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  • Antonella Anedda | Avant l’heure du dîner

    «  Poésie d’un jour »



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    Antonella Anedda
    Image, G.AdC







    PRIMA DI CENA


        « Prima di cena, prima che le lampade scaldino i letti e il fogliame degli alberi sia verde-buio e la notte deserta. Nel breve spazio del crepuscolo passano intere sconosciute stagioni; allora il cielo si carica di nubi, di correnti che sollevano ceppi e rovi. Contro i vetri della finestra batte l’ombra di una misteriosa bufera. L’acqua rovescia i cespugli, le bestie barcollano sulle foglie bagnate. L’ombra dei pini si abbatte sui pavimenti; l’acqua è gelata, di foresta. Il tempo sosta, dilegua. Di colpo, nella quiete solenne dei viali, nel vuoto delle fontane, nei padiglioni illuminati per tutta la notte, l’ospedale ha lo sfolgorio di una pietroburghese residenza invernale.

    Ci sarà un incubo peggiore
    socchiuso tra i fogli dei giorni
    non sbatterà nessuna porta
    e i chiodi piantati all’inizio della vita
    si piegheranno appena.
    Ci sarà un assassino disteso sul ballatoio
    il viso tra le lenzuola, l’arma posata di lato.
    Lentamente si schiuderà la cucina
    senza fragore di vetri infranti
    nel silenzio del pomeriggio invernale.
    Non sarà l’amarezza, né il rancore, solo
    – per un attimo – le stoviglie
    si faranno immense di splendore marino.

    Allora occorrerà avvicinarsi, forse salire
    là dove il futuro si restringe
    alla mensola fitta di vasi
    all’aria rovesciata del cortile
    al volo senza slargo dell’oca,
    con la malinconia del pattinatore notturno
    che a un tratto conosce
    il verso del corpo e del ghiaccio
    voltarsi appena,
    andare. »


    Antonella Anedda, « Prima di cena », Residenze invernali, Crocetti, Milano, 1992.






    TRADUCTION


        « Avant l’heure du dîner, avant de passer la bassinoire à l’intérieur des lits, avant que le feuillage des arbres ne se vert-de-grise et que la nuit soit déserte. Dans le bref mitan du crépuscule défilent inconnues des saisons tout entières ; le ciel se couvre alors de nuages, le vent se lève et balaie souches et ronces. Contre les vitres de la fenêtre bat l’ombre d’une mystérieuse bourrasque. L’eau renverse les buissons, les bêtes trébuchent sur les feuilles détrempées. L’ombre des pins s’abat sur le dallage ; l’eau, de la forêt, est glacée. Le temps se fige, se dissout. Soudain, dans la tranquille solennité des avenues, dans le creux des fontaines, dans les pavillons illuminés tout au long de la nuit, l’hôpital a la clarté fulgurante d’une résidence d’hiver de Saint-Pétersbourg.

    Il y aura un cauchemar bien pire
    tapi entre les feuilles des jours
    aucune porte ne claquera
    les clous plantés à l’orée de la vie
    se courberont à peine.
    Il y aura un assassin étendu dans la coursive
    le visage entre les draps, l’arme posée à côté.
    Lentement s’entrouvrira la cuisine
    sans fracas de vitres brisées
    dans le silence de l’après-midi d’hiver.
    Il n’y aura ni amertume ni rancœur, seulement
    – un court instant – la vaisselle
    débordera de splendeur marine.

    Alors il faudra s’approcher, sans doute grimper
    là où le futur se rétrécit
    jusqu’à la table encombrée de vases
    jusqu’à l’air chaviré de la cour
    jusqu’au vol indéployé de l’oie,
    avec la mélancolie du patineur nocturne
    qui sait au bon moment aligner son corps avec la glace
    se retourner à peine,
    s’en aller. »


    D.R. Traduction Angèle Paoli







    BIO-BIBLIOGRAPHIE


        D’origine sarde et corse (Serra de Serra-di-Scopamène par sa grand-mère), Antonella Anedda (Antonella, Amelia, Ester, Maria, Roberta Anedda-Angioy) est née le 22 décembre 1955 à Rome où elle a suivi des études d’histoire de l’art. Elle partage son temps entre la « Ville éternelle », Lugano, la Corse* et l’île sarde de La Maddalena, « un’isola nell’isola », « île d’une pensée » selon les termes d’Antonella Anedda, allégorisation d’une nécessaire condition poétique de solitude et d’insularité dont l’écho se retrouve dans le vers de Celan : « Niergends fragt es nach dir » [In nessun luogo si chiede di te].

    « Scrivo con pazienza
    all’eternità non credo
    la lentezza mi viene dal silenzio
    e da una libertà ― invisibile ―
    che il Continente non conosce
    l’isola di un pensiero che mi spinge
    a restringere il tempo
    a dargli spazio
    inventando per quella lingua il suo deserto. »
    (Notti di pace occidentale, op.cit., p. 14)

    « J’écris avec patience
    je ne crois pas à l’éternité
    la lenteur me vient du silence
    et d’une liberté ― invisible ―
    que ne connaît pas le Continent
    l’île d’une pensée qui me pousse
    à resserrer le temps
    à lui donner de l’espace
    en inventant pour cette langue son désert. »

        Antonella Anedda a enseigné le français à la Faculté des lettres et de philosophie de l’Université de Sienne/Arezzo, avant de travailler pour l’Istituto di studi italiani (ISI) de Lugano (Università della Svizzera italiana) et d’occuper la chaire d’anglistique de l’université de Rome. Elle écrit dans de nombreux périodiques et revues : Il Manifesto, Legendaria, Linea d’ombra, MicroMega, Nuovi Argomenti (éditions Mondadori), Poesia (éditions Crocetti).

        Antonella Anedda est l’auteure de six recueils de poésie :

    Residenze Invernali (Crocetti, Milan, 1992, préface d’Arnaldo Colasanti), pour lequel elle a reçu le prix Sinisgalli, le prix Diego Valeri et le Tratti Poetry Prize ;
    Notti di pace occidentale (Donzelli, Rome, septembre 1999). Prix Montale 2000 ;
    Il catalogo della gioia (Donzelli, Rome, 2003) ;
    Dal balcone del corpo (Mondadori, Collection Lo specchio, Milan, juin 2007). Prix Napoli 2007. Prix Giuseppe Dessì 2008 ;
    Salva con nome (Mondadori, Collection Lo specchio, Milan, mars 2012). Prix Viareggio-Repaci 2012 [extraits ICI] ;
    Historiae, Giulio Einaudi editore, 2018.

        Elle a également publié plusieurs essais et recueils de nouvelles, dont :

    Cosa sono gli anni (Fazi Editore, Rome, 1997) ;
    La luce delle cose (Feltrinelli, Milan, 2000) ;
    Tre stazioni (LietoColle, Faloppio, 2003) ;
    La vita degli dettagli (Donzelli, collana Saggine, Rome, 2009) ;
    Isolatria. Viaggio nell’arcipelago della Maddalena (Laterza, Collana Contromano, 2013).

