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    T e r r e s  d e  F e m m e s    r e v u e   d e   p o é s i e   &   d e   c r i t i q u e   d’ A n g è l e  P a o l i

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    B  I  E  N  V  E  N  U  E      S  U  R      M  O  N       S  I  T  E      R  E  N  O  U  V  E  L É      E  N     2 0 2 5

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    EN MARGE

    Au bord des pliures du temps
    tes mots
    en marge
    dans le gisement des formes
    aux confins de terres oubliées
    sur le gouffre de tes attentes
    tes silences

    En apesanteur.

    Angèle Paoli

    2025

    Image : G.AdC 

    L A   R E V U E   E S T   E N   L I G N E   D E P U I S   21  A N S 

    Prix de la critique poétique Aristote 2013Prix de poèsie Louise Labé 2025

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  • Loréna Bur / Royaume, royaume

    << Poésie d'un jour

     

     

    Lorena_bur

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Loréna Bur / source 

     

     

    ne plus revenir à mwâârhûû
    du moins pas comme avant

    avant, nous aimions le sirop dans nos bols de lait, nous
    cherchions l’endroit où s’en allaient les mémés pour
    mourir,
    la forme du bois des maisons coloniales,
    la couleur du santal
    c’était l’époque des élections présidentielles
    et le lave-vaisselle ne marchait plus

    tonton cultivait les épines du christ,
    tantine la confiture et les achards de trocas et nous aussi,
    nous étions là

    nous connaissions cette foi, nous chantions le papa tortue et
    la maman tortue et les enfants tortue iront toujours au pas,
    une chanson populaire de toute façon

    nous disions
    parlez-nous d’identité
    des jacarandas sur les places de parking,
    sentiment d’espèce de trou du cul du monde,
    la brousse,
    les longueurs pour parvenir…

    quand nous traversions la koné-tiwaka du côté de la
    fureur, nous pensions troubler le grand silence
    mais il nous pardonnait

     

    ces jours de nuages bas,

     

    les niaoulis,
    les ficus,
    les pins colonnaires

     

    peut-être ressembler

    un vent se lève, il a l’air fou, emporte une maison loin de
    la maison
    loin du troc de pamplemousses entre voisines,
    les chihuahuas,
    les beignets de bananes mûres

    quand le parle de la maison, je parle de nous

     

    de mémoire, mémé s’installe dans l’univers
    elle a de la crème solaire sur le nez, elle est bien,
    elle est visiblement heureuse, elle dit
    la nature est bien faite

    et quelque chose obéit

    les mimosas,
    soleil de fin d’aprèm sur l’anse vata
    glissant comme de la ruine

    on me dit les choses et je sens que je réponds,
    qu’il y a des os sous l’esprit comme une vague dure,
    sûrement du sable au fond,
    du venin
    des poissons-pierres

    on pourrait mourir à la plage,
    il n’y a aucun répit

    on ramasse des grisettes pour le repas, on se dit les
    pauvres puis on les jette à la poêle, un peu de beurre un
    peu d’oignons
    nous ne pensons pas à la folie

    à ce que les grisettes peuvent bien penser de nos yeux
    ces projets pour l’avenir
    trier le monde entre
    le bruit du vent et le bruit du vent
    et tout autour,
    qui sait

     

    Couv-royaumeroyaume

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Loréna Bur, Royaume, royaume, Prix de la Vocation 2024, CHEYNE ÉDITEUR,  pp, 19, 20, 21, 22, 23.

     

     

  • Pace è salute / 2025

    Joyeux Noël et bonne année !
    Felice Natale a tutte e tutti.
    Pace è salute pè l'annu novu, cù a poesia e l'amicizia chi vanu sempre avanti e ci facenu cumpania.

