le jour qui s’accroît
    sinon des ombres parmi d’autres au pied des arbres ?

    Ainsi le poète se refuse-t-il à tout mode d’insistance. Ou d’affirmation péremptoire. Tout acte chez lui semble suspendu dans le retrait. Jusqu’au mot, qui se suffit à lui- même :

    « Neige. Non point féerie, jeux désuets. Simplement,
    le mot seul.

    Ce qu’on ne sait nommer. »

    La neige, comme le jardin ou comme le brin d’herbe, est unique. Singulière, isolée de la chaine temporelle dans laquelle elle s’inclut. Dans l’étrange éloge que le poète fait du jardin se lit la même réserve, le même renoncement à tout effet de richesse, d’ostentation, de superficialité clinquante et bruyante. La recherche, s’il y en a une, semble conduire à la simplicité monastique :

    « Jardin au singulier – unique, et
    tout ensemble simple fragment du Tout.

    Jardin, comme on bâtit
    un habit de pauvre, une bure
    de terre noire. »

    Il y a dans ce jardin d’hiver tel que le poète le pense et le sent, quelque chose de déchirant. Et de terriblement émouvant. Quelque chose qui étreint au plus profond.

    Il y aurait encore tant de choses à dire. Ou à écrire. Parler des italiques, si importantes, dans le dernier volet « Garder la terre en joie », parce que récurrentes. Chaque poème en effet, inscrit sur une seule page, se terminant par un blanc suivi de vers en italiques, lesquels relancent souvent le questionnement. Il faudrait évoquer la présence discrète d’autres poètes, écrivains et artistes avec lesquels Pascal Commère, comblant ainsi le vide dont il souffre, établit son compagnonnage. F.V,  James Sacré dont il sème, ici et là, les tournures grammaticales que la lectrice lui connaît et Blaise Cendrars. Mais aussi Hans Fallada et Anselm Kiefer pour l'Allemagne. Et sans doute d’autres que je n’ai pas identifiés. D'autres se glissent sous sa plume. Jacques Roubaud et Jean-Paul Bota. Mais aussi, de manière plus explicite, l’écrivain italien Giorgio Bassani, dont il découvre, au hasard d’une lecture, ces quelques phrases qui ne peuvent que retenir son attention, tant elles résument à elles seules l’état d’esprit du poète dans ce dernier recueil :

                    « L’automne finit. L’hiver survint, le long et froid hiver e nos régions. Le printemps revint. Et lentement, en même temps que la ronde des saisons, le passé aussi revenait. »

    *F.V : seules les initiales du dédicataire sont données. Mais, lisant « La lagune en hiver », je pensais au Trieste de Franck Venaille.

    _________________________________

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli
    _________________________________

     

    ♦ Voir aussi sur → Tdf  ♦ 

     

     

  • Martina Kramer / Atelier lumière / où se joue une physique poétique

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

     

     

    MARTINA

                                                                       

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " Pendant que la lumière dessine et que l’oeil voit … "

     

     

    I

    Une pluie d’atomes
    ouvre le rideau

    reste aujourd’hui
    image initiale

    chute éternelle
    dans la nuit sidérale

    sifflement d’air
    au passage d’un grain

    mouvement-matière
    dans un rêve ancien

     

    II

    Ouvre le rideau
    incline les lignes

    trace dans le noir
    et pourtant

    la chute n’est que
    dessin d’un poème

    traîne lumineuse
    d’infimes collisions

    une image mentale
    pour penser le noir

    III

    Traîne lumineuse
    sel des événements

    porté par un courant
    un vent traversant

    et la matière serait
    ce vent même

    et les corps
    les souffles

    d’une noire lumière
    ses bulles errantes

    IV

    Ses bulles errantes
    points de relations

    particules potentielles
    d’autres assemblages

    leurs liens latents
    dans un champ de courants

    poussières précaires
    en attente d’un glissement

    à chaque déviation
    un avenir différent

    V

    En attente d’un glissement
    éléments suspendus

    entre les forces contraires
    états incertains

    soudaine conscience
    instant de présence

    entre le fugace
    et l’infini

    la matière dans son audace
    invente sa transformation

     

     

    Kramer

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Martina Kramer, « Noires lumières in Atelier lumière où se joue une physique poétique »,
    collection PO&PSY a parte, dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot, éditions érès 2024, pp.63, 64, 65, 68, 69.

