Blog

  • Terres de femmes n° 241 ―Février 2025

    CLIQUER SUR LA PHOTO
    pour accéder au SOMMAIRE
    du numéro du mois de Février 2025

     

    TDF FEV 2025

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca: G. AdC ) 

     

     

     

  • TdF sommaire du mois de Fevrier 2025 / N° 241


    TDF FEV 2025

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

    SOMMAIRE DU MOIS  DE FEVRIER  2025  ♦

    ♦ Cartouche du N°241 de Terres de femmes / fevrier 2025 ♦

                       

    Hélène Sanguinetti / Jadis, Poïena / Lecture d'Angèle Paoli
    Mathieu Bénézet / L'Océan jusqu'à toi
    Iya Kiva / Poèmes
    Béatrice Englert / Jean-Pierre Chambon / Le visage inconnu
    Muriel Pic / Le Dernier Printemps de Rosa Luxemburg…
    Angèle Paoli / Ceneri / Braises
     Anne Sexton / Folie, fureur et ferveur / Lecture de Noémie Antoine
    Angèle Paoli / Synchronicités silencieuses
    Luce Guilbaud / L'une de l'autre
    Jean Le Boël / l'enfant sur la berge
    Emmanuelle Le Cam / Un chant d'hiver
    Bleu de Prusse / Angèle Paoli
    Maylis de Kerangal / Jour de ressac (extrait)
    Pierre Dhainaut / Et pourtant
    inédit | Angèle Paoli | Petite épopée vulcanienne
    Marc Alyn / Le Rêveur éveillé
    Hélène Sanguinetti / Cargo bleu sur fond rouge
    Elisabeth Chabuel / Ombres Portées
    Laurine Rousselet / article d'Angèle Paoli / Claude Ber
    Emmanuel Moses / Et souviens-toi que je t'attends
    Hélène Sanguinetti /Jadis, Poïena / Une poème
    Emmanuel Merle / Leurs langues sont des cendres
    Martine Broda / Éblouissement

    ____________________________________________________________

                    ♦ Tdf sommaire du mois de janvier 2024 ( N°240 )
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de janvier 2024 ( N° 240 )  

                          ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf

                    ____________________________________________________________

     

     

     

  • Philippe Forest / Et personne ne sait

    Lecture

     

                                                                                           

    TOILE DE PEINTRE  Le vent se lève (Extrait)

     

    Un moment vient où le vent se lève et où il souffle au loin les nuages qui pesaient sur la ville. Leur lourd rideau gris et blanc glisse sur la tringle invisible de l’horizon et, disparaissant sur le côté, laissant place à l’azur sur lequel toute silhouette se détache, il découvre soudainement le formidable spectacle d’une cité héroïquement dressée vers le ciel. Soudainement : comme sur un coup de cymbales qui donne, triomphal, le signal aux musiciens et auquel succède le crescendo presque cacophonique des cordes et des cuivres éclatant en désordre, montant en vagues qui éclaboussent l’oreille depuis le fin fond de la fosse d’orchestre.
    Comme chez Maurice Ravel. Je veux dire le Ravel du Concerto pour la main gauche ou celui du Concerto en sol majeur, du troisième mouvement dont l’énergie claironnante soutenue par le frénétique clapotis du clavier contraste avec la lenteur extraordinairement poignante du deuxième dans lequel les instruments murmurent mélodieusement. Des compositions, qui, à quelques années près, sont plus ou moins contemporaines du roman dont je parle. Tout comme Rhapsody in Blue de George Gershwin, auquel, maintenant, je pense plutôt. Parce que si ma mémoire est bonne – je n’ai pas revu le film depuis l’époque très ancienne de sa sortie -, la musique en accompagne les plans avec lesquels Woody Allen, dans Manhattan, filme en un panoramique majestueux les hautes tours qui surplombent le parc au centre de sa ville. En noir et blanc. Comme si le seul noir et blanc pouvait donner une idée des vraies couleurs de la vie et, anachronique, montrer le monde au présent, dans ce présent qui est de tous les temps.
    La couleur est l’affaire des peintres. Elle donne la vie au dessin. Adams le sait. À l’atelier, on le lui a enseigné. Et comme il s’y connait mieux que moi, pour une fois, je me garderai bien de l’expliquer à sa place. Chaque saison, dit-il, a sa couleur. Le blanc pour l’hiver, on l’a vu et cela va de soi. Mais contrairement à ce que l’on croit, ajoute-t-il, le vert n’est pas la couleur du printemps. Le printemps est plutôt jaune selon la teinte que le soleil naissant donne à l’herbe nouvelle.
    Adams peint comme il n’a jamais peint auparavant. Euphorique. Le noir du dessin qu’il a posé parmi le blanc de la toile se remplit de couleurs qu’il lui donne et où domine le jaune qui n’est pas seulement la couleur du printemps mais aussi celle des songes. Car c’est toujours en jaune que l’on rêve. Je dis « jaune » faute de posséder les termes qu’il faudrait dans mon vocabulaire. Moi, je ne suis pas peintre et j’ignore les mots du métier, ceux qui servent à un artiste et qui lui permettent de nommer toutes les nuances. D’ailleurs, je ne suis pas certain qu’il s’agisse vraiment d’une couleur. Plutôt l’éclat que la lumière confère aux êtres, aux choses sur lesquelles elle se pose, selon l’heure du jour et qu’un instant suffit à changer. Le jaune que réfléchit un plan d’eau ou bien un pan de mur, le miroir du trottoir mouillé et celui des fenêtres aux façades que dessèche le vent, celui qui imprègne le bleu du ciel ou le vert des forêts, le jaune de la peau, de la chair qu’enflamme un rayon, qui met un peu de cuivre dans les cheveux bruns et qui ajoute son or aux cheveux blonds… »

     

    Illustration : G.AdC :  " La couleur est l’affaire des peintres." 