        En tant que traductrice, elle a aussi dirigé l’édition de deux ouvrages de Philippe Jaccottet : Appunti per una semina : poesie e prose 1954-1994, anthologie de poèmes (Fondazione Piazzolla, Rome, 1994), et l’édition italienne de La parola russia (Donzelli editore, 2004 ; éd. fr. : À partir du mot Russie, Fata Morgana, 2003). Elle a en outre publié un recueil de variations poétiques et de poésies étrangères intitulé Nomi Distanti (Empiria, Rome, 1998). Elle a aussi traduit Les Tristes d’Ovide, et, plus récemment, Ann Carson et Jamie Mckendrick, et s’apprête à publier un ouvrage consacré à l’art contemporain (et notamment à Bill Viola).

        Tenue pour l’une des voix les plus originales de la poésie italienne contemporaine, Antonella Anedda est présente dans de très nombreuses anthologies italiennes et étrangères. Une traduction partielle de Notti di pace occidentale (Nuits de paix occidentale & autres poèmes) a paru en 2008 aux éditions bordelaises L’Escampette (traduction de Jean-Baptiste Para, directeur de la revue Europe)**. Certains des poèmes de Notti di pace occidentale ont paru dans le n° 1 de la revue Confluences poétiques (Mercure de France, mars 2006), dans le n° 132 (décembre 2006) de la revue Décharge, dans le n° 20 (automne-hiver 2007) de la revue Rehauts, dans la revue Europe (novembre 2007)***, et dans le n° 5 (janvier 2014) d’Inuits dans la jungle.




    _______________
    * « Le rectangle de ces feuilles est l’enclos qui redouble la solitude de cette île : la Corse ― ni italienne, ni étrangère ― où j’ai cherché à résister au vide qui croissait autour de tout ce que j’aimais et qui était devenu invincible, pour moi, à Rome, sur le Continent » (Antonella Anedda in « Basse Lumière », avant-propos de Nuits de paix occidentale, L’Escampette Editions Poésie, 2008, page 7).

    ** Ce volume est une anthologie qui rassemble plusieurs séquences de l’œuvre d’Antonella Anedda, issues de Notti di pace occidentale, de Nomi distanti, d’Il catalogo della gioia, de Dal balcone del corpo et de La luce delle cose.

    *** Antérieurement à cette publication, d’autres poèmes issus de ce recueil ont été traduits en français dans diverses revues, et notamment dans Arpa, n° 67, 1998 (traduction de Raymond Farina), Journal des poètes, n° 2/2001, Maison Internationale de la poésie de Bruxelles (traduction de Raymond Farina), Les Cahiers de poésie-rencontres, Écritures de femmes, n° 49-50, Lyon, mai 2002 (traduction de Marc Porcu).





    ANTONELLA ANEDDA


    Antonella Anedda
    Source



    Pour écouter la voix d’Antonella Anedda disant à voix haute le poème ci-dessus, cliquer
    ICI. [Source : site berlinois lyrikline].



    ■ Antonella Anedda
    sur Terres de femmes

    février, nuit
    mars, nuit
    mai, nuit
    octobre, nuit
    novembre, nuit
    13 décembre **** | Fête de sainte Lucie (décembre, nuit)
    Archipel
    Le dit de l’abandon
    Frontières (extrait d’Historiae)
    Per un nuovo inverno
    Ritagliare
    S
    11 septembre 2001
    10 février 2013 | Antonella Anedda, Senza nome. Sartiglia (extrait de Salva con nome)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Salva con nome
    → (dans la Galerie « Visages de femmes ») le portrait d’
    Antonella Anedda (+ deux poèmes extraits de Nomi distanti et de Notti di pace occidentale)



    ■ Voir aussi ▼

    les pages que le site Italian Poetry a consacrées à Antonella Anedda
    → (sur Poetry International Web)
    un dossier Antonella Anedda
    → (sur Niederngasse 16, janvier-mars 2006) un entretien (en italien) avec Antonella Anedda
    → (sur Her circle ezine)
    Antonella Anedda: Encounters with Silence, the Page, and the World (7 mars 2008)
    → (sur La dimora del tempo sospeso)
    de longs extraits (en italien) des différents recueils d’Antonella Anedda
    → (sur books.google.com)
    d’autres larges extraits de Notti di pace occidentale
    → (sur Progetto Babele)
    une interview (en italien) d’Antonella Anedda par Pietro Pancamo



    ■ Voir | écouter ▼

    → (sur le site de la Bibliothèque municipale de Lyon)
    conférence autour d’Antonella Anedda, Entre racine et lame, organisée dans le cadre du Printemps des poètes 2010, animée par Angèle Paoli et Marc Porcu
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes extraits de Residenze invernali, de Notti di pace occidentale et de Salva con nome, dits par Antonella Anedda





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  • Angèle Paoli / Éclats d’éclats (01) : Soleil

    Éclats d’éclats


    SOLEIL



    Polaroid_01_soleil
    Polaroid, G.AdC




    Soleil

                                                          morsure

    grésillement   sourd

                                                                                                       de  guêpes

                         engluement

                                                         provisoire

                                                                                                       dans  l’épaisseur

    mordorée


                                                        du désespoir





    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli


    => Suite Éclats d’éclats (02)



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  • Esther Tellermann / Selon les sources

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    BEN(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image : G.AdC

     

     

     

     

    C’est vrai nous
    avions ouvert
    les pages
    noircies sans
    lire dans
    les césures ni
    les zones grises
    l’empreinte
    de l’imploration.
    Les demeures
    où célébrer
    le retour
    de ce que chacun
    supplie.

    C’est vrai
    je
    cherchais
    des ombres
    derrière les couchants
    ceux encore que
    je quitte
    doucement avec
    les anges les
    splendeurs fondues
    aux mélancolies
    arrachent
    un commencement

    Soudain il pleut
    un jour de colère
    nous avions voulu
    choisir
    la forme
    et le songe
    nous délivrer de la faim.

    J’avais voulu
    effleurer
    la terre
    les plaintes de
    dessous
    là où sommes
    presque
    mais ne pouvons
    reposer.
    Là entre
    les pôles

    avions voulu
    tisser
    des ciels.

     

     

    IMG_1702

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Esther Tellermann, Selon les sources in Choix de poèmes, Éditions Unes 2025, pp.116, 117, 118, 121

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    ESTHER   TELLERMANN

    Esther Tellermann

    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes ▼

     

    Selon les sources, poésie, Éditions Flammarion 2024
    → Nos racines se ressemblent, Traduction et Reflets de Michael Bishop,
       Éditions VVV Editions, 2022
    → Corps rassemblé (lecture d’AP)
    Corps rassemblé, éditions Unes, 2020, pp. 91-94. Vignette de couverture de Claude Garache.
    → [Jours firent de toi ma teinture] (poème extrait d'Afin qu’advienne)

    → Carnets à bruire in Europe, revue littéraire mensuelle, juin-juillet 2011, n° 986-987
    → Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
    → Éternité à coudre (lecture d’AP)
    → [Un écho    un roman] (poème extrait d’Éternité à coudre)
    → Voix à rayures (poème extrait du Poème Meschonnic)
    → Première version du monde (lecture d’AP)
    → Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    → [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    → Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    → [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    → [Puis se ferme | la porte] (poème extrait d’Un versant l’autre)
    → [Onde] (poème extrait de Voix à rayures)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau Recueil) L'indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net) François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
    → (sur Recours au poème) une lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP

