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  • Marianne Desroziers / UnicA ou le morcellement

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    LA VRAIE UNICA

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Unica Zurn (1916-1970)
    autrice et dessinatrice allemande,
    compagne de Hans Bellmer, schizophrène et suicidée.
    Source 

     

     

      UnicA : elle n’a   que ce mot-là à la bouche,   un mot
    simple en apparence   – 5 lettres, 3 syllabes – pourtant
    le mot s’échappe,   s’étire en volutes de fumée, le mot
    volette en papillon
       I : le corps du papillon
       Un et Ca : les ailes
       C’est un papillon jaune, un citron de Provence, le
    plus beau.

      Le papillon cherche un endroit où aller, il aimerait se
    poser sur la bouche   d’une petite fille,  dans un dessin
    de H., genoux écorchés, elle sent la fraise et la vanille,
    une odeur    de bonbon     colle     à ses vêtements, une
    fragrance    plus épicée grandit en son milieu, mélange
    de sous-bois et d’étang.

      Le papillon jaune     aime   les petites filles effrontées
    car elles seules   ont la grâce et la pureté,    elles seules
    expérimentent   la liberté du jeu,  ribambelle de petites
    filles sans l’esprit de l’Homme-Jasmin,   elles font des
    bêtises,  prennent des risques,    parlent à des inconnus
    croisés dans la rue, certains leur montrent   leur SEXE,
    elles s’en fichent, se moquent d’eux et de leurs  petites
    limaces, elles les font pleurer, elles en rient encore plus
    fort.

      Les petites filles    sont cruelles,    grimpent    partout,
    mettent   tout     à la bouche    même    si     ça   semble
    dégoûtant,    elles crachent    si nécessaire. Quand elles
    jouent à la VIE,   elles oublient   le jour et l’heure, tout
    occupées     à leurs jeux,    elles cuisinent     des festins
    pour    des amies imaginaires     avec  pour ingrédients
    terre/  cailloux/   feuilles/ fruits du tilleul/ vers de terre.
    Elles servent     les plats     dans leur plus belle dînette,
    mettant    les petits plats    dans les grands pour
    impressionner l’adulte invité.   Les petites filles savent
    y faire,   elles ne sont pas innocentes,   déployant    des
    trésors    d’imagination     pour charmer      les adultes,
    surtout    les adultes mâles.     Les petites filles veulent
    qu’on les aime – comme tout le monde.  Elles utilisent
    ce qu’elles ont :    leurs sourires enjôleurs,  leurs petits
    corps mignons,    leurs mots doux.   Elles imitent leurs
    mères. Les petites filles mènent le monde à la baguette,
    elles apprennent tôt   à manipuler,    à être capricieuses,
    coquettes, colériques.   La société les formate      dès le
    jardin d’enfants […]

       unicA s’appelle NorA
       unicA est le personnage construit par norA, son
    double artiste, son double écrivain
       norA est celle qui subit
       unicA est celle qui agit
       unicA a réussi
       unicA a effacé norA
       unicA veut la gloire
       unicA veut l’argent
       unicA : femme-oiseau, long cou gracile, flamant
    rose /héron/cygne
      unicA : femme-poisson aux mille reflets impossible à
    pêcher
      unicA : le silence
      unicA : un message crypté
      unicA : femme-arbre aux larges ramures pour mieux
    se cacher
      unicA : femme-serpent ondulante, aies confiance,
    dit-elle
      unicA : femme-nombre, 99
      unicA : femme lettre, M
      unicA : femme-enfant, nostalgie pour la contrée des
    vertes amours enfantines
      unicA : femme-miroir brisée en petits morceaux –
    dans chacun, un œil nous regarde

      unicA se souvient     de ce qu’elle a vécu,   invente ce
    qu’elle voudrait    vivre. Elle puise   dans ses lectures /
    observations/ conversations. Comme le facteur Cheval,
    elle récupère   de la vieille vaisselle. De ces rebuts elle
    fait un PALAIS.   Elle fouille dans les poubelles. Va de
    maison   en maison    récupérer      des vieilles choses :
    meubles/  bibelots/    vêtements,   drames personnels/
    secrets de famille,    violence     conjugale/    inceste,
    maladies honteuses/   filles perdues/      avortement/
    internement.    Elle écoute,    regarde, elle a  appris à
    décrypter les signes, elle sait décoder les attitudes, les
    larmes retenues,   la colère prête à sauter au visage du
    premier venu, les regrets    qui plombent le corps, les
    remords qui rongent l’âme, le désespoir qui fragilise,
    la résignation qui immobilise la volonté.

    Elle récupère     tout ça    dans un grand sac,    rentre
    chez elle,    s’installe  sur la table de cuisine, déballe
    tout, aux matériaux de seconde main, elle ajoute des
    souvenirs/ fantasmes personnels, commence le travail
    d’anagrammes/ patchwork/   mosaïque avec tous ces
    morceaux de vie épars.

     

     

     

    IMG_1857

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marianne Desroziers, poésie, UnicA ou le morcellement, Préface Philippe Labaune, illustration Armelle Le Golvan,
    Éditions Sans Crispation, 2025, pp.71, 72, 73, 74.

     

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    UnicA ou le morcellement est un hommage rendu à l’artiste-poète Unica Zurn dont l’œuvre graphique et littéraire a séduit les surréalistes. Compagne de Hans Bellmer, elle fut internée à plusieurs reprises et mit fin à ses jours à Paris en 1970. Marianne Desroziers prend ici le parti d’en écrire un livre, ou disons-le, un poème, voire un récit où « tout serait inventé et où tout serait vrai »… « Quelque chose d’écrit qui serait comme la trace » qu’Unica aura laissé sur nos âmes, mais aussi nos corps. Un livre « sororal » qui, comme dans « Sylvia, ou la fille dans le miroir » (un hommage cette fois rendu à Sylvia Plath) nous fait pénétrer l’univers hors norme d’une femme fragmentée…

     ALCA ( → Agence  Livre  Cinema et Audiovisuel )

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  • Jean-Louis Rambour / Bleu Roi

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    600

    Dessin de Germain Roesz

     

     

     

     

    Sur la vitre nous effacions le ciel. Pourtant
    restaient des bandes de bleu roi, comme
    imprimées par le rouleau d’un peintre.
    c’étaient d’étroits lés de tapisserie encore posés,
    des lambeaux subsistant sur la vitre.
    Nous la gommions toujours des mêmes gestes
    mais toujours insistaient des silhouettes,
    du ciel demeurait un couple. Face d’homme
    presque noire, orage sur les arêtes du nez
    et la ride du lion. Orage des yeux de femme,
    ses yeux, ses cheveux, son sourire,
    sourire pourtant noir, foulard au cou
    pourtant noir, aisselle d’algues noires.
    Ciel découpé en couple et, de l’homme,
    la verge de bleu sombre, alimentée
    de sang bleu. Gestes pourtant répétés,
    nous ne pouvions effacer nos images,
    un papier carbone reproduisant nos âmes.