     

    ________________________________________________________________________________________________________________________________________

     

    202304192316kramer-martina

    Martina Kramer, artiste plasticienne et traductrice, est née en 1965 à Zagreb, en Croatie. Elle vit en France depuis 1989. Diplômée de peinture à l’Académie des arts plastiques de Zagreb, et d’art à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon, elle expose régulièrement dans plusieurs pays d’Europe. Elle est l’auteure de plusieurs projets artistiques associant artistes et scientifiques.

     

     

    ___________________________________________________________________________________________________________________________________________

     

     

  • Gerhard Falkner / À Grüningen / In Grüningen

     >> Poésie d'un jour 

     

     

     

      A 

     

     

     

     

     

     

     

     " seule la trace de ce qui a déjà été abandonné" 

    Photo G.AdC 

     

     

    KOPFMUSIK

     

    unsere Gedichte werden vergessen
    werden,– bleiben wird allein
    das Kopfweh
    derer, die sie nicht behalten haben

    unsere Gedichte werden sich
    gegenseitig im Stich lassen
    wozu der Aufwand
    dem Grashalm
    mit einem Lüftchen
                  diesen göttlichen Klaps zu versetzen

    nur die Spur dessen
    was schon verlassen
    zuvor und seit je
    wird leuchten
                 wie bisher

     

     

     

    MUSIQUE DE TÊTE

     

    nos poèmes tomberont
    dans l’oubli – ne restera que
    le mal de tête
    de ceux qui ne les ont pas conservés

    nos poèmes s’abandonneront
    mutuellement
    à quoi bon s’efforcer
    d’un peu de souffle
    de fourguer au brin d’herbe
                 cette petite tape divine

    seule la trace de ce qui
    a déjà été abandonné
    avant et depuis toujours
    brillera
                comme par le passé

     

     

    IMG_0494

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gerhard Falkner, À Grüningen / In Grüningen, Poèmes choisis et traduits par Joël Vincent, Alidades . bilingue, 2024, pp.38, 39.

     

    B76e10959909bd0d69dfe95f5054736a_f21341

     

    Poète, dramaturge, essayiste et traducteur (notamment des poètes de langue anglaise, tels Hopkins, Ashbery, Yeats), Gerhard Falkner est né en 1951.
    Poèmes endogènes est paru en 2000. D’autres recueils ont suivi, dont Hölderlin Reparatur en 2008, Schorfheide en 2019.
    La réflexion sur le sens et l’inanité de la pratique poétique est au centre de ses préoccupations.
    De nombreux prix lui ont été décernés, parmi lesquels le prix Schiller en 2004, le prix Peter Huchel en 2009, et le prix August-Graf von Platen en 2009.

     

     

  • Yannis Kiourtsakis / Camus et Séféris / Une affaire de lumière

    << Essai de →Yannis Kiourtsakis

     

     

     

    Collage camus séféris

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Camus et Séférisphotos / Google images 

     

     

     

    La lumière, l’homme, l’amour

    Telle est pour Camus comme pour Séféris, la triade sacrée, œuvre de la nature ou de la divinité, peu importe. Et à l’image de cette œuvre, la créature qu’est l’être humain est conçue par eux, loin de tout humanisme abstrait, dans sa présence la plus concrète, la plus charnelle, la plus humble.
    Parions donc, avec Camus, pour la renaissance. Deux incidents, tout à fait menus, mais qu’ils prennent soin de narrer l’un et l’autre, nous y aideront :

    Juin 1958. Camus et ses amis français déjeunent, après leur baignade, en plein air dans une taverne de Samos. Un groupe « de beaux enfants » vient les observer.

    « L’une des petites filles, Matina, aux yeux dorés, touche, écrit-il, mon cœur ». Quand les amis quittent la taverne, Matina vient près de la voiture, et alors, note Camus, « je prends sa petite main ».

    Novembre 1967. Séféris déjeune en compagnie près de la mer dans un village du Magne. Son attention est attirée par une petite vieille, mince, agile, vivace, qui marche au loin très vite en faisant jouer sa canne en l’air, sans s’y appuyer. « C’est ma tante, elle a 102 ans », dit un des convives. Cette apparition hante, il ne sait pourquoi, son esprit pendant plusieurs jours ; et il finit par écrire : « Cette créature est restée dans ma mémoire comme un don de Dieu. »

    C’est à la lumière de tels faits, apparemment insignifiants, mais ô combien significatifs, que j’aimerais clore cet essai en lisant les deux pensées suivantes. Séféris – conférence sur Dante (1966) : « S’il est vrai que l’enfer c’est les autres, comme l’affirme l’un de nos maîtres penseurs, il est non moins vrai que le paradis c’est les autres. Et les autres sont aussi nous-mêmes […] Paradis et enfer ne peuvent, je crois, être séparés, et, si nous le pouvons, ne mettons pas en pièces l’âme humaine.» 