     

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  • Joël Vernet / Copeaux du dehors

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

                                                                LI

    La vie galope vers la mort comme un cheval fou. Suis-je sur ce cheval, aveuglé par sa course ? La vie a faim et soif, veut tout dévorer avant de s’effondrer dans le profond silence. La mort n’a pas de bride, elle fuit et revient, va en tous sens, minaude, lance ses filets dans les recoins obscurs. La mort a des mains plus larges que le ciel et le bleu infini de la peine. Que valent les terrasses ensoleillées sur lesquelles sommeillent des jouets, survivent quelques plantes près du linge qui sèche, où étincellent les mains de femmes le long des cordes qui jouent dans le vent ? Les maris sont partis en haute mer. Toi seul demeures dans une chambre de l’île isolée où tu relis les pages d’un poète. Ce même poète tant admiré pour son silence, qui s’est éteint de vie lasse, congédiant la poésie, toutes les phrases qui n’ont ajouté que du malheur au sien propre, préférant le silence à tout autre chose. Le livre est ouvert au-dessus de la mer. Les pages se tournent sans effort grâce à la brise qui y met tout son cœur. Les lettres noires brûlent au soleil et tu ne lis plus que du blanc sous lequel coule la nostalgie des détresses et des déchirements. Connais-tu le cœur calme, l’âme sans effroi ? La souffrance est un puits où l’on va boire. L’écriture est une épave rouillée dans le sable que l’on découvre par hasard au crépuscule, au détour d’une marche. Les épaves sont un récit exemplaire de l’autrefois et de l’avenir. Elles voilent et dévoilent ; loin d’être muettes, elles parlent à qui passe à leur proximité. Le poète du Nord avait besoin du Sud qu’il a chanté en de brèves phrases qui explosent dans le cœur comme des détonations. Elles traversent la chambre du bruit sourd, puis vont s’éteindre entre les murs, contre les pâles copies de peintres. La voix du poète n’est pas morte, son chant est audible dans ce silence d’outre-tombe. Tu vois les pages une à une que tournent les secondes. Tu lis les signes qui sont comme des fruits que ta main récolte, tandis que ton regard est happé par le bleu de la mer, les plaintes du dehors, les blessures des vagues. Il est des lieux où l’on ne peut entendre la vitesse du chant, sa splendeur élégiaque. Là, tout est voué à la désolation, bien que des mains d’enfant recherchent le soleil, que des femmes rangent le linge avec grande patience. Cette patience a vécu, les hommes sont rentrés de haute mer, les femmes sont à d’autres tâches, délaissant le servage, courant enfin vers l’étendue pour lire les récits de la rouille et du sable.

     

                                                                  LII

    Les oiseaux, mes alliés fidèles, me poursuivent entre les pins, vont vers la mer, étirant leurs ailes entre les branches. Les oiseaux sont des veilleurs, des éveilleurs. En deviner un au-dessus de mes épaules, m’est un secours indicible. A sa suite, ma vie devient légère et je peux hanter tous les chemins. Les pins ont des visages, il nous suffit d’ouvrir les yeux pour percevoir quelque chose de leur grâce. Nous coucher dans leur ombre, attendre le crépuscule, rentrer à la maison le cœur un peu moins lourd. L’été est loin, l’hiver refoule les promeneurs. Ils ont abandonné ces maisons entre les mains du silence, et les persiennes ne protestent pas de leur départ. Sont si belles ces bâtisses délaissées comme des vieillards ou des enfants. De vieux figuiers cachent leurs murs et des lauriers dansent devant les fenêtres. Elles seront seules dans l’hiver, et alors ? La mer est à leurs pieds, les oiseaux enchantent leurs jardins, des vents s’engouffrent sous les portes. Tout ici entre en conversation. De rares passants se penchent sur leur beauté. Je n’irai pas vers d’autres horizons. Je resterai ici, dans la pénombre terrestre de la neige et du froid. J’ai trouvé la clé dans la lumière des pins et de la mer, sous la gaité des oiseaux buissonniers. J’ai ouvert, poussé une porte, puis j’ai marché dans un silence sidéral, découvrant une chambre sur la mer, intacte comme l’éternité. Là, j’ai posé les sacs, délivré quelques affaires. Une table pauvre n’attendait plus que moi.

    IMG_1697.JPG Bis

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Joël Vernet, Copeaux du dehors, Dessin de Vincent Bebert, Fata Morgana 2025, pp.64, 65 66, 67 .

     

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    J O Ë L    V E R N E T

    Joel Vernet

    Source

    ■ Joël Vernet
    sur Terres de femmes ▼

    Œuvres poétiques, Tome I, Voir est vivre, Poèmes et petites proses (1985-2021),
       En couverture Jean-Gilles Badaire, Loire, Avril 2022, La Rumeur Libre Éditions, 2023
    → L’oubli est une tache dans le ciel (lecture d’AP)
    → Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [lecture d’AP]
    → Décembre 2010 | Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [extrait]
    → [De Rimbaud […] tu n’auras jamais rien su] (extrait de Mon père se promène dans les yeux de ma mère)
    → 30 août 1994 | Joël Vernet, Le Regard du cœur ouvert

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net) Joël Vernet /marcher vers un ciel de pierre
    → (sur Le Nouveau Recueil) Joël Vernet, ou l’esthétique de la trace, par Sylvie Besson (fichier Word)

     

     

     

  • Angèle Paoli / Rendez-vous à l’arbre bruyère

    <<Mon poème du samedi

     

     

     

     

     

    ANGÈLE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " un filanciu sillonne le ciel "

    Photocollage / G.AdC 

     

     

     

     

     

    avec la solitude

    s’aiguisent les sens

    le vent flagelle
    qui fait se dresser
    les crêtes de mer

    une rumeur sourde
    monte vert émeraude
    se mêle air et eau

    au gris des mousses

    tout bouge

    le maquis danse
    des vagues ondoient
    vert tendre vert pâle
    sur les pentes

    la mer fouette
    vert pétrole

    les vagues roulent

    les mots se refusent
    s’absentent

    odeur de terre humide
    de feuilles mortes
    de branches cassées
    d’urines fauves
    de suint

    j’aperçois le rocher
    de a Mugliarese

    — je pense Alaska
       glaciers bleus gris

    à la dérive

    j’observe les troncs évidés
    des chênes

                                        — je pense Totem Pole

    le tremblé des pétales

     

          —les linaigrettes cotonneuses
            s’effilochent sous mes doigts

    je m’allonge sur la roche moussue

     

    —la banquise louvoie
    en contrebas

    les chèvres s’égaillent
    dans le sous bois

     

    —ce sont les élans
    qui galopent

     

    un filanciu sillonne le ciel

    —le vol du pirague
    me frôle

     

    le chien du berger me cajole

    —je file plein vent
    arrimée aux huskies
    yeux pervenche

     

     

     

     

    RENDEZ-VOUS À L'ARBRE BRUYÈRE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Angèle Paoli, Rendez-vous à l'arbre bruyère, Peintures de Caroline François-Rubino, Éditions Al Manar 2018, pp.35, 36, 37.