     

    IMG_1836

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jean-Louis Rambour, Bleu Roi, Dessins et peintures de Germain Roesz, Les parallèles croisées, Les Lieux-Dits 2024, p.64.

     


    JEAN-LOUIS RAMBOUR

     

    Jean-Louis_RAMBOUR

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ph. © Jean-Louis Rambour

     

    ■ Voir sur Terres de Femmes

     Jean-Louis Rambour | poèmes-diapos


    ■ Voir aussi ▼

    Le Travail du monde, 100 poèmes-diapos, éditions L’herbe qui tremble, 2020
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Jean-Louis-Rambour
    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble) la fiche de l’éditeur sur Le Travail du monde de Jean-Louis-Rambour

     

     

     

  • Friedrich Hölderlin / La Mort d’Empédocle

                                                                                                         << Poésie d'un jour

     

     

                                                      PAUSANIAS
    J’attends ton ordre.

                                                     EMPÉDOCLE
                                           C’était mon dernier ordre,
    Pausanias, mon règne ici s’achève.

                                                     PAUSANIAS
    Père, conseille-moi !

     

                                                  EMPÉDOCLE
                                            J’aurais sans doute
    bien des choses à te dire, mais je veux me taire,
    déjà ne se sert plus du dialogue des mortels, ne
    se plie à la vaine parole, ma langue.
    Vois-tu, ami ! tout change ; plus légère bientôt,
    plus libre, ma respiration, et de même que la neige
    sur les hauteurs de l’Etna se réchauffe, étincelle
    au soleil, se libère en ruisseaux du sommet, déploie
    en arc, où chute leur vague, l’aile de joie d’Iris,
    de même mon cœur ruisselle, déferle, et loin
    résonne ce que le temps pour moi amassait.
    Le pesant tombe, tombe, et limpide
    au-dessus éclôt, éthérée, la vie.
    Chemine avec courage, mon fils, sur ton front
    ma lèvre dépose des promesses,
    là-bas émergent de l’ombre les monts italiens,
    la terre romaine, fertile en prouesses, fait signe,
    tu sauras t’épanouir là où les hommes
    joyeusement s’affrontent dans l’arène,
    ô cités de héros, là-bas ! et elle, Tarente !
    Aux portiques fraternels où si souvent j’allais,
    avec mon cher Platon, enivré de lumière,
    quand pour nous, adolescents de l’École sacrée
    l’année et chaque jour apparaissaient neufs.
    Visite-le aussi, ô Fils, porte à l’ami ancien
    mon salut, auprès de son fleuve natal,
    des rives fleuries de l’Ilissos, sa demeure.
    Si ton âme alors n’aspire pas au repos, va
    plus loin, interroge mes frères d’Égypte.
    Là tu entendras le grave jeu des cordes
    d’Uranie, la modulation de ses accords.
    Eux t’ouvriront le livre du destin.
    Va ! n’aie crainte ! toute chose un jour revient.
    Déjà est accompli ce qui va devoir advenir.
                                    (Pausanias sort)

     

    Friedrich Hölderlin, LA MORT d’EMPÉDOCLE, Troisième version/ Acte I, scène II, Traduit de l’allemand, présentation et chronologie de l’œuvre par Jean-Claude Schneider, suivi de Fondement pour Empédocle, Traduction de l’allemand et annotations par Clément Layet, Postface de Clément Layet,
    Le Bruit du Temps,2025, pp.171, 172.

     

    Holderlin

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Salvator Rosa, La Mort d'Empédocle, huile sur toile,
    entre1665 et 1670. Collection privée.

     

  • Margherita Rimi / Era farsi / Entre les mains des mots /Traduction d’Irène Duboeuf

    Poésie d'un jour
    Traduction de Irène Duboeuf 

     

     

     

    Disgrafia esempio bis(1)(1)

     

     

     

     

     

    " … dalla disgrafia delle tue ossa …"  photo: Google image 

     

     

    Da intitolare

     

    alla Sicilia

     

    I

    Mi dicono di scriverti più in bella
    ma io ti conosco così
    dalla disgrafia delle tue ossa

    dalle radici di mandorlo di notte a questo vento
    da dove esiste tutto questo mare

    E tutte le parole che hanno perso
    che qualcuno fa brillare

    Tu l’hai detto :
    « da una sillaba scoperta »

     

     

    II

    Cominciano. Stanno cominciando.

    Alcuni ci sono. Ci sono

    altri

    Una storia deve venire

    Tutta vera-questa-tutta sbagliata

    Mezza vera-questa-mezza sbagliata.

     

    Isola

          a Leonardo Sciascia

     

    I

    Ecco come si avvicina il tempo
    in tempi che non valgono la pena
    Cosa mi tocca dire :

    Una parola. Una lingua che già so.

    E ad ogni giro
    e conto di leggi calcolo di mano
    cambio di verità e di ragione.

    Cosa mi tocca fare :

     

    II

    Forse era vero
    Da questa parte si cade allo scoperto
    dove si conta tre-quattro e per un’altra vita

    Da questa parte :

    « Battimuro » « Battipaura »

     

    ERA FARSI

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Margherita Rimi, Era farsi, Autoantologia 1974-2011, Prefazione di Daniela Marcheschi, Marsilio Editori, 2012.

     

     

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    À intituler

                        à la Sicile

     

    I

    On me dit d’embellir ce que j’écris
    mais c’est ainsi que je te connais
    par la dysgraphie de tes reliques

    Des racines de l’amandier dans la nuit jusqu’à ce vent
    qui donne vie à cette mer

    Et tous les mots que l’on a perdus
    que quelqu’un fait briller

    Tu l’as dit :
    « à partir d’une syllabe découverte »

     

    II

    Ils commencent. Ils sont en train de commencer.

    Il y en a quelques-uns. Il y en a d’autres.

    Une histoire doit être

    Complètement vraie – celle-ci – complètement fausse

    À moitié vraie-celle-ci à moitié fausse.

     

     

    La mer couleur de vin - copie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    -La mer couleur de vin – / Leonardo Sciascia
     Image : G.AdC 

    Île

                       à Leonardo Sciascia

    C’est ainsi que le temps se rapproche
    d’une époque qui n’en vaut pas la peine.
    ce que je peux dire :

    Un mot. Une langue que je sais déjà.

    Et chaque fois
    c’est un énoncé de lois un calcul sur les doigts
    un échange de vérité et de raison.

    Ce que je peux faire :

    II

    Peut-être était-ce vrai
    De ce côté on tombe à découvert
    là où l’on compte « trois-quatre » et pour une autre vie

    De ce côté :

    « Bat-le-mur » « Bat-la-peur »

     

    IMG_1835

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                                Margherita Rimi, Entre les mains des mots, Traduction de l’italien : Irène Duboeuf, Éditions du Cygne 2025,pp.38, 39.