    Camus, Retour à Tipasa : « Il y a seulement de la malchance à ne pas être aimé ; il y a du malheur à ne pas aimer. Nous tous, aujourd’hui mourons de ce malheur. » Nos sociétés ne meurent-elles pas de ce malheur ?

     

    9791092858662_1_75

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Yannis Kiourtsakis, Camus et Séféris, Une affaire de lumière, Dessin de Renaud Allirand, La tête à l’envers 2024, pp.74,75.

     

    ♦ Voir aussi ♦

    Séféris sur →Tdf
    Camus surTdf

     

     

  • TdF sommaire du mois de mai 2024 / N° 232

     

     

    TDF MAI 2024

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    ♦ SOMMAIRE DU MOIS  DE MAI 2024  ♦

    ♦ Cartouche du N°232 de Terres de femmes / mai 2024 ♦

     

    Anne Barbusse / Recluse
    Margherita Guidacci / Le Retable d'Issenheim suivi de L'Horloge de Bologne
    Fernando Pessoa / Quatrains au goût populaire
    Lydia Padellec / Le dernier Refuge
    Cécile Guivach et Jean-Louis Kuntzel / Tu dis la vie
    Geoffrey Squires / Sans titre
    Anne-Lise Blanchard / Soliloque pour Elles
    Pascal Commère / Garder la terre en joie
    Éric Sautou / Histoires qui n'ont pas pu
    Guénane / Sourcellerie / Lecture de Marie-Hélène Prouteau
    Ron Rash / Réveiller les morts
    France Burghelle Rey / Les Promesses du chant
    Guénane / Sourcellerie
    Laurine Rousselet / Danser dans l'immensité
    Claudine Bohi / Je cherche un enfant
    Philippe Leuckx / Ce fragile chemin des choses
    Estelle Fenzy / Le Goût des merveilles
    Patricia Pinzuti-Gintz / Rétrospective à trois voix / Bernadette Engel-Roux / Sylvie Fabre G. / Angèle Paoli
    Jean-Louis Bernard / Héritage du souffle / Lecture de Michel Diaz
    Matthieu Freyheit / tout près les dinosaures
    Clément Bollenot / Ici l'horizon
    Sabine Huynh / Prendre la mer
    Jean-Louis Giovannoni / Choix de poèmes
    Guillaume Dreidemie / Le Matin des Pierres / Lecture de Michel Ménaché
    Antonia Pozzi / Un fabuleux silence / Journal de poésie 1933-1938

    ____________________________________________________________

     

                    ♦ Tdf sommaire du mois d'avril 2024 ( N°231 )
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois d'avril 2024 ( N° 231 )  

                                                      ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros

    ____________________________________________________________

     

     

     

  • Terres de femmes n° 232 ―mai 2024

    CLIQUER SUR LA PHOTO
    pour accéder au SOMMAIRE
    du numéro du mois de mai 2024

     

    TDF MAI 2024

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca:(G. AdC ) 
     
     

     

  • Margherita Guidacci / Le Retable d’Issenheim suivi de L’Horloge de Bologne

      <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Retable-d-issenheim-grunewald-musee-interlinden-colmar-0

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le Retable d'Issenheim de Mathis Grünewald  /  source 

     

     

     

     

     

                              La fontana

     

    Il tuo sogno lustrale ! Poiché la pioggia lava
    il mondo, e le sorgenti
    balzano impetuose
    dal suo cuore oscuro,

    preparare un bacino per accogliere
    l’innocenza dell’acqua… Con un gioco
    di delfini, forse, o di candidi uccelli
    nel bordo istoriato, e al centro volti di marmo
    che da labbra enigmatiche
    versino un instancabile sussurro.

    La tua fontana mai compiuta, ed ora
    con te perduta nella notte ! Tu solo
    ne conosci il segreto, sei tu la sua conchiglia,
    l’orecchio teso ad un perenne ascolto,

    mentre vene invisibili traversano
    nel profondo la terra senza nome
    che racchiude colui
    che fu Mathis Grünewald –
    in una fossa d’appestati, fuori
    delle mura di Halle.