    Tdf Angèle Paoli, Guidu Antonietti di Cinarca 

     

     

    VOEUX 25

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    nb sur :
    La Fontaine du Porcellino de Pietro Tacca à Florence

  • TdF sommaire du mois de Décembre 2024 / N° 239

     

     

    TDF  DECEMBRE 24

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

     

    ♦ SOMMAIRE DU MOIS  DE DÉCEMBRE 2024  ♦

    ♦ Cartouche du N°239 de Terres de femmes / décembre 2024 ♦

     

                                  Pace è salute / 2025

             TdF sommaire du mois de Décembre 2024 / N° 239

             Terres de femmes n° 239 ―Décembre 2024

                                  Rabia / … déplacer les seuils

    Marie-Hélène Prouteau / Paul Celan, Sauver La Clarté

    Lectures / Récapitulatif Angèle Paoli 2024 /

    Erwann Rougé / Asile / Lecture d'Angèle Paoli

    Camille Loivier / Nature en décomposition

    Patrick Argenté / Noctambules et journaliers

    Christiane Veschambre / là ou je n'écris pas

    Rosalind Brackenbury / Sestina pour Marie-Claire

    Patricia Cottron-Daubigné / Parure pour un sein absent / Lecture de Marie-Hélène Prouteau

    Isabelle Lévesque / Pierre Dhainaut / L'invention des couleurs

    Marie Audran / Voir à perdre la vue

    Antoine Boisseau / Supplément à la violette

    Bernard Grasset / Et le vent sur la terre des hommes

    Souvenirs, souvenirs…Tdf

    Emmanuel Moses / L'Auberge au bord de la route / Lecture d'Angèle Paoli

    Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond / Ce qui pousse la langue

    Anne Barbusse / Ohitza

    Jean-Marc Barrier / 196 matins

    Sabine Péglion / L'espérance d'un bleu

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                    ♦ Tdf sommaire du mois de novembre 2024 ( N°238 )
                    ♦ Cartouche du sommaire du mois de novembre   2024 ( N° 238 )  

                          ♦  Voir le  →  répertoire chronologique de tous les numéros de Tdf
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  • Terres de femmes n° 239 ―Décembre 2024

    CLIQUER SUR LA PHOTO
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    du numéro du mois de décembre 2024

    TDF DÉCEMBRE 2024

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Image: G.AdC

    Responsable de la rédaction :  Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et  mise en images: Guidu Antonietti di Cinarca:  ( G. AdC ) 

  • Rabia / … déplacer les seuils

    << Poésie d'un jour

     

    … ta maison pleine d’insomnies   t’empêche de tout déposer  dans
    un ordre chronologique. Tu veux vider la chambre,   comme après
    un décès, espérant libérer l’enfermement. En montant l’escalier du
    grenier sans murs,   efface les bruits de la ville,    ouvre la porte et
    souviens-toi. Ici c’est toujours au bord.

    … tu travailles à ouvrir l’ouest à l’angle d’une page froissée.
    Dedans, le mal endort l’astre solaire, la lune nage avec la peur de
    trouver la nuit. En même temps que les lucioles,  les traces de pas
    s’effacent dans le sable. Le silence s’impose.  Il reste pourtant les
    non-dits.

    … sous la peau, le silence est surhumain. La puissance de l’ombre
    revient s’appuyer sur tes paupières,  t’oblige    à baisser   le regard.
    Tu veux habiter nulle part mais au centre.    Si tu baisses le regard,
    tu achèves le lieu.

    … une image sépia, et le réel dégringole. Tu as coupé le son du
    monde pour mieux voir. Retiens ton souffle, ne contrarie pas le
    temps. Au fond d’un courant d’air, l’enfance exhumée.

    … épluchures de mots, gestes maladroits,    bout de cœur fossilisé,
    tu te regardes grandir. En filigrane, un jardin d’enfants brouille les
    pistes.    Au milieu des autres,   aucune joie-allumette,     secondes
    éparpillées. Dans la photo du cadre bien droit, personne n’entend ;
    de sa bouche  fissurée,   l’enfant demande :    « Qu’est-ce qu’il y a
    derrière le ciel ? » L’heure s’est arrêtée, le monde est devenu blanc.