     

     

     

  • Marc Alyn, Œuvres Poétiques I, II, III / Lecture de Hugo Bouras-Vignal

     

     

    Marc Alyn, Œuvres Poétiques I, II, III
    La Rumeur libre Éditions 2024

    Lecture de Hugo Bouras-Vignal

     

    MARC ALYN, ÊTRE LE LANGAGE

     

    Maître des mots et artisan d’un verbe habité, Marc Alyn tisse depuis près de sept décennies une poésie où le langage est à la fois recherche et révélation. Avec la parution, en décembre dernier, de ses Œuvres Poétiques en trois volumes, le poète nous invite à parcourir l’intégralité de son univers. Cette somme magistrale témoigne d’une écriture en perpétuel renouvellement, où chaque poème façonne un territoire d’ombres et de lumières, d’énigmes et de fulgurances. Plonger dans ces pages, c’est entrer dans une langue en état de ferveur, où le verbe danse et se métamorphose au gré des âges et des songes.
    « L’Aventure initiatique », qui est le sous-titre du premier tome, commence en 1954. Marc Alyn habite Reims, sa cité natale, et grandit dans un monde encore meurtri par les secousses de l’Histoire, où la guerre froide et les conflits de décolonisation nourrissent une atmosphère d’incertitude. Dans cette époque troublée, la jeunesse peine à trouver un horizon d’épanouissement, prise entre les désillusions du passé et les incertitudes de l’avenir. Pourtant, à seulement dix-sept ans, Marc Alyn lutte pour sourire et cherche à réinventer la langue et le regard porté sur le monde. Ainsi se lance-t-il dans une quête essentielle : son langage.

    "Chaque jour j’écris le premier mot de mon langage :
    je suis neuf jusqu’au crépuscule.
    Chaque baiser de l’aube sur les lèvres des feuilles
    me fait don d’une peau nouvelle."

    L’écriture lui apparaît comme un acte vital, un espace où il se façonne et se renouvelle sans cesse. L’une des plaquettes qu’il publie en 1954 traduit cette aspiration : Rien que vivre. Ce titre est un refus du désespoir : l’acte de vivre se suffit à lui-même et affirme la vie à travers la poésie.

    "Où voyez-vous des morts, gisants ?
    Je suis la vie !"

    Avec ses premières plaquettes, Marc Alyn annonce une poésie habitée par le désir d’embrasser le mystère de l’existence. Dans cette effervescence littéraire, il trace son propre sillage et place son écriture sous le signe d’une aventure initiatique.
    Le recueil Liberté de voir, paru en 1956, est une étape importante. C’est le premier « vrai » recueil du poète, alors âgé de dix-neuf ans. Après l’affirmation de la vie dans Rien que vivre, il propose une émancipation du regard, une conquête de la perception. Il nous assure cependant :

    "Je reste l’enfant aux yeux vagues
    toujours plongés dans un sac de rêves."

    Le regard du poète est celui de l’enfant libre, rêveur et détaché des cadres imposés par le réel. Ici l’imaginaire l’emporte sur la perception : voir ne se limite pas à observer mais devient un acte de liberté, une manière d’interroger et de réinventer la réalité à travers la poésie :

    "J’écris sur les murs la nuit quand vous dormez.
    De mes ongles j’inscris des prophéties sur les pavés
    moi, le veilleur illuminé par l’ombre
    je clame : mort au rêve !

    et les façades à l’infini répercutent mon blasphème."

    Le poète, « veilleur illuminé par l’ombre », se positionne en témoin du monde et inscrit sa révolte dans un acte poétique. Son écriture devient un cri, une prophétie gravée sur les murs et les pavés : il interroge le réel par le langage et fait de la poésie un moyen d’action pour transformer le monde.
    Tel est l’état d’esprit de Marc Alyn à l’approche de ses vingt ans. Jean Rousselot le considère comme « la révélation poétique de ces derniers mois » et Alain Bosquet le salue comme « le plus fougueux, le plus doué de nos moins de vingt ans ».
    Entretemps, Marc Alyn franchit une étape décisive : Pierre Seghers, poète-éditeur et figure importante du paysage poétique, publie son recueil Le Temps des autres. L’année suivante, le 18 mars 1957, jour du vingtième anniversaire du poète, le recueil remporte le prix Max-Jacob, décerné par un jury prestigieux : Jean Cocteau, André Salmon, Jules Supervielle, Pierre Mac Orlan ou encore Jean Paulhan. C’est la consécration d’un langage : à seulement vingt ans, Marc Alyn reçoit la reconnaissance de quelques-uns des plus grands poètes de son temps. Ceci marque l’affirmation d’une voix singulière, inscrivant le poète dans la lignée des grands explorateurs du verbe.
    Le Temps des autres est également une prise de conscience : le monde ne se limite pas seulement au propre regard du poète mais il appartient aussi aux « autres », à l’Histoire, ou plutôt aux générations passées et futures. Marc Alyn semble inscrire sa poésie dans une action collective, où le langage devient un moyen de relier les êtres et de donner voix à ceux qui, sans lui, resteraient dans l’ombre. Le poème « La parole me fut donnée » traduit cet idéal :

    "La parole me fut donnée
    afin de retenir la terre ferme
    sous les pas d’une race enfermée dans sa nuit."

    Le premier vers suggère que le langage est un don, mais aussi une mission : porter la voix des autres, éclairer l’obscurité du monde et donner un ancrage à l’existence à travers les mots.

    "Les mots, il faut les vivre
    jusqu’aux proues du délire"

    Pour Marc Alyn, la poésie n’est pas une simple construction intellectuelle mais une expérience totale, une immersion dans le langage jusqu’à ses extrêmes (« jusqu’aux proues du délire »). Les mots ne doivent pas seulement être dits ou écrits, mais vécus pleinement, avec toute leur intensité et leur charge émotionnelle. Pour lui le verbe doit être une force vive, indomptable et chargée de passion. Aussi nous précise-t-il :

    "L’espérance : c’est avoir
    l’humanité dans ses veines."

    Ces vers définissent l’espérance comme une force intérieure, une communion avec l’humanité tout entière. Avoir « l’humanité dans ses veines » c’est porter en soi les rêves, les espoirs et les souffrances des autres, en faisant de cette connexion une source de lumière et d’engagement. Dans Le Temps des autres, cette vision s’inscrit dans une poésie qui dépasse l’individu pour embrasser une dimension universelle, où l’acte d’espérer devient un acte de partage et de fraternité.
    Le succès du Temps des autres ouvre à Marc Alyn de nouvelles perspectives. En 1957, porté par ce retentissement, Pierre Seghers publie Cruels divertissements, un recueil où le poète explore la prose poétique sous un angle érotique et onirique. Ce choix formel marque une étape importante dans son parcours : loin de s’en tenir au seul vers libre ou classique, Marc Alyn fait de la prose un territoire d’expérimentation, un espace où rêve et désir se mêlent dans une langue libre et sensuelle.

    "J’appréhende le monde dépourvu de ton regard de magicienne, de tes géographies de cristal."

    Ici le poète exprime son angoisse face à un monde privé de l’enchantement qu’apporte une présence féminine idéalisée. Sans cette muse, tout apparaît nu, désenchanté et dépourvu de sa magie et de ses promesses. Ceci illustre le motif récurrent chez Marc Alyn d’une poésie qui oscille entre émerveillement et perte, où l’amour et le rêve donnent sens au réel, mais en soulignant aussi la précarité.