     

    Matthias_gruenewald

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mathis Grünewald :  source / wikipedia

     

    La fontaine

     

    Ton rêve lustral ! Puisque la pluie
    lave le monde, et puisque les sources
    jaillissent impétueuses
    de son cœur obscur,

    préparer un bassin pour recueillir
    l’innocence de l’eau… Avec des ébats
    de dauphins, peut-être, ou de pures colombes
    sur la margelle historiée, et au centre des visages de marbre
    qui de leurs lèvres énigmatiques
    laissent couler un inlassable murmure.

    Ta fontaine, jamais achevée, et à présent
    avec toi perdue dans la nuit ! Toi seul
    en connais le secret, toi-même tu es sa coquille,
    l’oreille tendue à une écoute sans fin,

    cependant que des veines invisibles traversent
    en ses profondeurs la terre sans nom
    où demeure celui
    qui fut Mathis Grünewald-
    dans une fosse de pestiférés, hors
    les murs de Halle.

    Livre(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Margherita Guidacci, Le Retable d'Issenheim suivi de L'Horloge de Bologne, Traduit de l'italien et présenté par Gérard Pfister, Arfuyen 2024, pp.56, 57.

     

    ♦ Voir aussi Margherita Guidacci sur → Tdf 

     

    __________________________________________________

    Note de l'éditeur 

    Orologio_strage_bologna

     

     

     

     

     

     

    © Getty Images /

    L'Horloge de Bologne : Le 2 août 1980 au matin, un terroriste inconnu déposa à la gare de Bologne une valise pleine d'explosif. La détonation eut lieu à 10 h 25 : à cette minute précise les aiguilles de l'horloge de la gare s'immobilisèrent et cette image, reproduite dans tous les journaux, devint comme un symbole du terrible événement. En cet attentat, le plus meurtrier qui ait jamais été commis en Europe, Margherita Guidacci reconnaît la terrifiante figure de ce siècle qui, à travers guerres, goulags et génocides, a porté la violence jusqu'à des extrémités encore insoupçonnées. Requiem pour notre temps, requiem pour une histoire tout entière marquée par l'héritage d'un même mal : " De la première étoile de sang naît tout un firmament. "

    __________________________________________________

     

     

     

     

     

  • Anne Barbusse / Recluse

    << Poésie d'un jour

     

     

                                                                                

    Anne-Barbusse4407-2048x1536

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait d'Anne Barbusse / source 

     

     

     

     

    grange d’Adèle, maison de Catherine : recluses,

    chevrière, homosexuelle, néorurales, dans

    la nudité surplombant Vallon Pont d’Arc, le greffe touristique et
    l’explosion surfaite des rochers, calcul irréel
    de la pierre nue, ornières des charrettes que

    les bœufs du Paulou montaient à la crête, avec
    les vagues d’horizon ondulant entre les utopies
    des femmes et le val d’enfer inconscient
    du siècle parcheminé de la mondialisation du silence :

    j’écoute les prénoms, femmes invisibles
    tels les oiseaux de nos consciences,

                                                                           perchées
    parmi les chênes et les rapaces, totalement préoccupées
    des lauzes, du four à pain et de la maison du bouc,
    auréolées des murets quadrillant

    l’espace imparti à l’existence (herbes, pierres sèches
    tombant parfois par bruit sec et bref), solitude
    choisie dans la peur, cerclée
    d’hommes semi-apprivoisés, montant la côte dans
    le désir et l’instabilité

     

                                                                     –les chênes acquiescent,
                                  le vent pardonne,

                                                                   avec batteries solaires/ éolienne
                                   on recharge des téléphones portables (lien indubitable avec
                                   ce qui reste d’hommes),

                                                                        vent et soleil sont
                                   les alliés calculés du désir, et la pluie remplit
                                   les citernes pures, le monde est avec nous,

                                   la société s’achève au creux des vallées et n’en demeure
                                   que le goût étranglé du désir intermittent, la possibilité
                                   inquiète de l’amant, marcheur illusionné, dont
                                   les paroles accueillent arbres et corps, comme

                                   pierres saluées par notre exigence, vivantes et mutilées

                                   on a laissé en bas le poids du temps…

     

    Image

     

     

     

     

                                 

     

     

     

     

     

     

     

                                

                           Anne Barbusse, Recluse, Photo de couverture Hubert Dupommereulle, Pourquoi viens-tu si tard ? 2023, pp.45, 46, 47.