    … passe de l’autre côté, rejoins l’innocence égarée, avant la peur
    du retour au « je ».   Approche cette dentelle   douce et    délicate.
    L’immensité la terrorise. Un souffle et tout bascule. Ajuste l’issue,
    lave sa peau. Doucement. Aide-la à relever la tête, à se réhydrater
    de ton encre. Sous le stylo, comme une voix sortie de toi, l’enfant
    de papier libère les fibres d’un murmure. À peine…

     

    dis-leur

     

    Rabia

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Rabia,déplacer les seuils, Poésie, Photographie©Marie-Pierre Forrat, ©Éditions Musimot 2024, pp.14, 15,16 ,17 ,18 ,19.

     

     

  • Marie-Hélène Prouteau / Paul Celan, Sauver La Clarté

      << Lecture

    Gansel

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    « Des hommes et des livres »

     

    Murs de Leyde, blancs comme les pages de La Rose de personne. Quelle est donc cette ville où les langues et les livres sont maîtres ? Où la parole poétique prend chair sur les murs de la ville ? Le geste du calligraphe laisse résonner quelque chose de la fidélité vigilante de la ville à son idéal de tolérance et de liberté. Aux temps terribles de guerres de religion où un tel idéal se payait cher, où les cercles de flammes cernaient la raison humaine.

    D’étape en étape, mon cheminement en écriture s’ouvre à une constellation de signes nouveaux. Les correspondances d’artistes et de poètes offrent parfois un réseau de notations qui laissent leur marque d’émotions. Ainsi en est-il de certaines lettres de Celan à son épouse et à son fils. Telle la carte postale à son fils écrite de Leyde lors d’un voyage en Hollande en 1964. La carte, une photographie de l’Université de Leyde, mentionne avec tendresse une écriture hors frontières : « nos âmes nomades se sont grandement éveillées. »

    Le secret de la photo de l’Université, je le découvre, tient à l’histoire de la plus ancienne université d’Europe. Reliant ainsi la petite prose au fils à un point cardinal d’exemplaire résistance. Car la construction de l’Université fut une récompense accordée à la ville, en remerciement de son combat contre les Espagnols. Une université que la ville a, chose admirable, préférée à des exonérations d’impôts. Ville symbole de toutes les libertés ! Pour les Juifs bannis du Portugal par l’Inquisition, accueillis en ces Provinces-Unies, comme la famille Spinoza. Pour les « Dissidents », protestants anglais persécutés et réfugiés à Leyde, futurs « Pilgrim Fathers » appareillant pour le Nouveau Monde. Ou pour Descartes expatrié en Hollande qui, voulant éviter à son Discours de la Méthode les démêlés de Galilée avec le Saint-Siège, préféra le confier à un de ces imprimeurs qui ont fait le succès de Leyde.

    Le voyage en Hollande ? Léger tremblé du temps, je glisse mes pas dans ceux de Celan en train de lire le Guide bleu de Hollande, Gisèle à ses côtés. Le voyage à Amsterdam pour voir le Rembrandt et voir Leyde, la ville de naissance du peintre. Rembrandt, présence si essentielle au monde intérieur de Celan qui entretient depuis des années un lieu d’élection avec lui – inscrit dans les lettres à Gisèle ou à Nelly Sachs et dans les poèmes nés des souvenirs de musées. Dans les interstices de ma quête littéraire se mêlent passé et présent : j’imagine aussi bien Celan et son épouse sur les traces de la modernité. L’ombre de Piet Mondrian passe dans la ville hollandaise. Il est le grand initiateur, à Leyde, avec Théo van Doesburg, de la revue d’avant-garde De Stijl, Le Style, qui s’apprêta à lancer ses étranges kyrielles de cubes colorés. De quoi enchanter la graveuse, Gisèle Celan-Lestrange, qui, en cette année 1966, a beaucoup œuvré aux gravures du recueil de Celan, Cristal de souffle.