     

    Forest 2

    Philippe Forest, Et personne ne sait, roman, Éditions Gallimard 2025, pp.73,74.

     

    OpaleNé en 1962, Philippe Forest est romancier, essayiste , professeur de littérature à l’université de Nantes.
    Si tous ses romans expriment l’expérience du deuil – de L’Enfant éternel (Gallimard, 1997) à Je reste roi de mes chagrins (Gallimard, 2019) –,
    il signe aussi des essais, dont Le Roman, le réel et autres essais (Cécile Defaut, 2007),
    ou des biographies – Aragon (Gallimard, 2015, prix Goncourt de la biographie 2016).
    Parmi ses ouvrages plus récents, l’on peut citer Napoléon. La fin et le commencement et Éloge de l’aplomb et autres textes sur l’art et la peinture,
    tous deux parus en 2020 aux Éditions Gallimard,
    et un texte plus orienté vers les questions sociétales actuelles : Déconstruire, reconstruire. La querelle du woke (Gallimard, 2023).

     

    Photo © Catherine Hélie/
    Gallimard/opale.photo

     

     

     

     

  • Les lucioles / Nikolaj Zabolotskij

    << Poésie d'un jour

     

     

     

                               

    Lumiere

     

     

     

     

     

     

    Photo-collage de lumières méditerranéennes 2015 : G.AdC 

     

     

     

     

    Cветляки

     

    Слова – как светляки с болЬшими фонарями.
    Пока рассеян тъі и не всмотрелся в мрак,
    Ничтожно и темно их девственное пламя
    И неприметен их одушевленнъій прах.

    Но тъі взгляни на них весною в южном Сочи,
    Где олеандры спят в торжественном цвету,
    Где море светляков горит над бездной ночи
    И волныы в берег бьют, рыдая на лету.

    Сливая целый мир в единственном дыханье,
    Там из-под ног твоих земной уходит шар,
    И уж не их огни твердят о мирозданье,
    Но отдаленных гроз колеблется пожар.

    Дыхание фанфар и бубнов незнакомых
    Там медленно гудит и бродит в вышине.
    Что жалкие слова ? Подобье насекомых !
    И всё же эта тварь была послушна мне.

    1949

     

    Le Lucciole

    Le parole sono come lucciole dalle grandi lanterne.
    Finché non sei concentrato e non hai guardato nel buio
    inconsistente e debole è la loro fiamma virginale
    e poco appariscenti sono come un pulviscolo in moto.

    Ma guardale in primavera nel sud, a Soči,
    dove gli oleandri si assopiscono in un sontuoso colore,
    dove un mare di lucciole avvampa sull’abisso della notte
    e le onde sulla riva con un singulto si frangono a volo.

    Riunendo tutto il mondo in un unico respiro
    sotto i tuoi piedi la terra se ne va,
    e non sono le loro luci che parlano dell’universo
    ma in lontani temporali ondeggia la loro fiamma.

    Alito di fanfare e tamburelli non familiari,
    lì lento canticchia e vaga in altezza.
    Cosa sono le misère parole ? Sembianza d’insetti !
    Eppure mi obbedivano queste creature.

    1949

    Poesia / Nikolaj Zabolotskij (traduzione e cura di Amedeo Anelli), pp.116,117.

    Les lucioles

    Les mots sont comme des lucioles aux grandes torches.
    Tant que tu n’es pas concentré et que tu n’as pas regardé dans le noir
    inconsistante et faible est leur flamme virginale
    et peu visibles elles sont comme un grain de poussière en mouvement.

    Mais regarde-les au printemps dans le sud, à Soči,
    où les lauriers-roses s’assoupissent dans une somptueuse couleur,
    où un océan de lucioles s’enflamme sur les abysses de la nuit
    et les vagues sur le rivage dans un sanglot se brisent en vol.

    Rassemblant le monde entier en un seul souffle
    sous tes pieds la terre se dérobe,
    ce ne sont pas leurs lumières qui parlent de l’univers
    mais en de lointains orages ondoie leur flamme.

    Un souffle de fanfares et de tambourins inhabituels
    fredonne là faiblement et s’égare dans les hauteurs.
    Que sont les pauvres mots ? semblant d’insectes !
    Et pourtant, elles m’obéissaient ces créatures.

     

    Traduction inédite de l'italien : Angèle Paoli

     

    REVUE KAMEN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Kamen’, Rivista di poesia e filosofia, n°66, 2025, Libreria Ticinum Edidore

     

    ______________________________________________________________________________________________________________________________

     

    NICOLAS .JPEG Nikolaï Alekseïevitch Zabolotski (1903-1958) a été l’un des poètes les plus importants du XXe siècle. Pourtant peu connu en Europe, il fut un innovateur dont la poésie est une brillante combinaison de classicisme et de modernité (qui tient compte, en particulier, de l’expressivité de l’avant-garde). Ses premiers poèmes ont été publiés dès 1927 dans les revues littéraires de l’époque. Dans le même temps il fréquente les cercles littéraires de Leningrad où il se lie d’amitié avec Daniil Harms et Alexandre Vvedenski. Avec ses compagnons ainsi qu’avec Igor’ Bachterev, Boris Levin Konstantin Vaginov, il fonde OBERIOU (acronyme d’Association pour l’art réel), qui se réclame de l’aile radicale du Futurisme, selon Maïakovski et Khlebnikov. Passionné de littérature scientifique et d’art, il entre en contact avec Kasimir Malevitch. La violente critique sociale contenue dans ses poèmes notamment dans « Le Triomphe de l’agriculture » (1933) lui vaut en 1937 d’être accusé d’appartenir à un groupe subversif. Arrêté en 1938, il est condamné et envoyé au goulag de Karaganda (Kazakstan). De retour du goulag en 1944, il se consacre à la traduction en russe moderne russe du médiéval Dit de la Campagne d’Igor ; il traduit ensuite le poème épique géorgien du XIIe siècle Le chevalier à la peau de panthère de Chota Roustaveli, ainsi que nombre d’autres textes de poètes géorgiens. Ses derniers recueils poétiques furent publiés en 1948 et en 1957. Sa poésie riche de philosophie et de réflexions sur la nature est nourrie par l’étude des auteurs les plus divers, russes mais pas uniquement. Zabolotski est un poète de la violence, une violence qu’il ne cesse d’exprimer. La vie n’est qu’un enchaînement de luttes perpétuelles. La nature elle-même est un emprisonnement. Pour échapper à la douleur de l’existence, il faut civiliser la nature, c’est-à-dire l’humaniser et la rendre raisonnable. Cette utopie est conforme aux idéologies de son temps qui vont de pair avec une grande transformation économique et sociale.