     

    MARGHERITA  RIMI

    Margherita Rimi 3
    Ph. © Dino Ignani
    Source

    ■ Margherita Rimi
    sur Terres de femmes ▼

    → “Nero”, Le voci dei bambini, Poesie 2007-2017, Mursia Editore, Collana Argani, 2019,
    → La carezza (extrait de Nomi di cosa-Nomi di persona)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur larecherche.it) une notice bio-bibliographique sur Margherita Rimi
    → (sur Poeti del Parcoune lecture (en italien) des Voci dei bambini par Anna Maria Curci -+ extraits)


     

  • Esther Tellermann / Selon les sources / Lecture d’Angèle Paoli

    Esther Tellermann, Selon les sources,
    Poésie Flammarion 2024,
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

     

     

     

     

     

        

    EMERAUDE

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    L’« émeraude » du poème.

     

    « Dans l’amitié poétique » signée par Esther Tellermann, je reprends la lecture de son dernier recueil, Selon les sources. Je l’avais laissé de côté sciemment, sachant combien sa poésie m’engage et combien en même temps qu’elle me fascine, elle me résiste. Il arrive un moment où cela brûle, me brûle et je me lance à lecture perdue dans les poèmes d’Esther, dans son Histoire, dans son voyage. Quitte à me livrer à une approche très personnelle, laquelle n’engage que moi. Et sans doute aussi la poète, derrière et sous mes propres mots. Car c’est à un voyage, qu’elle nous invite ici encore, dans le prolongement des œuvres antérieures. Un voyage à rebours le long d’un fleuve de l’Europe, du delta à la source, du Danube à l’Ister cher à Hölderlin. À une longue migration dans le temps, depuis ses origines. À la fois douloureuse et sensuelle, guerrière et amoureuse. Mystérieuse et indéchiffrable. Secrète et voilée, explorée et exposée à demi-mots. Une Histoire sauvage et insensée, inventée par les hommes, effacée par les hommes. Une légende confrontée à un combat incessant entre profane et sacré. Prise dans les rets d’une éternelle résignation :

    Nous vivions
    dans les ravins
    où sont les mauves.
    Morts nous bercent
    parfois
          ce fut ainsi
    comme simplement
    se défont les
    mains
           comme
    un rivage se
            retire. 

    La langue d’Esther Tellermann est elliptique. Elle nomme mais ce faisant, elle suggère, lève à peine le voile davantage qu’elle ne dit ne traduit n’expose. Entraînant à sa suite, dans cet étrange sillage, qui accepte de la suivre. Faisant surgir l’invisible derrière le visible. Les symboles derrière les mots qui les portent. La poésie derrière l’abondance des images. Elle est langue codée ou cryptée. Comme le sont certains livres auxquels nous opposons nos résistances. Elle fait « signe » cette langue, liée au Livre et au sacré, éminemment poétique, nouée aux tessitures des voix et aux tissages des textes. Au « talit » de Jacques Derrida peut-être aussi. Selon la légende et les récits, selon les croyances, selon les phylactères et selon les « ferveurs ». « Selon les sources ». Indéchiffrables et secrètes comme les psaumes qu'elles nourrissent. Celles auxquelles la poète et les siens se réfèrent sans les nommer ; ou que l’on invoque. Selon les témoignages et les attestations qui se manifestent en cours de chemin. Selon « des fragments visibles ». Il arrive que la lectrice – conviée dans le mystérieux compagnonnage que déroule la poète dans son souffle – se perde elle aussi, entre les rivages les déserts les montagnes les marais, au milieu des 7 continents. En un centre existentiel qui se dérobe et qui, pourtant, guide la poète tout au long de sa quête cyclique. Immémorielle.

    Cette étrange épopée à travers le temps et l’espace se déroule en deux parties, la première n’occupant qu’une vingtaine de pages, la seconde, une centaine. Les ponts existent entre ces deux parties, tant sur le plan des images récurrentes qui les façonnent que sur le plan de la forme des poèmes. Une forme dense et condensée à laquelle tout lecteur d’Esther Tellermann est habitué. Il est d’emblée question d’attente, de légende, d’archipel et de centre. En deux strophes et en quelques vers très brefs (8), La poète plante un univers dans lequel se profile une genèse, fondée sur une naissance – incomplète (première strophe) – à laquelle vient s’ajouter de manière hypothétique « la touffe de gentianes » à laquelle est lié le temps. La flore, dans sa diversité, fleurs et arbres, corolles et pétales, est omniprésente dans les poèmes qui constituent ce singulier voyage. Jusqu'à l'humble liseron ; jusqu'aux fleurs saxifrages et aux mousses nourries par les volcans.

    À cette « idée de végétal » vient s’associer en contrepoint le monde minéral, qu’il soit naturel ou culturel. Schistes, micas et sables ; tombes et temples, rinceaux et murailles. « Les argiles » et « les autels. » Ainsi se noue l’attelage entre les mots et les mondes, les figures et leurs représentations. Le poème, dans son ensemble, au poème d'ouverture.

    Nous attendions
    le nom de la légende.
    Au centre de la
         mer
    émergea l’archipel.

    Il faudrait ajouter
         à l’image
    le temps
    la touffe de gentianes.

    De ce poème initial vont naître les suivants, dans la succession de nuits et de jours, de manifestations éruptives, géologiques et volcaniques, et de venues au monde des plantes et du minéral ; puis celui des humains, croyances et combats. Où l’on retrouve – modifiée par la poète – la célèbre formule de la Genèse : « Il y eut une nuit / Il y eut un matin ». Ici :
    « Il y eut encore / des chemins », répétée par deux fois, en fin de poème d’abord puis en ouverture du poème suivant. Ces répétitions qui se lisent d’un poème l’autre et lient souvent un poème à un autre, sur deux pages en regard, jouent un rôle incantatoire omniprésent. Tant dans la progression de la marche des migrants ou du peuple non nommé qui avance dans son histoire, à la recherche de preuves et de rituels, de narratif et de gestes, que dans la lecture qui me pousse à poursuivre ma propre quête, bercée et portée par la musique intérieure du recueil. La geste de la création se poursuit, dans un présent de narration inattendu, avec sa succession d’événements, de brisures, de rites. « De césures et de strates ». Déjà au cœur de cet avènement se manifestent la « fracture », la violence, le désastre à venir. « Les pluies noires », les sacrifices et le sang. L’ensemble accompagné d’un langage qui s’inverse, s’éclope, se dérobe. Émerge dans la solitude comme des écueils en pleine mer :

       Mots étaient à
          rebours
    ne libéraient
        leur ombre. 

    Au milieu du tumulte, le « nous » se berce d’illusions, cherche refuge dans les rituels. Mais l’esprit a disparu :

        Avions vidé
         la lettre et
                  le vœu
         d’innocence. 