    Murs de Leyde, blancs comme les pages de La Rose de personne. Celan n’a pu connaître ces cent-vingt poèmes calligraphiés sur les murs de la ville. Muurgedichte, « Les poèmes de murs ». Nul doute qu’il en aurait été enchanté. N’est-ce pas l’esprit même du « méridien » qui souffle ici ? A la croisée de ces voix du monde, chaque poème, chaque langue se répond. Un poème en langue Creek, « Maskoke Okisce » échange son intense étrangeté avec un vers d’« Omeros » de Derek Walcott : « fleeter than his galleys in his skittering bliss ». « Was there a time », un quatrain du persan Omar Khayyam, sur un mur de l’Université, est en résonance avec « Feuille ouverte » de Pierre Reverdy. « La lueur vient de plus haut que la fenêtre / Il y a une main timide qui s’avance ». Un haïku de Bashô en idéogrammes tient dans le regard sa charge d’inconnu. Dans cette rumeur d’espaces vibrent les allitérations d’un sonnet de Shakespeare. « When to the sessons of sweet silent thought ». D’autres y répondent, andalouses, celles-là : « largos caminos rojos » du De Profondis de Federico Garcia Lorca.

    Passionnément attentif aux langues et à cette invention nommée poésie, Cela n’aurait pas manqué de se laisser capter par cette migration d’altitude des poèmes. Il l’aurait contemplée, longuement. Repérant les poèmes qu’il aime tant traduire, Shakespeare, Rimbaud, Apollianaire, Velimir Khlebnikov, Alexandre Blok et, bien sûr, Mandelstam. Avec l’attention toujours à l’affût dont il fait preuve. L’attention est la « prière naturelle de l’âme », dit-il dans Le Méridien, en reprenant à son compte cette idée de Nicolas Malebranche.

    Muurgedichte, murs-poèmes : la vaste scénographie poétique de Leyde entre en correspondance parfaite avec l’expérience du Méridien.

    Comment s’appelle-t-il ton pays
    il émigre partout comme la langue.

    Marie-Hélène Prouteau, « des hommes et des livres » in Paul Celan, Sauver La Clarté, Préface de Mireille Gansel, Éditions Unicités 2024, pp.40, 41, 42.

     

    Fond blanc                                               

     

     

     

     

          Gerrit RietveldChaise Rouge et bleue, 1917-1923. Voir =>  aussi 

    " …avec Théo van Doesburg, de la revue d’avant-garde –De Stijl, Le Style- ,
    qui s’apprêta à lancer ses étranges kyrielles de cubes colorés…"

     

     

     
     

     

  • Lectures / Récapitulatif Angèle Paoli 2024 /

     

                                                        ANGÈLE PAOLI                              

    Angèle Paoli  sur la toile en 2024   

    respectivement sur: 

     

    Terre à ciel :

    TERREÀ CIEL

     

     

     

     

    Au fil des jours /

    Lecture de Michaël Bishop

    Mont Ventoux, vues et variations, Caroline François-Rubino / Angèle Paoli /                 

              Lecture de Sabine Dewulf

    Lecture de Marie-Hélène Prouteau

     

    Terres de femmes :

      Tdf

     

    Mont Ventoux, vues et variations, Caroline François-Rubino / Angèle Paoli /               

    Lecture de Pierre Dhainaut

     

    Sitaudis :

    Logo-sitaudis-fcb

     

     

     

     

     

    Voix sous les voix -  Angèle Paoli / Peintures de Marie Hercberg /

    Lecture de Michaël Bishop

     

    La Cause Littéraire :

    La cause litteraire

     

     

     

     

    Voix sous les voix -  Angèle Paoli / Peintures de Marie Hercberg  /

      Lecture de Philippe Leuckx 

     

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    Titre_39485738

                     Et également avec G.AdC sur  la revue  ROBBA

     

  • Erwann Rougé / Asile / Lecture d’Angèle Paoli

    Erwann Rougé, Asile,
    Éditions Unes 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

    MIRO

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L’Oiseau Solaire de Joan Miro  (1968)
    Photo  =>   G.dC 
    (Fondation Miro de  Barcelone) 2005

     

     

     

     

     

    « entre l’air et l’oiseau
    le cœur ne meurt jamais
    à l’autre mort »

    Asile. Asylum. Lointain est le temps où l’asile virgilien était un refuge, sacré et inviolable. L’Asile du poète Erwann Rougé est un lieu d’internement pour accueillir, cela est vrai, mettre à l’abri, cela est sans doute vrai aussi, les êtres atteints de déficience mentale, autrement dit : les aliénés. Mais peut-être faut-il voir dans cet asile indéterminé, toute forme spatiale susceptible d’interner quiconque dans sa vie comme dans son être.