    « Je t’aime, je t’aime », gémissait-elle, et un oiseau, à chaque syllabe, s’échappait de ses lèvres."

    Ce vers associe l’amour et le langage à une image d’envol et de liberté. L’expression répétée « Je t’aime, je t’aime » n’est pas une simple déclaration, mais une incantation presque magique qui donne naissance à des oiseaux, symbole du rêve, du souffle poétique et de l’évasion. Chaque mot prononcé devient une création vivante, soulignant le pouvoir transformateur du désir et de la parole amoureuse. Ainsi le réel se mêle-t-il à l’imaginaire et l’amour est-il une force créatrice qui donne un élan poétique à l’existence.
    Cette « métaphysique de l’amour physique », selon le mot de Claude Mauriac pour présenter Cruels divertissements, associe l’idée de plaisir, de jeu ou d’évasion (le « divertissement ») à une dimension plus sombre, marquée par la douleur et le désenchantement (« cruels »). Marc Alyn suggère que le rêve, l’amour ou même la poésie, tout en étant sources de fascination et de jouissance, portent en eux une part de trouble, d’illusion et de perte. Le recueil affirme ainsi une poésie où le langage, porté par l’intensité du sensible, devient un espace de métamorphose, prolongeant la quête du verbe si chère à Marc Alyn.
    En 1959, le poète publie Brûler le feu chez Seghers, un recueil profondément marqué par son expérience du service militaire en Algérie. C’est sur cette terre de tensions et de violence qu’il rédige ces poèmes, témoignant d’un regard lucide et inquiet sur son époque. Le premier poème, « C’est un mort », est un hommage rendu à un camarade tombé au combat.

    "C’est un mort très neuf
    que l’on cache en terre
    vingt ans à peine
    et le cœur à nu."

    Ces vers frappent par leur simplicité et leur force brute. Ce soldat, à peine adulte, est déjà réduit au silence définitif. Marc Alyn insiste sur la fragilité et l’innocence de cette vie interrompue, un cœur encore plein d’élan et d’espoir et désormais enseveli. Il témoigne ici de l’amertume et de la désillusion d’une génération confrontée à une violence qui la dépasse et à laquelle elle se croyait épargnée.

    "Que sortira-t-il
    de tant, tant de graines
    semées en ce monde
    pour l’absurdité ?"

    Brûler le feu s’impose rapidement comme le « Livre d’une génération perdue », celle d’une jeunesse confrontée aux désillusions de l’Histoire et pour laquelle Marc Alyn veut être la voix. Aussi, des artistes comme Serge Reggiani et Jean-Louis Trintignant, sensibles à la force de ses mots, diront-ils certains textes, donnant au recueil une résonance encore plus profonde.
    Trois ans plus tard, en 1962, Marc Alyn publie Délébiles aux éditions Ides et Calendes, un ouvrage de grand format et tiré à 1200 exemplaires. Ce livre marque une évolution majeure de son parcours : la parole poétique prend une nouvelle forme, plus épurée, plus incisive, comme si l’expérience de la guerre et du temps avait affûté son regard et son écriture.

    "Nous bâtirons sur les morts
    entre le muscle et le marbre
    le feu dur de nos syllabes ;

    Car le cri majeur est craie
    sous la fibre des vocables
    et le noyau seul résiste
    à l’usure de l’obscur."

    Ces vers illustrent la poésie comme un acte de mémoire et de résistance. Marc Alyn y exprime la tension entre l’éphémère et l’éternel, entre la fragilité du cri et la solidité du verbe. Le langage, comparé à un feu sculptant la matière, devient le seul rempart contre l’oubli, une force capable de survivre à l’ « usure de l’obscur ». Ceci fait que Délébiles s’impose comme une œuvre charnière, où le verbe se réinvente et affirme la singularité d’une voix qui, loin de s’effacer, s’ancre avec force dans la durée.
    Dans son « Salut à Marc Alyn » (Combat, 1962), Alain Bosquet écrit : « Grâce à lui, cette semaine, j’ai pu fuir l’éphémère. Grâce à lui, dans vingt ans, je fuirai d’autres formes de l’éphémère ». Pour Bosquet, la poésie de Marc Alyn, par sa vérité et sa profondeur, offre une échappatoire durable, capable de résister aux changements et de traverser les décennies sans perdre sa force.
    En mai 1968, alors que la France traverse une crise profonde, Marc Alyn publie Nuit majeure chez Flammarion, lauréat du prix Camille-Engelmann en 1971, un recueil où la nuit devient un territoire poétique essentiel. Installé à Uzès depuis quelques années, il célèbre cette obscurité que Racine magnifiait déjà dans son célèbre vers « Et nous avons des nuits plus belles que vos jours ».

    "Native Nuit désormais nulle, niée, innommée,
    reine errante, Graal, à travers les ronces du clair
    lacérant l’esprit avec la vue, en vain je relève
    les traces de ton pas sur le sol desséché : la Nuit
    majeure, privée de lieu, sans fin s’efface et se tait."

    La nuit est présentée comme une entité insaisissable et presque mythique, à la fois puissante et fuyante. Elle est niée, privée de lieu, comme si elle échappait au poète qui tente en vain d’en retrouver la trace. Aussi trouble-t-elle la perception et défie-t-elle la raison pour finalement se taire et s’effacer, soulignant son inaccessibilité et laissant le poète face à une quête inachevée, où l’obscurité est une énigme.
    Dans Nuit majeure, Marc Alyn explore le mythe du Minotaure dans la section « La Nuit du Labyrinthe », inspiré d’un voyage en Grèce. Donnant parfois la parole à la créature légendaire, il en fait un être déchiré entre humanité et son animalité :

    "Nuit animale
    je te porte au-dedans de moi
    et souvent déplore le sort
    qui m’a fait homme pour moitié."

    À travers la figure du Minotaure, Marc Alyn interroge la nature humaine, tiraillée entre raison et pulsion, lumière et obscurité. Il évoque une nuit souveraine, à la fois mythique et omniprésente, une nuit qui dépasse la simple obscurité pour devenir un espace de révélation, d’errance et de vision poétique, où se confrontent lumière et mystère. Ainsi la parole s’élève-t-elle avec une force nouvelle.
    Infini au-delà paraît en 1972. C’est un recueil de maturité qui vaut à Marc Alyn le prix Apollinaire en 1973. Né d’un « exil émerveillé », ce livre explore la poésie comme une expérience intérieure où chaque promenade devient une initiation. Dans cet univers contemplatif, le silence se fait parole et l’infini se dévoile à travers l’émerveillement du regard et la puissance du verbe :

    "la parole luisait, libre, dans sa substance
    avide d’inventer sa propre fin — la voix."