    Dès lors, l’être originel est supplanté par le faire. La race caïnite des bâtisseurs prend le dessus, organise, superpose, calcule, construit. Tout se met en place pour que disparaissent dans l’oubli « les strates d’argile » ; pour que l’abondance de biens et l’or recouvrent désormais « l’exactitude » de la terre originelle. Pour que la résignation l’emporte devant l’exigence des faits. Du passé ne restent que des traces, devenues indéchiffrables. De cet univers exigeant mais tranchant et douloureux, surgissent les nombres. Dont la présence obsède déjà les « premiers voyageurs ». Les nombres rythment le poème et conduisent les hommes. Le 4 d’abord – « je ne pus /ouvrir la perle / coudre les bassins / me reposer dans/ta blessure / aller encore/plus bas… » ; et plus avant dans l’exploration des signes, « les 4 génuflexions » ; mais aussi le 5 – « Au milieu du / cinquième jour » ; ou plus implicitement dans cette affirmation : « Nous nous épousions / un jour de semaine, avec la couronne /et le sang. » Le 3 cherche sa place. Présence qui fait effraction : « la source/ avec la floraison/ le collier de corail/ sous la chaux/ la brindille… ». Ou encore: « Qui ce jour consacre / les nourritures/ écorche /les certitudes/ imprime la trace? ». Ce 3 dans lequel se glisse le « je ». Un « je » en quête d'indices de présence. Se métamorphose en 4 noms. Ce qui, si l'on inclut le « je », aboutit au chiffre 5. Ainsi surviennent Héléna, Ariane, Ophélie, Béatrix. Ces quatre héroïnes associent leur énigme à l'énigme originelle du « je ». Leur mystère et leur effluve. Leur geste, égarée dans leur chant. Elles ajoutent à l'Histoire d’autres légendes et d’autres mythes. Héléna (princesse de Sparte ?), Ariane (sœur de Phèdre, princesse mortelle séduite par Thésée ? « Ariane , ma sœur, de quel amour blessée… »), Ophélie (Shakespeare – Hamlet ?) -, Béatrix (Dante ?). Promesse de noces aussi dans lequel le « je » tente de s’immiscer. Ne serait-ce que par l’imagination :

    « J’inventais des noces. / Vous étiez /Héléna/ ou lui/ gouverné / par l’étoile / célébrant / les narrations/ et les rouleaux. » (47) // « Ce jour/j’inventais/ des noces/ Héléna ou vous/gouverné. (54)

    Plus que des icônes, ces sœurs en infortune forment une constellation dont la présence et les métamorphoses, de l’une à l’autre, rafraîchissent et le souvenir réconforte. Une alliance sororale, de destins et de rêves, de désir et de quête. Il faut progresser encore pour lever le voile (partiellement) sur le « gouverné ». Par qui ? Par Héléna ou par Dieu ? Ce pourrait être un Prince ; un puissant … un scribe peut-être… « Un jour il / y eut celui / qui fut gouverné. Il façonnait/ les plâtres/ répétait la légende/ afin qu’elle soit / devenir/ entre toi/ crécelles de secondes/ emplies d’antiennes / de mains ouvertes. » Ce pourrait être aussi un architecte, un constructeur de temples et un prêtre. Les trois ensemble n’étant pas incompatibles. Versés qu’ils sont dans l’interprétation des signes du ciel et capables de les mettre en œuvre sur terre.

    « Sur les façades
    on racontait
    le songe
         du sacrifice.
    Puis l’on construisit
         le temple.
    Sur le parchemin
    on put dater
          votre tourment
    au regard des 3
          solitudes

    le corps se fit
         plus léger
         dans l’ascèse.

    Le « je » cherche à témoigner de ce qui se voit et se perçoit. À rendre compte de son désir et de la source qui le génère. Des « impulsions » se manifestent par l’entremise des femmes qui soudent « les 3 solitudes ». « Nous dûmes / contourner les nuages/ Héléna votre / pulsation » (62) ; « Afin qu’un/ fut / 3/ je regardais / votre / échancrure / vous fit sourdre / des chemins /et des pierres. / Béatrix vous /impulsiez ses / lignes avec les / frontières/ les rêves d’étangs/ et de feuilles. » C’est un « je » amoureux, sensible, assoiffé. En quête d’une étreinte perdue éperdue ; un « je » souvent elliptique, qui s’efface et ne se dit que dans la désinence verbale :

     Voulais vous
    couvrir des
    chasubles des rois

           vous clouer
           à ma peau . 

    Se lit en filigrane un aveu qui cherche le lieu de son emprise. Qui se berce dans le souvenir et dans le manque. « Je me rappelle/ un profil une /main le détail/ de la voix. Je vous prolongeais /dans le songe /et l’attente… » Parmi tous ceux qui marchent dans le temps et dans l’espace émerge une figure, dont il est difficile de cerner les traits.

    Me manque votre
        ciselure.
    Vous étiez
    la fille
    celui que
    dessine le vent…

    et quelques pages plus loin :

    On attesta […]

    encore des
    printemps      avec
    la fille     et
    les passages.

    De la relation complexe que tisse la poète avec son passé, son histoire qui est aussi sans doute celle des siens et de tant d’autres, reste le désir d’une perfection pressentie ou peut-être vécue, une « ciselure » enfouie dans les strates de la mémoire. Une perfection dont il ne reste que les « copeaux » et qu’accompagne la « déchirure ». Le temps du détachement est venu, d’avec les autres, d’avec les désirs et les ferveurs du passé, auxquels on avait cru. Un futur se dessine qui s’affirme et se précise :

     Je partirai
    un soir de
         semaine
    dans la sève
    et l’écume.  

             ***

     Je partirai
        un soir de
        semaine
        dans la lisière
    de chaque blessure.  

    Dès lors, face à l’impossibilité de nouer des liens entre les « pôles », il ne reste qu’une décision à prendre. Se défaire de tout ce qui avait fait signe jusqu’alors – icônes refrains rouleaux rites…- et ne garder que cette « ciselure ».

    L’« émeraude » du poème.