     

    ______________________________________________________________________________________________________________________________

     

    Voir aussi sur → Tdf  et aussi 

       NIKOLAÏ    ZABOLOTSKI

    Nikolaï Zabolotski
    Source

    ■ Nikolaï Zabolotski
    sur Terres de femmes ▼

    Nikolaï Zabolotski, La Fille laide et autres poèmes (1955), traduit du russe par Jean-Baptiste Para et Léon Robel, revue Europe, revue littéraire mensuelle, n° 986-987, juin-juillet 2011,
    Poète (poème extrait du Loup toqué)

    ■ Voir aussi ▼
    → (sur le site de l'Encyclopædia Universalisune notice bio-bibliographique sur Nikolaï Zabolotski,
         par Claude Kastler
    → (sur En attendant NadeauZabolotski : un oubli réparé, par Christian Mouze
    → (sur Œuvres ouvertesNikolaï Zabolotski | Testament
    → (sur Les Hommes sans Épaulesune page sur Daniil Harms

     

  • Levin Westermann / Parti sans laisser d’adresse

    <<Poésie d'un jour

     

    Tdt_13042021_wald_fakten_erholungsraum

     

     

     

     

     

     

     

    © Shutterstock

     

    WALD
         

    ÜBERALL IST WALD, überall sind bäume, holz,
    blätter, borke, baum, bäume. die blätter sind grün,
    das blattwerk ist dicht und im herbst fällt das laub
    von den ästen. Schwerkraft, die natur der dinge.

    es wäre leicht jetzt einzuatmen, auszuatmen,
    fortzugehen. du atmest ein, du atmest aus, du gehst
    nicht fort. du bleibst im wald. das licht
    ist hell, die luft ist kalt. es ist noch früh.

    sichtbare frühe vor nase und mund.
    wahrnehmung beginnt im wald. treibt flieder
    aus der erde. mischt erinnern mit bedauern mit beginn ;
    kein wald ohne bäume, kein baum ohne sinn.

     

     

    FORÊT
         —

    LA FORÊT EST PARTOUT, des arbres partout. du bois,
    des feuilles, de l’écorce, de l’arbre ; des arbres ; feuillage vert,
    frondaison dense et en automne les feuillent tombent
    des branches. gravité, la nature des choses.

    ce serait facile maintenant d’inspirer, d’expirer,
    de t’en aller. tu inspires, tu expires, tu ne
    t’en vas pas. tu restes dans la forêt. la lumière
    est claire, l’air froid. il est encore tôt.

    buée du matin sous ton nez et devant ta bouche.
    la perception commence dans la forêt. pousse les lilas
    à sortir de tête, mêle les souvenirs aux regrets aux débuts ;
    pas de forêt sans arbres, pas d’arbres sans raison.

     

    DIE BÜHNE AUS WALD, desr vorhang
    aus baum, ein lungenflügel, grün schattiert,
    verkront für die photonen.warum in die ferne schweifen,
    wenn die farme sind so nah ?

    das einmaleins der laubbaumarten,
    regengrün bis winterkahl, unter dir
    der weiche boden und über dir das blätterdach,
    das himmelszelt aus wald.

    du trägst ein rotes käppchen auf dem kopf,
    ein rotes herz unter der brust, unter dem hemd ;
    du bist hier fremd, du bist im wald.
    sichtbarer wald vor nase und mund.

    LA SCENE DE LA FORET, le rideau
    en arbre. un poumon, dégradé de vert,
    en couronne pour les photons. pourquoi rêver d’ailleurs
    quand les fougères sont si près ?

    table de multiplication des types de feuilles,
    vert pluvieux à glabre hivernal. sous toi,
    le sol mou et au-dessus, le toit de feuilles,
    la voûte céleste de la forêt.

    tu portes une petite casquette rouge sur la tête,
    un cœur rouge dans la poitrine, sous ta chemise ;
    tu es un étranger ici, tu es en forêt.
    forêt visible sous ton nez et devant ta bouche.

     

    DER SCHWINGENSCHLAG bein angriffsflug
    im korridor aus wald. mildes klima, mischbestände.
    pflanzenformation. ballungsraum für büsche,
    baüme, borkenkäfer.

    viel baum, viel ehrʻ, viel käfer.
    und es sind schon da :amsel, fink et cetera,
    ein specht und du. vogelstimmen, vogelfährten.
    vogelfrei. warum in die ferne schweifen,

    wenn die greifen nisten nah ?
    das licht ist hell, die luft ist klar, es riecht
    nach wald. manchmal riescht du das wasser.
    immer riechst du den wald.

     

    LE BATTEMENT D’AILES lors du vol d’attaque
    dans un corridor de forêts. climat doux, peuplements mixtes.
    formation de plantes. agglomération de buissons,
    de pousses, de bostryches typographes.

    beaucoup d’arbres, de fierté, de scarabées.
    et les voilà déjà : la fourmi, le pinson, et cetera,
    un pic et toi. les voix des oiseaux, les routes des oiseaux,
    drôles d’oiseaux. pourquoi rêver l’ailleurs

    quand les griffons nichent tout près ?
    la lumière est claire, l’air est sain, cela sent
    la forêt. parfois tu sens l’eau.
    toujours tu sens la forêt.