     

     

     

     

     

     

  • Fernando Pessoa / Quatrains au goût populaire

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

    Pesoa

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Portrait de Fernando Pessoa par → G.AdC

     

     

     

     

     

    Puseste a chaleira ao lume
       Com um jeito de desdém.
       Suma-te o diabo que sume
    Primeiro quem te quer bem !

     

    Tu as mis la bouilloire à chauffer
    Avec un air plein de dédain.
    T’emporte le diable qui en premier
    Emporte celui qui te veut du bien. ( 121)

     

    Lavadeira a bater roupa
    Na pedra que está na água.
    Achas a minha mágoa pouca !
    E muito tudo o que é mágoa.

    Toi qui bats le linge, lavandière,
    Sur la pierre qui est dans l’eau.
    Tu trouves que ma peine est légère !
    Mais tout ce qui est peine est de trop. 128

     

    IMG_0490

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Quando passas pel rua
    Sem reparar em che passa,
          A alegria é toda tua
      E minha toda a desgraça.

     

    Quand dans la rue tu passes
    Sans remarquer qui passe,
        Toute la joie est pour toi
    Et tout le malheur pour moi. 253

     

    PESOA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Fernando Pessoa, Quadras ao gosto popular / Quatrains au goût populaire, poèmes traduits du portugais par Danièle Faugeras  et Lorena Vita Perreira, Impressions à la gouache de Inge Kresser, Po&psy extenso, Éditions Érès 2024

     



    ■ Fernando Pessoa
    sur Terres de femmes ▼

    → [Ce soir l’orage a roulé] (extrait du Gardeur de troupeaux)
    → [Hommes de barre !] (extrait d’Ode maritime)
    → Les Îles Fortunées
    → Ulysse
    → 13 juin 1888 | Naissance de Fernando Pessoa
    → 13 juin 1930
    → 14 septembre 1931
    → 29 janvier 1932
    → 11 juin 1932


  • Lydia Padellec / Le dernier Refuge

    <<Poésie d'un jour

     

     

    Samare-erable-prodb

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Samare d'érable  : source Wikipedia 

     

     

    Une   samare    entre   les   doigts. Une aile
    sèche qui aspire à voler.   Croquer la graine
    me donnera-t-elle l’illusion de revenir ?

     

    Chaque jour dresse un tronc veiné de cicatrices.*
    La  sève   s’est    figée    dans   mon   corps.    Je
    m’accroche    à    l’odeur    des    racines.      Les
    souvenirs     défilent    à toute allure.      Le cœur
    amputé.

     

    Parfois un cèpe se cache sous des feuilles.
    Un parfum de noisette   irrigue ma tête un
    court instant.   La vision    d’une omelette
    dans    une assiette    de porcelaine.   Puis
    un visage, un sourire.   La nuit à nouveau.

     

    Chablis    couché.    Un corps    immobile.
    Linceul de brume.   Branches et bras dans
    la terre.   L’écorce  frissonne sous l’assaut
    des insectes.    Écorce flétrie,   piquée   de
    remords.   J’avance   sur   un   fil d’herbes
    ténues. Le dos voûté   d’un trop plein    de
    ciel.

     

    *Vers extrait d’Étrange forêt de Louis Guillaume

     

     

    Padé

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Lydia Padellec, « II, Le dernier Refuge : l’Enfance, Légende armoricaine » in Le dernier Refuge, Collection Ecriterres, Éditions Sauvages 2024, pp.24, 25, 26, 27.
    Prix Paul-Quéré 2023-2024.

    ______________________________________________________________________________________________________________________________________________

    ______________________________________________________________________________________________________________________________________________

     

     

    L Y D I A    P A D E L L E C

    Lydia Padellec portrait
    Source

    ■ Lydia Padellec
    sur Terres de femmes ▼

    Chambre en Elle, En couverture: Nacer De Nuevo, Remedios     Varo,1960, Collection Pour un  ciel désert, Éditions Rafael de Surtis,   2022. 
    → [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] [extraits] (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]

    → Dans la nuit profonde du jour (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)
    → Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
    → [Ma chambre, c’est mon sanctuaire] (extrait de Mémoires d’une enfant dérangée)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes) La mère [autre extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique (+ des extraits)
    → (sur La Pierre et le Selun entretien avec Lydia Padellec