    Ici la parole devient une force vivante et autonome, « libre dans sa substance », cherchant à se façonner elle-même. Elle aspire à se réaliser pleinement à travers « sa propre fin — la voix », suggérant que l’aboutissement du verbe est son incarnation sonore, sa résonance dans le monde. À travers une aventure initiatique, Marc Alyn explore l’infini du langage et du monde, affirmant la voix comme ultime horizon du poème.
    En 1976, il publie Douze poèmes de l’été, un recueil né de la solitude d’Uzès. Ces poèmes marquent une « résurgence triomphale de la parole », où l’écriture, régénérée par l’épure et la lumière estivale des proches Cévennes, atteint une intensité nouvelle :

    "J’étais la forme en creux de moi-même, l’empreinte
    de quelqu’un d’oublié qui se souvenait d’être
    de loin en loin, ainsi que la feuille fossile
    dans le charbon revit en rêve la forêt."

    Dans un souci d’identité, le poète se perçoit comme une empreinte du passé, une présence en creux, oscillant entre oubli et réminiscence. L’image de la « feuille fossile » suggère que même figée dans le temps, l’âme conserve en elle l’écho d’une existence révolue et désormais vécue dans le rêve. Dans cet espace de retrait, Marc Alyn célèbre un langage libéré, où chaque vers semble renaître avec éclat.
    Puis c’est le silence. Les années passent. La parole du poète semble s’être tue. Il faut attendre 1988 pour accueillir Le Livre des amants, imprimé à Beyrouth « au milieu de cette apocalypse » qu’est la guerre. Marc Alyn est parti retrouver celle qu’il aime et qu’il attend.

    "Je t’attends. Et je mets tant d’ardeur à t’attendre
    que, lorsque tu viendras, ma flamme sera cendre."

    Dans ce recueil, Marc Alyn célèbre l’amour et les retrouvailles tant espérées, opposant la ferveur des sentiments au chaos de la guerre. Par une poésie rythmée et rimée, il affirme que l’amour et la joie peuvent triompher du désordre et de la destruction.
    De son voyage au Liban, Marc Alyn puise une nouvelle inspiration dans le silence des mots, donnant naissance à la trilogie des Alphabets du Feu. Ce cheminement poétique marque la résurrection du poète, qui adopte une écriture novatrice. « Byblos » (1991), première pierre de ce nouvel édifice verbal, incarne cette renaissance, où la parole se réinvente dans une poésie renouvelée, profondément marquée par le silence et la lumière du Liban :

    "et j’ai bu au sein d’ombre le lait solaire de l’Orient
    puis le chant a mûri en moi telle une grappe dans l’extase et la prophétie."

    Ici l’ombre et la lumière se mêlent pour faire émerger un « chant », une nouvelle parole poétique, profonde et prophétique, fruit d’une illumination intérieure et d’une inspiration mystique.
    Dans les deux autres tomes de la trilogie, La Parole planète (1992) et Le Scribe errant (1993), Marc Alyn donne la parole au Poème lui-même à travers les poèmes intitulés « Dit du Poème ». Dans ces écrits, le Poème devient un personnage vivant, qui réfléchit, s’interroge et se définit.

    "De qui suis-je le fils ?
    Du verbe ou du poète ?
    À peine écrit j’aspire à exister plus fort"

    En donnant la parole à ce « chant à la poursuite d’un oiseau », le poète inscrit la poésie dans un mouvement d’introspection et de questionnement sur son propre rôle et son essence. Devenu « scribe errant », Marc Alyn voyage à travers le monde des mots et des idées : loin d’être un simple témoin, il façonne et questionne le langage en restant libre et en mouvement, hors des conventions établies.
    En 1991, suite à l’ablation d’une corde vocale, Marc Alyn perd l’usage de la parole.

    "Mise à mort des vocables…
    Je veux que l’on se taise !"

    Pourtant le poète retrouve la voix quatre ans plus tard. Dans son recueil L’État naissant (1996), il retrace ses souvenirs, tant d’enfance (« Je vécus dans un livre et c’était l’univers ») que d’hospitalisation. C’est une étape importante de son cheminement poétique : il inverse le cours du temps et fait dialoguer l’Origine et l’Apocalypse. Dans cet écartèlement, le poète avance vers la résurrection de sa parole. Il fait paraître en 1998 L’Œil imaginaire, une « somme de poème » dans laquelle il revient sur cet événement douloureux. Dans le poème « Quelques difficultés du côté de la parole »,

    « le poète…
    dut se résigner à offrir sa voix en holocauste
    aux dieux par contumace des ordinateurs."

    Pourtant Marc Alyn reste optimiste. Il oublie sa douleur pour chanter Venise (« La musique en silence édifiait la Ville », commence-t-il), l’Orient, des héros et des poètes, et pour anticiper l’arrivée du troisième millénaire. Il devient cet « Œil imaginaire » tourné vers l’avenir et ses possibles, faisant de son Poème le vecteur d’une perception transcendant les limites du temps et de l’espace, en phase avec les interrogations profondes liées au passage vers un nouveau millénaire.
    En 1999, Marc Alyn publie Le Miel de l’abîme, un recueil de poèmes en prose où l’onirisme et le fantastique se côtoient. Ce « grand langage » loué par Joseph Delteil explore des thèmes profonds tels que la mort, l’âme, le corps ainsi que les métamorphoses divines.
    La mort des astres nous consolait modérément de la perspective de notre propre dénouement.
    Dans ce recueil, le souffle poétique de Marc Alyn demeure puissant et intense, poursuivant son exploration des mystères de l’existence et de l’invisible avec une force toujours aussi vivante. Ensemble, les mots « miel » et « abîme » créent l’image d’une expérience poétique intense et ambivalente, où la beauté et la souffrance se mêlent et où le sublime et l’effrayant coexistent.
    Marc Alyn inaugure le XXIème siècle par Le Silentiaire en 2004, un recueil d’aphorismes où il adopte « l’art bref » défini par René Char et caractérisé par sa concision, sa netteté et son tranchant. À travers cette forme, le poète explore mille variations et fait se mêler habilement humour noir, lyrisme et réflexion profonde.

    "La mort : faux et usage de faux."

    "Tout poète se sent nu à l’idée d’être lu, lui qui fut si longtemps son unique lecteur."

    "Aucune grande parole qui ne surgisse de la proximité d’une haute souffrance."

    Avec ce recueil, Marc Alyn témoigne de son approche poétique épurée : il parvient à condenser des idées complexes et des émotions intenses en quelques mots percutants. Aussi renouvelle-t-il cette expérience avec Le Dieu de sable et autres textes (2006) où le temps constitue le thème principal du recueil.
    "Le temps nous est compté — mais par quel usurier rapace !"
    "Poésie : maladie glorieuse, douloureuse et heureusement incurable."

    Son troisième recueil d’aphorismes, Le Centre de gravité, paraît en 2017 et se constitue de 467 textes. Devenu le « Rêveur éveillé », Marc Alyn déambule parmi les dédales de l’imaginaire et de l’humour noir.
    « "Êtes-vous bien isolé" ? », interroge l’électricien, l’œil allumé.»
    "La plupart des ruisseaux font des rêves de fleuves."