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    Selon les sources

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    ESTHER   TELLERMANN

    Esther Tellermann

    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes ▼

     

    Selon les sources, poésie, Éditions Flammarion 2024
    → Nos racines se ressemblent, Traduction et Reflets de Michael Bishop,
       Éditions VVV Editions, 2022
    → Corps rassemblé (lecture d’AP)
    Corps rassemblé, éditions Unes, 2020, pp. 91-94. Vignette de couverture de Claude Garache.
    → [Jours firent de toi ma teinture] (poème extrait d'Afin qu’advienne)

    → Carnets à bruire in Europe, revue littéraire mensuelle, juin-juillet 2011, n° 986-987
    → Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
    → Éternité à coudre (lecture d’AP)
    → [Un écho    un roman] (poème extrait d’Éternité à coudre)
    → Voix à rayures (poème extrait du Poème Meschonnic)
    → Première version du monde (lecture d’AP)
    → Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    → [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    → Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    → [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    → [Puis se ferme | la porte] (poème extrait d’Un versant l’autre)
    → [Onde] (poème extrait de Voix à rayures)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau RecueilL'indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net) François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
    → (sur Recours au poèmeune lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP

  • Emmanuel Merle / Brasiers

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    LICHEN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo: G.AdC 

     

     

     

     

    Le lichen, c’est ta soif

    Lorsque le sentier devient pierrier,
    que tout n’est qu’écoulement instable,
    les pierres plus larges que le pied,
    alors ton pas bondit,
    élastique, ton corps pèse moins.

    Les pierres te choisissent.

    Elles ouvrent un passage
    et tu te hâtes, poussé
    par ce qui se referme derrière toi.
    Presque tu marches sur l’eau.

    Les algues microscopiques
    qui colorent le lichen se souviennent
    d’une mer ancienne, énorme et vivante.

    L’eau, c’est toi.

    Ta soif rencontre dans la montée
    le saignement clair et hasardeux
    qui suinte sous la rocaille.

    La peau des pierres, hydratée,
    le sentier, là, comme une veine gonflée.

    La peau de la pierre est merveilleuse,
    le lichen recouvre son intimité.

    Tu marches,
    le lichen, c’est ta soif.

     

    IMG_1785

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Emmanuel Merle, « Juillet, le sang de l’été » in Brasiers, Peinture de couverture (détail)©Emmanuel Merle, La rumeur libre ÉDITIONS, 2025, pp. 27, 28.

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     EMMANUEL   MERLE 

    Emmanuel-Merle

    Source 

    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes ▼

    → Avoir lieu, L’Étoile des limites, Collection Parlant Seul 2023 (Lecture d’Angèle Paoli)
    → Emmanuel Merle, Avoir lieu, Vignette de couverture : Philippe Marie, L’Etoile des limites, Collection Parlant Seul 2023
    → Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    → Démembrements (lecture d'Angèle Paoli)
    → Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Dernières paroles de Perceval (lecture d’Angèle Paoli)
    → [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    → Amère Indienne
    → [Cape Cod]
    → Le Chien de Goya (lecture d’Angèle Paoli)
    → Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    → Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    → [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    → [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    → Tourbe (lecture d’AngèlePaoli)
    → [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    → [Une promesse, dis-tu]
    → Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle

     

  • Louise Dupré / Armelle Mourier / Bleu cendres

    << Poésie d'un jour

     

     

    1598_bleu-cendres-carte-00

     

                                         

     

     

     

     

     

     

                                                Bleu cendres :illustrations de Armelle Mourier  /  source 

     

    Bleu comme cette urne
    qui étouffe l’écho
    de ta voix

    les matins où je tourne
    les yeux vers la lumière

    je guette alors
    la moindre lueur
    la moindre étincelle

    capable d’enflammer
    mon cerveau

    j’essaie d’apprendre
    à tutoyer
    le chagrin

    Car le chagrin
    est une habitude
    qui ressurgit

    sitôt que les yeux
    s’entrouvrent
    aux tressaillements de l’aube

    je voudrais tout conserver
    même le sucré des larmes

    même les voyelles
    enfouies à jamais

    dans la poudre de tes os

    Ton âme a-t-elle survécu
    à l’enfer des flammes

    a-t-elle besoin
    d’un chant
    pour la consoler

    d’une main
    pour la caresser

    me voici seule
    avec mes questions
    sans réponses

    et je hante
    ce qu’il reste du monde

    comme un spectre égaré

     

    IMG_1781

     

     

     

     

     

     

     

     

    Louise Dupré / Armelle Mourier, Bleu cendres, L’Atelier des Noyers, Collection Carnets de Couleurs, 2024.

     

     

    LOUISE  DUPRÉ

    Louise Dupré NB2
    Source

    ■ Louise Dupré
    sur Terres de femmes ▼

    → « Poèmes contemporains », La Nouvelle Revue Française n° 641, NRF Gallimard, mars 2020
    → [Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ?] (extrait de La Main hantée)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois) une notice bio-bibliographique sur Louise Dupré

  • Michel Diaz / Francis Bacon / le lieu du visage

    << Poésie d'un jour

     

     

    BACON

    FRANCIS BACON SELF PORTRAIT

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Francis Bacon, Autoportrait (détail), 1972
    Huile sur toile • 35,5 x 30,5 cm • Coll. The Lewis • © The Estate of Francis Bacon.*
    All rights reserved / Adagp, Paris and DACS, London 2025 / 2025, ProLitteris, Zurich

     

     

     

     

                                           7

             Masque, regard fossilisé, comme si le jour l’avait calciné,
    que le temps avait arasé ce qui, au fond de nous, s’applique à la
    lumière,    et l’avait couturé de nuit,     le réduisant à cette noire
    énigme qui nous tient lieu de nom,   livrant le nœud mutique de
    nos solitudes à la seule lueur du silence.

     

            Yeux surnageant     de leur orbite,     couvés     dans leur nid
    d’ombre comme sous le sable et la peur, dans un intervalle égaré,
    déjà rempli de mort, grain à grain, goutte à goutte infusée, juste à
    la césure     d’un meurtre     intimement lié       à sa lente et atroce
    persévérance dans un épuisement paroxystique.

     

           Visage       retourné        sur la chair du dedans,       montrant
    l’infigurable au verso de sa peau, projetant son sang sur les murs,
    expulsant, comme on crache    à la face du monde,   la tourbe, les
    viscères, les hardes des couleurs, un gémissement de douleur, un
    râle d’au-delà    constamment    ramené à son échafaud de misère.

                                                        8

           Visage aux lèvres distordues,   leur bourgeon   vénéneux qui
    nous nargue,   et ce juste miroir de nous-mêmes qui nous jette en
    plein cœur   notre image, dans sa trajectoire explosive, raccourci
    foudroyant   de ce qui nous confronte   et nous mesure,  dans son
    opiniâtre    détresse,   à ce qui veille et brûle  au plus vif de notre
    volonté à être     dans un surcroît     d’être,    c’est-à-dire artisans
    hasardeux d’une humanité toujours en sursis.

            Visage qui nous dévidage    au bord de ses ténèbres,   tel un
    escarpement qui nous surplombe,    nous in vite  à interroger ces
    territoires assiégés   de nuit qu’à nous-mêmes  nous sommes, ce
    confus entrelacs de racines, ce ramas de tessons   où nos yeux se
    déchirent,     cette contrée lointaine     où scintille pourtant, nous
    appelant sur l’autre rive, une échancrure de clarté.