    Levin Westermann, Wald/ Forêt in underkannt verzogen / Parti sans laisser d’adresse, Traduit de l’allemand et préfacé par Marina Skalova, Édition bilingue, D’une voix l’autre, dirigé par Jean-Baptiste Para, Cheyne Éditeur 2024, pp.120,12,122,123, 124,125.

    IMG_1662

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Levin WESTERMANN

    Né en 1980 à Meerbusch (Allemagne), il vit aujourd’hui à Bienne (Suisse). Son premier recueil, unbekannt verzogen (parti sans laisser d’adresse), paru chez Luxbooks, a reçu le Prix Orphil en 2014. Aujourd’hui, son œuvre embrasse livres de poésie et essais, souvent consacrés à la condition du vivant en temps de catastrophe écologique. Son dernier recueil, farbe komma dunkel, est paru en 2021 chez Matthes & Seitz, suivi en 2024 d’un premier roman : Zugunruhe. Il est lauréat du prix Clemens-Brentano, du Prix suisse de littérature et du Prix allemand du Nature Writing.

     

    Marina SKALOVA

    Autrice et traductrice littéraire de l’allemand et du russe. En tant qu’autrice, elle a notamment publié Atemnot / Souffle court à Cheyne en 2016, lauréat du Prix de la Vocation en Poésie, réédité par Héros-Limite en 2023. Elle a traduit les poétesses russes Galina Rymbu (Vanloo, 2023), Lida Youssoupova (zoème, 2023), Maria Stepanova et Jénia Berkovitch (La Revue de Belles-Lettres, 2019 et 2024). Avec Camille Luscher, elle a traduit Sucre. Journal d’une recherche de Dorothee Elmiger (Zoé, 2023), lauréat du Prix franco-allemand Franz Hessel.

     

     

     

  • Anna Milani / Cantique du lac

    <<Poésie d'un jour

     

     

    DRAP LIN

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     " dans  la blancheur  aveuglante  des draps  en lin."

    Photo : G.AdC 

     

     

     

     

     

     

    Le dimanche     sur le lac    avait      la netteté
    des étoiles d’hiver. Le village somnolait dans
    la brume  jusqu’à une heure tardive. Seuls les
    chasseurs arpentaient les sentiers   dès l’aube.
    Coups de feu     et froissements d’ailes    dans
    le vestibule du rêve. On se réveillait   dans  la
    blancheur      aveuglante     des draps     en lin.
    Dans ces journées de trêve,    le temps cessait
    d’être le temps,   et notre messe indigène était
    une course au bout du souffle sur une estive en
    pente douce, disséminée d’asphodèles.

     

    Le lac,    les nuits d’hiver,    était la nuit   plus
    sombre.  Il avalait bruits et lumières    et nous
    rendait    à nos solitudes   accomplies. Le ciel
    pesait au-dessus de nos têtes avec ses gravats
    d’étoiles.
    Dans le paysage étincelant de givre, je devinais
    un compagnon dispersé qui me prenait  dans la
    famille des silences et me conduisait    au-delà
    de mon cercle.

    J’étais dans ma chambre,     la seule qui donnait
    sur le lac, l’élément cardinal.
    Je faisais l’inventaire des ailleurs enfermés dans
    mon paysage domestique.
    Mer Baltique,   mères lointaines, hauts plateaux
    de tiges ployées,    falaises blanches, prairies de
    luzerne et    crépuscules mauves,  embarcadères
    confus dans les embruns,  quais de gare fouettés
    par les vents,   quelqu’un     disparaissant   sans
    cesse.

     

    IMG_1618

    Anna Milani, Cantique du lac, Cheyne Éditeur 2025,pp.29, 32, 35.

     

    Anna_Milani1080(1)(1)

    Née en Italie. Elle vit à Montpellier depuis 2004. Elle écrit de la poésie et de la prose poétique en français et en italien.
    Elle a publié Incantation pour nous toutes aux éditions Isabelle Sauvage en 2021 et Géographies de steppes et de lisières à Cheyne éditeur en 2022.
    Certains de ses textes figurent dans l’anthologie poétique Ces mots traversent les frontières, parue au Castor astral en 2023.
    Elle a par ailleurs publié dans différentes revues poétiques (DéchargeAnimal).

     

     

     
  • Valérie Rouzeau / La Petite Dame

    << Poésie d'un jour

     

     

    I23875(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Illustration Jochen Gerner,
    Extrait de son ouvrage Oiseaux (2021),  Source 

     

     

    Le guignon chez Rutebeuf se dit griesche
    Qui se prononce grièche comme pie-grièche
    Oiseau des buissons épineux bien réels
    Aujourd’hui Valérie ne joue plus jamais
    Aux cartes ni aux dés
    Et craint plus que la griesche d’hiver la griesche d’été
    Tandis que la petite dame continue
    De croire à la chance et au hasard heureux

                                        ***

     

    C’est comme si elle avait perdu la ligne de sa vie
    C’est comme si elle avait perdu la ligne
    C’est comme si elle avait perdu
    C’est comme si
    C’est comme
    C’est

                                         ***

    La petite dame ou est-ce Valérie écoute Nina Simone
    Elle pleure
    Écoute Maria Callas
    Elle pleure
    Édith Piaf Chavela Vargas Lotte Lenua
    Elle pleure
    Colette Magny Françoise Hardy Barbara
    Elle pleure
    Amy Winehouse Sinéad O’Connor Lady Day
    Elle pleure elle rit elle pleure
    Elles chantent

     

    Pie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Valérie Rouzeau, La Petite Dame, Poésie, Illustration Jochen Gerner, Extrait de son ouvrage Oiseaux (2021), Éditions B42, © La Table Ronde 2025, pp.26, 32, 76.