    L’usage de l’aphorisme offre à Marc Alyn une forme de concentration extrême du langage, où chaque mot est pesé, affûté, dépouillé de tout superflu. Dans sa quête du verbe, c’est aussi un moyen de jouer avec le langage, d’explorer ses paradoxes et d’en révéler les nuances avec précision et mordant.
    Avec Le Tireur isolé (2010), Marc Alyn poursuit son chemin de la parole, cette fois-ci en mêlant ensemble la prose et le vers. Métamorphosé en « tireur isolé », le poète se met « en route vers les balcons superbes dominant le temps pétrifié ».
    L’expérience de la prose poétique est renouvelée avec l’anthologie Poètes en majesté à Versailles, dans lequel Marc Alyn propose cinq « Fragments d’un tarot de Versailles » (« Lorsque Versailles appareille ou décolle, Chariot triomphal du dieu solaire […] »), puis poursuivie en 2015 avec Proses de l’intérieur du poème. Ce recueil, qui rassemble des textes publiés dans des revues importantes comme la Nouvelle Revue Française et Phenix, témoigne de son art du verbe, où la prose redevient un espace de résonance poétique, oscillant entre méditation, fulgurance et mystère.
    "Le temps d’apprendre par cœur la mort, puis de l’oublier, nous n’étions là pour personne — mais demain qui aurait été ?"
    Marc Alyn a toujours entretenu un dialogue fécond avec les arts plastiques, côtoyant de nombreux artistes au fil des décennies. Parmi eux, T’ang Haywen, peintre et calligraphe disparu en 1991, fut un ami proche. En 2019, le poète lui rend hommage avec T’ang l’obscur, un recueil où chaque poème répond à une encre de l’artiste. Ici la parole et le trait se rejoignent dans une même recherche de lumière et de mystère, prolongeant l’échange entre le poète et l’artiste dans une alchimie intime.

    "Flamboyant parmi les prodiges
    Il volait dans les plumes de l’ange"

    Enfin, en 2023, Marc Alyn publie Forêts domaniales de la mémoire, un recueil où la poésie retrouve sa puissance orale et incantatoire. Ce retour aux sources du verbe s’accompagne d’une méditation profonde sur la vie, le langage et le souvenir

    "Dès l’enfance
    j’aspirais à me perdre à travers les forêts
    de l’imaginaire
    croissant dans le terreau des syllabes"

    À travers ces poèmes, le poète, « marcheur des aubes violettes », arpente les chemins de sa mémoire, y explorant les traces d’un passé comme on se perd dans une forêt ancienne, dense de réminiscences et d’échos. Le titre du recueil nous suggère ainsi un territoire intime et collectif, un espace où se croisent les empreintes du temps, à la fois personnelles et universelles.

    Marc Alyn est sans conteste un explorateur du verbe, un poète dont l’œuvre, traversée par les métamorphoses du langage, s’inscrit dans une quête inlassable de la parole originelle. De Liberté de voir aux Forêts domaniales de la mémoire, en passant par les fulgurances des Alphabets du Feu ou la profondeur méditative de L’État naissant, son cheminement poétique s’est construit dans une tension entre l’ombre et la lumière, entre l’éphémère et l’infini. À travers l’incantation, l’aphorisme, la prose et le vers libre ou rythmé, il a donné voix à l’invisible, creusé l’obscur pour en extraire l’éclat du langage.
    L’édition de ses Œuvres Poétiques en fin d’année 2024 consacre cette trajectoire exceptionnelle, où chaque recueil résonne comme la pierre d’un édifice en perpétuelle élévation. Marc Alyn n’a cessé de questionner, de réinventer la langue, d’y insuffler une dimension sensible et prophétique. Son œuvre, portée d’un souffle rare, s’impose comme l’un des plus grands chants poétiques des XXème et XXIème siècles. Par-delà le temps, elle continue de vibrer, affirmant que la poésie, loin d’être un simple ornement, est avant tout une façon d’habiter le monde et de le réenchanter. Ainsi livre-t-il son œuvre à l’éternité car, nous écrit-il :

    "Je suis là peut-être pour des siècles.
    Ne me dérangez pas :
    j’ai tant de choses à me dire."

     

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    MARC   ALYN

    Vignette Marc Alyn

    ■ Marc Alyn
    sur Terres de femmes ▼

     

    Œuvres poétiques, Tome II, Le Rêveur éveillé (1992-2004), En couverture : Youl, 2024, La rumeur libre Éditions

    « Orée » in Œuvres Poétiques, Tome I, L’Aventure initiatique (1956-1991, La rumeur libre Éditions, 2024.

    → Forêts domaniales de la mémoire, Le rumeur libre, 2023l lecture d’AP)
    → [Un lézard est sorti du sépulcre du Roi] (poème extrait de La Parole planète)
    → « Proses de l’intérieur du poème » (Inédits, été 2010), in Dossier Marc Alyn rassemblé par André Ughetto
        Revue de poésie et de littérature Phœnix, cahiers littéraires internationaux, janvier 2011 ― N°1, page 17 ; in « mots somnambules
        [in « La durée circulaire »], Proses de l’intérieur du poème, Le Castor Astral, 201
    → D’une voix d’aube (poème extrait des Alphabets du Feu)
    → Le temps est un faucon qui plonge (lecture d’AP)

    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une notice bio-bibliographique consacrée à Marc Alyn
    → (sur Wikipedia.fr) un bel article consacré à Marc Alyn
    → (sur books.google.fr) Mémoires provisoires | Entretiens de Marc Alyn avec Marie Cayol
    → (sur books.google.fr) Marc Alyn, Le Chemin de la parole | Poèmes choisis 1954-1994
    → le site de la revue Phœnix

     

  • Dominique Sampiero / La vie éternelle

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Gens de la fenêtre(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photocollage : GAdC

     

     

     

    Je pense à vous   mes ancêtres,   à votre enfance  de rabot
    et de sciure,    à votre corps plié en deux   sur la chaise de
    votre méditation. Je cherche dans mon désir  de voisinage
    de quoi sourire aux morts     cachés   derrière le nylon des
    rideaux.

    Gens de la fenêtre,   je vous parle  depuis l’acacia de mon
    silence.

    Sous mes mains un peu de conscience remue  ses écailles,
    se faufile, rejoint le ruisseau des pensées, là où des fleuves
    de livres   attendent   qu’on les traverse,  à  bras- le- corps,
    qu’on s’y baigne pour le bénir   d’une présence   aussi fra-
    gile qu’un bouquet de pupilles.

     

    Gens de la fenêtre,    votre silence    est un pur-sang, votre
    mutisme    une philosophie de l’incertain,   un Orient  des-
    cendu sur la terre humide des draches.

    J’ai hérité de vos belles lettres de ciel et de mort, on m’ac-
    cusera de noirceur et de néant inutile.

    Je forgerai mot à mot les séquelles de votre amour.

    J’apprendrai à énumérer vos hivers
    histoire    de donner à penser   aux guerriers cruels
    de votre silence.

     

    J’éveillerai le courage qui m’a manqué enfant pour ouvrir
    sans l’assombrir le grand livre de votre visage.

    J’écrirai en carré sur le vitrail racontant le chemin de croix
    du ciel et des arbres dans votre cour intérieure, votre cru-
    cifixion de paille et d’avoine.

    Je m’inventerai une noblesse dans la dureté de vos absences.

     

    SAMPIERO

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dominique Sampiero, La vie éternelle, Frontispice de Godeliève Simons, Le Taillis Pré 2025, pp. 102,103,104.