           

             Masque, embrasure de parole nue, qui nous enjoint de nous
    tenir      debout,    au seuil de ce théâtre   de dévotion, à défier du
    fond de nos blessures ce qui nous épouvante,  et à saluer dans le
    même temps ce qui nous en délivre.

     

    IMG_1780

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Michel Diaz, Francis Bacon, le lieu du visage, Encres Vives N° 552, 2025, pp. 14, 15.

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    M I C H E L    D I A Z

    Michel Diaz
    Source

    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes ▼


    Michel Diaz, Lionel Balard, Éloge des eaux murmurantes, Éditions La Simarre, 2024,
    Sous l’étoile du jour, Préface d’Alain Freixe, Rosa canina éditions,2023,
    → Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    → clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    → [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    → Le Verger abandonné (lecture d’AP
    → Michel Diaz | Sous l’étoile du jour  (Lecture d’Alain Freixe) 

    ■ Voir aussi ▼)

    → (sur le site de L’Amourier éditions) la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre
    → le site de Michel Diaz

  • Isabelle Alentour / Chaque jour je lie, je relie

    << Poésie d'un jour

     

     

     

     

    PLUIE

     

     

     

         

     

     

     

     

    Photo: G.AdC 

     

     

     

     (Ce serait si facile de me confondre avec vous)

     

    Un jour,   une enfant crie   dans les bras d’une autre
    enfant qui crie.
    Un jour quelqu’un prescrit un Tais-toi !  Et tu te tais,
    comme si ça allait de soi.
    Elle se fait   ainsi l’entrée  dans la nuit, sans remous.

    C’est d’un calme ! dit la mère, laiteux comme un temps à la
    neige !

    Pourtant plus de vingt ans qu’il ne neige plus.
    Et si le drame serait quand il ne se passe rien ?
    Et si tout silence était l’écho d’un Tais-toi ?

    Sur la vitre des crachats de pluie en forme de fatalité.
    Est-ce les mots qui entrent dans la vie,   ou la vie qui
    entre dans les mots ? Entre les salissures,     les filets
    d’eau     dessinent     leurs     trajets,      se combinent,
    deviennent  ruissellements,   rincent la vitre à grande
    eau.

    Les chevaux    sont lancés,    dans vos prunelles mon
    reflet s’élargit. Dans un galop on se tend les bras,  on
    s’enlace,  c’est ainsi que chaque fois  on fait mine de
    s’enlacer, c’est ainsi que toujours on.

    Chavirage hors du cadre évité de justesse.

    Vos pieds, à nouveau, touchent à peine le plancher.

    Une colonie de fourmis traverse.

     

    IMG_1778

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Isabelle Alentour, Chaque jour je lie, je relie, Collection Jour & Nuit,
    Les Lieux-Dits, 2025, pp.17, 18.

     

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    ISABELLE  ALENTOUR [PELLEGRINI]

    Isabelle Pellegrini

    ■ Isabelle Alentour
    sur Terres de femmes ▼

    « V – Comme dans un rêve », Ainsi ne tombe pas la nuit, Éditions iXe, Collection racine de iXe, 2019
    → [Lac étal comme un épuisement] (extrait de Je t’écris fenêtres ouvertes)
    → [Heures douces d’un après-midi d’été] (extrait de Louise)
    → Louise (lecture d’AP)
    → Makapansgat (lecture de Philippe Leuckx)
    → [Je me sens vieillir] (extrait de Makapansgat)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes[Pour ne pas perdre la pluie] (poème inédit, 2013)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions iXe) la fiche de l’éditeur sur Ainsi ne tombe pas la nuit d’Isabelle Alentour
    → (sur Terre à ciel) une page sur Isabelle Alentour [+ mini-entretien avec Roselyne Sibille]
    → (sur Ce Qui Reste) une page sur Isabelle Alentour

     

  • Germain Roesz / Lumière, chaos, couleurs / Lecture d’Angèle Paoli

    Germain Roesz, Lumière, chaos, couleurs
    Galerie Nicole Buck & Les Lieux-Dits éditions,
    octobre 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

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     Pour en voir et savoir plus   → Source 

     

     

     

     

    Lumière, Chaos, Couleurs 

    Une anthologie de la peinture vient de m’arriver. Elle est l’œuvre de Germain Roesz. Un hommage à la lumière et à la couleur. Un hommage vivant et vibrant. Celui de la peinture en train de se faire. Un poïen en action autour de trois mots. Lumière, chaos, couleurs. Trois maitres-mots qu’accompagnent deux dates, 2013-2024. Le livre est beau, papier glacé de choix ; il est lourd, composé de 221 pages où se succèdent peintures et installations réalisées au cours des treize dernières années. Certaines toiles occupent une double page. D’autres, identiques, sont présentées sur deux pages différentes dans des tailles différentes. Il arrive aussi qu’à une toile, réponde sur la page opposée une page blanche. Un silence dans la couleur. Une pause pour ménager le souffle. Comme les blancs dans le poème. L’ensemble du volume offre un plaisir visuel intense tant les couleurs et les formes éclatent et vibrent. Introduit par un texte de Daniel Payot, dont la version en allemand boucle l’ouvrage, le livre se clôt sur un ensemble de notes explicatives de chaque toile, légendées par l’artiste.

    Le mot « chaos » est au centre de ce titre ternaire, pris entre deux autres, encadré d’un singulier – « Lumière » et d’un pluriel – « Couleurs » – lesquels jaillissent autour d’un terme (j’associe mentalement au noir, le « chaos » multiple, infini, indéfini,) que l’on imagine porteur d’informelle confusion. Le « chaos » central fait-il surgir les deux autres – Lumière / Couleurs – nécessaire confusion, pour donner force aux contraires ?

    Le terme de « chaos » apparaît ailleurs, dans un texte préliminaire en grisaille, sous la plume de Germain Roesz, auteur et maître de cette anthologie personnelle d’une partie de son œuvre. L’on pourrait dire de cette page qu’elle est page d’ouverture. Il s’agit d’une photo de l’atelier du peintre, superposition de toiles, emmêlement de branchages et d’installations diverses, bois recourbés, mobiles enchevêtrés, objets divers et armatures. Une fenêtre aussi, pour la lumière. On retrouve l’atelier en grisaille sur une double page à la fin du volume. Tout un désordre qui relève de l’ordre intime de l’artiste. Seul capable de savoir, de circuler dans son travail, de s’y retrouver. Un « chaos » primordial, lequel est « toujours à la crête d’un équilibre instable ».