    Chez le poète, le lieu où est sis cet « asile » n’est pas nommé. D’ailleurs, hormis dans le titre, le terme même d’asile n’apparaît pas. Pourtant c’est bien d’enfermement et de folie qu’il s’agit dans ce recueil. Lieu d’un « ailleurs » où se retrouvent sans vraiment se rencontrer les « solitudes ». Asiles du monde circonscrits dans une temporalité qui participe de cet enfermement, à la fois inaudible et omniprésent.
    Il est cependant possible de situer cet « asile » près de la mer, peut-être en Bretagne. En tous cas, hors du monde. Coupé de lui. Dans le recueil, le lieu apparaît sous la forme adverbiale « Ici », déterminé par des caractéristiques qui lui sont propres : couloirs, portes, murs derrière lesquels se trouvent les chambres, murs qui encloisonnent les patients. Frontière du dehors / frontière du dedans. Cet « Ici » désigne aussi un espace incertain, en équilibre instable, constamment menacé de chute. Mise à mal, la verticalité devient figure de la perte et de l’effondrement, à quoi sont associés le sale, le sang, les mauvaises odeurs, la dégradation mentale et physique de l’être humain, menacé dans son équilibre précaire et sa santé.

    « Ici    parle à travers
    les pores de la peau

    Ici       le sale revient toujours »

    « Ici » est un lieu dégradé où s’élabore à petit feu la désintégration de tout l’être. « Un espace sans rien / absolument rien / rien qu’une lenteur obscène »
    Cet « Ici » constitue avec « Elle » et « Doc », un trio autour duquel s’articulent les poèmes. Tous trois sont inclus dans leurs solitudes et leur ailleurs, tous trois désignés par une majuscule et séparés de l’énoncé par un blanc ou un alinéa. Le blanc de la respiration qui se cherche ou celui du silence peut-être. Le blanc qui baigne de sa pâleur la craie et le temps, les draps et les yeux, le sommeil.  Les strophes qui composent le poème sont brèves ; sans aucune ponctuation. Les vers souvent regroupés deux-à-deux. Erwann Rougé est un poète de la concision. Mais un poète aux images troublantes. Le théâtre dans lequel nous sommes convoqués est un lieu inhospitalier ; une scène de théâtre inquiétante où les êtres (les acteurs ?) – désignés par des pronoms indéfinis (chacun / ceux / certains) – se livrent à des gestes absurdes d’automates toujours recommencés, de balancements qui échappent à la compréhension et aux règles, établis par un ordre autre. Peut-être le poète a-t-il assisté à une pièce de théâtre contemporain dont le sujet était la folie. C’est la citation qui accompagne le premier poème qui m’y fait penser, dont je n’ai pas tout à fait réussi à identifier l’auteur ou l’autrice :

    « à l’infini de l’enfermement

    "n’ai -je été ce corps
    nourri de plaies… "

    Dominique Hardy »

    Il arrive que le poème principal soit accompagné par un autre texte en italiques, parfois sur la même page, parfois isolé sur une autre. Des sortes de didascalies, peut-être. Mais ce n’est pas tout à fait satisfaisant. Un texte en miroir, plutôt, qui fait écho, par les choix des mots et des images au texte en caractères romains.