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    DOMINIQUE SAMPIERO

    Dominique Sampiero
    Source

    ■ Dominique Sampiero
    sur Terres de femmes ▼

    "2. Ciel d’horloge" in On écrit un poème pour embrasser, Dessin Christian Bricka, Cahiers du Loup bleu, Les Lieux-Dits, 2022.
    [Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
    → Où vont les robes la nuit (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    → Nos lèvres et leurs baisers (extrait de La vie est chaude)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Dominique Sampiero
    → (sur Esprits Nomades) une page sur Dominique Sampiero

     

  • Patrizia Gattaceca / L’attesa / L’attente

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

     

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     " Et tu oseras paraître enfin
    Au seuil de l’attente lascive et cruelle "

    Photo: G.AdC 

     

     

    L’attesa

    Pazientosa mi stò
    À l’aguattu di l’ombra
    Di quellu ghjornu à vene
    In la so eternità
    Sopr’à mè cum’è u secretu di un dulore
    Si chjinerà
    È puru cun ardì t’affaccherai
    À l’usciu di l’attesa languida è crudele
    Pè l’ortu chì batte crosciu d’azuru
    In u fremu di i densi…
    T’affaccherai puru
    In core a l’Amore stessu
    Trà dubbiti è silenzii
    Da a notte sgranati…
    Brame
    Orgogli tribulati
    Nantu à a sponda infiarata di un’ aretta
    Cusì viva
    T’affaccherai

     

    L’attente

    Je guette
    L’ombre patiemment
    De ce jour qui viendra
    De son éternité…
    Au-dessus de moi comme le secret d’une
    douleur
    Elle se couchera
    Et tu oseras paraître enfin
    Au seuil de l’attente lascive et cruelle
    Au jardin palpitant baigné d’azur
    Dans le frémissement des sens…
    Enfin tu paraîtras
    Au cœur de l’Amour même
    Entre doutes et silences
    Distillés par la nuit…
    Désirs
    Orgueils froissés
    Sur le rivage embrasé d’une halte
    Si vivante
    Tu paraîtras…

     

    SPIRLA#2(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Patrizia Gattaceca,   in Revue   => SPIRLA#2

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    PATRIZIA GATTACECA

    Patrizia Gattaceca
    Ph. D.R.

    ■ Patrizia Gattaceca
    sur Terres de femmes ▼

    “Altri Lati” in Paesi ossessiunali, Collection Veranu di i pueti, Albiana/Centru Culturale Universitariu, 2015,
    Patrizia Gattaceca, Mosaicu
    → Sextine III (+ une notice bio-bibliographique)
    → So pieni i cascioni | Malles remplies
    → (dans la galerie Visages de femmesle Portrait de Patrizia Gattaceca (+ un poème de l’auteure)

    ■ Voir aussi ▼

    → (dans les numéros 19-20, « Utopie » [Espace Corse] de la revue numérique québécoise Mouvancescinq poèmes inédits de Patrizia Gattaceca
    → (sur Recours au Poèmeune page sur Patrizia Gattaceca (+ cinq poèmes)

  • Guilhem Fabre / Instants éternels

    <<Poésie d'un jour

     

     

    Yang_Hu_illustration_Qing

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source

     

     

    结伴攀登仙首山

    人类事物的成功和消亡
    他们的来来去去让旧事成为现在
    河流和山脉保留着它们的高处
    我们这一代人也出现在
    普瓦松普特岛的水位正在下降
    梦湖远处的天空渐渐变冷
    杨祜的碑至今还在
    读着读着我的衣裙已被泪水打湿

                                                                                                                                                              

    Montant au Mont Xianshou en compagnie

    Les choses humaines se succèdent et flétrissent
    Leur va-et-vient fait l'ancien le présent
    Fleuves et monts retiennent leurs hauts lieux

    Notre génération à son tour s'y présente
    Leurs eaux baissent à l'ile du Poissonpoutre
    Le ciel se refroidit dans les lointains du lac du rêve
    La stèle de Yang Hu est encore là
    À sa lecture voilà ma robe mouillée de larmes

     

    FABRE(1)(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Guilhem Fabre, Instants éternels, Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine, Avec la collaboration de Sun Qin'an, Po&psy a parte Erès 2025, p.102.

    ♦ Voir la note de →   l'éditeur 

     

  • Adrienne Rich / Plonger dans l’épave

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Asphalte

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " marchant comme je marchais avant
    comme un homme, comme une femme, dans la ville " 

    Photo: G.AdC 

     

     

     

    THE STRANGER

    Looking as I’ve looked before, straight down the heart
    of the street to the river
    walking the rivers of the avenues
    feeling the shudder of the caves beneath the asphalt
    watching the lights turn in the towers
    walking as I’ve walked before
    like a man, like a woman, in the city
    my visionary anger cleaning my sight
    and the detailed perceptions of mercy
    flowering from the anger

    if I come into a room out of the sharp misty light
    and hear them talking a dead language
    if they ask me my identity
    what can I say but
    I am the androgyne
    I am the living mind you fail to describe
    in your dead language
    the lost noun, the verb surviving
    only in the infinitive
    the letters of my name are written under the lids
    of the newborn child

    1972

     

     

    L’ÉTRANGÈRE

    Regardant comme je regardais avant, en plein cœur
    de la rue jusqu’à la rivière
    marchant dans les rivières des avenues
    éprouvant le frisson des caves sous l’asphalte
    observant les lumières qui s’allument dans les tours
    marchant comme je marchais avant
    comme un homme, comme une femme, dans la ville
    ma colère visionnaire clarifiant mon regard
    et les images détaillées de la compassion
    fleurissant dans cette colère

    si j’entre dans une pièce hors de la vive lumière brumeuse
    et les entends parler une langue morte
    s’ils me demandent de déclarer mon identité
    que puis-je dire hormis ceci
    je suis l’androgyne
    je suis l’esprit vivant que vous échouez à décrire
    dans votre langue morte
    le nom perdu, le verbe survivant
    seulement à l’infinitif
    les lettres de mon prénom sont gravées sous les paupières
    du nouveau-né

    1972

     

    RICH(1)(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Adrienne Rich, « I-Plonger dans l’épave » in Plonger dans l’épave, Diving into the Wreck, Poèmes 1971-1972, Traduction et préface de Chantal Ringuet, Noroît 2025, pp.46-47.

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       A D R I E N N E    R I C H

    Adrienne Rich
    Source

    ■ Adrienne Rich
    sur Terres de femmes ▼

    Adrienne Rich, Paroles d’un monde difficile, Poèmes 1988-2004, La rumeur libre éditions,
        Série mεtaphrasi | Domaine américain, 2019. Traduit de l’anglais (États-Unis)par Chantal Bizzini.

    From An Old House In America (traduction en français d’Olivier Apert)
    → 27 mars 2012 | Mort d’Adrienne Rich (+ un extrait d’Un atlas du monde difficile)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La rumeur libre) une notice bio-bibliographique sur Adrienne Rich
    → (sur Poetry Foundation) une biographie d’Adrienne Rich
    → (sur Modern American Poetry) un ensemble d’articles sur Adrienne Rich
    → (sur En attendant Nadeau) Adrienne Rich, Audre Lorde, Irena Klepfisz, poétesses guerrières,
           par Jeanne  Bacharach (22 avril 2020)