    Il arrive que l’on croise la haute stature du peintre en conciliabule avec son travail. Ainsi de cette œuvre constituée de pierres (galets ?) superposées de forme et de tailles différentes (il y en a 3, agencées l’une sur l’autre), sur lesquelles vient prendre appui une branche qui fait elle-même partie d’une structure légère dont l’équilibre cependant semble précaire. Intitulée « Allusion (arrière-plan) », elle est accompagnée sur la page en regard du portrait en pied de Germain Roesz. Cet « Autoportrait » m’a fait sourire et je vois dans la structure une allusion au peintre lui-même, lequel se considère ou considère son propre écho – sa création – avec bienveillance. L’on retrouve ailleurs l’artiste en son domaine, assis sur une caisse en train d’élaguer avec une lame l’une de ces branches. Jambes croisées, geste sûr et réfléchi, visage concentré, chaussé de chaussures d’atelier étoilées de blanc. Il trône en solitaire, à son affaire parmi les toiles exposées là, murs superpositions articulations. La vie, l’œuvre en train de se faire, un même univers de silence et de concentration, de lenteur aussi peut-être – temps suspendu – dans lequel tout se tient dans la couleur qui prédomine.

    D’autres structures du même type, parfaitement intégrées à la nature profuse, jalonnent le jardin, boisé coloré épais, feuillu, fouillis de troncs et d’herbes, de fleurs des champs. En prolongement, des échelles contorsionnées, bois et ramures liés entre eux, associés par des branches plus fines, évoquent en moi, dans ma mémoire, ces jeux de feuilles en couronnes qu’enfants, nous faisions tenir ensemble par des brindilles. Articulations, toujours, en équilibre précaire, toujours, dont l’aspect filiforme n’est pas sans évoquer les silhouettes de Giacometti. Giacometti, voilà justement que son nom apparait dans « Équilibre / Hommage à Giacometti. » Mais il n’est pas le seul artiste à qui Germain Roesz se réfère. Il y en a bien d’autres.

    La première étape pour moi est de feuilleter ces pages, de les faire glisser lentement. Viendra ensuite la consultation des notices, tout à fait éclairantes. Et, plus tard, l’introduction de Daniel Payot. Instinctivement, en dépit de mes lectures anciennes d’Umberto Eco (L’œuvre ouverte) je me reporte en bas de page pour lire les titres qui accompagnent les toiles. La plupart sont brefs – « Caiën » / « Déconstruit »/ « Zeitgeist II » … Énigmatiques, parfois. « Légendes du siècle I et II ». Intéressant, ce « du » en place et lieu du « des » hugolien ! Il y en a d’autres tout aussi étonnants. Ainsi de « Mur-Murs », peut-être un écho au documentaire d’Agnès Varda sur les peintures murales d’artistes californiens des années 80. Les murs parlent, disait-on. Ici des pavés de couleurs qui s’articulent autour d’un pavé noir. Il arrive que les pavés migrent. Ainsi dans « Migrations / Couleurs migrations II ». Les pavés de couleur changent de place et l’on passe aussi de l’horizontal au vertical. Comme dans certains jeux, on cherche l’intrus :

    jaune-rouge gris-rouge
    bleu-vert jaune-bleu

    Il arrive que les toiles se conjuguent par deux et forment ensemble un diptyque, écho l’une de l’autre, avec des variantes. Je reviens en arrière sur les deux toiles initiales. « Écho II » et « Écho III ». Deux fenêtres sur un paysage. Avec des flaques de vert et de bleu. Ondulations et pointes de rose, retour de vagues. C’est ainsi que je vois ces deux panneaux. Qui ouvrent sur un espace et offrent une balade entre les verticales, légères. Le regard zigzague dans la profondeur, au-delà du premier horizon. À côté, page de droite, la même chose, et pourtant le paysage est différent. Le regard vagabonde de colline en colline, de losange en losange. L’œil se déplace entre des bandes horizontales / verticales. Diagonal / central / latéral… Est-ce dans cette errance visuelle que se cache le chaos ? De celui qui en est le créateur à celui qui s’en empare… Je me reporte à la notice correspondante, « Écho II », et je lis :

    « Parfois il s’agit de contrarier la verticale et l’horizontale, puis de les faire résonner ensemble pour agrandir l’espace. Deux cordes tendues dans l’espace même de la peinture. Ce que j’appelle espace est une respiration qui se tient à la surface du support. »

    Nombreuses sont les toiles de formes allongées. Traversées par des grilles, des diagonales, elles font penser à des fenêtres qui laissent venir à soi le paysage. Extérieur / intérieur. Il y a aussi des cercles-miroir (je cherche désespérément le terme pictural exact… il se refuse à ma mémoire !) roues ? Non ! triangles qui, loin de morceler l’espace, le prolongent, l’évasent, l’évadent. Le « Caïen » m’obsède. Cayenne ? Caïn ? Caïman ? Je m’y reporte à nouveau. Je m’interroge. J’essaie de trouver. Un lien entre ce titre bisyllabique et la toile. Ce cercle a son correspondant page de droite. Intitulé « Déconstruit ». Le « Déconstruit » est-il déconstruction de « Caïen » ? Peut-être. Il est en tout cas plus paisible, moins torturé, le noir y est moins dense, la palette y est plus claire, – rose / jaune / vert clair / bleu- l’entrecroisement des lignes est moins dense, plus lisible, plus clair, plus lumineux… Par contraste, « Caiën » est plus inquiétant. Est-ce lui l’original ? Celui du « chaos » primordial ? Entre-temps, j’ai trouvé. Le mot que je cherchais m’est revenu. Ce cercle-miroir, c’est un « tondo ». Une œuvre peinte sur un support de forme ronde. Comme il en existait déjà à l’époque romaine, puis, plus tard, très en faveur au temps de la Renaissance italienne. Pour Germain Roesz, « le cercle est aussi l’amplitude du poignet, du bras, du corps. Il est donc figure et impact iconographique dans la peinture même. »

    Le « Caïen » de Germain Roesz se divise en deux dans le sens vertical. À gauche un fouillis de tourbillons noirs, spirales épaisses qui montent vers le haut ; à droite, des bandes et des lignes de couleurs qui s’entrecroisent, se chevauchent par morceaux où dominent le rose, le vert le jaune le bleu… Je ne peux y résister, je vais consulter les deux notices. Que dit Germain Roesz au sujet de « Caïen » ?

    « Ce tondo fait partie de cinq peintures (Caïen, Comme une origine, Irruption, Déconstruit, Mouvant) qui cherchent à comprendre ce qui construit et ce qui détruit. C’est une sorte d’obsession qui trouverait dans les formes et les couleurs ce qui est l’édification même de la peinture, de son origine à son assomption. En observant les signes peints sur les murs de nos villes et dans les lieux désaffectés je perçois parfois une rage et une violence qui décrivent si bien l’invisibilité de certains dans nos sociétés. Ces signes viennent parfois faire irruption dans ma peinture. Pour ne pas oublier. »

    C’est sans doute du chaos initial que naît l’ordre. L’ordre qui saisit le peintre au moment ou il travaille la couleur. « Ordo ab chao ». La toile englobe deux tondi. Lequel précède l’autre ? Difficile de répondre. La matière en fusion des origines est prise dans le tourbillon de la création. Ce qui se joue entre « ordre » et « chaos », c’est la confrontation entre les contraires, d’où nait le dialogue. Entre construit / déconstruit / construit.