     

    Rencontres poétiques avec Valérie Rouzeau à Nîmes
    11/03/2025 – 12/03/2025
    Dans le cadre du Printemps des Poètes 2025, et à l'occasion de la sortie de son nouveau recueil, La Petite Dame, Valérie Rouzeau sera accueillie à Nîmes pour deux rencontres poétiques :

    • mardi 11 mars à 18h30 à la Bibliothèque Carré d'Art (grand auditorium)
    • mercredi 12 mars à 10h30 à la Ludo-médiathèque Jean d'Ormesson

    ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

    ________________________________________________________________________________________________________________________________

     

    VALÉRIE   ROUZEAU

    Rouzeau Durigneux
    D.R. Ph. Michel Durigneux
    Source

    ■ Valérie Rouzeau
    sur Terres de femmes ▼

    → [Anthologie du vers unique] (extrait d’Éphéméride)
    → [Chez mes hôtes en pays gaga] (autre extrait d’Éphéméride)
    → [J’aime aller dans la rue avec en tête un chant] (extrait de Sens averse)
    → Vrouz (lecture de Tristan Hordé)
    Vrouz, Poésie, La Table Ronde, 2012.
    → une fiche bio-bibliographique sur Valérie Rouzeau
    → À me bercer (extrait de Va où)
    → Nous nous serions perdus (poème de jeunesse)
    → Oie rêve à l’azur (note de lecture sur Apothicaria)
    → 25 décembre | Valérie Rouzeau, Quand je me deux
    → Quand je passerai
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmesDans le vent d’hiver
    → (dans la galerie Visages de femmes) le portrait de Valérie Rouzeau (+ un extrait de Va où)
    →  Pas revoir, Le Dé bleu, 1999 ; rééd. 2000, 2002 et 2003. Prix des Découvreurs 2000 [réédition 2010, aux Éditions de La Table Ronde,
         dans la collection de poche « La petite vermillon »]

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le tiers livre) un dossier de 34 pages sur Valérie Rouzeau,
          réalisé par l'équipe de la médiathèque municipale  Jacques-Thyraud de Romorantin-Lanthenay [texte de présentation d'Angèle Paoli] (PDF)

  • Angèle Paoli / Vagues en dérive / Sextine ouvrant -Les Feuillets de la Minotaure-

    << Ma poésie du week-end 

     

     

     

    Vague

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo : G.AdC 

     

     

    Douloureuse elle fuit dans une nuit sans rêve
    un nœud étroit musèle ses entrailles muettes
    sa gorge tient serrés les sanglots en dérive
    il aura donc suffi d’un printemps ténébreux
    pour que se taise enfin le glas du désamour
    dans ses entrailles sourdes à la pleine lumière

     

    il en aura fallu des journées sans lumière
    pour que son chant de pleurs se résigne à la trêve
    pour que cesse soudain le glas du désamour
    elle gît alanguie dans ses rages muettes
    enfermée dans le deuil d’un printemps orageux
    qui la garde attachée sanglotant à la rive

     

    elle se tient à l’orée de sa conque en dérive
    attentive aux rigueurs de la pleine lumière
    que finisse à jamais ce séjour caverneux
    qui la vit s’abîmer dans un sommeil sans rêve
    se perdre et se noyer en des rages muettes
    en proie aux affres noirs du sanglant désamour

     

    prisonnière alanguie en proie au désamour
    elle se livre en aveugle à sa rage en dérive
    et brame à la volée sa souffrance muette
    pour que surgisse enfin dans la pleine lumière
    la trame interrompue du tissé de ses rêves
    et que s’exilent au loin les printemps orageux

     

    que finisse aussitôt ce séjour ténébreux
    que s’éloignent avec lui les rires de l’amour
    que se tisse à nouveau un sommeil plein de rêves
    et qu’ensemble tous deux coulant de rive en rive
    elles puissent retrouver leurs jeux vers la lumière
    évoluer sans fin loin des larmes muettes

     

    s’envoler à jamais loin des rages muettes
    et quitter pour toujours ce séjour caverneux
    afin de renouer leurs jeux dans la lumière
    et finir de languir dans un pieux désamour
    libéré du désir de la rage en dérive
    se couler à nouveau dans les vagues du rêve

     

    loin des larmes muettes et regards orageux
    s’adonner aux jeux d’eaux de lumière et d’amour
    dans les rêves nouveaux de vagues en dérive.

     

     

    Angele-paoli-les-feuillets-de-la-minotaure

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Angèle Paoli, sextine ouvrant Les Feuillets de la Minotaurecoéditions Corlevour et Terres de femmes, mars 2015.

    L’ensemble épistolaire des Feuillets de Minoa (première partie), est ponctué par de brefs poèmes dont la tonalité sagement érotique rompt avec la prose des lettres tout imprégnées du « sentimentalisme » du XVIIIe siècle. Les Journuits (seconde partie) combinent récits oniriques et prose. Les Petites fantaisies minoennes (3e partie), brefs textes en vers, jouent le rôle d’intermède ludique. La dernière partie, Chants de Minoa, rassemble des poèmes inspirés par la même ferveur lyrique.

    ♦ Lire une critique de l'ouvrage par →  Sabine Huynh  ♦

     

  • Hélène Sanguinetti / Jadis, Poïena / Lecture d’Angèle Paoli

    Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena,
    une poème,
    Flammarion 2025
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

    HS BY GUIDU

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                            Photos : Guidu Antonietti di Cinarca 

     

     

    « Une primitive confidence »

    Jadis, Poïena (une poème)

    Poïena. Éloge de l’aimée, une éloge. Tant aimée, et désormais perdue, ne peut ne vit que … par les mots du poème. D’où, désormais « une » poème, autant qu’un poème.