    « Elle » apparaît régulièrement, c’est d’elle qu’il s’agit tout au long des poèmes et jusqu’à la fin du recueil, en dialogue parfois avec Doc. Mais s’agit-il vraiment d’un dialogue ? Disons qu’il leur arrive d’être mis en présence, le soignant et son aiguille, la malade et son appréhension :

    « Doc chuchote
    que c’est obligé cette chose
    folle dans le bras

    pour " affranchir le trou" »

    D’« Elle », nous apprenons qu’elle est la patiente de la « chambre 4 », qu’elle occupe son temps à le tuer, que le temps fait partie intégrante de sa personne mutilée, enfermée, assujettie à la répétitivité des gestes. Elle n’attend rien ni personne. Sinon la mer :

    « Elle
                  toujours l’attente
    d’un bruit de mer houleuse

    comme  couverture. »

    « Elle » ne désire pas les visites. Au contraire, elle les rejette. Avec l’irruption des vivants – famille amis, un « nous » / un « ils », porteurs de reproches, de formules creuses conçues pour combler le vide, survient aussi, de manière implicite dans la bouche des visiteurs, l’image du sang associée à la salissure et porteuse de la dégradation de l’image de soi :

    « qu’ils ne reviennent surtout pas
    me dire
                   que le sang salit »

    Le temps berce ses jours, l’enferme un peu plus en elle-même, comme le vent devant la mer devant la mort. Il est associé au gris du galet, mélange de blanc et de noir qui baigne le monde d’ « Elle » d’une couleur de cendre. Le temps est aussi associé à l’« Ici » :

    « Ici     le temps circule
    dans les lits sous les draps
    on ne dort jamais vraiment … »

    « Il n’y a pas d’heure dans la nuit »

    Il se peut que la folie d’ « Elle prenne » sa source dans l’enfance. Mais tous les indices qui pourraient éclairer raisonnablement l’histoire d’ « Elle » sont suggérés, à peine. Le poète n’insiste pas. Il a sa manière à lui de dire les choses, par touches discrètes :

    « le silence par la mère
                 le corbeau par le père »

    Et un peu plus bas :

    « "la langue de la mère
    dans la tête
                n’existe pas "

    le père a des yeux qui tuent »

    Il se peut aussi que son histoire ait été aggravée par une souffrance violente, un viol peut-être :

    « je suis encore vivante
    dans une pierre et un amour »

    ou un amour malheureux :

    « un désamour
    qu’elle cache entre les genoux »

    Le rouge du sang est allié au noir de la mort. Le noir de la mort se combine avec le blanc de la neige ou du lait pour ne former qu’un :

    « Elle      rêve un lait noir constellé
    à longueur une et infinie »

    Le monde d’ « Elle » associe les contraires, combine le haut et le bas dans un perpétuel mouvement où s’affrontent les équilibres. La nature elle-même est prise de folie qui met à mal dans la violence le ciel et le vent. C’est un hors-temps en chute libre qui agresse.
    Comme dans ces trois vers :

                                        « nouvelle alerte
                       les nuages montent au noir
             les oiseaux ivres tombent du ciel »

    La nature d’ailleurs est partie prenante des obsessions d’« Elle ». Elle agit à sa guise, s’anime comme prise par une sorte de prosopopée ambiante :

    « même les arbres avaient peur » ou « la lumière est moins bruyante » ou encore, saisissantes, ces images qui forme un couple – l’aveugle et l’amnésique :

    « le braille des pierres
    dit            l’oubli des roses »

    Ainsi les abstractions entrent-elles en action et irradient-elles sur la nature :

    « le calme craint de ne pas venir
    ne tient que par tremblement » …

    … « de branche en branche
    une lumière allonge le bras »

    De la nature, ciel nuages vagues galets algues, « Elle » se sent proche et s’il y a les corbeaux et corneilles maléfiques, annonciateurs de désastres, il y a aussi l’oiseau, les fous de Bassan dont « Elle » observe les « piqués » et les « courlis/ bordés de bleu coquille » dont elle suit le « tilt tilt ». Les oiseaux la définissent dans une sorte de lallation qui la berce :

    « je suis la folle qui va et qui va
    enveloppée d’oiseaux »

    jusqu’à la disparition pressentie, et annoncée de longue date –

    «la main se tend
    pour ne plus être seule quand elle dort

    dit « à tant aimer les oiseaux
    un jour je m’élancerai »