    Certains termes reviennent dans les intitulés qui annoncent une thématique privilégiée. On trouve ainsi du côté du « magma », le solaire, les incandescences, le sidéral, les étoiles…le feu. Du côté de la nature le vent, le paysage – eau air feu – sous toutes leurs formes, océane, rupestre, céleste, aérienne, sidérale, tourmentée, tourbillons, fantôme…Arborescences. Tout ce qui a trait au tissu, pliage, pliure échancrure liseré lisières trame déchirures plissage « Étole poïen » … Et même « torchon ». Les combinatoires sont infinies, qui se croisent et s’entrecroisent, dessinant d’autres constructions, d’autres espaces… d’autres articulations possibles, mouvements écarts danse… À l’infini.

    Je reviens au « torchon » avec « Le bleu dans l’échancrure ». J’aime particulièrement cette toile sur laquelle je me suis longuement arrêtée. Et je ne sais pourquoi. Peut-être à cause de l’humour que j’y découvre, derrière les lignes de force et les couleurs. J’en aime le titre, avant même de lire sur la page de gauche les mots du peintre-poète. Je cherche l’échancrure. Je discerne clairement le quadrillage, régulier mais interrompu dans l’angle gauche, en haut du tableau. Les teintes sont mêlées, à dominante de rouge. Orangé violine jaune pâle vert pâle. En bas à droite un rectangle de bleu pâle. Écho interne au rectangle englobant du tableau. Peut-être. Deux triangles. Dont l’un est formé à partir d’une pointe de flèche, noire et épaisse qui traverse (troue) le quadrillage, tirant le regard vers l’ailleurs. Est-ce elle qui trace l’échancrure ? Sur la page de gauche, quelques lignes d’explication :

    « Il s’agit d’un torchon de cuisine, usagé. Il est troué. Il a une trame imprimée. Je m’en sers, j’en fais une grille qui manifeste les trouées que je crois nécessaire à la peinture. La grille n’est ni devant ni derrière. Elle est un filet qui capte la lumière du dedans et du dehors. »

    Une suite encore, dans la notice consacrée à ce « bleu dans l’échancrure » :

    « Grille, torsion, pliage. Un accroc d’usage et l’envie d’y faire apparaître un bleu comme pour évoquer un ciel disparu. »

    Un autre tableau me fascine, de plus grande taille (100cm/100cm). Il est intitulé « Les lances d’Uccello-Univers. » L’univers du peintre florentin Paolo Uccello (1397-1475), lequel m’a toujours fascinée, s’impose face à cette toile. Une vision très personnelle de Germain Roesz de la Bataille de San Romano (~ 1456). Choc des couleurs et des lignes qui zèbrent la toile, large tâche de bleu au centre, frome indéterminée presque effacée sous l’entremêlement des lignes. Bataille, une vision de son esprit, sans chevaux ni personnages, mais une énergie mouvementée, un désordre, chocs des lances ou des épieux, diagonales qui fusent vers le centre à atteindre, la mêlée. Un concentré absolu de l’univers d’Uccello, le grand Paolo Uccello. Une abstraction parfaitement orchestrée par notre ami contemporain.

    Il faudrait aussi évoquer la place du langage mathématique dans cette œuvre, lequel croise le langage courant et ses subtilités, les ellipses et les allusions, les tangences et les écarts ; les séquences qui donnent le rythme, les sécantes qui coupent et dirigent ailleurs le regard, le détourne dans un recul nécessaire ; il faudrait évoquer la place de la mémoire et des réminiscences qui viennent percuter et éblouir les réminiscences de la spectatrice-lectrice … Effleurements/surgissements. Orphée, Ulysse… mais aussi le peintre Kupka à qui il rend hommage :

    « Kupka m’a toujours occupé. Peut-être est-ce lui le premier abstrait de l’art concret, celui qui sait que la couleur est une réalité, une figure, que le trait est la marche des humains et que la surface est un territoire d’expériences possibles et impossibles. »

    Il faudrait aussi parler de « manifeste », car chacune des toiles présentes est un manifeste à proprement parler. Au sens premier sans doute d’abord, de ce qui peut être vu, qui se manifeste à l’artiste au moment de sa création, qui fait passer de l’état d’invisibilité à la visibilité. Qui descelle dans le caché, forme force mouvement matière couleur lumière. Ainsi de la toile intitulée « Manifeste de pierre », laquelle s’inscrit dans un rectangle très allongé. J’y vois, à partir de la forme massive qui l’occupe une pierre dressée, stèle ou menhir, plantée dans son socle, crevassée maculée de taches bleues sur fond vert, zébrée de striures et traversée dans le sens de la longueur par un rail rouge. Puis en tant qu’affirmation de ce qui est la pensée de l’artiste et qui structure son travail :

    « Une forme naît du froissage. Il suffit de la délimiter, de la faire flotter dans l’océan de la couleur, d’en augmenter la part minérale, d’entrevoir ce qu’elle est comme vêture. Pour ces peintures je me retrouve dans la filiation d’un Joseph Lacasse et d’un Joseph Sima. Qu’ils se manifestent au moment de peindre crée un lien nanti de jubilation. »

    À méditer, ces mots qui renvoient à la méditation elle-même, omniprésente dans cet ouvrage. La méditation comme mode d’être et de vivre. Je me reporte, non à la toile « Géométrie méditation » mais à la toile « Les plissés de la nuit » à dominante bleu-nuit avec un espace de lumière rose, tableau où s’affrontent (me semble-t-il) deux forces contraires réunies cependant dans le plissé de la texture. Sur lequel est suspendu un pinceau mystérieux, comme un fil à plomb tombé du sommet du triangle dans lequel il s’inscrit, côté nuit. Et sur la page de gauche, en plus petit, le peintre en méditation devant sa toile.

    Les lectures de telles toiles sont infinies, à l’image du monde dans lequel baigne l’esprit du peintre. La magie est totale, qui permet à chacune et à chacune de lire chaque œuvre à sa manière. Le fait de tourner les pages et de laisser le regard vagabonder à l’envi ouvre sur une œuvre dense, aux perspectives illimitées. Le livre momentanément refermé, je sais qu’il recèle tant de secrets inexplorés, tant de lectures qui m’ont échappé, que je ne résisterai pas longtemps à l’ouvrir et à m’y plonger, comme happée, pour arpenter à nouveau cet univers sans limite. Guidée par la présence amicale et bienfaisante de l’artiste.

     

    Piet-Mondrian-Composition-C-No.III-with-Red-Yellow-and-Blue-S

     

    P.S. :Je remercie Germain Roesz de m’avoir fait don de cet ouvrage, de la lumière que diffuse sa peinture. Merci pour ce partage.

     

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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