    Deux termes, « Jadis / Poïena », pour nommer le dernier recueil d’Hélène Sanguinetti: Jadis, Poïena. Un très beau titre dans sa brièveté et dans sa complétude. Un « faire » le poème – "Poïen" – qui se tourne vers un " ja " / vers un "dis ", qui demande pour exister de revenir en arrière dans un jour – " dis " (du latin " dies ") – qui n’est plus, un autre jour, antérieur à celui de l’écriture. Se chante dans ce dernier recueil, un avant et un après, liés à l’être Aimée.

    Le recueil se compose de trois volets, très nettement distincts. Un avant-propos daté et localisé, qui s’ancre avec l’affirmation bien plantée d’un " je " : « J’ai toujours eu horreur des boucles ». Le texte introducteur a été écrit par la poète en 2024, à Capo di Fenu, un promontoire ulysséen dressé au-dessus de la mer, en Corse du Sud. Un décor somptueux et peut-être quelque peu inquiétant, que la poète a de multiples raisons d’affectionner. Dans cet avant-propos, la poète donne quelques clés de lecture la concernant et concernant son écriture. La trajectoire de cette écriture. Ceux et celles qui la connaissent ou ont eu l’occasion de l’entendre lire ses textes mis en voix avec une énergie et des intonations qui lui sont propres, la retrouveront tout entière dans Jadis, Poïena. Elle confie ici quelques-uns de ses goûts, pour la ponctuation notamment. Elle affectionne la volute des virgules que l’on retrouve davantage dans d’autres recueils que dans celui-ci, fantaisies légères, volubiles, au même titre que les points qui vivent leur vie sur la page, en dehors de la phrase. Vient après ce préambule, le second volet du recueil, Jadis, Poïena, un texte composite, mi- théâtral – car composé de scènes (7) avec voix et des sortes de didascalies – mi- textes en prose « Fille de » (2) – d’une tout autre typographie. Puis un troisième volet qui reprend un texte ancien, « Fille de Jeanne-Félicie », salué en son temps par le poète René Char, qui avait adoubé la jeune poète. Puis entre René Char et aujourd’hui, par Yves di Manno qui aimait tout particulièrement ce texte et a proposé à Hélène Sanguinetti de le joindre à nouveau, à ce nouveau recueil. Il y a donc un retour en arrière sur une antériorité au Jadis, Poïena.

    L’ensemble constitue une sorte de triptyque, à coloration autobiographique – « car je vous mens pour dire vrai », écrit la poète – dont les liens secrets entre les trois volets apparaissent au fur et à mesure qu’avance la lecture. L’enfance et ses lieux – Marseille, la campagne provençale et la mer – ses acteurs – les parents, la fille et la fratrie – le rouge et le jaune, les jeux, l’amour… la mort. Même si le dernier volet demeure pour moi celui qui échappe davantage. Et qui demeure le plus mystérieux.

    Le Jadis, Poïena et sa facture composite, entraîne vers un passé toujours vivace qui fait ressurgir le temps d’un jadis enfui, évoqué par des voix partagées. Enfances, musiques, contes, rêves. Toute une déclinaison, liée à Poïena. Avec ses "suites". Les poèmes font revivre un univers, réserve de couleurs et d’images vibrantes, solaires. Dans un poème introducteur en italique (il y en a trois de cette sorte) annoncé par un intitulé entre parenthèses (Aux Enfuies, rêve grec 1…2…3), la poète en appelle aux MUSES ! qu’elle apostrophe, invective jusqu’à la violence d’une mise à mort CREVEZ/ M.u.s.e.s ! Dans le troisième poème cependant, les « muses » disparaissent et la poète se livre à des remerciements, notamment à la lune et au soleil.

    S’ouvre alors le théâtre intérieur, avec sa succession de petites scènes. Et l’on assiste d’abord à la mise en scène d’un temps stratifié, que les mots les images et les gestes font vivre, un avant inscrit dans un temps antérieur au « jadis », avant la naissance de l’Aimée ; puis à son éclosion à la vie, puis à sa mort. Le « Jadis » anaphorique qui rythme le poème disparaît au profit de la rupture – avec le retrait de cette formulation où se dit la force du définitif – « Aujourd’hui/ elle est très morte. » Et cette mort-même se déroule avant toute cette horreur qui saisit la poète dans son débordement. Cette réserve temporelle se fait dans la brièveté de strophes qui s’enchevillent autour des variations sur le « jadis », s’étirent sur la page et se clôt sur un aveu en forme de désespoir :

    « Avant il y avait toi
    Poïena
    C’était avant,
    tête fracassée
    d’y penser »

    Viennent ensuite des variations sur le « jadis », suites musicales et oniriques, où les enfances de P, ou peut-être les siennes, celles de la poète, colorées joyeuses désordonnées libres et ludiques se bousculent dans les rues de Marseille, jeux et désirs, vitesse, ânonnement de formules latines dansées sur un pied. Ça va vite, il y a du bruit, les actions s’emboîtent, l’une chassant l’autre, les déterminants sautent les onomatopées bourdonnent les vers, les infinitifs prennent la relève, tout se déroule dans l’urgence de grandir et de vivre, scènes insérées dans d’autres scènes. Les enfances se poursuivent, où tout se mêle, le réel et les rêves, les rêves transformant le réel, le réel mué en conte empreint de réminiscences de textes médiévaux, de leur bel univers. Les strophes – avec reprises – de (Un Conte de P) s’inscrivent dans la tradition des chansons de gestes, lues et étudiées dans les désormais très anciennes scolarités classiques :

    « – Douce enfant, beau neveu,
    votre vue nous réjouit,
    si vieux temps quelle attente ! »

    Retour en trois strophes chantées délicieusement à l’oreille sur le « jadis », le nôtre, fait de merveilleux chrétien – Chrétien de Troyes- ! J’en ai larmes aux yeux ! Et toujours ces points éparpillés, qui scintillent, étoiles, sur le blanc de la page… Et parfois déboulent, en flot de points en fuite dans la descente de la page.