    – sur laquelle se clôt le recueil :

    « Elle     regarde la corneille
    la corneille la regarde
    entend qu’elle n’écoute plus

    Elle      ira voir la mer »

    Il reste beaucoup à explorer et à dire de ce texte musical, envoûtant, d’une infinie richesse. Les lectrices et les lecteurs y retrouveront la même texture et les mêmes images que celles qui constituent Paul les oiseaux. La même fibre émotionnelle, retenue jusqu’à l’os mais tout aussi vibrante dans la retenue qui est celle du poète. Ici, au cœur même de la folie d’« Elle », c’est la poésie qui l’emporte. Et son mystère :

    « entre l’air et l’oiseau
    le cœur ne meurt jamais
                           à l’autre mort »

     

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    Voir aussi sur => TdF 

     

     

     

     

  • Camille Loivier / Nature en décomposition

        <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Carré_noir_(MNAM)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    " cette petite nuit sans envergure "


    Carré noir de  Kasimir Malevitch   Source

     

     

     

    la terre n’est pas ce que l’on croit
    de la terre
    quand on la retourne

    motte des trois règnes
    caillou blanc ombilic racines
    entortillent le tout
    inséparablement

    et là-dedans moi
    un paquet de quoi
    de quoi suis-je inséparable

    (partir au loin)
    des morceaux de corps partout
    dans le chignon serré de radicelles
    où est l’animal et la pierre où est-elle

    respir

    un petit coup de bêche
    soulève le crapaud
    le cœur sous la peau blanche du printemps
    accéléré

    sa tendre peur, ô
    la sentir glacée et sombre
    -je n’ai pas voulu
    ce que je crois d’elle retourne à la terre

     

    ce n’est qu’un jardin d’herbes couchées
    mouches et taons se reposent

    pondre des milliers d’œufs
    (perdre espoir)

    des orties à taille humaine
    dépassent le portique de cette mer vert clair

    sentir que l’on ne fait plus partie du monde
    juste une pierre souffrante

    une pierre incarnée
    si dure, elle ne s’arrête pas de frapper

    (le merle poursuit la hulotte à midi)
    vie pour vie

    n’être qu’un corps flottant dans les herbes dures
    on efface la violence d’un trait
    barrée

    (elle-même se soustrait)

    amoindrie
    plus proche d’une branche de février
    du houpier d’un aulne
    que d’un être humain

     

    un cadavre d’oiseau desséché
    brun foncé, les pattes raides
    sous le chêne, derrière une touffe d’herbes

    puis un autre, un autre encore
    merle ou grive, étourneau peut-être

    le pré sec, la terre dure, des oiseaux partout au sol
    et seulement des femelles

    des oiselles jonchent le sol

    cadavres secs, tombés
    des nuées de mouches au-dessus

    c’est ce que je vois

    mon œil placé entre le champ d’oiselles
    et la nuée de mouches s’élevant à mon passage

    par terre, les pieds
    aplatissent les restes
    ce que je vois, crois voir
    d’un sort jeté

     

    en même temps que la stridulation du grillon
    le serein, la fraîcheur du serein
    quelques notes à peine
    les pieds dans l’herbe mouillée

    entrés dans la maison, si on renverse
    la boîte, ils seront mille à se faufiler
    grignoter les miettes de corps

    cette petite nuit sans envergure

    le double menton d’un ange froid dans le ciel

    une enfance sans bord

    grillon
    une herbe dans le trou
    qui t’affole

     

    Loivier

     

     

     

     

     

     

     

     

    Camille Loivier, « cycle de la terre » in Nature en décomposition, Backland éditions 2024,pp.72,73,74,75.

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      CAMILLE LOIVIER 

    CAMILLE LOIVIER

    © Michel Durigneux
    Source 

    Voir aussi sur :

    →   II. « La langue des swifts » in Swifts, Éditions] Isabelle Sauvage 2021
    →  Terres de femmes
    →  France Culture
    →  la MÉL
    →  la Semaine de la poésie