    Il arrive que la poète pratique avec désinvolture et drôlerie le mélange de tons et de genres, car ne se prend jamais totalement au sérieux. Et l’enfance demeure, qui persiste au-delà des chagrins de la vie. Et outre les onomatopées, les interjections familières jetées sans retenue, le poème fourmille d’inventions trouvailles cocasseries inattendues qui font sourire (pour être franche, je jubile!):

    « Ne pas effacer
    traces du combat
    et du jour de victoire
    (ainsi coupa sa langue
    au dragon, s’endormit
    avec ça dans la chaussette !)

    Des interrogations saugrenues interrompent le récit – « quelle histoire ! / c’était quand ? » – qui poursuit sa chevauchée cependant. Et l’on assiste à (Une rencontre capitale), laquelle se clôt sur une bataille :

    « Pauvre jeune fille,
    retourne vite sous
    la couverture
    -N O N » dit-elle
    mais tous voulurent
    entendre un oui
    depuis lutte est
    terrible entre fille
    et garçon »

    Ce qui se poursuit par (Un autoportrait), c’est le portrait d’une rebelle ! Un garçon ! Seule admirée et reine dans une fratrie de garçons, elle aurait peut-être voulu être, non pas fille, mais parfois garçon, semblable à eux et en toute action, leur pair. Car elle a le caractère bien trempé ! C’est donc ainsi qu’elle se peint, y compris dans les petites proses de « Fille de », malgré les longs cheveux (!!!) que sa mère, Jeanne-Félicie, coiffe ou lave avec soin. Elle soigne, enfant, son côté garçon manqué en apprenant à siffler « Pas beau pour une fille », préférant la bicyclette ses chutes et ses bleus aux poupées délaissées par ennui et qui « meurent d’ennui », la castagne dans la rue – « tu joues à être comme seule dans la rue » – les joutes sexuées avec les garçons « tu veux sucer ma quiquette ? », les cavalcades de « 6 Indiens » – elle, c’est Flèche-Brisée – les défis lancés à la nage du côté de l’île Maïre, Dans ce déferlement de scènes originelles, se cache secrètement Poïena. Il est temps d’arriver à l’amour et à la mort. À l’amour d’abord, celui de Poïena, dont le nom est partout, tout le temps et sans interruption, un amour qui, de Poïena à elle et l’inverse, se vit dans le courant des jours des joutes de la joie. Poïena et ses secrets, déclaration « J’adore toi ». À la folie amoureuse, faite d’inépuisables désirs, succèdent les jours de désastres. Tout se déglingue au même rythme endiablé, toujours, mais « tout crève », dans la succession hivernale de jours vides, avec ses CHENILLES annonciatrices de désastres, que domine la mort à venir, amour et mort finissant par fusionner encore, un instant :

    « Dans les bois, je marchais,
    Poïena,
    sous mon bras,
    Chaque côté
    soutenant la vivante et
    la morte, la tête
    a cédé, a roulé sans s’abîmer
    sur le lit
    de la passion… »

    Puis les mots FROID… FINI, dominant le reste du récit.

    Dès lors demeure le désespoir :

    « ne pas tomber, ne pas
    laisser aux petits singes
    l’enfer de l’incendie,
    à tous les animaux,
    l’enfer de nous »

    Et les interrogations, les consolations, la nécessité de poursuivre. Les « comment comprendre » / « allez-y ça vous fera du bien… » / « pourquoi jambes et pieds fonctionnent/ bras mains malgré » … Comment demeurer vivante lorsque l’autre que l’on aimait tant n’est plus ?
    La vie reprendra-t-elle un jour. Contre toute attente elle reprend, mezza-voce d’abord, puis plus affirmée :

    « Je tiens au rouge, avant
    le rouge, au blanc, question
    d’étendard sur le pré. »

    Mais toujours avec « Poïena à célébrer »

    Troisième volet du recueil : « Fille de Jeanne-Félicie ». D’évidence, il me faut faire à mon tour une boucle et revenir en arrière sur l’avant-propos. Où il est question de René Char qui confie à la poète dans une lettre qu’il lui adresse le 22 novembre 1986: «Vos poèmes me sont mieux que compagnons dans cette voie rare où la parole, la vôtre, me dit " Soyez humain du presque rien patient et doué d’infini "[…]. Puis, plus tard, en août de la même année et de vive voix, autre aveu : « Le texte que vous avez écrit, il vient très loin avant vous et il ira très loin après vous… ».
    Retour sur « une primitive confidence ». « Fille de Jeanne-Félicie. »
    Le recueil se compose de 58 petites proses, parfois réduites à une seule phrase, parfois deux, comme celles-ci :

    « Le ravin n’est-il que la nostalgie de la montagne ?
    L’homme n’est pas seul à tâtonner »

    Je retrouve avec émotion ces deux vers que j’avais notés et mis en exergue dans mes Carnets de marche (2010). Je les avais trouvés la première fois dans ma lecture du recueil d’Hélène S. – De la main gauche exploratrice (Flammarion 1999) qui s'ouvre avec " Fille de Jeanne-Félicie". Comme dans le précédent recueil, ils figurent ici, texte 50, isolés sur la page.

    Les petites proses numérotées sont interrompues par des textes en italiques (5 au total), plus lyriques – avec des adresses, des interrogations, des interjections, des impératifs. La poète fait venir à elle ce qui constitue son monde, son environnement intime. Elle dit sa familiarité avec les mystères qui l’entourent. Dans la lumière mais aussi, peut-être, dans les contradictions qui la tiennent, prisonnière. Ainsi se dit aussi un regret. Et cette sorte de poids qui revient sous sa plume :

    « Fête sereine, fête.
    Pourtant qu’elle me pèse cette clarté qui m’obscurcit loin
    de vous. »

    ou encore :

    « Ô dragée, si lourde amande dans ma mémoire. »

    Il y a quelque chose de l’oracle dans le mystère de ces poèmes ; quelque chose d’Orphée, le prince des poètes :

    « Je prends l’encre sous la lumière et je dis :

    " Soyez l’œil, l’oreille, la bouche, l’attentif
    dans l’osier du ruisseau, dans l’âme de la mousse
    avec le feuille grillée au feu, dans l’air d’en haut." »

    Il y a aussi les petites proses numérotées introduites par un curieux refrain, que l’on retrouve à 5 reprises et chaque fois augmenté, ou prolongé par une expansion. C’est le refrain anaphorique à la mère.

    « Fille de Jeanne-Félicie,
    Fille de Louis-Joseph,
    Fille de France,
    dans un berceau. »

    « […]

    Fille de France, celle-là
    et aucune autre, pour ce temps-là
    et sur cette terre,
    parmi nous. »

    Dans ces vers, introduits par ces formulations ternaires identiques, se disent la naissance, les origines, les désirs et volontés, l’héritage légué par les siens, le caractère unique – pas de sœurs, seulement des frères – mais aussi, un manque, un vide.

    Ici se dit la « primitive confidence » de la naissance : « les Pâques déposèrent au balcon le Bleu des Surprises. »
    Retour sur l’enfance – « car il n’y eut plus athlétique enfance » – blessure et lumière, paysages, mer mouettes et grillons, l’Aventure et le voyage, chemin de vie déposé par les fées dans le berceau ou présentes dans les cartes (Tarot ? 7 familles ), les vers appris et modifiés par la poète, posés comme des jalons dans la mémoire:

    « L’heure vient où les chameaux vont boire »

    Les jeux – « les 7 épines, les 7 baisers ». Et la mère, bien sûr, Jeanne-Félicie, pour qui elle est l’unique fille :

    -« Quel rêve formais-tu en lui faisant les tresses ? » interroge la fille.

    Laquelle, de la mère ou de la fille, est rivée à l’autre ?

    Peut-être est-ce d’elle, Jeanne-Félicie, que la fille tient d’être ce qu’elle s'est choisi d’être :

    « Car elle t’a voulue droite,
    trop près de son image. »

    Mais aussi :

    « Fille de France, sois au monde
    ce que tu aurais voulu qu’il te fût. »

    Et enfin, la reconnaissance :

    « Ton heure, Fille aimée !
    Où les troupeaux ont bu.
    Voici, tu veilles le Poème de silence,
    rien et tout donnant ce qu’il ne sait plus. »

    Quel plus beau cadeau rêver de recevoir d’une mère ?

    En réponse ou en remerciement – de la « Fille de » à sa mère – le « Poème » et le recueil qui la nomme. Qui les nomme et les lie, toutes deux, en récompense de la vie transmise de l’une à l’autre. Un don qui demeure et éclot dans le temps. Et a permis à la poésie de donner vie à la filiation : mère, fille, Poïena.

    ________________________________

     

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

    ________________________________

     

    IMG_1614

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    "Tu débordes du cadre, et te penches…"

     

    ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

    _________________________________________________________________________________________________________________________________

     

    HÉLÈNE   SANGUINETTI

    Hélène jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo de Kathie Arresteilles

    ■ Hélène Sanguinetti
    sur Terres de femmes ▼

     

    Jadis, Poïena, une poème, Flammarion 2025.
    Le Héros, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2008.
    Alparegho, Pareil-à-rien (note de lecture d’AP)
    → De quel pays êtes-vous ? (extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien + bio-bibliographie)
    De la main gauche, exploratrice (I)
    → De la main gauche, exploratrice (II)
    De ce berceau, la mer (extrait de D’ici, de ce berceau)
    → À celui qui (extrait de Hence this cradle)
    Et voici la chanson (note de lecture d’AP)
    → [Automne vivant et adoré] (extrait de Et voici la chanson)
    → [Ma trouvaille de tout à l’heure] (extrait de Domaine des englués)
    → [Premier soleil] (autre extrait de Domaine des englués)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) La vieille femme regarde en bas
    → (dans la galerie Visages de femmes) un Portrait de Hélène Sanguinetti (+ un poème extrait de De la main gauche, exploratrice)

     

    ■ Voir | écouter aussi ▼

     

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique
    (+ un extrait sonore issu de Alparegho, Pareil-à-rien)
    → un extrait sonore [10 mn] de Et voici la chanson (« JOUG 2 » « Voici la chanson », pp. 22-31) dit par Hélène Sanguinetti. Prise de son : François de Bortoli

     

  • Mathieu Bénézet / L’Océan jusqu’à toi

    <<Poésie d'un jour

     

     

    UNE ILE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC 

     

     

     

     

    il reste une île tout bas
    un palmier
    au seuil du sommeil


    et qui s’assemble
    d’un rêve ou d’un fleuve

    ô navigation disparue tu me portes vers toi
    Ungaretti d’une voix rouverte à l’été
    tu disais pure au lointain la lumière amarrée

    ajoutant un chuchotement de signes
    sépare l’ombre de la fenêtre

     

    IMG_1617

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mathieu Bénézét, L’Océan jusqu’à toi, Rime, Flammarion 1994, p. 62.

    ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

    ________________________________________________________________________________________________________________________________

     MATHIEU  BÉNÉZET

    Mathieu Bénézet
    Ph. © Hervé B. (France)
    Source

    ■ Mathieu Bénézet
    sur Terres de femmes ▼

     

    → De Langue in Œuvre, 1968-2010, Éditions Flammarion, Collection Mille & et une pages, 2012, page 708.
           Choix et présentation par Yves di Manno.
    →  « Le bris de la biscotte… », Premier crayon, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno.
    → Une phrase maison (composés instables) [poème extrait de La Chemise de Pétrarque]
    → Premier crayon (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Trois mouvements (extrait de Premier crayon)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net) L’Œuvre poétique de Mathieu Bénézet